L’orientation contractualiste 1450-1602, La breach of contract 

II. L’orientation contractualiste (1450-1602)
Cette période est d’une richesse juridique conséquente en Angleterre. La rivalité entre la Common Law et l’Equity poussera l’une et l’autre à trouver de nouveaux moyens pour satisfaire les sujets. Il existe à cette époque une véritable concurrence entre les deux systèmes, dont le seul arbitre fut la Couronne. Les plus grands progrès viendront donc de cette émulation, et nous étudierons successivement ce que l’Equity (1) et la Common Law (2) ont apporté au traitement de l’inexécution contractuelle.
1. L’Equity
Dès le milieu du XIV° siècle, les sujets mécontents des décisions des juges royaux prennent l’habitude de porter leur affaire directement auprès du Roi. Si les tribunaux royaux fonctionnent mal, le Roi doit y remédier.
En effet, le système de Common Law comprenant trois cours royales (la Court of Exchequer, Court of Common Pleas, et le King’s Bench, qui existent encore toutes aujourd’hui), laissait beaucoup de litiges en l’état (lorsque aucun writ n’était disponible) ou apportait des solutions inadaptées. Il existait alors une procédure d’exception (nous le soulignons) pour juger ces cas à nouveau et sans appel : solliciter le Lord Chancelor pour qu’il transmette le litige au Roi, celui-ci statuant sur ce que le Chancelier a jugé bon de lui transmettre. Il va de soi que, depuis le XIV° siècle jusqu’au XV° siècle, cette voie était entendue comme étant ouverte exceptionnellement. La raison était claire : il ne fallait pas que le Roi désavoue régulièrement la Common Law, que la Couronne avait mis tant d’années à mettre en place.
Mais les circonstances décidèrent pour le Roi : les temps guerriers du XV° siècle lui rendirent la tâche difficile (Henri V ne rouvre-t-il pas la Guerre de Cent Ans en 1415 en réaffirmant ses droits au trône de France ?). Le temps lui manquait pour siéger en son conseil, et le conseil lui-même avait trop à faire avec les Grands du
Royaume, qui négociaient la levée des impôts de guerre (comme l’imposait la Magna Carta). La Chancelier se vit alors déléguer tous les pouvoirs ordinaires du Roi en son conseil en matière de justice. Le Lord Chancelor est un homme d’église, il connaît le droit canon, et s’il juge sous le couvert de « l’équité du cas particulier »21, il apporte en fait des correctifs à la Common Law en s’inspirant fortement des principes canoniques. L’absolutisme des Tudors, arrivés au trône en 1485 après la chute de la maison d’York, va encore renforcer les pouvoirs du Chancelier. Ce dernier n’est plus, à partir de 1529, qu’un juriste. Il ne s’occupe plus que des plaintes déposées auprès de la Couronne. Le Roi y trouve un avantage, bien que renforcer les pouvoirs de la Chancellerie signifie mettre en péril la domination voulue de la Common Law : la procédure écrite, inquisitoire et secrète de la Chancellerie favorisent les manœuvres politiciennes des Tudors. De même, la découverte des adages canons, s’accommodant bien de l’absolutisme royal (comme en France) intéresse la famille royale. Tous ces facteurs font que l’essentiel des litiges contractuels vont subir l’influence de l’Equity.
En matière de contrats, c’est donc le Chancelier qui va faire progresser le droit anglais. Puisque les problèmes sont nés de la trop grande rigidité de la Common Law, l’Equity va donc faire montre d’une souplesse salvatrice. Point de forms of action, point de writs, l’Equity est un système moins formaliste que la Common Law. Profitant alors de son surcroît de pouvoir, le Chancelier s’empare des litiges contractuels. Au cours du XVI° siècle, la Court of Chancery s’inspire du pacta sunt servanda. Le Chancelier réagit, ce faisant, aux litiges méconnus par la Common Law, et qui portent sur des contrats qui ont besoin d’être exécutés parce qu’il n’existe pas d’équivalent sur le marché (c’est le cas des contrats portant sur la real property) ; il invente donc un nouveau remède : la specific performance, qui peut être comparée (au moins pour les besoins de cette démonstration historique) à notre exécution forcée. Le chancelier s’est pareillement accordé le droit d’adresser des ordres aux contractants défaillants sous la forme de l’injunction. C’est également le Chancelier qui reconnaîtra l’existence de vices du consentement, inconnus de la Common Law.
