L’immigration choisie en France et en Angleterre

L’immigration choisie en France et en Angleterre

L’immigration choisie en France et en Angleterre

En 2000, le gouvernement britannique et la fondation de recherche Wolfson ont lancé un programme qui visait à encourager des scientifiques britanniques à revenir et à attirer au Royaume-Uni de jeunes chercheurs du monde entier.

La même année, mais avec un retentissement médiatique beaucoup plus grand, le Congrès américain annonçait que le quota annuel de visas de travail temporaire délivrés à des professionnels hautement qualifiés augmenterait de 115 000 à 195 000, et ce jusqu’en 2003. Ces deux exemples illustrent la concurrence de plus en plus intense entre les pays de l’OCDE afin de concevoir des politiques pour attirer les travailleurs qualifiés sur leurs territoires.

L’initiative britannique vient dissiper le mythe selon lequel la fuite des cerveaux ne concernerait que les économies en développement ou en transition. Il existe bien au Royaume-Uni un exode de scientifiques et d’ingénieurs du Royaume-Uni vers les États- Unis et le Canada surtout, comme le montre le graphique n°16 suivant. C’est pourquoi au début des années 1960 la British Royal Society inventa l’expression « brain drain ».

La France et le Royaume-Uni ont des modèles d’émigration différents en nombre et en destinations (Cf. graphique n°16). En effet le nombre de personnes de nationalité britannique à l’étranger est environ trois fois supérieur au nombre de celles de nationalité française à l’étranger. De plus l’émigration britannique est surtout tournée vers l’Amérique du nord et le Japon, alors que la répartition des Français à l’étranger est beaucoup plus dispersée. Pourquoi alors avoir regroupé Angleterre et France pour une même analyse? Du fait de leurs politiques d’immigration sélective en faveur des travailleurs qualifiés, qui convergent de plus en plus et parce que cette émigration concerne en grande partie des séjours temporaires d’étudiants en doctorat, de chercheurs et d’employés mutés à l’étranger au sein de leur entreprise, souvent une multinationale.

La mondialisation des entreprises a contribué à accroître les migrations temporaires : au milieu des années 1990, les mutations au sein même des entreprises représentaient 5 % à 10 % des migrations totales des travailleurs qualifiés du Canada vers les États-Unis.

En termes absolus, les États-Unis sont le premier pôle d’attraction pour les travailleurs qualifiés étrangers : 40 % des résidents nés à l’étranger ont un niveau d’éducation tertiaire. Depuis le début des années 1990, environ 900 000 travailleurs qualifiés, principalement des informaticiens en provenance d’Inde, de Chine, de Russie et de quelques pays de l’OCDE (Canada, Royaume-Uni et Allemagne notamment), ont immigré aux États-Unis dans le cadre du programme d’octroi de visas temporaires.

De même, 32 % des étudiants des pays de l’OCDE expatriés résideraient aux Etats-Unis107. De fait, l’enseignement supérieur et la mobilité institutionnalisée sont une voie importante de captation de matière grise étrangère : en 1999 près de 25 % des détenteurs de visas temporaires H1B avaient fait leurs études dans des universités américaines.

106Op. Cit. Meyer, Kaplan, Charum, page 352

Les flux migratoires vers l’Allemagne et la France sont traditionnellement moins importants que ceux vers les pays anglo-saxons, mais ces deux pays tentent eux aussi d’attirer des étudiants, des chercheurs et des informaticiens étrangers. Le ton de la campagne électorale 2007 avec comme slogan de l’UMP « passer d’une immigration subie à une immigration choisie » illustre le renforcement de la volonté de pratiquer une politique migratoire « à l’américaine ».

En effet, il est largement admis en France et au Royaume-Uni que les travailleurs qualifiés contribuent à la croissance économique et aux progrès, en particulier dans les domaines de la recherche, de l’innovation et des compétences entrepreneuriales. Reste à déterminer néanmoins quels sont les avantages relatifs et réels de tous ces échanges. Quoi qu’il en soit, les politiques publiques en matière de science et technologie jouent un rôle clé en France et au Royaume-Uni.

