La breach of contract : Remedies precede rights 1066-1450

La présentation de la breach of contract – Première partie :
La connaissance de l’histoire est indispensable lorsqu’on envisage le droit anglais16. Les juristes de Common Law aiment à dire qu’ils sont les représentants d’une tradition juridique ininterrompue depuis des temps immémoriaux (pour reprendre les termes de cette loi de 1275, toujours en vigueur, qui impose pour qu’une coutume locale soit reconnue, qu’elle ait existé avant l’avènement au trône de Richard Cœur de Lion, soit avant 1189). Il ne nous faut bien sûr pas nous méprendre sur l’exactitude de ces déclarations. Néanmoins, le fonds reste exact : il nous a paru essentiel de revenir sur l’histoire de la breach of contract, car elle apparaît essentielle dans la compréhension de concepts tels que les remedies. Cet examen sera suivi d’une étude plus technique de son fonctionnement.
Chapitre 1 : L’historique de la breach of contract
Les remèdes spécifiques au droit des contrats et déclenchés par la breach sont apparus récemment. En Angleterre, le droit des contrats lui même n’a acquis son autonomie que récemment. Les contrats ont bien entendu toujours existé dans la common law, et les racines des remèdes contractuels remontent à plus de trois siècles. Les contrats ne sont, dans une période que l’on peut dater de 1066 à 1602 pour des raisons que nous verrons un peu plus loin, que des superpositions de promesses concrètes. Pourtant, rien dans le droit anglais médiéval ne protégeait les contrats. Glanvill le remarquait déjà au XII° siècle : « Les conventions privées ne sont pas, de façon, générale, protégées dans les cours de notre seigneur le Roi. » Cette citation est caractéristique de l’esprit de cette époque à l’égard des contrats. Nous avons choisi de diviser cette période en deux sous-périodes en suivant une rupture dans le milieu du moyen-âge dans la continuité de la Common Law : la première décrit la découverte du contrat par la Common Law (I), la seconde décrit le perfectionnement des solutions apportées à l’inexécution du contrat (II), et nous avons choisi aussi d’ajouter un rapide survol de la période moderne (III) pour rendre compte des dernières modifications (mineures) en droit anglais des contrats.
I. Remedies precede rights (1066-1450)
Justifions tout d’abord notre découpage chronologique. Dans les livres d’histoire du droit anglais17, nous ne rencontrons pas des découpages en fonction de l’évolution du droit mais plutôt en fonction des dynasties au trône. Nous ne parlerons pas ici de la période antérieure à la conquête normande : il ne s’agit pas à proprement parler d’une étude historique ; les capacités, et le temps, nous manqueraient pour chercher les traces (déjà floues après 1066) d’un droit des contrats, avant l’arrivée de Guillaume le Conquérant. Les historiens ne retiennent, en général, que le fait que les lois écrites avant 1066 le sont en langue anglo-saxonne, et non en latin comme dans le reste de l’Europe18. L’année 1066 semble donc être un satisfaisant point de départ. Notre période ne suit pas, vous l’aurez remarqué, les dynasties, puisque les Tudors arrivent au pouvoir en 1485. P. Legrand19 date le changement au milieu du XV° siècle, et non pas juste à l’arrivée au pouvoir des Tudors. Leur absolutisme ne fera qu’accélérer le développement du droit anglais, mais le mécontentement des sujets de Common Law avait débuté plus tôt. Nous avons donc artificiellement clos cette période en 1450, pour ne pas y inclure la dynastie des Tudors.
En 1066, le droit anglo-saxon n’est qu’un droit rudimentaire, et en aucun cas commun à tout le Royaume d’Edouard le Confesseur. Il s’agit d’un droit local, féodal. L’ambition de conquête de Guillaume le Conquérant passe par une consolidation du droit anglo-saxon, et, pour cela, il se déclare « fountain of justice », source de toute justice. Il se déclare aussi seul propriétaire terrien (il reste toujours aux mains de la couronne d’Angleterre un immense territoire), et installe ses fidèles barons à la place des seigneurs locaux. Il nomme dans toutes les grandes villes un Sheriff, son représentant officiel. Guillaume fait en sorte que les justiciables fassent de plus en plus appel au Roi pour rendre la justice, et la Curia Regis doit se spécialiser pour faire face à ce surcroît de recours. Guillaume ne verra pourtant pas la première pierre à l’édifice de la Common Law (ou le premier chapitre du roman si nous reprenons la métaphore de la « chain novel » de R. Dworkin). Henri II va concrétiser ses efforts et les pérenniser en 1166, lorsqu’il désigne des conseillers qui rendront la justice royale en son nom. Ces juges seront itinérants, et contribueront nettement à l’accroissement de la compétence des cours royales. Ces juges, par l’intermédiaire de la puissance royale, dispensent ce qui deviendra la Common Law et qui est connu, à l’époque, sous le nom de « comune ley » (première référence à ce terme dans des recueils datés de 1180).

