Nullité de l’ensemble du contrat de travail, Sanction exceptionnelle

Les particularismes du prononce de la nullité du contrat de travail

Les effets donnés au prononcé de la nullité du contrat de travail rendent compte de l’ambiguïté qu’il peut régner au sein de ce régime. En effet, celui-ci est caractéristique au droit du travail : le régime de la nullité se construit ainsi sur la question de la rupture du contrat de travail247. Dès lors, les effets de la nullité ont-ils tous vocation à être les mêmes que ceux attachés au prononcé d’un licenciement ?

En droit commun, la nullité du contrat n’est pas celle-ci, son prononcé a pour effet de remettre les parties contractantes dans l’état où ces dernières se trouvaient avant la conclusion du contrat. Or, comme le relève monsieur GHESTIN, « l’effet rétroactif de l’annulation doit se concilier avec la nécessité de tenir compte de la situation de fait engendrée par l’acte apparemment valable, et prendre en considération les difficultés rencontrées pour remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat »248.

Dès lors, cet effet rétroactif de la nullité ne semble pas être adapté à la situation que confère le contrat de travail. En effet, celui-ci est avant tout un contrat à exécution successive. Or, si la restitution des rémunérations perçues par le salarié semble aisée, comment imaginer la restitution par l’employeur des prestations de travail effectuées par ce dernier ? Ainsi, la tentation est grande de rapprocher le régime de cette nullité de celui de la résiliation, sanction anéantissant les seuls effets futurs que pourrait produire la convention249.En effet, comme l’affirme monsieur FREYRIA, les solutions en droit du travail ont pour objectif « d’assurer la conservation des effets passés de la prestation de travail ; mais une fois l’irrégularité constatée, une fois la déclaration de nullité acquise, l’accomplissement du travail ne peut se poursuivre »250.

Dès lors, la nullité du contrat de travail n’aurait pas pour conséquences les mêmes que celles constatées lors du prononcé d’une telle sanction en droit commun. D’ailleurs, cette situation semble s’expliquer par le parallélisme effectué par les juges prud’homaux et l’effet captateur du régime du licenciement251.

Ainsi, les effets attachés au prononcé de cette nullité semblent dépendre avant tout du choix de cette sanction, la nullité apparaissant alors dans cette optique la plus respectueuse des intérêts des parties au contrat de travail (Section 1). Or, il faut apporter tout de même un sérieux bémol quant au prononcé de cette sanction, la chambre sociale de la Cour de cassation paraissant en pratique de plus en plus favorable au prononcé de sanctions autres que celle de la nullité du contrat de travail (Section 2). Celle-ci deviendrait-elle inappropriée à la plupart des hypothèses soumises à ces juges ?

247 Le contrat de travail : modèle ou anti-modèle du droit civil des contrats ?, VERKINDT (P.-Y.), op. cit.

248 GHESTIN (J.), Traité de droit civil, t.2 : Les obligations, op. cit., n°871.

249 Cf. en ce sens, Nullité du contrat de travail et relation de travail, FREYRIA (J.), Dr. Soc. 1960, pp.619-627.

250 Idem.

251 Le contrat de travail : modèle ou anti-modèle du droit civil des contrats ?, VERKINDT (P.-Y.), op. cit.

SECTION 1 : LE CHOIX DE LA NULLITE LA PLUS RESPECTUEUSE DES INTERETS DES PARTIES.

Le prononcé de la nullité du contrat de travail conduit à imaginer, en parallèle avec les solutions de droit commun des contrats, l’annulation totale et rétroactive de celui-ci. Pourtant, cette solution apparaît extrême en droit du travail. En effet, les particularités liées à la nature du contrat rendent impossibles la restitution réciproque des prestations effectuées.

D’ailleurs, la jurisprudence civile a bien rendu compte, en de nombreuses reprises, de cette difficulté en ce qui concerne l’ensemble des contrats à exécution successive (qui s’exécute au cours d’une période de temps) dont le contrat de travail fait partie intégrante252.

Dès lors, la nullité de l’ensemble du contrat de travail s’avère en pratique être une sanction tout à fait exceptionnelle car peu protectrice des intérêts des parties au contrat (Paragraphe 1). Son prononcé s’avère en effet, en pratique, délicat au vue des effets y étant normalement attachés. Or, lorsque cette sanction va tout de même s’imposer, elle va s’accompagner d’effets plutôt originaux contribuant à rapprocher les effets de la nullité du contrat de travail de ceux du prononcé du licenciement du salarié.

Cependant, lorsqu’on observe de façon globale la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, on s’aperçoit que la sanction de la nullité partielle du contrat de travail a les faveurs des juges en la matière. D’une part, cette sanction est souvent imposée par le législateur lui-même lorsque le contrat contient une clause ne remplissant pas les conditions requises de sa validité.

D’autre part, lorsqu’est mise en cause la validité d’un contrat au cours de l’exécution de celui-ci, les juges semblent considérer comme opportun le prononcé de la continuité de ce contrat sous les formes et les conditions qu’ils auront eux-mêmes posées. Dès lors, la nullité partielle du contrat de travail semble réellement supplanter la sanction de la nullité de l’ensemble de ce contrat et apparaît dès lors comme une sanction banalisée en droit du travail (Paragraphe 2).

