Compétences conférées par les membres à la Communauté européenne

§ 2. Les compétences conférées par les Etats membres à la Communauté européenne
Il existe deux sortes de compétences conférées à la communauté européenne : les compétences spécifiques et non spécifiques.
Pour réaliser les objectifs sociaux, des attributions spécifiques de compétence ont été transférées aux institutions communautaires (principe de subsidiarité). De plus, en cas d’inaction des Etats membres dans un domaine social, la Communauté peut se substituer à ces derniers. Il s’agit ici des compétences non spécifiques, mais ceux ne sont en aucun cas des compétences présumées.
A – Les compétences spécifiques
L’article 137 du Traité CE détermine les domaines de compétences de la Communauté où cette dernière peut agir par voie de directives ou de règlements.
Dès ses origines, la recherche d’un niveau d’emploi s’inscrivait dans le cadre des missions de la Communauté. En ce qui concerne le rapprochement des législations sociales dans des domaines plus limités, l’Acte unique européen a permis cette évolution. Par exemple dans le domaine de la santé et de la sécurité dans le milieu du travail64.
Trois domaines spécifiques d’intervention sont prévus par le Trait é de Rome : la liberté de circulation des travailleurs65, les aides à l’emploi66, la politique de formation professionnelle et l’éducation67.
La libre circulation des travailleurs s’inscrit comme l’un des fondements de la Communauté. On peut donner à ce titre quelques exemples de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Par un arrêt « Van Duyn » du 4 décembre 197468, La Cour affirme expressément le principe de non discrimination du travailleur migrant en raison de sa nationalité, ce principe est directement applicable dans le droit interne des Etats membres parce qu’il constitue un principe doté d’un « caractère absolu »69. Certains auteurs se réfèrent à un « principe structurel du système communautaire » pour mettre en évidence l’emprise du droit communautaire sur les droits nationaux70. L’uniformisation, dans ce domaine apparaît nécessaire dés lors, que les droits nationaux peuvent s’ériger en obstacle à l’objectif prioritaire de la Communauté : assurer la mobilité effective des salariés71. Lorsque l’on se trouve au sein de la technique d’uniformisation, l’intégration des droits nationaux est dite verticale72. La technique de coordination des législations nationales se réfère à une intégration horizontale des droits nationaux.
Les difficultés rencontrées par la Communauté pour agir dans ces domaines spécifiques sont liées aux conditions de vote. Lorsque le vote à l’unanimité est exigé, la Communauté rencontrera des difficultés au niveau de l’édiction des normes en vu de mettre en place une véritable politique sociale. En effet, dans les domaines de la sécurité sociale ou de la protection sociale, tout reste à faire au niveau des rapprochements des législations nationales.
Le principe du vote au sein de la Communauté est celui de la majorité qualifiée. Le traité de Nice s’y réfère expressément en son article 139. Ce principe comporte des exceptions. L’unanimité est nécessaire en ce qui concerne les domaines énumérés à l’article 137 du traité à savoir les conditions de travail, la protection des travailleurs, l’amélioration des conditions de sécurité…Dans ces cas, la Commission statue à l’unanimité. On remarquera, que ces exceptions ne concernent pas des domaines résiduels mais au contraire des domaines d’importance où l’enjeu est bien le progrès social.
Quant au Traité d’Amsterdam, les nouvelles compétences spécifiques conférées à la Communauté se situent au titre sur l’emploi73. L’article 125 du Traité CE démontre la volonté des Etats membres et de la Communauté de promouvoir « une main d’œuvre qualifiée, formée et susceptible de s’adapter ». Dans le cadre de l’amélioration de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail, la Communauté « soutient et complète l’action des Etats membres »74. En matière sociale, il y a une prépondérance des compétences nationales. Lorsque l’on parle de compétences exclusives de la Communauté, il ne s’agit point de compétences réservées à la Communauté dont le champ d’action des Etats membres serait nul. Il est plutôt question d’une obligation d’agir pour la Communauté dans certains domaines lorsque les Etats ne parviennent pas à agir dans ces domaines ou que l’action de la Communauté serait plus efficace pour parvenir au résultat désiré.