17 J.H. Baker, « An Introduction to English Legal History », 3° Edition, 1990, Oxford University Press. Ibbetson, « A Historical Introduction to the Law of Obligations », 1999, Oxford University Press. A.W.B. Simpson, « A History of the Common Law of Contract », 1999, Oxford University Press, Clarendon Press.

Partant de cette organisation matérielle, la justice royale n’est pas automatique. Elle garde le caractère de justice d’exception (pour « les grands personnages et les grandes causes », précisent R. David et C. Jauffret-Spinosi). Il faut, pour l’obtenir, se faire délivrer un writ, par l’homme qui deviendra un personnage central du droit anglais dans la période suivante, le Lord Chancellor, ou se plaindre auprès d’un des juges royaux , en espérant que le cas sera jugé suffisamment important pour être tranché par la Couronne. Sans ces cas d’opportunité, il fallait donc que les faits rentrassent dans la liste limitative des writs (la première est datée de 1227 et contient 56 writs, on en dénombrait seulement 76 six siècles plus tard, en 1832). La Common Law montre ici un visage intéressant, qui a provoqué de nombreux débats au XX° siècle (avec l’entrée dans l’ère des droits de l’homme): le système de Common Law ne vise pas à protéger des droits, mais organise les procédures par lesquelles les litiges seront tranchés de façon plus « efficiente » (avant la lettre). C’est l’idée traduite par l’adage « remedies precede rights » : avant de penser à la solution donnée à un litige, il faut penser à la form of action ou remedy (remède pour nos développements) qui permettra de déclencher la procédure. L’intérêt pour la procédure (afin de garantir un procès juste) est tel, à cette époque, que les chroniques judiciaires (les « Year Books », écrits en français juridique, qui retracent l’évolution de la Common Law de 1290 à 1536) ne relatent quasiment jamais la solution donnée au fond du litige.
Nous commençons à apercevoir ce qui rendra l’émergence de remèdes spécifiques aux contrats très difficile. La liste des writs étant close, et comme nous l’avons précisé, les contrats n’étant pas protégés par les cours royales, il faudra que les juristes anglais développent des trésors d’ingéniosité pour faire rentrer les actions contractuelles dans un cas existant. Il faudra donc faire plier le cadre strict des forms of action pour trouver le remède adapté aux litiges contractuels. Les actions ouvertes ne sont donc pas spécifiques au domaine du droit des contrats qui n’est pas encore considéré, loin s’en faut, comme un domaine à part. Parmi les actions autorisées, on peut en distinguer trois qui vont servir à la protection des intérêts des contractants.
a. Nous étudions les deux premières ensemble car elles ont été les premières chronologiquement à être utilisées. Elles sont, en effet, complémentaires : l’une servait à protéger la propriété acquise par un contrat (c’est le writ of detinue), l’autre servait à rendre une promesse exécutoire (c’est le writ of debt).
– La logique qui a amené les juristes anglais à utiliser le writ of detinue est assez évidente : un objet détenu de façon irrégulière a vocation à retourner à son propriétaire légitime. Tel est le cas de la propriété cédée en vertu d’un contrat et pour laquelle le vendeur n’aurait reçu aucun prix. Les juristes ont cherché à étendre cette logique à d’autres cas et ce writ s’est appliqué aux situations connexes : le bail, l’emprunt, le dépôt, le contrat de transport… Le critère étant seulement celui de possession illégitime, ce writ ne permettait pas de trancher toutes les situations contractuelles.
– L’utilisation du writ of debt est plus subtile : il s’agit ici de rendre une promesse exécutoire. Comme l’intitulé du writ le laisse entendre, il doit exister une dette entre les parties. Celle-ci est en fait matérialisée par n’importe quel document, même abstrait (un engagement oral), dans lequel le défendeur reconnaît être débiteur. Il n’y aucun besoin de savoir si le débiteur présumé a véritablement consenti : il suffit de constater l’existence de la dette et de la reconnaissance de dette.
L’utilisation de ce writ était cependant encore moins naturelle que celle du précédent, et les procédures engagées par ces deux writs n’étaient pas pleinement satisfaisantes. Surtout, ces moyens étaient hautement tributaires des faits de l’espèce : en d’autres termes, il fallait trouver une base générale de protection des engagements contractuels.
