La concurrence et la presse en ligne : marketing et diffusion

2.3.2 Accepter la concurrence
Pour le consommateur, la culture de la gratuité réduit significativement les coûts de permutation (Porter, 2001). Les audiences que les journaux avaient réussi à fédérer autour de marques fortes ont dès lors été remises en cause, tout comme des monopoles acquis par des titres sur des régions entières, du fait de la baisse par un facteur dix des barrières à l’entrée.
Aspects marketing
L’univers concurrentiel de la presse en ligne se modifie au fur et à mesure de l’augmentation du nombre de fournisseurs d’information. Du fait de leur financement exclusivement fondé sur les revenus publicitaires, la question qui se pose n’est pas tant celle du choix par le consommateur du producteur d’information que celle du diffuseur. Or, la souplesse des contenus numériques permet à un contenu produit par un journal d’être diffusé sur un site concurrent. La question de la légalité de ces copies se poserait si tous les acteurs engagés avaient les moyens d’ester en justice. La fragmentation et l’internationalisme du web empêche toute résolution judiciaire de ces délits, si bien que, comme le dit Yann Battard d’e-TF1, les échanges de fichier ne peuvent qu’être « tolérés ».
La légalité des agrégateurs d’actualité (Google News) reste également à établir. Un regroupement d’éditeurs de Belgique francophone a gagné en justice contre Google en aout 2006, contraignant la société californienne à retirer leurs contenus des résultats des recherches, arguant du fait que Google arrivait à générer des revenus à partir desdits contenus. Un accord a été trouvé depuis. Le site MySpace News utilise, lui aussi, des contenus qu’il n’a pas produit en les intégrant, grâce à une astuce technique (l’utilisation de frames), à son propre site.
Ces deux exemples montrent que les éditeurs de presse ne sont plus maîtres des contenus qu’ils mettent en ligne, puisque ces derniers peuvent être récupérés et co-exploités par des agrégateurs. Ce mécanisme ne vaut néanmoins que dans la mesure où ces agrégateurs sont utilisés, ce qui représente entre 5 et 20% du trafic, selon les estimations. Les six mois durant lesquels les titres de Belgique francophone étaient exclus de Google News n’ont d’ailleurs pas affecté leurs chiffres d’audience (Balencourt, 2007).
Les groupes de presse gardent ainsi les moyens de véritables politiques de différenciation. Leur avantage réside dans leurs marques, souvent plus établies et plus respectées que celles des autres médias. La figure ci-dessus montre que l’information présentée tant par les journaux que celle lue sur internet est considérée comme étant crédible par les consommateurs. En faisant l’hypothèse, crédible sur le marché de l’actualité, que ces derniers recherchent une information fiable, on peut affirmer que les marques de presse déclinées sur internet possèdent un avantage réel sur celles de télévision.
D’autant plus que celles-ci se développent bien en ligne, la marque agissant comme un levier générateur de trafic (De Waal et al., 2004). Ce levier se renforce lorsque les titres renoncent à une division de leur marque entre l’original et la version internet. Pour prendre un exemple, The Guardian de Londres diffuse ses contenus en ligne sous la marque de Guardian Unlimited. Cette séparation contribue au manque de légitimité et de reconnaissance des éditions électroniques puisqu’elle sous-entend qu’il existe une différence entre un article selon qu’il est publié sur le site ou sur le papier. Plusieurs professionnels m’ayant accordé un entretien ont souligné la nécessiter de rassembler sous une même marque les deux canaux de diffusion, au Soir et au Figaro notamment.
Crédibilité des informations selon leur source
Figure 13. Crédibilité des informations selon leur source (ratio ‘Les choses se sont passées comme on les a montré’/’Les choses ne se sont pas passées comme on les a montré’). Source : TNS Sofres 2006.
La légitimité d’une marque de presse peut également s’acquérir uniquement en ligne. Une marque créée sur internet peut devenir leader sur son marché, tous canaux de diffusion confondus. Le site de finance du quotidien Ha’aretz de Tel-Aviv, the Marker, a ainsi réussi à dépasser son rival, Globes, sur le web d’une part, puis sur papier, une fois que Ha’aretz a décidé d’imprimer le contenu du site.
Le renouveau des modes de consommation permet également aux marques d’élargir leurs cibles. De par l’immatérialité d’internet, un consommateur d’information ne révèle pas le titre qu’il sélectionne, au contraire de ce se passe dans le monde réel. Ainsi, des titres avec lesquels il ne serait pas convenable d’être vus peuvent être consultés en ligne. Hitwise, une agence australienne d’études sur internet, a constaté de fortes différences entre les lecteurs de The Sun sur papier et ceux sur internet. Parmi les lecteurs internet, les catégories sociales les plus élevées, urbaines et aisées, fortement utilisatrices d’internet, sont surreprésentées de près de 40% (Hopkins, 2007b). La segmentation des consommateurs d’actualité évolue donc avec le développement d’internet, intensifiant d’autant la compétition entre les différents titres.
