Progression et augmentation de la difficulté dans le jeu vidéo

Progression et augmentation de la difficulté dans le jeu vidéo

5.3 Concepts centraux des designers de jeux casual (2) : la progression

Le deuxième élément saillant du système d’appréciation des designers de jeux casual est la progression : un bon jeu doit proposer une progression, il doit se complexifier :

« C’est très important, au niveau de la complexité, une courbe de progression. » (participant 2), « L’idée d’avoir une progression dans le jeu est essentielle. » (participant 3). Le participant 4 cite un précédent, Angry Birds, et vante ses qualités : « il y a toujours une bonne progression qui avance, tout se passe bien, c’est pas trop compliqué, juste assez de règles ».

Le rôle du designer est ainsi de créer une progression, de garder le joueur dans un état dynamique. L’équilibre entre challenges et compétences n’est donc pas figé, il évolue au cours de l’expérience.

La progression n’étant que peu traitée dans la littérature concernant le jeu casual, nous proposons un bref rappel de l’idée de progression dans le jeu vidéo en général. Nous verrons l’idée de progression telle qu’envisagée par Csikszentmihalyi dans le modèle du flow. Puis nous nous pencherons sur les solutions de design traditionnelles du jeu vidéo utilisées pour créer une progression. Nous pourrons ainsi les comparer avec les solutions de design de nos participants pour comprendre comment se fait la progression dans un jeu casual.

5.3.1 Progression et augmentation de la difficulté

Au cœur du modèle du flow se trouve une idée de progression, de transformation de l’être. Dans une expérience optimale, une forme de complexité se met en place:

It provided a sense of discovery, a creative feeling of transporting the person into a new reality. It pushed the person to higher level of performance, and led to previously undreamed-of state of consciousness. In short it transform the self by making it more complex. (Csikszentmihalyi, 1991).

Nous avons vu dans la section 2.3.3 que l’augmentation du challenge dans un jeu est souvent liée à l’idée d’augmentation de la difficulté. « L’augmentation du challenge » est alors utilisée comme un synonyme de « progression ». Cependant, dans certaines activités décrites par Csikszentmihalyi pouvant mener à un état de flow, telles que la lecture, il est peu probable que le challenge augmente, et que les compétences de l’usager soient sans cesse mises à l’épreuve : il n’est pas plus difficile de lire un livre à la fin qu’au début. Pourtant il est possible d’atteindre cet état de complexification de l’être, de progression.

Des études récentes dans le domaine du jeu vidéo montrent que le challenge n’est pas uniquement lié à la difficulté. C’est ainsi la conclusion d’une étude sur le lien entre challenges et difficulté dans les RPG, réalisée par Bostan et Öğüt: « Designers should keep in mind that game challenges are determined by various factors and they cannot be explained solely with difficulty curves » (Bostan & Öğüt, 2009a).

De la même façon, le designer Mike Lopez a expliqué sur Gamasutra.com que la difficulté n’est que l’un des aspects de l’expérience de jeu, et se focaliser uniquement sur ce point est probablement une erreur :

Most people who play games are probably familiar with the concept of difficulty progression, at least at a subconscious level – that games should get harder over time. Most designers presumably know to build increasing difficulty into successive levels, missions, worlds, or courses (usually the single player experiences). But difficulty is only one portion of the overall game experience, and there are several other elements that need to be structured, managed and revealed carefully in order to provide the user with a truly compelling and enjoyable experience throughout gameplay.(Lopez, 2006).

Parmi nos participants, plusieurs designers ont ainsi montré que le challenge peut être renouvelé sans pour autant faire appel à la difficulté. Le participant 8 décrit les challenges dans Flower et sous-entend qu’ils ne sont pas forcément liés à la difficulté, mais plutôt à un intérêt pour la découverte, ou pour une forme de beauté :

Participant 8 : En fait un jeu c’est quoi s’il n’y a pas de challenge ? Dans Flower, même, il y a un challenge, pour moi… J’ai trouvé mon challenge dans Flower. Mon challenge c’est d’avoir le plus de fleurs possible et de créer quelque chose de plus grandiose et beau possible. C’est ce que je veux, je veux une espèce de métaphore de la beauté. Il y a des personnes qui vont trouver un challenge dans le fait de trouver toutes les fleurs cachées, ce qui fait que ta fleur va se développer à la fin dans ton menu.

Moi j’aime bien faire ça aussi ! Les trophées, les achievements, c’est un autre sujet, mais ça reste un autre challenge qui de fait va rejoindre d’autres personnes. Donc il faut des challenges. Et même dans les jeux casual.

Ce participant montre qu’il existe différentes solutions de design (objets à collecter, récompenses visuelles, achievements) pour créer un challenge. Un autre participant fait bien la différence entre challenges et difficulté. Une situation est un challenge si le joueur est content de l’avoir jouée, mais cela n’implique pas forcément d’avoir surmonté une difficulté :

Chercheuse : J’aime bien cette idée de challenge… Tu penses qu’il faut quand même que ce soit : difficile ? «Challengeant », comment tu gères ça?

Participant 5 : Il faut que tu sois content de le réussir peu importe si ça faisait référence à la difficulté ou si c’est juste le reward qui est intéressant.

De plus, la difficulté ne semble pas être valorisée dans le système d’appréciation de nos participants. Ils dénoncent ainsi certains précédents, tels que Gran Theft Auto IV, où la difficulté les a empêchés de profiter pleinement de l’expérience, et ce, même s’ils étaient conscients qu’il s’agissait de titres hardcore. Le participant 1 a aussi exprimé cette idée que la difficulté n’est pas un but en soi, en estimant que dans son jeu : « Il n’y avait pas un besoin d’aller plus loin en difficulté ». Visiblement, le jeu aurait pu devenir de plus en plus ardu, mais ce n’est pas la voie qu’il a choisie de suivre, car ce n’était pas nécessaire pour conserver le challenge.

Il n’est peut-être pas nécessaire d’augmenter la difficulté pour renouveler le challenge ; il est indispensable de proposer un nouveau challenge , mais ce dernier n’a pas nécessairement à être plus difficile. L’équilibre challenges/compétences est soumis à une progression au sens de transformation, de variation .

Un jeu casual serait donc un jeu où l’on constate une progression, mais celle-ci n’est pas uniquement dépendante de la difficulté du jeu , il s’agit plutôt d’une variation des challenges.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Casual games : définition à l’aide du savoir professionnel des designers de jeux
Université 🏫: Université de Montréal - Faculté de l’Aménagement
Auteur·trice·s 🎓:
Laureline Chiapello

Laureline Chiapello
Année de soutenance 📅: Mémoire présenté à la Faculté des Études Supérieures et Postdoctorales en vue de l’obtention du grade de M. Sc. A. en Aménagement - Août 2012
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