Le journalisme en réseau et l’interactivité sur internet

2.2 L’évolution des pratiques
Au-delà de changements techniques et économiques évoqués plus haut, les développements récents du réseau touchent le journalisme à la racine, remettant en cause les fondamentaux de la profession.
La bulle dans laquelle vivaient les journalistes a été percée par les possibilités de dialogue et d’interactivité offertes par internet. L’intensité du dialogue se transforme même parfois en une collaboration entre le média et le lecteur, si bien que l’on peut désormais parler de journalisme en réseau (networked journalism, 2).
2.2.1 Interactivité
Ce n’est pas l’arrivée d’internet qui a fait prendre conscience à la presse que les lecteurs pouvaient intervenir dans les pages des journaux. Le courrier des lecteurs représente l’interface par excellence entre un quotidien et son audience. Les nouveaux médias ont permis à cette relation d’évoluer vers plus de dialogue, plus rapidement. Europe 1 a par exemple lancé son téléphone rouge en 1973, permettant aux auditeurs témoins d’un évènement d’interpeller directement les journalistes à l’antenne.
Internet déplace ce phénomène sur une autre échelle. En le massifiant tout d’abord, ce qui force les journalistes à un dialogue constant avec les internautes, mais aussi en lui donnant une autre dimension, qui inverse la relation de pouvoir entre le lecteur et son journal.
L'inversion de la pyramide de diffusion de contenu
Figure 11. L’inversion de la pyramide de diffusion de contenu. Adapté de Revilli (2007).
La nouveauté du Web 2.0, au-delà d’innovations techniques, réside dans l’implication accrue des internautes dans la production et la diffusion de l’information. Le dialogue entre le lecteur et le journaliste vient au centre de l’expérience de consommation. L’illustration ci-contre montre le renversement de la chaîne de diffusion des contenus. Les médias de masse traditionnels diffusent le même contenu à une multitude de personnes à la fois. A l’inverse, les médias « 2.0 » proposent à chaque lecteur un contenu unique, contenu provenant de l’implication d’une multitude de personnes.
Il existe une multiplicité de moyens pour aboutir à cette configuration. Les contenus peuvent tout d’abord être hiérarchisés par les utilisateurs, en complément de la hiérarchisation de la rédaction ou indépendamment. La possibilité pour les internautes de recommander ou de noter les articles fait apparaître un classement interactif, qui peut parfois aller à l’encontre des choix rédactionnels. Certains sites se sont même spécialisés dans le classement de l’information. Digg, par exemple, permet à des utilisateurs inscrits de proposer à la communauté des contenus glanés sur le réseau en fonction de leur pertinence et de leur intérêt. L’abandon de la hiérarchisation par des professionnels nourrit de nombreuses craintes au sein de la presse française. Le rapport ministériel sur La Presse au défi du numérique (Tessier & Baffert, 2007) met notamment l’accent sur la perte de qualité qu’entraînerait la hiérarchisation participative. Cette dernière ne vient pourtant qu’en complément du travail d’une rédaction. La compétence de hiérarchisation des rédactions est, de fait, mise en concurrence avec celle de Digg et ses avatars (Digg-likes), d’une part, et celle des moteurs de recherche (dont les algorithmes incluent un classement de popularité) d’autre part. Il ne s’agit donc pas, comme l’écrit Marc Tessier, d’une absence de hiérarchisation, mais d’une légitimité différente. Les médias plus anciens ne disposent ainsi d’aucun avantage inhérent à leur statut, même si le label préconisé par le rapport venait adouber leurs choix éditoriaux.
Les fonctionnalités interactives les plus importantes et les plus novatrices résident dans la possibilité de commenter directement un contenu ou de communiquer avec son auteur. Les blogs de journalistes participent en particulier de cette proximité accrue entre les consommateurs et les producteurs de contenus. Cette possibilité de dialogue en direct avec le journaliste intègre sa personne dans l’expérience de consommation, si bien que ce dernier devient lui-même un ingrédient du contenu, au même titre que les faits qui y sont racontés (Bradshaw, 2007b). L’échange entre le lecteur et l’auteur permet de prendre en compte la subjectivité de ce dernier. Le journaliste est alors amené à prendre en considération les remarques et les critiques des internautes, dans un processus qui enrichi le contenu en pointant du doigt les erreurs éventuelles. La sagesse des foules, démontrée par l’exactitude relative de Wikipédia (Giles, 2006), permet un retour plus rapide et plus précis que n’importe quel courrier des lecteurs.
L’opportunité que représente ce dialogue n’a pas encore été saisie par la plupart des rédactions, comme le fait remarquer Julien Jacob, qui explique que la plupart d’entre elles ont encore peur d’utiliser les commentaires des internautes pour corriger un article. Certaines sont cependant plus en retard que d’autres sur ce point, notamment Charlie Hebdo, où Philippe Val considère que le dialogue conduit au « Disneyland de la pensée » et que la production journalistique ne saurait exceller que dans la solitude.
Par ailleurs, l’implication que suppose cette interactivité conduit le consommateur à passer plus de temps avec la marque et le place en position de participer à la production des contenus. Le lien entre le consommateur et la marque s’en trouve renforcé d’autant, bien que la proportion d’internautes participant à ce dialogue se situe aux alentours d’un sur cent quel que soit le site considéré (Guillaud, 2006). Leur participation suffit en effet, selon Julien Jacob, à fédérer une communauté de lecteurs qui se retrouve autour des contenus produits par le site et des interventions des internautes impliqués.
La construction de telles communautés est un outil fort de fidélisation (Colombo, 2007) et contribue au développement du nombre de pages vues chères aux annonceurs. Les sites les plus fédérateurs permettent alors de fortement contribuer à la valeur de la marque qui les encadre, à la fois en et hors-ligne.
Lire le mémoire complet ==> (Quelle place pour la presse en ligne à l’heure du Web 2.0 ?)
Mémoire de fin d’études
Institut d’études politiques de Lille, section Economie et Finance

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