Les difficultés d’application de la réforme T2A 

Trajectoires patients, réseaux et filières de soins, et approche de type contrat optimal – Troisième Partie :
Les effets positifs attendus de la mise en place de la Tarification à l’Activité sont nombreux et intéressants en termes d’incitations à l’effort de maîtrise des dépenses et à l’innovation. Ses implications seront potentialisées par les autres volets du plan « Hôpital 2007 ». Beaucoup s’accordent à dire, dont M. Claude Le PEN49, que cette réforme du mode de tarification ne pourra être bénéfique que si elle s’accompagne de la mise en place d’une nouvelle gouvernance à l’hôpital, pour que réduction des coûts puisse rimer avec qualité.
Cependant, des difficultés sont tout de même à prévoir lors de la mise en œuvre de cette réforme. Les professionnels de santé, les fédérations représentatives de l’Hospitalisation publique et privée en sont conscients. De plus, le Conseil économique et social dans son rapport consacré à l’hôpital public pointe les effets pervers auxquels la réforme va être confrontée (1).
Lors d’une entrevue avec M. Lionel PERRIER, économiste de la santé au G.R.E.S.A.C., celui-ci m’a fait part de son inquiétude quant au maintien du séjour comme unité de facturation, selon lui insuffisante pour représenter précisément les réalités de l’activité hospitalière (Cf. infra). Sur la base de son travail effectué dans sa thèse de doctorat de sciences économiques sur le concept de trajectoire patient en cancérologie pédiatrique, il pense que la prise en compte de ce concept inséré dans un réseau ou une filière de soins, en lieu et place d’un établissement de soins isolé, serait plus représentative (2) et permettrait d’améliorer la qualité et la précision de l’information hospitalière au profit de la tutelle étatique.
De plus, l’étude de Benoît DERVAUX montre que dans le fonctionnement de l’hôpital ou de la clinique, le médecin a un rôle central. Il est l’interlocuteur direct du patient, il est le producteur de soins par excellence et c’est donc logiquement cet acteur qui possède le plus haut degré d’information sur le case-mix de l’établissement de santé. BOADWAY R., MARCHAND M. et MOTOHIRO S. tentent de définir le contrat optimal pour réguler la relation qui existe entre d’une part, le gouvernement, les gestionnaires d’autre part, et enfin les médecins (3).
3.1 – Risque moral et sélection adverse ne disparaissent pas
Le Conseil Economique et social, dans son rapport sur l’hôpital public prévoit des difficultés d’application de la réforme. De plus, professionnels de santé et économistes semblent penser que la mise en place de la Tarification à l’Activité ne résoudra pas le problème du risque moral et laissera possible la sélection adverse50.
3.1.1 – « Des questions essentielles restées en suspens » [Conseil Économique et Social, 2005]
3.1.1.1 – La modulation des tarifs nationaux
L’activité est calculée en appliquant des tarifs relatifs aux activités M.C.O. pondérés par un coefficient géographique pour les hôpitaux publics et P.S.P.H. anciennement sous D.G.F. et des coefficients spécifiques pour les établissements privés à but lucratif51. Dans son rapport d’exécution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, la Cour des Comptes, citée par le C.E.S., indique que ces coefficients n’ont pas été calculés sur des bases adéquates : « ces coefficients n’ont pas été établis sur une base technique mais ont correspondu à des décisions politiques, en particulier en ce qui concerne PARIS et la Petite Couronne… ». En effet, l’application des coefficients géographiques ne doivent pas masquer la situation réelle des hôpitaux. Le C.E.S. préconise donc un aménagement de la réforme pour que les inégalités interrégionales soient mieux prises en compte52.
3.1.1.2 – Le périmètre des Missions d’Intérêt Général et d’Aide à la Contractualisation (M.I.G.A.C.)
Une autre question inquiète la communauté hospitalière. Nul ne sait actuellement quel sera le périmètre des missions d’intérêt général. Cette imprécision a d’ailleurs suscité plusieurs questions inquiètes lors du colloque national organisé par l’Union Régionale des Médecins Libéraux d’Île de France sur la T2A53. Le décret du 8 avril 2005 liste les missions d’intérêt général appelées à bénéficier d’un financement spécifique54 sous forme de dotation annuelle en sus des tarifs de G.H.S. Cependant, le champ de ces M.I.G.A.C. retenu est large et ses contenus sont assez flous pour permettre de limiter les risques liés à l’application de la Tarification à l’Activité. Ces missions comprennent l’enseignement et la recherche, la participation à des politiques de santé publique, et la prise en charge de populations spécifiques. Cependant, le C.E.S. affirme la nécessité que la fixation du champ et du montant de l’enveloppe M.I.G.A.C. ne conduise pas à dénaturer le système de la T2A. Il faudra donc évaluer le coût individualisé de chaque mission avec précision.