64 Art. 118 A de l’AUE.
65 Art. 39 du Traité CE ; Art. 42 du Traité CE institue la protection des travailleurs migrants par l’adoption de règlements du Conseil à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité. Ceci contribue à une meilleure protection des travailleurs migrants puisque l’édiction de normes par la Communauté est facilité.
66 Les aides sociales sont distribuées par le Fonds social européen. L’article 161 du Traité CE permet au Conseil d’édicter des normes dans ce domaine par le vote à la majorité qualifiée.
67 Art. 127 du Traité CE instaure cette politique par des actions d’encouragements communautaires. L’objectif communautaire est principalement le développement d’une éducation de qualité.
68 CJCE 4décembre 1974, Van Duyn, n°41/74, Rec. P. 1337, concl. Mayras.
69 CJCE 4 avril 1974, Commission c/ France, n°163/73, Rec. P.359 (aff. Dite du Code maritime).
70 PESCATORE (P.), « Les objectifs de la CEE comme principe d’interprétation dans la jurisprudence de la Cour de justice » in Mélanges Ganshof van der Meersch, Bruxelles, Bruylant, 1972, II, p. 325 et Simon (D.), L’interprétation judiciaire des traités d’organisations internationales, morphologie des conventions, Publications de la Revue générale de droit international public, Paris, Pedone, 1981.
71 MARTIN (P.), « Le droit social communautaire : droit commun des Etats membres de la Communauté européenne en matière sociale ? », RTD.eur. 1994, p.613.
72 MARTIN (P.), ibid. p. 614.
73 De l’article 125 à l’article 130 du Traité CE

En ce sens, l’article 137 du Traité CE énonce les domaines dans lesquels la Communauté soutient et complète l’action des Etats : « l’amélioration, en particulier, du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs ; les conditions de travail ; la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs ; la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail ; l’information et la consultation des travailleurs ; la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs y compris la cogestion, les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de la Communauté ; l’intégration des personnes exclues du marché du travail ; l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leur chance sur le marché du travail et le traitement de leur travail ; la lutte contre l’exclusion sociale ; la modernisation des systèmes de protection sociale ».
Cet article exprime clairement l’action de la Communauté n’intervenant qu’en second rang, derrière celle des Etats membres puisque la Communauté « complète » l’action des Etats membres. Ainsi son champ d’application est délimité au sein de cet article. Ces compétences énumérées, sont elles limitées ou bien la Communauté peut-elle agir à d’autres niveaux lorsqu’ aucune compétence n’est spécifiée au sein du traité ?
L’article 158 du traité confère à la Communauté une mission générale, au nom du progrès social, de même, en son article 136, est fait référence à une éventuelle action communautaire au nom de l’ « égalisation dans le progrès ».

74RODIÈRE (P.), Droit social européen, p. 36 : Art. 137 §1, 2, 6 CE ; §1 : la communauté peut agir dans les domaines suivants : l’amélioration du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs, les conditions de travail, l’information et la consultation des travailleurs, l’égalité entre hommes et femmes sur le marché du travail et dans le travail ; § 2 : le Conseil peut agir également mais à l’unanimité au niveau de la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs, la résiliation du contrat de travail, la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers en séjour régulier sur la Communauté, les conditions financières visant la promotion et la création d’emplois.

La Communauté a également pour mission la promotion de l’action des partenaires sociaux au niveau communautaire. L’article 138 du traité CE énonce clairement cette mission : « La Commission a pour tâche de promouvoir la consultation des partenaires sociaux au niveau communautaire et prend toute mesure utile pour faciliter leur dialogue en veillant à un soutien équilibré des parties. ». En matière sociale, les partenaires dispose d’une véritable compétence. Ils sont intégrés au processus normative : la Commission est tenue de les consulter, ils peuvent mettre en œuvre la politique sociale de la Communauté.
Le traité d’Amsterdam a permis à la Communauté d’agir par voie de directives adoptées à la majorité qualifiée du Conseil au niveau d’un plus grand nombre de domaines.
Les domaines d’actions spécifiques permettent à la Communauté d’agir sans rencontrer de véritables difficultés puisque son action est légitimée par le Traité. Cependant la Communauté peut rencontrer des obstacles lorsque le Traité ne prévoit aucune compétence spécifique à la Communauté.
B – Les compétences non spécifiques
Ce n’est pas parce qu’il n’y a aucune compétence spécifique prévue par le Traité dans certains domaines que l’action communautaire ne peut se développer.
L’article 94 du Traité CE instaure une compétence communautaire dés lors qu’il s’agit de rapprocher les législations nationales. Ainsi la Communauté peut intervenir dans de nombreux domaines non spécifiques. Il suffira à la Communauté de démontrer qu’une réglementation a « une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun ». Cependant, une difficulté majeure interviendra au niveau du vote des directives par le Conseil puisque l’unanimité est exigée. L’ex article 100, remplacé par l’article 94 a permis l’instauration des mesures communautaires sur l’égalité de rémunération entre l’homme et la femme. La directive sur l’égalité de rémunérations entre hommes et femmes75 est l’œuvre d’une combinaison entre l’ex article 100 du Traité76 et de l’article 119, fixant l’objectif à atteindre.

