La cession forcée du contrat : une cession judiciaire

La cession forcée du contrat – Section 2
Dans le cadre d’un plan de cession, l’entreprise est cédée à un tiers repreneur. Les actifs ou une partie des actifs sont cédés ainsi que certains contrats. En effet, l’article L 621-88 du Code de commerce dispose que « le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l’activité au vue des observations des cocontractants du débiteur transmises par l’administrateur. »
Cette cession du contrat, organisée dans le cadre des procédures collectives, diffère de celle que connaît le droit commun en ce qu’elle est judiciaire (§1) et s’impose au cocontractant (§2) dont l’accord de volonté n’est pas requis pour opérer la cession.
Paragraphe 1 Une cession judiciaire
Ce type de cession est propre aux procédures collectives puisque le droit commun ne connaît que la cession légale ou conventionnelle. (A) D’autre part, la cession se réalise peu important que le contrat ait été initialement conclu intuitus personae, (B) au nom du maintien de l’activité.
A Un type de cession dérogatoire du droit commun
La cession de contrat56 a pour objet le remplacement d’une partie par un tiers au cours de l’exécution du contrat. Ainsi ce tiers devient partie au contrat. La cession de contrat permet à celui-ci de survivre au changement de l’une des parties. La cession rend possible la continuation d’un contrat, support d’une richesse, en réalisant une succession de contractants. La cession diffère donc de la délégation ou de la novation où il y a création d’un nouveau contrat.

55 Com. 19 févr. 2002, Act.Proc.Coll.2002-8, n°102.
56 MALAURIE et AYNES, Droit des obligations, op.cit.

Le droit commun des contrats ne connaît que la cession légale ou conventionnelle. Ici la loi donne au tribunal le droit d’imposer une cession de contrat. Il s’agit d’une cession judiciaire, autorisée et organisée par la loi. Cette cession est exorbitante du droit commun des obligations car elle s’opère sans l’accord des parties. Elle est plus encadrée que la continuation « forcée » des contrats en cours car elle est encore plus attentatoire à la volonté des parties en ce qu’il y a substitution de contractants. Par conséquent, la loi a limité la cession à certains types de contrats à savoir les contrats de crédit-bail, de location ou de fournitures de biens et services. Il faut pourtant remarquer que cette énumération est très large et qu’elle est susceptible de concerner la plupart des contrats de l’entreprise. Ces contrats peuvent être cédés que s’ils sont en cours d’exécution et si leur reprise par le cessionnaire est nécessaire au maintien de l’activité.
Peuvent être cédés les contrats de crédit-bail qui sont des contrats qui ouvrent au locataire, suite à une période de location, la faculté de se porter acquéreur du bien moyennant versement d’une valeur résiduelle. En l’absence de distinction par l’article L 621-88 du Code de commerce sont concernés les contrats de crédit-bail mobilier et immobilier.
Les contrats de location sont également visés par l’article L 621-88 du Code de commerce. Il s’agit des contrats de location mobilière comprenant les conventions destinées à procurer à l’entreprise des biens d’équipement, les contrats de location-gérance57, et les contrats de location immobilière autrement dit les baux.
Enfin l’article L 621-88 du Code de commerce permet la cession des contrats de fourniture de biens et services que l’on distingue en fonction de l’obligation de faire pour le contrat de fourniture de services et de l’obligation de donner pour le contrat de fourniture de biens. En pratique, cette notion de fourniture de biens ou services recouvre divers contrats et finalement l’objectif du législateur de 1985 de ne pas généraliser la cession judiciaire des contrats est mis à mal.
La détermination des contrats nécessaires au maintien de l’activité appartient au Tribunal. Il est investi à ce titre de pouvoirs économiques permettant d’apprécier la nécessité économique de tel contrat. On peut se demander s’il a les compétences suffisantes pour faire ce choix. Pour l’aider, il a à sa disposition le bilan économique et social de l’administrateur et dans son offre le cessionnaire peut indiquer les contrats qu’il désire se voir céder.
B Indifférence du caractère intuitus personae
La question de la possibilité de céder judiciairement des contrats intuitus personae se pose naturellement dans le cadre de cet article L 621-88 du Code de commerce comme elle s’est posée dans le cadre de l’article L 621-28 du même code.
Pourtant ici, les circonstances font, qu’admettre la cession de ce type de contrats conclus en considération de la personne, porterait encore plus atteinte à la liberté contractuelle. En effet, en cas de continuation forcée du contrat, les parties restent les mêmes, c’est le contrat initial qui se poursuit; alors que dans une cession, par définition, une des parties change, au débiteur sera substitué un cessionnaire. Le contrat n’est donc plus le même en raison de ce changement. Alors bien sûr le repreneur sera in bonis donc il offrira plus de garantie au cocontractant mais la qualité de la prestation qu’il sera en mesure de lui fournir sera nécessairement différente de celle du débiteur initial.
Pour une partie de la doctrine58, partisan de la vision traditionnelle du contrat, le principe de la force obligatoire du contrat59 ainsi que l’effet relatif des conventions60 s’opposent à ce que ce type de contrat soit cédé à un tiers sans l’assentiment du cocontractant. La doctrine majoritaire, qui a une vision plus économique et objective du contrat, admettrait ces cessions, la nécessité économique du contrat primant le lien juridique.
La doctrine semble néanmoins distinguer des degrés dans l’intuitus personae.61
L’intuitus personae attaché à l’exécution62 ou à l’objet même du contrat63 serait exclu de la cession de l’article L 621-88. On oppose les contrats dans lesquels la personne même du débiteur est déterminante, il est alors l’objet même de l’obligation caractéristique de la convention par exemple lorsque « le contrat a pour objet l’exploitation du talent du débiteur64», et les contrats dont les qualités de l’entreprise sont déterminantes.

58 J. GHESTIN, Les effets du contrat, 3e éd. LGDJ n°687.
59 Article 1134 du Code civil.
60 Article 1165 du Code civil.
61 P. PETEL, Le sort des contrats conclus avec l’entreprise en difficulté, JCP N 1992 I p.125.
62 F.DERRIDA, P.GODE, J.P.SORTAIS,op.cit.
63 J.P. MONTREDON, La théorie générale à l’épreuve du nouveau droit des procédures collectives, JCP éd. E, 1988.I.15156.
64 J.P. MONTREDON op.cit.

Si ces gradations se trouvent vérifiées en pratique, par exemple en cas de redressement judiciaire d’un franchiseur où le repreneur ne peut transmettre au franchisé le savoir-faire nécessairement original du franchiseur65, il n’est pas toujours aisé de classer ces contrats en fonction de ces critères.
La jurisprudence paraît également hésiter. Certains arrêts de juridictions du fond ont admis la cession de contrats intuitus personae66 mais la Cour de cassation semble exiger le consentement du cocontractant.
La majorité de la doctrine est favorable à une conception large des contrats pouvant être cédés dans le cadre de l’article L 621-88 incluant par conséquent les contrats intuitus personae. Cela peut se justifier par l’objectif de maintien de l’activité, certains contrats intuitus personae étant nécessaires pour le fonctionnement de l’entreprise, par exemple un contrat de concession. Cependant un intuitus personae très fort, attaché aux quali
tés d’une personne unique, ne peut autoriser la cession du contrat auquel il est attaché, ce dernier ne pourrait pas, pour cette raison, être réalisé aux conditions initiales.
Lire le mémoire complet ==> (Les atteintes de la procédure collective à la liberté contractuelle)
Mémoire de DEA Droit des affaires
Université Robert Schuman de Strasbourg
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