Pour compenser la perte de diplômés nationaux vers les Etats-Unis notamment, ces pays cherchent à attirer des immigrants des pays en développement. Ceci notamment par l’intermédiaire de pôles d’excellence, par l’instauration d’un climat et d’une législation propices au développement de l’innovation technique et à la création d’entreprises. Ainsi les gouvernements français et britannique se rapprochent dans la volonté de créer des conditions favorables pour la recherche, l’innovation et la création d’entreprise sur leur territoire et stimulent les flux rentrants de migrants, de capitaux et l’accès aux réseaux internationaux d’innovation.

107 International Mobility of the Highly Skilled, OECD Publishing, 2002, 352p.

Graphique 16 : Stocks de personnes originaires de France, d’Italie et de Grande Bretagne résidents dans un autre pays membre de l’OCDE en 2004 (effectif)

Stocks de personnes originaires de France, d’Italie et de Grande Bretagne résidents dans un autre pays membre de l’OCDE en 2004

SOURCE: OCDE, 2006

Les politiques de ces pays sont, par conséquent, sélectives et destinées aux personnes qualifiées de l’enseignement supérieur. Elles sont également en concurrence pour attirer « les cerveaux » d’autres pays, qu’ils soient européens ou non.

La Commission Européenne poursuit d’ailleurs les mêmes objectifs. Pour rendre plus attrayant l’espace de recherche européen, elle a porté à 1,8 milliard d’Euros le montant alloué aux salaires dans le cadre du Sixième Programme Cadre communautaire de Recherche, ce qui représente un doublement du financement. Il serait intéressant de connaître la redistribution de cette somme, car tous les pays européens n’ont pas la même capacité attractive.

Le graphique 17 ci-après, issu d’un document de travail de l’OCDE, reporte des statistiques sur la population qualifiée du supérieur quant à l’équilibre où au déséquilibre entre entrants et sortants suivant les pays. La France et le Royaume-Uni se situent ainsi parmi ceux dont la balance migratoire, (malgré une certaine émigration qualifiée plus importante en Grande Bretagne qu’en France), reste positive. La fuite vers les Etats-Unis, l’Australie et le Japon principalement, est en quelque sorte compensée par l’entrée de travailleurs qualifiés provenant d’autres pays.

La mobilité serait alors un moyen d’équilibrer le rapport entre demande et offre de travail en Europe, en portant les compétences, (donc les hommes) là où elles sont requises. Ceci garantirait le progrès économique et social de tous au sein de l’Union Européenne. C’est pourquoi des pays, traditionnellement moteurs économiques de l’Union (qui possèdent les structures et les capitaux financiers, matériels, etc), comme la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni accueillent ce discours avec satisfaction.

Mais il semble urgent de se poser la question de ce qu’il adviendra des régions où les travailleurs qualifiés auront été portés là où leurs compétences étaient requises, sans que les structures occupationnelles et les investissements financiers n’aient été orientés vers elles. C’est le cas notamment de certaines régions d’Italie nous le verrons.

Graphique 17 : la population immigrée et émigrée âgée de plus de 15 ans avec un niveau supérieur d’éducation dans les pays de l’OCDE (en milliers)

la population immigrée et émigrée âgée de plus de 15 ans avec un niveau supérieur d’éducation dans les pays de l’OCDE

Source: Dumont (JC), Lemaître (G), “Counting Immigrants and Expatriates in OECD”

OECD SOCIAL, EMPLOYMENT AND MIGRATION WORKING PAPERS No. 25, 22-Jun-2005

L’expérience de la France et du Royaume-Uni en matière de migration de stock ou de réserve d’une main-d’œuvre qualifiée peut être aussi rapprochée, du fait de leur histoire coloniale. Ces deux nations, en effet, ont maintenu des liens étroits avec les pays anciennement colonisés : d’Afrique surtout pour la France et d’Asie pour le Royaume-Uni. La migration étudiante spontanée, ainsi que l’émigration de diplômés de ces pays se dirige massivement vers l’ancienne nation colonisatrice.