75 Directive du Conseil n°75/117 du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO CE n° L.45du 19 février 1975).
76 Aujourd’hui Art. 94 du TCE.

En se référant à l’article 308 du Traité CE77, la Communauté en a déduit qu’elle a comme compétence spécifique l’égalité des rémunérations. En aucun cas, il ne s’agit d’une compétence générale relative à l’égalité professionnelle et sociale entre l’homme et la femme. Pourtant, il est de commune mesure de remarquer la jurisprudence plutôt impressionnante sur ces sujets ainsi que l’existence de directive s’y référant78. Par l’utilisation extensive de l’article 308 du traité CE, la Communauté a étendu son champs d’application pour la réalisation de nouveaux objectifs en matière d’égalité ne faisant pas l’objet de compétences spécifiques de la Communauté. L’égalité entre hommes et femmes répond également aux objectifs de l’article 136 du traité CE79 puisqu’il aborde l’égalisation dans le progrès. L’article 137 du TCE s’réfère également80.
Plusieurs articles du Traité apparaissent antagonistes quant à l’interprétation de l’existence de compétences spécifiques de la Communauté. En effet, l’article 4 du traité CE énonce que « la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité ». Ainsi la Communauté ne pourrait agir que lorsque le traité lui confère expressément compétence, la conjonction de coordination « et » marque l’aspect cumulatif des conditions d’action de la Communauté. Cependant, la Communauté a pour mission de rapprocher les législations nationales quand cela est nécessaire, de coordonner les politiques de l’emploi des Etats membres, de renforcer la cohésion économique et sociale (article 3 du traité CE), de permettre l’égalisation dans le progrès (article 136 du traité CE). Cela équivaut à permettre à la Communauté d’intervenir dans pratiquement tous les domaines relevant du social exceptions faites au niveau des rémunérations, du droit d’association, du droit de grève et du droit du lock-out (article 137§4 du traité CE).

77 Ancien Art. 235.
78 La directive 76/706 (CEE) du 9 février 1976 sur l’égalité professionnelle de l’homme et la femme, fondé sur l’ex article 235, également sur le même fondement la directive 79/7 (CEE) du 19 décembre 1978 sur l’égalité en matière de sécurité sociale complété par la directive 86/378 du 24 juillet 1986 étendant l’égalité aux régimes professionnels ; également la directive 86/613 du 11 décembre 1986 concernant les travailleurs indépendants et les travailleurs agricoles ; la directive 97/80 du 15 décembre 1997 sur la charge de la preuve en cas de discrimination sexuelle.
79Ancien Art. 117.
80 L’article 137 énonce : « La Communauté soutient et complète l’action des Etats membres dans les domaines suivants : i) l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail.

Faire la distinction classique entre compétences spécifiques et compétences non spécifiques relève de l’arbitraire puisqu’il est possible de considérer que le traité confère à la Communauté compétence générale en matière sociale, ceci en considération du principe de subsidiarité que nous développerons ultérieurement.
Ces compétences spécifiques ou non sont encadrées par d’autres principes. L’action de la Communauté est donc appréciée selon ces principes, pour qu’une action excessive de la Communauté soit ainsi évitée.
Lire le mémoire complet ==> (L’influence du droit communautaire en droit du travail français)
Mémoire de DEA de droit social – Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales
Université LILLE 2- Droit et santé

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