b. Il a donc fallu recourir à un autre moyen pour protéger les contrats, et ce moyen est venu du domaine délictuel. Il s’agit du writ of trespass, une action en transgression. Utilisé à l’origine pour protéger la propriété de façon physique, c’est-à- dire sanctionner les atteintes illégitimes au corps, à la terre ou aux biens du demandeur, il sera utilisé pour sanctionner les inexécutions contractuelles. Nous allons voir apparaître désormais les ancêtres des remèdes contractuels modernes. Le premier cas pour lequel le writ of trespass a été ouvert aux contractants a été le cas de misfeasance : il fallait pour y recourir qu’un engagement ait été pris, qu’il ait été mal exécuté, et que, de cette mauvaise exécution, résulte pour le créancier un dommage. Les conditions sont encore très strictes, mais l’utilisation de ce writ n’est plus réservée à un type d’engagement contractuel. Calquée sur la responsabilité délictuelle, il s’agit de la première base générale de responsabilité contractuelle en Common Law. Nous pouvons y reconnaître aisément l’ancêtre de la « breach of contract » et plus spécialement la partial breach.
Après une longue évolution, les juges reconnaissent enfin le cas de non- feasance : le cas où le débiteur n’a pas exécuté du tout. Il s’agit ici de la forme primitive de l’actual breach.
Pourtant, cette nouvelle forme d’action n’était pas non plus satisfaisante : trop proche de la responsabilité délictuelle naissante (qui utilisait aussi l’action en transgression), les remèdes contractuels demeurent restreints. La condition d’un dommage corporel ou aux biens fait que l’action de « debt » a toujours vocation à s’appliquer dans les affaires où le créancier n’a pas subi de préjudice suffisant, ou lorsque le préjudice n’est que potentiel. A côté de la compensation accordée par les trois cours de Common Law, il fallait d’autres remèdes, plus adaptés aux litiges sur la propriété terrienne par exemple. Il fallait aussi trouver un cadre de responsabilité encore plus général pour que toutes les actions contractuelles soient possibles.
Il faut également noter qu’il existait une action spécifique aux contrats unilatéraux et/ou gratuits : l’action en covenant. Cette action sanctionnait le manquement à l’engagement pris, mais les juges de Common Law y avaient ajouté une condition : il fallait que le papier ait été marqué d’un sceau. Cette procédure ne s’appliquait pas à ce que nous appelons, en droit français, les contrats synallagmatiques. L’action de covenant est importante en ce qu’elle porte en elle, et dans les remèdes qui y sont attachés, le principe des futurs damages. En effet, puisque les contrats soumis à cette action n’étaient que des engagements unilatéraux non exécutés, le writ ne prévoyait qu’un dédommagement financier. C’est grâce au schéma procédural de cette forme d’action que l’embryon de breach of contract va acquérir ses caractères définitifs. Il s’agissait de véritables damages, évalués, comme à l’heure actuelle (nous ne traiterons pas ici de l’évaluation du préjudice), selon le principe de l’exécution par équivalent.
Cet ensemble de solutions (trespass et covenant) est resté tel pendant trois siècles. Mais si la logique du trespass était une base idéale pour un principe général de traitement de l’inexécution, la solution amenée par le covenant était plus adaptée à la nature des relations contractuelles. La Common Law, sclérosée dans les forms of action, qui, depuis 1258 20, n’avaient plus vocation à se renouveler, ne satisfaisait plus les justiciables. Le mécontentement du peuple anglais au milieu du XV° siècle forcera les juridictions à réagir. Mais ce ne seront pas les juridictions de Common Law qui trouveront la solution, mais la juridiction du Lord Chancelor. La doctrine de l’Equity, système juridique proche du droit canon (le Lord Chancelor étant homme d’église), fera « oeuvre de charité » envers ces populations déçues (selon la doctrine de l’Equity : « les sujets demandent au Roi d’intervenir pour satisfaire à la conscience et en oeuvre de charité »).

20 Date à laquelle un édit royal a interdit de créer de nouveaux writs.

Lire le mémoire complet ==> (Le traitement de l’inexécution (la breach of contract))
Mémoire D.E.A. de Droit Des Contrats, Option Droit Des Affaires
Université De Lille II – Centre RENE DEMOGUE – Droit Des Contrats
Ecole doctorale des sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion
 

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