50 L’Hôpital public en France, bilan et perspectives, rapport et avis présentés par MOLINIÉ Éric., Conseil Économique et Social, 28 juin 2005.
51 Cf. supra.
52 Aménagement du territoire et établissements de santé, rapport et avis présentés par M. PICARD M., au nom de la section des économies régionales et de l’aménagement du territoire, Conseil Économique et Social, 2004.

3.1.1.3. – La question de l’unicité tarifaire
Le calendrier de la réforme prévoit une montée en charge progressive. Les deux échelles tarifaires (du public et du privé) devraient théoriquement converger à l’horizon 2012 concernant les activités Médecine chirurgie obstétrique (M.C.O.). Cependant, si l’utilité d’une convergence tarifaire semble ne pas poser de problèmes, celle d’une unicité de l’échelle tarifaire semble plus inquiétante du fait des différences structurelles des secteurs public et privé55.
3.1.2. – « Des risques et des effets pervers potentiels » [Conseil Économique et social, 2005]
Les effets pervers potentiels de la réforme sont déjà connus. Le système se basant sur le P.M.S.I. et sur la tarification à la pathologie, il en reprend les principaux défauts. Afin de les atténuer, le système met en place une articulation entre tarification à l’activité et mode de financement sous forme de Dotation Globale de Fonctionnement. Cependant, comme nous allons le voir, les comportements stratégiques restent possibles. Néanmoins, Alain COULOMB, président de l’A.N.A.E.S., pense que des mesures de correction existent et enfin Claude Le PEN affirme « qu’une mise en œuvre perverse peut annihiler les vertus théoriques du système »56.
3.1.2.1 – Effets pervers prévisibles
Le premier risque est celui de la sélection des patients. En effet, les services au-dessus du coût moyen de traitement d’une pathologie devront diminuer leurs coûts en adoptant de meilleures pratiques. Chaque établissement possède des points forts et des points faibles pour certaines pathologies, ceci conduirait logiquement à une spécialisation des hôpitaux. De plus, dans l’hypothèse où il existe des économies d’échelle, il existe une tendance à la concentration des activités. Mais le phénomène de sélection des patients est le risque qui inquiète plus particulièrement les professionnels de santé. Cette inquiétude est accentuée par le fait que les pays qui ont adopté un système de tarification à la pathologie ont systématiquement observé ce comportement stratégique négatif.. La fixation d’un tarif par G.H.S. risque de conduire les établissements de santé à délaisser les activités jugées les moins rentables, à multiplier les séjours, les interventions et les actes non justifiés.
Le Conseil économique et social distingue deux types de risques de sélection des patients :
− le risque existe a priori : l’établissement refuse de développer des activités présumées déficitaires comme la prise en charge des personnes très âgées,
− ou le risque est présent a posteriori : dans ce cas, l’hôpital transfère le patient dans une autre structure.
On peut juste retenir que la sélection porte essentiellement sur le pathologies les plus sévères ou les patients les plus lourds à traiter.
Le C.E.S. pointe également le risque inflationniste. Selon cette institution consultative, l’objectif majeur de la T2A était de permettre une répartition équitable des ressources entre les régions. Mais il pointe également le risque de voir, en cas d’application brutale de la réforme, des conséquences négatives sur les hôpitaux plus riches et d’enrichir indûment d’autres établissements. Dans ce cas, le nouveau mode de financement destiné à éviter la constitution de rentes de situation en créerait de nouvelles ! En effet, lier le financement à l’activité pourrait