L’intérêt de cette section sera donc de souligner les effets attachés au prononcé de ces types de nullité pour en dégager les fondements et leurs répercussions sur la relation salarié-employeur.

252 Droit des obligations, responsabilité civile, contrat, DELBECQUE (PH.) et PANSIER (F.-J.), op. cit., p.104.

§1 : La nullité de l’ensemble du contrat de travail : une sanction exceptionnelle

La nullité du contrat de travail a vocation, on l’a vu, à être prononcée dans de multiples hypothèses. En effet, comme le souligne certains auteurs, « nombreuses sont les causes de nullité qui contribuent à l’appréciation de la cause de la rupture du contrat de travail »253.

Cependant, la nullité du contrat de travail se caractérise également par la prise en compte de la volonté commune et des volontés parfois antagonistes des parties contractantes elles-mêmes (A). A celles-ci s’ajoutent parfois également d’autres volontés rentrant alors en ligne de compte dans le prononcé de cette sanction. De même, c’est parfois sur le fondement de la volonté des parties contractantes que les juges prud’homaux s’appuieront pour avaliser leur propre décision.

Dès lors que cette sanction est prononcée, on pourrait s’attendre en toute logique aux effets rétroactifs «traditionnels» attachés à cette dernière (remise des choses dans leur état d’origine, nullité de la convention tant pour le passé que pour l’avenir, absence d’obligations de faire ou ne pas faire à l’encontre de l’un des contractants). Or, nous le verrons, la nullité du contrat de travail tient sa plus grande originalité dans les conséquences qu’entraîne sa reconnaissance par le juge prud’homal (B).

La question peut même se poser de savoir si la nullité telle que l’entend le droit commun des contrats est toujours de rigueur aujourd’hui en matière de nullité du contrat liant le salarié à son employeur. En effet, priver la nullité de quasiment l’ensemble de ses effets rétroactifs en ne gardant que les effets futurs, n’est-ce pas là priver en grande partie de cette sanction le droit du travail ?

A. La référence à la volonté des parties

La volonté des parties contractantes est un élément pris en compte par la plupart des décisions ayant trait à une action en nullité d’un contrat, que celui-ci soit un contrat de travail ou non. Ainsi, la jurisprudence sociale, comme son homonyme la jurisprudence civile, considère à chaque fois la cause déterminante du consentement de l’une des parties contractantes, celle ayant mis en œuvre l’action en nullité du contrat, pour se prononcer sur la validité ou non du contrat de travail qui lui est soumise (1).

253 J.DJOUDI, Les nullités dans les relations individuelles de travail, D.1995, Chr., p.192.

Cependant, cette marge d’appréciation est limitée quand il s’agit de dispositions du Code du travail ayant expressément prévu le prononcé de la nullité du contrat. De plus, le domaine du droit du travail ne se limite pas qu’à la relation individuelle de travail liant l’employeur à chacun de ses salariés. Les relations collectives ont donc vocation à intervenir dans cette relation et le rôle des partenaires sociaux en matière de nullité du contrat de travail semble alors incontournable lorsque cette sanction est invoquée à l’encontre de clauses contractuelles ayant pour sujet l’un de ceux traités au sein d’une convention collective ou un accord collectif de travail (2).

1. Le caractère déterminant du consentement de l’une des parties au contrat.

Bon nombre d’arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation se réfèrent à la volonté des parties au contrat de travail donnant ainsi l’impression d’une référence incontournable au prononcé de la nullité de ce contrat. En effet, en l’absence de dispositions impératives les obligeant à sanctionner par la nullité le contrat déclaré non valide, les juges du fond, et exceptionnellement la chambre sociale quand celle-ci décide de sortir de sa réserve, se rapportent aux volontés des parties contractantes.

Lorsque l’une de ces parties invoque donc un vice tenant aux conditions de forme ou de fond du contrat (c’est là l’essentiel du contentieux se référant au caractère déterminant du consentement), le juge prud’homal va rechercher si le vice invoquée a été déterminant de l’accord donné par la partie se prétendant victime de celui-ci.

Ainsi, en matière de vices du consentement (dol, erreur mais également violence), ces derniers ne constituent une cause de nullité affectant l’ensemble du contrat de travail « qu’à partir du moment où la considération de la personne a été déterminante du consentement »254à moins qu’il ne soit question d’une erreur inexcusable255. La chambre sociale de la Cour de cassation se réfère donc ainsi au droit commun puisque celui-ci considère également, par exemple, qu’il est nécessaire que le dol revête un caractère déterminant du consentement de l’autre partie au contrat256.

254 Ex. : cass. soc. 23 janvier 1992 SARL Oreda, BC V n°47 ; RJS 1992 n°240 in La nullité du contrat de travail, VERKINDT (P.-Y.), op. cit.

