Les dispositions de droit du travail et la nullité du contrat

Les dispositions de droit du travail et la nullité du contrat

B. Une application stricte des dispositions de droit du travail en la matière (la nullité du contrat de travail)

La plupart des dispositions du Code du travail prévoyant la nullité de l’ensemble ou d’une partie seulement du contrat de travail sont à première vue des dispositions d’ordre public strict. Dès lors, la marge de manœuvre des juges du fond en la matière s’avère plus difficile dans l’appréciation de la sanction à apporter à partir du moment où tous les éléments constitutifs de cette nullité sont remplis (1).

Cependant, le droit du travail a, entre autres, pour particularité d’avoir à connaître plusieurs notions d’ordre public. Ainsi, la plus connue en la matière sera l’ordre public social lequel est défini comme étant un système prévoyant l’application automatique de la norme la plus favorable au salarié, quelle que soit la situation de la règle concernée dans la hiérarchie des normes. Cette notion, on le verra, peut avoir une incidence sur le prononcé ou non de la nullité du contrat de travail.

De plus, le législateur relayé par la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, a mis en place des dispositions ayant pour objectif de protéger le salarié et, de ce fait, on peut parler en matière de nullité de l’existence d’un ordre public de protection, lequel semble être appliqué avec encore plus de rigueur par les juges prud’homaux (2).

1. L’application des dispositions d’ordre public

Certains auteurs considèrent que le droit du travail s’assimile au droit d’intervention des pouvoirs publics dans les rapports de travail228. Cette affirmation est d’autant plus vraie que le législateur a imposé à de nombreuses reprises dans le Code du travail, la sanction de la nullité du contrat de travail lorsque certaines dispositions ne figurent pas dans celui-ci.

Pourtant, la nullité peut bien évidemment être prononcée lorsqu’aucune sanction ne s’impose. Ainsi, la rédaction d’un CDI dans une langue autre que le français est sanctionnable mais le législateur n’a pas donné de solution applicable au juge prud’homal qui reste donc libre de décider, d’après les faits qui lui sont présentés, quelle sanction lui apparaît la plus opportune229.

228 P.Y. VERKINDT, Le contrat de travail : modèle ou anti-modèle du droit civil des contrats ? in Une nouvelle crise du contrat ?,

Quoiqu’il en soit le droit du travail donne une importance non négligeable aux concepts d’ordre public et d’ordre public social. Ainsi, une disposition d’une convention collective par exemple, plus favorable au salarié que ce que prévoit son contrat est applicable tout de même sans que soit nécessaire le prononcé de la nullité du contrat ou tout simplement de cette clause.

L’ordre public social permet dès lors d’éviter le prononcé, délicat, d’un contrat alors que seule cette disposition lui est préjudiciable. Le concept d’ordre public strict, quant à lui, a vocation à convenir de la nullité du contrat de travail pour n’importe quel motif que ce soit.

Ainsi, la marge de manœuvre des juges s’avère délicate lorsqu’ils doivent décider du prononcé ou non de la nullité du contrat de travail. En effet, ces derniers doivent avant tout considérer la règle violée par les parties pour savoir si cette disposition est d’ordre public ou non ; ensuite si une disposition de même objet existe au sein de la hiérarchie des normes applicables au contrat (dans ce cas, la nullité du contrat ou de la clause de celui-ci est inutile).

En ce qui concerne les dispositions d’ordre public, on peut constater que celles-ci touchent de nombreux domaines. Citons quelques exemples significatifs :

Tout d’abord, les dispositions du Code du travail concernant le travail, l’emploi d’un étranger en situation irrégulière sont d’ordre public. Dès lors, l’absence d’autorisation de travail entraîne de facto la nullité du contrat de celui-ci230.

Ensuite, certaines clauses du contrat de travail doivent également être conformes aux dispositions d’ordre public du Code du travail. Ainsi, l’article L.511-1 alinéa 6 concernant la compétence d’attribution de chaque Conseil de prud’hommes est d’ordre public, sa violation par l’insertion d’une clause attributive de juridiction dans le contrat de travail entraîne donc la nullité de cette clause231.

De même, est nulle car contraire à l’ordre public c’est à dire à l’article L.122-3-8 du Code du travail, la clause de libération anticipée d’un entraîneur sportif, le CDD ne pouvant être rompu, sauf accord des parties, avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave ou de force-majeure232. La sanction sera la même car reposant sur le même fondement (dispositions d’ordre public) en ce qui concerne les clauses d’indexation des salaires233.

229 En ce sens, CA Dijon 24 février 1993 Clemessy c/SARL Faber et a., RJS 1993 n°819.

230 Jurisprudence constante en la matière. Cf. E.GUILLAUME, conclusions du commissaire de gouvernement, CE 13 avril 1988, L’étranger en situation irrégulière et le statut de salarié protégé, Dr. Soc. 1988, p.773.

231 Cf. cependant : cass. soc. 4 mai 1999, La Gazette du Palais du 1er mars 2000, pp.20-37, note Niboyet (M.- L.), concernant une clause compromissoire, la Cour de cassation décide de l’inopposabilité de la clause plutôt que de sa nullité.

232 CA Rouen 21 février 1991, D.1991, JP, p.614, note KARAQUILLO (J.-P.), cass. soc. 16 décembre 1998, JP, D.2000, pp.30-33, note ALAPHILIPPE (P.) et cass. soc. 24 octobre 2000 Rabier c/Le Football Club de Rouen et a., arrêt n°3970FS-D, CSBP janvier 2001, A.5, pp.17-18, obs. PANSIER (F.-J.).