avoir les mêmes effets que le prix de journée. On pourrait observer un gonflement artificiel de l’activité et un fractionnement des séjours. Le maintien du financement de certaines activités par dotation annuelle fait également courir le risque d’une surévaluation du coût de ces activités (on pense ici principalement aux M.I.G.A.C.). Bruno PALIER estime que la T2A risque d’orienter les hôpitaux « vers les activités rentables, tout en créant une concurrence accrue entre secteurs publics et privé, voire entre établissements publics eux-mêmes. Ces transformation du mode de financement des prestataires de soin témoignent de la volonté de faire reposer la régulation du système sur des mécanismes de marché, les modalités étatiques ou négociées de la régulation ayant échoué. Dans un contexte où le budget n’est pas limité a priori, ce type de régulation ne peut que conduire à une augmentation des dépenses de santé »57. En effet, le fait de procéder par objectifs de dépenses et non par enveloppes à ne pas dépasser, à l’exception des M.I.G.A.C., fait que les hôpitaux ne sont pas incités à réduire leurs dépenses. Nous pourrions même dire au contraire car le système comporte même des incitations à développer l’activité.
Mais il existe surtout un risque de dégradation de la qualité des soins. En effet, un établissement de santé peut chercher à segmenter les séjours. Dès lors qu’un G.H.S. est facturé à chaque séjour, l’établissement peut facturer deux G.H.S. à chaque fois qu’il est possible de scinder un séjour en deux séjours de courte durée.
Par ailleurs, l’objectif de réduction des coûts introduit par la T2A peut conduire les hôpitaux à diminuer la qualité des soins prodigués. Ils peuvent par exemple diminuer excessivement la durée de séjour ou encore externaliser certaines activités peu rentables vers d’autres structures. La diminution de la qualité peut également s’illustrer par la tendance qui consiste à faire sous-traiter certaines activités. Enfin, du point de vue médical, ce risque peut se traduire par une diminution de certains examens complémentaires pourtant nécessaires. Les hôpitaux seraient ainsi tentés de réduire les coûts des services supports comme l’imagerie médicale.
Enfin, le C.E.S. note un effet ambivalent de la réforme sur l’innovation et la prévention. En effet, si les tarifs nationaux sont fixés à des niveaux trop bas, les établissements de santé seraient alors contraints d’écarter certaine techniques innovantes, mais le plus souvent onéreuses. Le C.E.S. observe que les coûts hospitaliers sont très dépendants de l’évolution du coût des progrès technologique et pharmaceutique. Il faut donc que la grille tarifaire nationale évolue au même rythme. Dans le cas contraire, le C.E.S. estime que cette réforme ne sera « qu’un moyen de réguler la vitesse d’apparition de nouvelles technologies coûteuses qui, si les établissements les adoptent trop rapidement, feront exploser leurs coûts »58. Mais cet effet est ambivalent, car une étude observant la diffusion de la technique de coronarographie interventionnelle dans le traitement de l’infarctus du myocarde aux Etats- Unis fait état de l’accélération de cette diffusion notamment grâce à la mise en place d’un système de tarification à l’activité, alors qu’elle a été plus lente en France avec le système de dotation globale59.
On peut sans doute affirmer que la T2A porte en elle, à la fois ses risques potentiels et ses mesures de correction.

57 PALIER Bruno, La réforme des systèmes de santé, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, mai 2004.
58 L’Hôpital public en France, bilan et perspectives, rapport et avis présentés par MOLINIÉ Éric., Conseil Économique et Social, 28 juin 2005, p. 168.