De ce fait, nous l’avons vu dans la première partie de cette thèse, aujourd’hui encore les Etats européens qui accueillent le plus d’étudiants étrangers sont l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Plus de 10% des inscrits universitaires sont étrangers dans ces pays108.

C’est surtout au niveau du troisième cycle et des études doctorales, qu’ils attirent beaucoup d’étudiants étrangers, mais le Royaume-Uni se distingue cette fois de la France comme devenant aujourd’hui plus attractif pour les diplômés européens.

Le segment du travail académique est en effet caractéristique, dans les trois pays étudiés, des possibilités différentielles d’insertion sur le marché du travail des diplômés. Pouvoir entreprendre un doctorat et faire une carrière au sein de l’université et de la recherche varie grandement d’un pays à l’autre. C’est de loin le marché académique britannique le plus ouvert et l’italien le plus exclusif. En France, il est possible de faire un doctorat sans financement, mais cette ouverture n’est que relative, car environ 35% des docteurs chaque année n’intégreront ni l’université, ni les instituts de recherche (publics et privés), selon les données du CEREQ109. Ce qui pousse à l’expatriation.

C’est pourquoi dans certains laboratoires des universités britanniques, comme celui de Mr Cheney, on compte presque un doctorant sur deux de nationalité étrangère. Cheney, explique ainsi que le nombre de places offertes et leur facilité d’accès incitent les étudiants Erasmus à revenir pour un doctorat :

“Il y a de très bons étudiants [Erasmus], et certains d’entre eux, reviennent ici après, pour faire un doctorat ou quelque chose comme ça…

Souvent…

Oui, je veux dire, l’école de chimie est très internationale de toute façon, probablement, peut-être la moitié de nos doctorants ne sont pas anglais. Donc, c’est très international de toute façon, mais je pense.. il y a un nombre assez important de ceux, qui sont venus ici avant comme étudiant Erasmus.

Pourquoi ? selon vous…

Pourquoi ? Je pense parce que.. il y a plus de doctorants en Angleterre que dans beaucoup d’autres pays européens. Et aussi, c’est plus facile d’obtenir une place de doctorant, c’est plus facile en Angleterre qu’en France par exemple. On avait l’année dernière un étudiant Erasmus de Montpellier, qui n’a pas eu vraiment des notes très élevées à ses examens, mais qui, je pense, serait bon à faire de la recherche, parce qu’il est très motivé. Mais vous savez, en France, si vous n’êtes pas en tête de liste, vous n’avez aucune chance d’avoir une allocation du ministère, donc il m’a demandé quelles étaient les possibilités ici, et je pense qu’il reviendra l’année prochaine. »

Mister Cheney110

108Le Royaume-Uni avec 12% d’étudiants étrangers parmi l’ensemble des inscrits et la France avec 10% des étudiants étrangers inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur en 2003.

109 GIRET (J-F) De la thèse à l’emploi, Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications, Bref n°220, juin 2005

110“They are often very good students and some of them come back here afterward to do a PhD or things like that…

Often…

Yes, I mean, the school of Chemistry is very international anyway, probably, maybe as much as half of our PhD students are not British. So it is very international anyway, but I think… there is a fair number of those who came here before as Erasmus students.

Why? in your mind…

Why? I think because… there are more PhD students in England than in many other European Countries. And also it is easier to get for the students a PhD position, easier in England than in France for example. We had last year an Erasmus student from Montpellier, who didn’t get really high marks at his exams, but who, I think, will be good doing research, because he is really motivated. But you know, in France if you are not on the top of the list you have no chance at all to be founded by the government, so he asked me what are the possibilities here, and I think he will come back next year.”

Cette présence élevée d’étudiants étrangers aux niveaux supérieurs universitaires est sans commune mesure avec celle très basse d’étudiants, puis de diplômés étrangers sur le sol italien. De même alors que le taux d’étrangers parmi les inscrits universitaires ne cesse d’augmenter en France et en Angleterre, en Italie au niveau M et surtout D de la structure européenne en trois niveaux, ce taux n’a cessé de baisser depuis la deuxième moitié des années soixante, d’après Cammelli111.

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