Le recours excessif à la détention préventive

Section 2 : Une pratique irrégulière

Le respect des règles établies par la loi est le seul gage de la consolidation de l’état de droit. Le législateur togolais a édicté des règes et des principes afin de pourvoir à la protection du droit à la liberté des personnes poursuivies et de prévenir les placements abusifs en détention préventive.

Cependant, certaines imprécisions dans le cadre normatif fragilisent cette protection. Cette situation singulière qu’est celle des personnes poursuivies, est empirée n pratique par le non-respect des principes cardinaux sus- énoncés.

En pratique, le placement en détention préventive est objet d’un recours excessif (Paragraphe 1) et les atteintes à la présomption d’innocence sont récurrentes (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le recours excessif à la détention préventive

Dans la pratique les magistrats font un usage excessif du mandat de dépôt. L’ancien Inspecteur général des services juridictionnels et pénitentiaires73 affirmait dans une interview qu’il y a « parfois peu de pertinence dans la délivrance des mandats de dépôt par certains magistrats74 ».

Des causes peuvent être identifiées pour tenter d’expliquer ce recours excessif (A) à la détention préventive, aux conséquences désastreuses (B).

A. Des causes identifiables

Plusieurs raisons sont avancées pour tenter de justifier le taux excessivement élevé de détenus préventifs au Togo. Elles peuvent se résumer en trois considérations.

La première est celle selon laquelle le nombre élevé des détenus préventifs est dû à une « augmentation exponentielle de la criminalité75 ». En effet, une analyse révèle que le nombre de détenus a augmenté de 3 728 en 2012 à un effectif de 5 232 en juillet 201976.

Cette hausse des effectifs peut effectivement traduire une hausse de la criminalité. L’activité régalienne de l’arsenal pénal serait la cause du nombre élevé de détenus qui est observé dans les prisons au Togo.

La seconde considération, voit en l’explosion du taux de prévenus au Togo, l’expression d’une politique criminelle trop répressive.

C’est en substance la pensée de l’expert et rapporteur du comité contre la torture Sébastien TOUZE selon qui « plus la politique pénale est répressive et plus les prisons se remplissent.

73 Kokouvi Pius AGBETOMEY

74 Reflets du Palais, N°3, 20 août 2013, p. 5

75Cette raison a été avancée par le directeur de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion lors du passage du Togo devant le CAT en juillet 2019 (précisément le 29 juillet 2019)

76 Chiffres donnés par le directeur de l’administration pénitentiaire lors du passage du Togo devant le CAT en juillet 2019

De la même manière, plus les prisons se remplissent et plus les moyens de les désengorger disparaissent parce que très souvent les personnes se trouvent en attente de jugement77 ».

Le législateur togolais pourrait répondre en procédant, par exemple, à la dépénalisation des infractions mineures.

Rappelons que pour l’accélération de la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique, la commission africaine des droits de l’Homme avait adopté en septembre 2002 la « déclaration et plan d’action de Ouagadougou ».

Cette résolution appelait les États parties à la Charte africaine, dont le Togo, à requalifier et à dépénaliser les infractions mineures comme « l’oisiveté, le vagabondage, la prostitution, le non remboursement de dettes, la désobéissance aux parents78 ».

Le recours excessif à la détention préventive

Cette stratégie vise à réduire le surpeuplement des prisons. Il faut également relever que la lenteur judiciaire et le non-respect des délais de procédures observés en pratique concourt à l’incarcération des suspects pendant de longues périodes.

Ce fait est en partie dû au nombre insuffisant de magistrats au Togo, surtout lorsque l’on se réfère au nombre insuffisant de juges instructeurs. Il peut arriver que des juges d’instruction aient « plus de 500 dossiers à sa charge »79.

Un exemple de l’ampleur de la lenteur judiciaire nous est donné par le diagnostic effectué en 2013 sur la cour suprême qui a révélé l’existence de près de 1500 dossiers encore pendants, couvrant la période allant de 1985 à 201380. L’essentiel de ces dossiers concernaient des litiges fonciers et commerciaux.