Problèmes de diffusion
Le plus grand bouleversement apporté par la croissance de la pénétration de l’internet haut-débit réside dans la mise en concurrence directe entre des médias traditionnels qui n’étaient auparavant que complémentaires. Un individu peut, au cours d’une journée, écouter un bulletin d’information à la radio, lire un quotidien, regarder le journal télévisé puis feuilleter un newsmagazine. Il est peu probable qu’il consulte les sites internet de chacun des médias utilisés hors-ligne. Les producteurs d’information secondaires, qui récupèrent des informations d’autres médias, se trouvent particulièrement menacés. Si l’ajout de valeur ajouté, hors-ligne, ne réside que dans la diffusion d’une information sur un canal spécifique, sur internet cette valeur ajoutée disparait, d’autant plus que l’on a vu que les sites ne maîtrisaient pas totalement la diffusion de leurs contenus.
Les producteurs d’information primaires sont en position de force. Or, la plupart des médias hors-ligne ne font qu’éditer des dépêches d’agences. Celles-ci possèdent donc un avantage immense, puisqu’elles peuvent publier une information avant leurs clients. Pour une agence, la décision de concurrencer ou non ses clients dépend de ses fonctions et de sa structure actionnariale. Lorsque celle-ci est détenue par ses clients, elle ne peut diffuser une information sous sa marque. Associated Press, qui appartient aux groupes de presse américains, ne présente sur son site que les titres des dépêches, accompagnés de liens vers les sites de ses clients. En revanche, une agence sur laquelle les médias n’ont pas de droit de regard peut trouver un intérêt à publier des informations sous sa propre marque. C’est le cas de Reuters, qui fait partie du groupe Thomson-Reuters, et de Bloomerg. De même, les agences financées par un gouvernement cherchent à maximiser la diffusion de leur message et proposent leurs contenus en ligne, gratuitement. Xinhua, Itar-Tass, voire même KCNA (Corée du Nord), disposent de sites internet reprenant la quasi-totalité des dépêches vendues à leurs clients. Le cas de l’Agence France Presse se situe entre ces deux extrêmes, puisque, si les journaux siègent au conseil d’administration, l’Etat reste le principal contributeur financier. Cette dualité est probablement à l’origine des hésitations de l’AFP et du lancement tardif de ses opérations sur le web. Par ailleurs, l’AFP, par la voix de Jade Montané, responsable multimédia, présente son retard sur internet comme un choix stratégique qui permettrait de bénéficier des erreurs de ses concurrents. Cependant, des échanges de courriels avec des journalistes de l’agence amènent à croire que l’AFP suit le même chemin que la plupart des organisations traditionnelles. Des autodidactes ont participé à la nécessaire prise de conscience, des formations ont été mises en place, mais l’élaboration d’une stratégie globale prenant en compte les nouveaux médias est fort récente. Un journaliste résume ces évolutions en affirmant que, sur le web, l’AFP semble « être toujours à l’âge de pierre, alors qu’en réalité [elle] en est à l’âge du bronze ».
Les journaux doivent ainsi affronter la concurrence de leurs propres fournisseurs. Plus le contenu d’un site de presse dépend du contenu d’une agence présente en ligne, moins celui-ci sera en mesure de créer de la valeur ajoutée pour ses lecteurs.
L’évolution des vecteurs de diffusion des contenus accroit encore la concurrence faite aux journaux, puisque l’information peut désormais être non seulement diffusée, mais aussi produite sur des sites en dehors de l’univers des médias. Les internautes en quête d’actualités peuvent être amenés à consommer des contenus ne se voulant pas journalistiques (Hopkins, 2007a). Une étude Hitwise menée en 2006 montre que, lors de l’annonce au Royaume-Uni de l’existence d’une vidéo montrant la pendaison de Saddam Hussein, les sites qui ont reçu le plus de trafic provenant des mots clés ‘saddam hussein hanging’ furent You Tube et Google Video, loin devant CNN et la BBC. Un second exemple extrait de cette étude montre que, en ce qui concerne les contenus ‘froids’, qui ne découlent pas de l’actualité immédiate, les sites médias doivent également faire face à une concurrence inattendue. En juillet et aout 2006, alors que se déroulait la guerre entre Israël et le Hezbollah, les internautes à la recherche d’informations de fond sur le conflit se sont majoritairement tournés vers Wikipédia, l’encyclopédie participative dont les articles portant sur de tels évènements sont pourtant rarement neutres.
Ces exemples montrent des faiblesses de référencement de la part des journaux, mais surtout un manque d’attractivité et une crédibilité qui n’arrive pas à s’imposer sur celle des marques spécifiques au web.
Lire le mémoire complet ==> (Quelle place pour la presse en ligne à l’heure du Web 2.0 ?)
Mémoire de fin d’études
Institut d’études politiques de Lille, section Economie et Finance

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