Octroi de délai de paiement dans une cession de contrat par le juge

Section 2 Par le juge
Le juge intervient tout au long de la procédure. Il dispose d’importants pouvoirs. En ce qui concerne le domaine des contrats, en particulier, c’est lui qui détermine les contrats à céder dans le cadre d’un plan de cession, notamment. Il peut également octroyer des délais de paiement ce qui n’est pas sans incidence sur la force obligatoire du contrat. (§1) D’autre part, l’article L 621-25 du Code de commerce permet au juge-commissaire de procéder à une substitution judiciaire de garanties en cas de vente d’un bien grevé d’une sûreté spéciale. (§2)
Paragraphe 1 Par l’octroi de délais de paiement
Le juge peut octroyer des délais de paiement dans le cadre d’un plan de cession (A) et d’un plan de continuation. (B)
A Dans le cadre d’un plan de cession
Selon l’article L 621-88 al 3 du Code de commerce, en cas de cession de contrats au profit du repreneur, « ces contrats doivent être exécutés aux conditions en vigueur au jour de l’ouverture de la procédure, nonobstant toute clause contraire, sous réserve des délais de paiement que le tribunal, le cocontractant entendu ou dûment appelé, peut imposer pour assurer la poursuite de l’activité . »

87 Pour MM. Derrida, Godé, Sortais op. cit. p. 263 n° 1586, l’indivisibilité naturelle n’est pas concernée par l’article L 621-28 al 6 du Code de commerce, elle peut donc jouer. Contra Montredon, Didier, M.H. Monsérié, Ripert et Roblot.
88 F. Derrida, Rep. Civ., Indivisibilité.
89 Com 8 déc 1987, D. 1988, jurisp., p. 52 note Derrida.

Le législateur permet au tribunal « d’imposer » des délais de paiement au cocontractant mais il s’agit d’une faculté en raison de l’emploi du verbe « peut ». Le tribunal a donc un pouvoir coercitif en la matière90. Les conditions dans lesquelles s’opère l’octroi de ces délais doivent être explicitées.
En premier lieu, il appartient au tribunal d’apprécier si l’octroi de délais de paiement au repreneur est utile. On peut d’ailleurs trouver surprenant, quant aux exigences requises pour choisir le plan de reprise le plus sérieux, que le tribunal puisse accorder des délais au repreneur pour le paiement de charges futures. En effet, on peut douter de la solidité financière et du sérieux du repreneur pour assurer le maintien de l’activité, si le tribunal estime que ce repreneur a besoin de délais pour remplir ses obligations pécuniaires à venir.
L’octroi de délais n’est pas de droit, il n’est en aucun cas automatique. Le tribunal doit apprécier son opportunité contrat par contrat et non pour l’ensemble des contrats cédés au repreneur. D’autre part, ces délais ne peuvent pas être demandés par le repreneur lui même, le tribunal est souverain quant à leur nécessité. Par contre, l’octroi de ces délais doit être indiqué au cocontractant, celui-ci devant être impérativement « entendu ou dûment appelé » sous peine de nullité. Sa situation est donc plus favorable que celle du repreneur même si sa consultation n’est en aucun cas assimilable à un consentement. Il s’agit pour le tribunal d’apprécier les conséquences financières de ces délais pour le cocontractant.
Enfin, le tribunal apprécie l’opportunité d’accorder ces délais « pour assurer la poursuite de l’activité ». Cela démontre que le contrat est perçu à travers sa dimension économique et plus seulement comme un lien juridique. En conséquence, l’accord des parties n’est pas nécessaire dès lors que l’objectif de maintenir l’activité économique de l’entreprise est satisfait. Cet octroi de délais sans l’accord des parties est donc contraire au principe de l’autonomie de la volonté des parties mais également au principe de la force obligatoire du contrat. Le principe de l’intangibilité du contrat n’est pas respecté puisque ces échéances initiales sont modifiées sans l’accord des parties. Pourtant ces atteintes sont à nouveau justifiées par la finalité économique du contrat qui supplante la vision classique du contrat qui le considère comme un rapport personnel unissant deux individus. Ainsi l’exécution du contrat est modifiée unilatéralement et judiciairement.

