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Analyse de la pénurie de médecins du travail en Côte d’Ivoire

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🏫 Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest-Unité Universitaire à Abidjan (UCAO-UUA) - Faculté de Droit Civil
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Mars 2024
🎓 Auteur·trice·s
ADEOUMI Aboubakar-Sidik Akinlola
ADEOUMI Aboubakar-Sidik Akinlola

La pénurie de médecins du travail en Côte d’Ivoire constitue un obstacle majeur à l’efficacité de la médecine du travail. Cet article analyse les causes de cette pénurie et ses impacts sur le suivi médical des salariés, tout en proposant des pistes d’amélioration pour le cadre juridique et les services.


Section II :

Les difficultés fonctionnelles de la médecine du travail

La médecine du travail est confrontée à un problème majeur : la pénurie de médecins du travail. Ce phénomène est dû à plusieurs causes, telles que le manque d’attractivité du métier ou encore le vieillissement de la population médicale. Il entraîne des conséquences fâcheuses pour le suivi médical des salariés, qui est insuffisant et inégal selon les secteurs et les territoires. Par ailleurs, la médecine du travail manque de moyens matériels et financiers, ce qui limite sa capacité à réaliser certains examens ou à mettre en œuvre des actions de prévention. Dans cette section, nous allons examiner la pénurie de médecin du travail (Paragraphe I) et le manque de moyens matériels et financiers (Paragraphe II).

Paragraphe I :

La pénurie de médecin du travail : un phénomène alarmant

La pénurie de médecin du travail est un phénomène qui touche la plupart des pays industrialisés, mais aussi les pays en voie de développement, dont la Côte d’Ivoire. Selon les données de la Banque mondiale, notre pays fait face à une carence sévère de médecin, de façon globale, encore plus chaotique lorsqu’il s’agit de médecin du travail. Ce déficit, causé par le vieillissement de la population médicale et le manque d’attractivité du métier (A), n’est pas sans conséquence, car l’on fait le constat d’un suivi médical insuffisant et inégal selon les secteurs d’activités et les zones du territoire national (B).

A- Les causes de la pénurie : un métier peu attractif et vieillissant

La pénurie de médecin du travail en Côte d’Ivoire s’explique par plusieurs facteurs, qui rendent ce métier peu attractif et vieillissant.

D’une part, la pénurie de médecin du travail résulte d’un manque d’attractivité du métier, qui ne suscite pas l’intérêt des jeunes médecins. En effet, la médecine du travail souffre d’une image négative auprès des étudiants en médecine, qui la considèrent comme une spécialité secondaire, peu valorisante et peu rémunératrice1. De ce fait, l’on constate un désintérêt chez les étudiants pour une discipline qui n’offre pas les mêmes conforts financiers que la médecine libérale, d’où le faible enthousiasme manifesté par les étudiants comme en témoignent les statistiques.

Par ailleurs, la formation en médecine du travail est longue, l’étudiant suit un cursus d’environ huit (8) années comprenant des cours à l’université et des stages pratiques avant de passer les épreuves classantes nationales qui lui permettent d’obtenir le titre de médecin générale2, à cela s’ajoute une spécialisation en médecine du travail qui peut atteindre trois (3) ans. Ainsi, la formation en médecine du travail mène à de longues études pouvant aller au bac +11.

De plus, cette formation est jugée insuffisante et inadaptée aux réalités du terrain. Elle ne permet pas aux futurs médecins du travail d’acquérir les compétences nécessaires pour faire face aux nouveaux risques professionnels ou aux nouvelles formes d’organisation du travail.

Aussi, les conditions d’exercice du métier sont pénibles, notamment avec la faible reconnaissance du métier par les employeurs qui ne respectent pas les obligations légales en matière de santé et sécurité au travail, que de la part des travailleurs qui ne consultent pas régulièrement le médecin du travail ou qui le perçoivent comme un agent de contrôle qui menace le maintien à leur emploi.

D’autre part, la pénurie de médecin du travail est accentuée par un vieillissement de la population médicale, qui entraîne une diminution du nombre de praticiens en activité. En effet, la majorité des médecins du travail ont plus de 50 ans et sont proches de la retraite.

Entre le vieillissement de la population médicale et le manque d’enthousiasme des jeunes médecins à se diriger vers la médecine du travail, le constat qui ressort est sans appel, un déséquilibre entre les départs à la retraite et les nouvelles recrues. Par conséquent, le taux de renouvellement des médecins du travail est donc très faible, ce qui aggrave le déficit de personnel.