Mais ce qui nous intéresse au premier plan est l’invention de la specific performance. L’Equity ne pouvait pas accorder des dommages-intérêts, car, même si « Equity follows the Law », les damages restent un remède protégé de la
Common Law. Il est également intéressant de remarquer, que pour traiter des contrats, l’Equity ne « parle » pas le même langage que la Common Law. Pour ne pas froisser la suprématie de cette dernière, on ne parle pas en Equity de contracts, mais d’equitable interests. On y défend des intérêts, et notamment l’intérêt légitime à voir exécutée la prestation promise. Mais les deux actions (en Common Law et en Equity) pouvaient être cumulées, puisqu contractant pouvait avoir besoin de faire exécuter la promesse et demander dans le même temps des dommages-intérêts pour le retard dans l’exécution. Mais l’Equity n’est pas un système régulier : le jugement de la Court of Chancery est purement discrétionnaire. Pour avoir une chance d’être accueillie, la demande doit satisfaire beaucoup de critères, immortalisés par des adages : « He who comes to Equity must come with clean hands », qui équivaut à notre « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans », preuve, si besoin était, que le droit anglais n’est pas resté indemne face aux doctrines de droit romain. Après les Judicature Acts (1873-1875), les juridictions de la Chancellerie se réduisent désormais à une Chancery Division en première instance, mais surtout elles perdent leur monopole de l’Equity. Toutes les cours peuvent juger en Common Law et en Equity. Mais le caractère discrétionnaire reste, sous réserve que le requérant en fasse la demande expresse.
Depuis 1621 (date à partir de laquelle la House of Lords acquiert le contrôle sur la Court of Chancery), il existe un consensus tacite au sein de la communauté juridique anglaise pour ne pas faire évoluer l’Equity d’avantage. C’est donc la Common Law qui va devoir à nouveau se développer en parallèle pour faire face aux revendications des requérants.
2. La Common Law
Fondamentalement, les solutions aux litiges contractuels apportés par la Common Law ne vont pas évoluer jusqu’au XVI° siècle. Durant ce siècle, la concurrence avec le système de l’Equity a incité les juges à faire progresser les forms of action. Les juges et les juristes portent leur efforts sur la recherche d’un principe général pour compenser les inexécutions contractuelles. Dans le haut moyen-âge anglais, les contrats prennent une place de plus en plus importante, par rapport aux échanges ou aux dons. Rappelons que, dans beaucoup de droit nordiques (les droits scandinaves), le don comprenait une obligation de réciprocité.
Le don se rapprochait ainsi du contrat, à la différence près que le contrat avait pour but de négocier le contre-don.
Les contrats (synallagmatiques) n’étaient sanctionnés, en droit anglais, que par une action en trespass, nous l’avons vu, action contraignante pour les plaideurs. Son origine délictuelle fait que lui sont attachées des règles embarrassantes : intransmissibilité de l’action, nécessité de prouver une faute, et nécessité d’établir avec précision le montant du préjudice résultant de l’inexécution. Ces obligations procédurales sont lourdes et vouent beaucoup de plaintes à l’échec. Comme le covenant est réservé aux engagements unilatéraux scellés, les juristes anglais ont encore du faire évoluer la Common Law de façon artificielle.