90 CA Montpellier 7 mai 1991 D. 1991 note Derrida : « Le terme « imposer » confère au tribunal le pouvoir d’apprécier souverainement l’exigence de soumettre le cocontractant à des délais de paiement sans qu’il soit nécessaire que le repreneur en fasse la demande. »

Il convient à présent de s’interroger sur la durée de ces délais. L’article L 621-88 al 3 du Code de commerce ne mentionne pas la durée de ces délais. Ce fut donc à la jurisprudence de se prononcer sur ce point. Elle n’est d’ailleurs pas unanime. Elle a rendu des décisions dans le sens de la défense du lien contractuel estimant que les délais octroyés ne devaient pas dépasser la durée du contrat convenue initialement par les parties.91 D’autres décisions vont dans le sens de la conception économique du contrat, selon laquelle le respect de la durée initiale du contrat réduirait l’efficacité même de ce mécanisme. En somme, comme le souligne E. Jouffin92, il faudrait adopter une solution médiane alliant « la prise en compte cumulative de la nature du contrat, de la situation du créancier qui doit subir la charge de ces de ces délais et enfin des besoins inhérents à la poursuite de l’activité. »
B Dans le cadre d’un plan de continuation
Lors d’un plan de continuation, le débiteur, redevenu in bonis, doit tout de même rembourser son passif dont il n’est pas déchargé. A cette fin, les créanciers peuvent lui accorder des délais et remises. Aux créanciers qui n’auraient pas accepté de faire de remises, le tribunal peut décider de leur imposer des délais uniformes de paiement93.
En d’autres termes, les créanciers qui n’ont pas accepté de faire de remises seront désintéressés totalement mais le tribunal peut néanmoins leur imposer des délais de paiement à défaut de pouvoir leur imposer de remises. Il s’agit ici d’une simple faculté comme dans l’article L 621-88 du Code de commerce. Mais si le tribunal impose des délais de paiement aux créanciers récalcitrants, ces délais doivent être les mêmes pour tous. Ce dispositif constitue une atteinte à la libre volonté du créancier qui doit accorder des délais contre son gré. De plus, le principe de l’intangibilité du contrat est mis à mal puisque l’exigibilité de la dette est reculée.
De même, si à première vue, le fait que ces délais doivent être uniformes pour l’ensemble des créanciers paraît conforme au principe de l’égalité des créanciers, en pratique ce principe n’est pas respecté. En effet, il n’est pas tenu compte de la situation individuelle de chaque créancier94 ce qui aboutit à une solution inégalitaire car l’échéance initiale propre à chaque créance n’est pas prise en compte pour fixer la nouvelle échéance, celle-ci étant commune à tous les créanciers.

91 Versailles 27 mai 1987, Rev. Proc. Coll. 1987, n°4 p. 78 obs. Soinne.
92 E. JOUFFIN, op. cit. n°384.
93 Article L 621-76 du Code de commerce.
94 F. PEROCHON et R. BONHOMME, op. cit. n° 326 et suiv. , qui donne un exemple chiffré.

D’autre part, la durée des délais n’est pas limitée à la durée du plan, ce qui est très favorable au débiteur au détriment une nouvelle fois du cocontractant créancier. La seule limitation posée par l’article L 621-76 du Code de commerce est que « en ce qui concerne les créances à terme », les délais imposés par le tribunal ne peuvent être supérieurs à ceux « stipulés par les parties avant l’ouverture de la procédure. » Ces créanciers, qui sont souvent des cocontractants dont les contrats se poursuivent dans
le cadre du plan de continuation, voient leur libre volonté altérée pour satisfaire les objectifs du plan de continuation qui sont le redressement de l’entreprise en premier lieu et le règlement du passif en second lieu.
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Mémoire de DEA Droit des affaires
Université Robert Schuman de Strasbourg
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