B- Les conséquences de la pénurie : un suivi médical insuffisant et disparate

La pénurie de médecin du travail en Côte d’Ivoire a des conséquences néfastes, tant pour les travailleurs que pour les employeurs et la société. Elle entraîne en effet un suivi médical insuffisant et inégal des travailleurs3, qui peut avoir des répercussions sur leur santé, leur sécurité et leur productivité.

D’une part, le suivi médical des travailleurs est insuffisant, car il n’est pas conforme aux normes légales et aux recommandations internationales. Selon le Code du travail, tout travailleur doit bénéficier d’un examen médical à l’embauche, d’examens périodiques et d’examens spéciaux en cas de changement de poste, de reprise du travail après une absence prolongée, ou de suspicion de maladie professionnelle. Or, ces examens ne sont pas toujours réalisés, faute de médecins du travail disponibles.

Par conséquent, le manque de médecins du travail entraîne une surcharge de travail pour les praticiens en exercice, qui doivent assurer la surveillance médicale d’un nombre croissant de salariés.

En outre, la terre d’Éburnie fait face une pénurie de médecin de façon générale, on estime qu’un médecin en Côte d’Ivoire a à charge 10.000 habitants4, cette carence n’est pas seulement propre à la Côte d’Ivoire, mais à toute l’Afrique subsaharienne. En se référant aux chiffres de la banque mondiale, notre pays dispose de 0,2 médecin pour 1000 personnes tandis que nos voisins de la sous- région, en l’occurrence le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, le Bénin et le Ghana, disposent quant à eux de 0,1 médecin pour 1000 personnes5.

Conséquemment à cette pénurie, le nombre de médecins du travail est tout aussi infime quand l’on est conscient du désamour voué à cette discipline par les praticiens et les étudiants. Selon l’annuaire de la Société Ivoirienne de la Médecine du travail (SIMT), on dénombre quatre-vingt-six (86) médecins du travail6, ce nombre famélique qui est loin en deçà des recommandations internationales, pousse le médecin du travail à être largement excédé et, par voie de conséquence, il ne peut assurer un suivi médical régulier et approfondi des salariés, ni mener des actions de prévention efficaces.

D’autre part, le manque de médecins du travail entraîne une inégalité d’accès aux services de santé au travail, car il varie selon les secteurs d’activités, la taille des entreprises et les territoires. En effet, certains secteurs d’activité, comme l’agriculture, le bâtiment ou le commerce, sont moins bien couverts par les services de santé au travail que d’autres, comme l’industrie ou les services publics.

Ce constat peut s’expliquer par le fait que les premiers nommés s’exercent généralement dans le secteur informel, par conséquent ne sont pas couverts par le Code du travail. Aussi, les petites et moyennes entreprises (PME) sont également défavorisées, car elles n’ont pas les moyens de financer un service de santé au travail autonome, et doivent recourir à des services interentreprises, qui sont souvent saturés ou éloignés.

De même, certaines zones géographiques, comme les zones rurales ou les zones éloignées des centres urbains, sont moins bien desservies par les services de santé au travail que d’autres. Ces disparités créent une discrimination entre les salariés selon leur lieu et leur secteur d’emploi.

En conclusion, la pénurie de médecin du travail en Côte d’Ivoire est un problème majeur, qui résulte de plusieurs causes, et qui engendre de multiples conséquences. Il est donc nécessaire de prendre des mesures urgentes pour pallier ce manque, et pour garantir à tous les travailleurs un suivi médical adapté et équitable.

________________________

1 JOVER (A-F.), op cit., p.11

2 Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Les études de santé, disponible en ligne : http://www.enseignement.gouv.ci. (consulté le 14/12/2023 à 12 h 51 min)

3 Ministère de la Santé et de l’hygiène publique, Politique nationale d’amélioration de la qualité des soins et des services de santé en Côte d’Ivoire, République de Côte d’Ivoire, juin 2016, p. 27

4 HOUESSIONON (M.), « Comment la Côte d’Ivoire retient ses médecins » 09 mars 2023, disponible en ligne : https://www.jeuneafrique.com (consulté le 28/12/2023 à 10 h 19 min)

5 La Banque mondiale, Atlas mondial de la santé au travail, disponible en ligne : https://donnees.banquemondiale.org (consulté le 30/12/2023 à 18 h 01 min)

6 Société Ivoirienne de Médecine du Travail, Annuaire des Médecins du travail en Côte d’Ivoire, disponible en ligne : http://simt-ci.net (consulté le 30/12/2023 à 18 h 18 min)

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