Les forms of action contenaient des sous-espèces, correspondant aux hypothèses concrètes d’ouverture des cas les plus courantes. Pour le trespass que nous avons vu plus haut, il s’agissait du trespass to land, du trespass to goods, du trespass to body, et de l’action d’assumpsit relative aux contrats. L’action d’assumpsit tire son nom du premier mot du writ, dont voici la première phrase : « Il assuma et promit fidèlement de faire cela pour le demandeur »22. C’est cette action qui, en se détachant du trespass on the case, va devenir la base du traitement de l’inexécution. Nous remarquons tout de suite un caractère remarquable de la Common Law of contract : le contrat est une superposition de promesses fidèles, mais il n’est pas un tout. Il n’existe pas de point de rencontre des volontés, elles existent indépendamment l’une de l’autre. Chacune des promesses a donc vocation à être honorée et les demandeurs agissaient sur ce motif. L’action d’assumpsit va se servir de l’analogie des raisonnements pour identifier sa solution à celle du covenant. Parce que les promesses peuvent être traités comme deux engagements unilatéraux simultanés, les juges ont accepté de les sanctionner avec des dommages-intérêts. Le covenant restant, lui, un moyen d’agir sur des contrats formels, le simple promesse unilatérale tombant elle aussi dans le giron de l’action d’assumpsit. Un petit bémol subsistait toujours : le demandeur devait prouver, en fait, un special assumpsit, c’est-à-dire qu’il devait prouver que le débiteur s’était expressément engagé à s’exécuter. Le formalisme des forms of action régnait toujours… Il faudra aux justiciables attendre 1602 et le Slade’s case23 pour avoir un principe complet et d’application générale. Dans cette affaire, les juges ont établi dans leur ratio decidendi que toute promesse contenait de façon implicite un engagement d’exécuter celle-ci. L’action change alors de nom et s’appelle indebitatus assumpsit. La Common Law peut maintenant rivaliser avec l’Equity : elle propose un mécanisme efficace d’exécution par équivalent en cas d’inexécution. Ce sont les damages qui jouent le rôle de contre-prestation par équivalent, et cette nouveauté intéresse beaucoup les marchands soucieux de pouvoir. Les contrats qui ne sont pas concernés par cette action sont pris en charge par l’Equity.
L’évolution en matière de concepts est achevée, mais la Common Law doit franchir une autre étape : celle des Révolutions industrielles et du commerce florissant de la Grande-Bretagne du XIX° siècle.
III. La simplification moderne
L’évolution s’est prolongée, amenant de nombreuses améliorations. En 1832-1833, c’est un acte du Parlement, promu par Lord Brougham24, qui supprima définitivement les forms of action. Il n’existe plus désormais de writs, ni de noms d’actions spéciales… Le droit anglais ne s’est malheureusement jamais détaché de cette façon de penser le droit. Si les forms of action n’ont plus d’influence officielle depuis 1832, elles régissent toujours la procédure. Maitland le remarque au début du XX° siècle : « the forms of action we have buried, but they still rule us from their graves »25. C’est dans le courant du XIX° siècle que les juges commencent à parler de breach of contract pour remplacer l’action d’assumpsit, désormais disparue. En effet, la breach of contract recouvre la même réalité que l’action d’assumpsit, et ouvre le même remède : les dommages-intérêts. Nous retrouverons un exposé du fonctionnement de la breach of contract ci-après.

24 Anecdote amusante : Lord Brougham, en tant que Lord Chancelor, lors de son discours monumental (quatre heures) pour défendre la Réforme devant le Parlement (en 1830), avait bu tellement de porto pour étancher sa soif (ses voisins lui remplissaient son verre constamment) qu’il s’écroûlat devant l’assemblée. Il tomba à genoux et supplia ses pairs de ne pas rejeter sa réforme. L’effet du porto fit que la grande réforme ne fut pas adoptée en 1830, mais deux ans plus tard. Anecdote relevée par Lord Denning, « What next in the law ? », Butterworths, 1982, pp. 28-29.
25 F.W. Maitland, « The Forms of Action at Common Law », 1909, 2° Edition, 1962, p.2.

D’autre part, les idées libérales (à la suite de Jeremy Bentham) triomphent dans toute la Common Law. L’importance des relations commerciales avec les Etats-Unis ouvre aussi les yeux des juristes anglais. Le système de Common Law américain est simple, nouveau et ne connaît pas la lourde hérédité de la Common Law anglaise. Le Parlement décide d’entreprendre un nettoyage des lois désuètes et de mise en ordre (consolidation) pour simplifier la Common Law. Toutes ces modifications n’ont pas eu d’effets importants en matière d’inexécution, si ce n’est le regroupement des solutions de l’Equity et de la Common Law sous la bannière de la breach of contract.
Lire le mémoire complet ==> (Le traitement de l’inexécution (la breach of contract))
Mémoire D.E.A. de Droit Des Contrats, Option Droit Des Affaires
Université De Lille II – Centre RENE DEMOGUE – Droit Des Contrats
Ecole doctorale des sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion
 

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