255 Cf. cass. soc. 3 juillet 1990 Racy c/Société Cart Expert France et a., arrêt n°3023, op.cit.

256 Cf. I.OMARJEE, Le dol à l’épreuve du contrat de travail, D.2000, somm. comm., p.13, chr. sous cass. soc. 30 mars 1999.

De plus, la considération de la personne du contractant peut être aussi déterminante du consentement de l’autre partie. En effet, bien qu’exigeant un lien nécessaire et direct avec l’emploi proposé257, certaines qualités attachées à cette personne vont conditionner le consentement de l’autre au contrat de travail sous réserve de procédures et manœuvres discriminatoires prohibées par l’article L.122-45 du Code du travail.

Ainsi, « le principe de non-discrimination ne peut avoir pour conséquence de faire disparaître l’intuitus personae qui est l’essence de certains contrats (on ajoutera : dont le contrat de travail) (…) L’utilisation de l’identité du cocontractant doit donc être raisonnable »258.

Cependant, va se poser directement la question de savoir où se situe la frontière entre les informations devant être relevées par le candidat à l’embauche et celles n’entrant pas le champ d’investigation de l’employeur259 ? Bien que le législateur ait posé des limites au pouvoir d’investigation de l’employeur lors des phases d’embauche du salarié260 et d’exécution de son contrat de travail, les juges du fond avalisés dans leur démarche par la chambre sociale, ont rétrécis volontairement, on l’a vu, le champ de la nullité du contrat de travail en ce que les vices invoqués sont rarement déterminants du consentement de la partie qui s’en prévaut ou qu’une faute de sa part peut lui être reprochée261.

Pourtant, le caractère déterminant du consentement d’une des parties au contrat de travail ne peut être totalement négligé. La preuve de celui-ci reste l’élément apparemment indispensable au prononcé de cette sanction.

Mais, la référence au caractère déterminant du consentement de l’une des parties au contrat ne s’arrête pas là. En effet, les parties, ou tout du moins l’une d’entre elles, peut avoir accepté de consentir à ce contrat de travail sous couvert de l’insertion d’une clause contractuelle spécifique.

Dès lors, que penser de la survie du contrat si cette clause est déclarée non valable car contraire à certaines dispositions de droit des contrats ou de droit du travail ? Il faut raisonner ici en termes de nullité de la seule clause du contrat de travail.

Si la disposition violée prévoit en effet la seule nullité partielle du contrat, aucune difficulté ne semble devoir se poser, cette sanction sera prononcée. Or, si les faits de l’espèce révèlent que l’une des parties a conditionné son accord envers ce contrat par l’existence de cette clause, dans les termes contenus par celle-ci au jour de la conclusion de la convention, le contrat peut être déclaré nul en ce qui concerne l’ensemble de ses dispositions. En effet, le caractère déterminant du consentement des ou d’une partie(s) au contrat de travail résulte alors, partiellement, de l’existence de cette clause et sa nullité entraîne alors l’annulation de la convention de travail.

257 Art. L.121-6 du Code du travail.

258 L’identité du cocontractant, RENUCCI (J.-F.), RTD Com 1993, pp.441-483.

259 T.AUBERT MONPEYSSE, note sous cass. soc. 16 février 1999 Mademoiselle Bentenat c/Institut Interprofessionnel de formation pour l’industrie et le commerce, arrêt n°853P, D.2000, JP, pp.97-100.

260 Art. L.121-6 et L.122-45 du Code du travail.

Selon l’article 1101 du Code civil, « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Dès lors, ce principe de liberté contractuelle étant affirmé, les parties à un contrat de travail peuvent voir leur consentement altéré par l’existence de vices inhérents à cette convention. De plus, ces mêmes contractants peuvent avoir soumis la validité de leur convention à un certaine nombre de conditions (prise en compte des qualités personnelles de l’autre partie, insertion de clauses au sein du contrat de travail).

L’ensemble de ces éléments apparaissent donc déterminants dans le prononcé de la nullité du contrat de travail. En effet, en l’absence de vice déterminant du consentement de l’une au moins des parties au contrat de travail, les juges prud’homaux se refusent au prononcé de la nullité du contrat de travail262.

Au contraire, en l’absence d’une clause ayant déterminé l’accord à la convention de l’un des deux contractants car cette dernière est considérée comme non valable, le contrat de travail doit alors être déclaré nul en son entier ; le contrat de travail qui resterait valable dans cette dernière hypothèse ne refléterait plus en effet la commune intention de ses contractants.

Cependant, les juges prud’homaux restent tout de même soumis au respect d’autres volontés en cette matière qu’est lanullité du contrat de travail : celle du législateur ayant édicté des dispositions impératives car d’ordre public et celle plus surprenante des partenaires sociaux.

261 Idem.

262 Cass. soc. 23 janvier 1992 SARL Oreda, op. cit.

Ces derniers ont ainsi permis de déclarer nuls des contrats de travail mettant à défaut les conventions et accords collectifs de travail applicables à la relation de travail. Pourtant, la chambre sociale de la Cour de cassation semble aujourd’hui avoir réduit à néant l’intervention de ces autres acteurs de l’entreprise.

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