Certaines clauses du contrat de travail ont pourtant posé et posent toujours quelques difficultés en la matière. En effet, les clauses de mise à la retraite dites «clauses couperets» nécessitaient, selon certains auteurs, une réglementation234.

La jurisprudence antérieure à la loi du 30 juillet 1987 avalisait d’ailleurs les clauses prévoyant la mise à la retraite du salarié dès que l’âge prévu par cette clause était atteint par celui-ci235. Or, le régime légal actuel prévu à l’article L.122-14-13 du Code du travail présente un caractère d’ordre public236 ; il autorise les clauses dites «souples»237 tout en sanctionnant par la nullité les clauses dites «couperets».

Concernant cette fois les clauses de non-concurrence, la difficulté est plus grande car aucun texte du Code du travail ne renvoie à des conditions de leur validité et donc a fortiori à des sanctions en cas de non-respect de ces dernières. Dès lors, la solution pourrait s’avérer être identique à celle ayant trait aux clauses «couperets». L’intervention du législateur viendrait alors réglementer ce type de clause pour éviter toute l’insécurité qui peut régner dans le cadre d’une action en nullité qui serait intentée à l’encontre de ce type de clause.

Enfin, le Code du travail envisage également des hypothèses en matière de contrats précaires conduisant au prononcé de la nullité car ayant un caractère impératif. En effet, nombreuses sont les dispositions concernant par exemple le contrat d’apprentissage.

Ainsi, celui-ci doit faire l’objet d’un écrit mais également d’un enregistrement selon les articles L.117-12 et L.117-14 du Code du travail. Cependant, la nullité n’est encourue que dans l’hypothèse de l’absence d’écrit238, les juges du fond retrouvant tout leur pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le défaut d’enregistrement du contrat.

Malgré les précautions prises par le législateur, des hypothèses de nullité du contrat de travail pour vices de forme ou de fond restent possibles. En effet, en l’absence d’une quelconque indication de la part de celui-ci concernant la sanction appropriée à telle ou telle violation des dispositions du Code du travail, le juge prud’homal semble disposer d’une relative liberté quant au prononcé ou non de cette nullité.

Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation a pu décider que l’absence d’indications concernant les noms et la qualification de personnes remplacées dans le cadre de la conclusion d’un CDD rend le contrat requalifiable en CDI, contrat de droit commun239.

Dès lors, le pouvoir d’appréciation des causes de nullité semble pouvoir retrouver de son intérêt lorsque le législateur a été imprécis voire négligent. Par exemple, alors que la nullité semble pouvoir être invoquée lors d’un cumul de fonction de salarié et de directeur général dans une même SA, la jurisprudence décide quant à elle de la suspension du contrat de travail pendant l’exercice du mandat social ce, « en l’absence de stipulation expresse en ce sens »240.

De même, lorsqu’elle le peut, la chambre sociale conditionne la validité de certaines clauses à l’exercice ou la sauvegarde de certains droits pour le salarié. Ainsi, celle-ci subordonne la validité d’une clause de résidence à la preuve du caractère indispensable d’un transfert de domicile et du caractère proportionné au but recherché de cette atteinte à la liberté du choix du domicile du salarié (preuves qui semblent difficiles à apporter en pratique !)241.

233 Ordonnance du 30 décembre 1958 visant dans son article 79 l’indexation sur le niveau général des prix et autres indices généraux et l’article L.141-9 du Code du travail s’agissant de l’interdiction des indexations sur le SMIC. Cf. également : A.CADET, Essai d’une théorie générale des clauses du contrat de travail, thèse sous la direction de monsieur P.-Y. Verkindt, soutenue à Lille en juin 1997.

234 Voir en ce sens : AUDEGOND (J.), L’âge de la retraite et le contrat de travail, mémoire de DEA de droit privé sous la direction de monsieur Coeuret, Faculté de droit de Lille 2, 1987.

235 Cf. Age de la retraite et fin du contrat de travail, SARAMITO (F.), Dr. Ouvrier 1988.211S, pp.211-226.

236 Idem.

237 Art. L.122-14-12 du Code du travail.

238 Cass. soc. 28 mars 1996 M.Tahloul c/M.Barrabes, Cahiers Prud’homaux août/septembre2000, JP, p.102

Lorsque le législateur a prévu le prononcé de la nullité d’un contrat ou de l’une de ses clauses, le juge prud’homal semble se trouver dans l’incapacité d’apprécier l’ensemble des éléments de chaque espèce, prononçant cette sanction dès lors que tous ses éléments constitutifs sont réunis.

Cependant, dans certaines hypothèses bien précises, la chambre sociale de la cour de cassation semble pouvoir faire preuve d’une plus grande autonomie quant à l’opportunité ou non du prononcé de la nullité de tout ou partie du contrat de travail. D’ailleurs, la recherche de la norme la plus favorable n’est donc pas à négliger non plus dans cette hypothèse.

Or, certaines dispositions prévues dans le Code du travail semblent tout de même devoir être appliquées de façon rigoureuse.

239 Cass. soc. 1er juin 1999, JCP E 1999, II, pp.1929-1930, note MINE (M.).

240 Ex : Cass. soc. 12 février 1991 Personnaz c/Société Boussois, Dr. Soc. 1991, p.463, obs. B.PETIT

En effet, volontairement très protectrices de la situation pécuniaire et de subordination dans laquelle se trouve le salarié, ces dispositions d’ordre public de protection semblent devoir s’imposer coûte que coûte.

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