La troisième considération est celle selon laquelle le recours excessif à la détention préventive est dû aux magistrats eux-mêmes.

Ils ont pris l’habitude d’y recourir avec trop de facilité81. En pratique, dans le doute on incarcère. La présomption d’innocence cède à une présomption de culpabilité.

Il est par ailleurs, reproché aux juges d’instruction de prendre des ordonnances de placement en détention préventive avec pour intention de forcer le suspect à faire des aveux ou à livrer des informations.

77 Los du passage du Togo devant le CAT en juillet 2019 (précisément

78 Déclaration et plan d’action, commission africaine des droits de l’Homme, Septembre 2002, p. 4

79 Chiffres donnés par le directeur de l’administration pénitentiaire lors du passage du Togo devant le CAT en juillet 2019

80 Chiffres donnés par le président de la cour suprême dans son discours de lancement du projet d’apurement des dossiers en souffrances à la cour suprême du Togo le 23 janvier 2019

81 F. LAROCHE, Les mesures de détention avant jugement au Canada et en France, UNIVERSITÉ DE LAVAL, Canada, 2016, p. 29

En ce sens, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme au Togo publiait dans un rapport « le mandat de dépôt devient parfois un moyen de pression sur les justiciables pour régler certains litiges pour lesquels d’autres procédures sans placement sous mandat de dépôt sont parfaitement adaptées »82.

Plus loin, il relève également que dans les tribunaux de Sotouboua et de Bafilo par exemple, « certains magistrats placent à nouveau sous mandat de dépôt des auteurs d’accident de la circulation qui ne présentent aucun danger ou risque de fuite ou de non représentation »83.

Conscient de la problématique, des efforts sont fournis au niveau national afin de juguler la hausse du nombre des prévenus et de le diminuer progressivement.

En ce sens, la CNDH organisait le 26 mai 2017, un atelier sur « la réduction de l’usage excessif de la détention provisoire dans les lieux de détention ».

Cet atelier auquel ont pris part plusieurs acteurs de la chaine pénale ainsi que des organisations de la société civile, a servi de cadre pour le renforcement des capacités des différents acteurs afin de lutter contre le recours excessif à la détention préventive. Au niveau international également, la situation des prévenus est préoccupante.

Le 25 avril 2018, l’Afrique a célébré pour la première fois « la journée africaine de la détention préventive ». Cette date a été choisie par le RINADH pour sensibiliser tous les acteurs sur la situation des personnes en situation de détention sur des périodes prolongées sans procès.

B. Des conséquences désastreuses

Le recours excessif à la détention préventive est la première cause de la surpopulation carcérale au Togo. Malgré la libération par grâce présidentielle de 454 détenus condamnés sur toute l’étendue du territoire le 8 janvier 2019, le taux d’occupation générale des 13 prisons et de la brigade pour mineurs était de 173% en mars 2019 84.

Le comble est de constater que ce sont les prévenus85 qui forment le gros de l’effectif, soit 3179 prévenus contre 2076 condamnés86.

82 HCDH-TOGO, Rapport sur le respect et la mise en œuvre des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans l’administration de la justice au Togo, Décembre 2013, p. 26

83 Ibidem, p. 27

84 Statistiques de DAPR de mars 2019

85 Le terme « Prévenu » désigne ici, les simples prévenus sur mandat de dépôt du procureur de la république et les inculpés en plus des accusés ; toute personne incarcérée sur mandat judiciaire avant jugement.

86 Il n’a pas été pris en compte la catégorie des mineurs et des étrangers, les statistiques n’offrant pas plus de détails.

En janvier 202087, sur 5341 détenus, 3431 étaient incarcérés à titre préventif soit plus de 64% de la population carcérale. Le taux d’occupation général des 13 prisons et de la brigade pour mineurs de Lomé était de 185% eu égard aux capacités d’accueil.

À cette même période, la prison civile de Tsévié affichait le taux de surpopulation le plus élevé du Togo, soit 609% de la capacité d’accueil.