3.1.2.2. – « La tarification finalement c’est un art d’exécution plus qu’un art de conception » [Claude Le PEN, 2005]
Alain COULOMB, directeur de l’Agence Nationale d’Accréditation des Établissements de Santé (A.N.A.E.S.) pense qu’il est possible de remédier à ces effets pervers potentiels. Selon lui, « la qualité des soins peut être tout autant impactée par le montant des ressources allouées aux établissements – quel que soit le mécanisme de financement – que par les effets induits par le mécanisme de financement lui-même »60.
Le Conseil Économique et Social affirme que si les risques potentiels sont conséquents, il convient néanmoins de les relativiser à la lumière des expériences étrangères mais aussi à la lumière de la réforme elle-même.
Tout d’abord, on peut nuancer le risque de sélection des patients en rappelant l’obligation générale d’accueil figurant dans les missions premières du service public hospitalier. Le risque inflationniste est quant à lui encadré par un mécanisme de régulation de type prix/volume. Si les dépenses d’hospitalisation augmentent davantage que les prévisions réalisées en début d’année, alors les tarifs sont abaissés pour l’année suivante. Ce mécanisme peut même s’appliquer en cours d’année si le dérapage est trop rapide. Le C.E.S. indique que les tarifs ont été abaissés de 2,6 % entre 2004 et 2005.
Pour éviter une dégradation de la qualité, Alain COULOMB pense que deux conditions doivent être réunies :
− la disponibilité de l’information : il pense que la croissance du consumérisme entraîne une pression grandissante pour que l’information soit disponible, afin que le patient puisse choisir librement et en toute connaissance de cause son lieu d’hospitalisation,
− le maintien d’une possibilité de choix : ceci implique donc le maintien d’une situation de concurrence entre les établissements.

59 EXPERT P., La tarification à l’activité, BERGER-LEVRAULT, 2004 in L’Hôpital public en France, bilan et perspectives, rapport et avis présentés par MOLINIÉ Éric., Conseil Économique et Social, 28 juin 2005, p. 168.

60 COULOMB A., Intervention, Actes du colloque national T2A, Union Régionale des Médecins Libéraux d’Île de France, Section Spécialistes, 16 juin 2004.
Alain COULOMB pense également que les dispositifs d’inspection et de contrôle de l’Etat et de l’Assurance Maladie ont un rôle majeur à jouer. En effet, ces actions pourraient être orientées de manière à déceler et corriger ces effets pervers potentiels. D’ailleurs ces considérations pourraient être prises en compte lors de la procédure d’accréditation.
Selon Claude Le PEN, le problème essentiel réside dans le statut des personnels. Si un hôpital public est non productif, il n’est pas possible de licencier le personnel, il n’est pas possible de fermer l’hôpital et il n’est donc pas possible de le mettre en faillite. Selon lui, « il faudrait avoir une responsabilité des gestionnaires vis-à-vis de leur tutelle de sorte que s’ils sont en déficit, ils ont échoué dans leur mission de gestion et donc ils sont remplacés. À tout système de tarification doit être associé un système de responsabilité, le responsable doit pouvoir être comptable dans tous les sens du terme de l’équilibre et du respect des tarifs »61.
Pour sa part, le C.E.S. préconise aux hôpitaux de s’attacher à la maîtrise des processus de prise en charge du patient en repérant les problèmes d’orientation, de sorte et les interactions avec les services supports tels l’imagerie médicale. Cette analyse est globale et ne s’attache pas uniquement à l’aspect clinique du patient : elle s’intéresse au parcours du patient (Cf. infra).
Mais le problème essentiel de la réforme est qu’il garde du P.M.S.I. une unité de tarification basée sur le séjour qui ne permet pas de rendre compte de ce parcours du patient qui peut être représenté par le concept de trajectoire-patient.

61 Le PEN C., Intervention, Actes du colloque national T2A, Union Régionale des Médecins Libéraux d’Île de France, Section Spécialistes, 16 juin 2004.

Lire le mémoire complet ==> (Un nouveau mode de financement du service public hospitalier en France :
le passage à la tarification à l’activité dans le cadre du plan « hôpital 2007 »)
Mémoire Présenté et soutenu par Fabien LAFFITTE – Institut d’Etudes Politiques de LYON
Université LUMIERE LYON II
 

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