Espionnage industriel, Stratégies de conquête d’un marché

Espionnage industriel, Stratégies de conquête d’un marché

II – Stratégies de conquête d’un marché

Compte tenu de l’esprit défensif dans lequel le droit des brevets a été développé au fil des siècles, le voir jouer un rôle pour conquérir des marchés paraît inattendu. Et d’une certaine manière, les stratégies dans ce sens peuvent être conçues comme des stratégies subversives, qui relèvent davantage d’une perversion du droit. La nomenclature de ces stratégies que dressent les lignes suivantes, suffira à convaincre qu’il s’agit effectivement d’une déviation de l’esprit initial au profit d’un comportement de prédateur pour les entreprises qui s’y livrent.

Les exemples donnés de ces stratégies s’efforcent de mentionner une parade dans la mesure où la loi notamment en a prévu une. Bien que les cas correspondants aient été trouvés au fil du temps sans aucune idée préconçue, ils concourent à tenir aujourd’hui les entreprises américaines pour premières utilisatrices de ces stratégies.

1 – Espionnage industriel

La survenance d’actes d’espionnage industriel semble beaucoup plus forte qu’il n’y paraît. Très souvent en effet l’entreprise qui en est victime, soit ne s’en aperçoit pas ou n’a pas suffisamment de preuves pour l’établir, soit préfère rester discrète sur sa mésaventure. C’est ainsi que relativement peu de cas sont cités dans la littérature, la plupart des ouvrages faisant au demeurant référence aux même cas. Par exemple, celui régulièrement évoqué de Monsieur LOPEZ qui quitte General Motors et livre des documents de son ancienne société à son nouvel employeur, Volkswagen [IHEDN, 2000]. D’ailleurs la publicité faite à ce cas vient probablement davantage du fait qu’il a été découvert grâce à Echelon, le système d’écoute électronique partagé par les Etats-Unis avec quelques-uns des pays dans leur sillage politico-économique [GUICHARDAZ P. et al., 1999]. La presse s’est faite l’écho également des affaires de la Société européenne de propulsion en 1987, de Texas Instruments en 1989, de la CRAM d’Ile-de-France en 1995 [AUER F., 1997] ou encore de TEMPERVILLE du CEA dans les années 1990.

Quoi qu’il en soit, cela donne peu d’indication sur le pain quotidien des entreprises en la matière. Et celles qui révèlent leur expérience sont peu crédibles. A ce propos Bristol-Myers Squibb, puissant groupe du secteur médical, a envoyé le 20 avril 2000 son responsable de la sécurité lors d’une journée consacrée à l’Intelligence économique organisée par l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) à l’Ecole militaire à Paris. Ce responsable, Frank G. MADSEN, ancien policier danois ayant également travaillé à Interpol à Paris, a été très fier d’annoncer que sa société était victime d’un véritable «assaut» de la part des services de renseignement gouvernementaux dont trois cas avérés d’espionnage entre 1991 et 2000. Et il a laissé entendre que le GRU russe pouvait être à leur origine.

Mais ne serait-ce pas une façon pour faire de la publicité pour Bristol-Myers Squibb? Le cas de déstabilisation d’une société française par cette entreprise de droit américain qui sera décrit plus loin, peut en effet le faire penser (cf. § II-3-E).

Cependant les spécialistes en brevet rencontrent des cas d’espionnage industriel dans leur pratique. Il n’est pas rare en effet de découvrir une demande de brevet déposée par des tiers sur un sujet qu’une société a cru garder secret dans ses cartons. Souvent c’est l’inventeur lui-même qui, mécontent de l’absence d’exploitation de son idée, va trouver la concurrence dans l’espoir d’obtenir des royalties. L’idée de l’invention est parfois aussi livrée par un fournisseur.

Par exemple, la société VALOIS qui fabrique des pompes de vaporisateur, a souvent eu la désagréable surprise de trouver des demandes tierces reprenant des conceptions qu’elle venait d’exposer à son mouliste. Ces demandes avaient été déposées au nom de son principal concurrent, L’OREAL. Le fournisseur peut avoir été amené à trop parler dans l’enthousiasme de la discussion avec des représentants de L’OREAL. Il peut aussi s’être livré à un calcul visant à élargir son propre marché.

Il en est de même des autres partenaires de l’entreprise amenés à avoir connaissance de l’invention avant le dépôt de la demande comme notamment des universitaires participant aux recherches.

C’est pourquoi, il est recommandé de déposer le plus tôt possible afin d’apparaître aux yeux de l’administration comme «réputé habilité à exercer le droit au brevet»

selon la terminologie de l’article 60(3) CBE. Si des tiers sont tout de même parvenus à déposer auparavant, le droit sur les brevets prévoit une procédure de revendication de propriété selon l’article 61 CBE ou l’article L 611-8 du Code de la propriété intellectuelle français.

Elle implique une décision de justice avec l’aléa correspondant. Ce dernier peut être réduit si la société véritablement à l’origine de l’invention a pris soin de faire signer un engagement au secret à tous les partenaires susceptibles de prendre connaissance de l’invention avant le dépôt et a fait figurer la mention «confidentiel» sur les documents qu’elle leur a transmis. A supposer toutefois que la revendication de propriété aboutisse, la société rétablie dans ses droits n’a pas toujours la possibilité de déposer une nouvelle demande, cela pour des raisons de délais à respecter. Elle hérite alors d’une demande ou d’un brevet qu’elle n’a pas fait rédiger elle-même et dont elle n’a pas suivi elle-même la procédure de délivrance.

Parfois c’est donc un véritable cadeau empoisonné, le titre ayant une solidité sujette à caution ou une portée exagérément réduite.

Soustraction de l’invention à son véritable auteur demeurée ignorée, difficulté à prouver la véritable origine de l’invention, retard ou maladresse dans l’action visant à recouvrer les droits, toutes ces raisons font que l’espionnage industriel peut s’avérer payant. Les sociétés refusent le plus souvent de l’admettre.

Elles ne veulent pas encore alourdir leurs frais généraux par des mesures de sécurité. Certaines de ces mesures cependant ne coûtent rien, comme la sensibilisation du personnel pour qu’il soit plus circonspect dans ses déclarations, qu’il conserve sous clé les documents confidentiels et soit prudent dans l’utilisation de l’informatique. Mais le blocage est plutôt dans les mentalités, la peur de passer pour paranoïaque notamment …

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La guerre des brevets : Quelles stratégies ?
Université 🏫: Université de Marne-la-Vallée
Auteur·trice·s 🎓:
Hélène ROLNIK

Hélène ROLNIK
Année de soutenance 📅: Mémoire de DESS en Ingénierie de l’Intelligence économique - Novembre 2002
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