Déjà en 2012, le rapport d’évaluation de la république togolaise dans le cadre du projet « Atlas de la torture » mentionnait que « le taux moyen des prisonniers en détention provisoire, comparé aux prisonniers condamnés, s’élève à 80%.

Ce chiffre place le Togo au quatrième rang mondial parmi les pays ayant les taux de détentions préventives les plus élevés par rapport à l’ensemble de la population carcérale88 ».

Lors de sa visite au Togo en 2014, le SPT a, pour sa part, considéré « qu’un tel taux de surpopulation équivaut à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, voire à une forme de torture lorsqu’il se prolonge et qu’il se conjugue avec une absence de conditions matérielles minimums acceptables, au vu et au su des autorités étatiques89. »

Limiter le recours à la détention préventive permettrait de lutter contre la surpopulation carcérale. Il faut reconnaitre que c’est le recours excessif à la détention préventive qui sape les efforts de désengorgement.

Plusieurs décrets de grâce présidentielle sont intervenus au fil des années pour lutter contre la surpopulation mais la situation peine à s’améliorer.

L’une des raisons est que la grâce présidentielle ne profite qu’aux personnes jugées et condamnées à une peine d’incarcération. Elle « …n’est applicable qu’aux condamnations devenues définitives90 ».

En choisissant de recourir avec modération au placement sous mandat de dépôt, le système judiciaire contribuerait également à l’amélioration des conditions de détention. En effet, la détérioration des conditions de détention est en partie due à la surpopulation des infrastructures carcérales.

87 Selon les statistiques de la DAPR

88 Atlas de la torture, rapport d’évaluation-République Togolaise, août 2012, p. 28

89 Rapport du SPT, Visite au Togo menée du 1er au 10 décembre 2014 : observations et recommandations adressées à l’État partie, par. 30, p. 8

90 Article 517 CPPT

En son temps, la construction de la nouvelle prison civile de Kpalimé alimentait de grands espoirs quant à la décongestion des prisons.

Elle a été ouverte le 21 septembre 2016 mais elle est déjà surpeuplée, soit 237% de sa capacité d’accueil91. Un projet de construction d’une nouvelle prison serait à l’étude dans les environs de Lomé selon une annonce faite par le ministre de la justice le 07 avril 202092.

Une autre conséquence du recours excessif à la détention préventive est la lenteur judiciaire. Selon le rapport final de la CVJR, la surpopulation carcérale est liée à « la lenteur de la justice, au non-respect des règles et délais de procédure, spécifiquement la procédure pénale où la liberté des individus est pourtant en jeu, les difficultés d’accès à la justice, le caractère onéreux des procédures et l’absence d’aide juridictionnelle au profit des plus démunis, la corruption, etc. »93.

La lenteur judiciaire s’observe devant les juridictions de jugement et également dans les cabinets d’instruction. Il n’est pas rare qu’un juge d’instruction se retrouve avec une centaine de dossiers à sa charge. Le respect du délai raisonnable en prend forcément un coup.

Cette situation fait que des personnes restent en incarcération pendant de longues périodes. Pendant qu’ils y sont, l’usage sans modération du placement en détention préventive continue de remplir les prisons.

Inversement, on peut observer que le recours abusif au placement en détention a pour conséquence d’engluer complètement l’appareil judiciaire.

Les dossiers pendants s’accumulent et le manque de ressources humaines suffisantes pour les apurer dans un délai raisonnable conduit à laisser perdurer des prévenus en incarcération.

91 Selon les statistiques de la DAPR de Janvier 2020

92 https://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Justice/Construction-d-une-nouvelle-prison-a-Lome, consulté le 22 février 2020 à 16h43

93 Rapport final de la CVJR, Vol. 1, (2012), p. 251

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du droit à la liberté à l’épreuve de la détention préventive en droit positif togolais
Université 🏫: Université de Parakou - Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP)
Auteur·trice·s 🎓:
M. KPAKOU Panis Roger

M. KPAKOU Panis Roger
Année de soutenance 📅: École doctorale sciences juridiques, politiques et administratives (SJPA) - 2019-2023
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