La T2A dans l’Hospitalisation privée : implications économiques

2.3.3. – Les implications économiques de la mise en place de la T2A dans l’Hospitalisation privée
Même si la situation économique et financière du secteur hospitalier privé lucratif peut paraître tout à fait enviable, et malgré les vives suppliques de ce secteur pour obtenir un mode de financement harmonisé entre public et privé sur la base du niveau d’activité, ce secteur est de plus en plus réticent à la mise en place de la T2A. Ces inquiétudes se sont exprimées au cours d’un colloque national sur la T2A organisé par l’Union Régionale des Médecins Libéraux d’Île de France le 16 juin 2004. Il faut néanmoins noter que l’inquiétude était accentuée par l’absence de parution des circulaires tarifaires pour le secteur public et P.S.P.H. et pour le secteur privé.

48 ENGEL F., BEAU E., Mise en œuvre de la comptabilité analytique dans les hôpitaux et cliniques, Rapport de synthèse de la première phase (octobre 2003 – mars 2004), ministère de la Santé et de la Protection sociale, Mission nationale d’Expertise et d’Audit Hospitaliers, 20 mars 2004.

Nous allons articuler notre propos essentiellement autour de la présentation de Benoît DERVAUX du Centre de Recherches Économiques, Sociologiques et de Gestion (CRESGE) rattaché à l’Université Catholique de LILLE. En effet, cet auteur est venu présenter l’analyse économique des implications de la mise en place de la Tarification à l’Activité dans l’Hospitalisation privée en France. Son argumentation se décompose en deux parties :
− analyse de l’impact du passage à la T2A sur le mode de coordination entre médecins et gestionnaires d’établissements dans les deux secteurs (public et privé),
− étude théorique de l’impact de cette réforme sur la concurrence entre les deux secteurs.
2.3.3.1 – L’impact du passage à la T2A sur le mode de coordination entre médecins et gestionnaires d’établissements dans les deux secteurs
La particularité de son travail est de ne pas se focaliser sur les différentes questions suscitées par la tarification à la pathologie mais de s’être plutôt posé la question de savoir comment un tel système peut influer sur la façon dont les médecins et les cliniques coordonnent leur activité dans le cadre du suivi d’un patient lors d’un séjour.
Il fonde son analyse sur une formalisation inspirée par celle utilisée par CUSTER et al. et par DOR et WATSON en l’adaptant au mode de financement français :
− 2 x 2 agents : clinique privée et hôpital public composés chacun d’un médecin et d’un gestionnaire qui coordonnent leurs activités pour traiter une population homogène de patients,
− 2 x 2 variables de décision : les médecins (du privé et du public) décident de leur niveau d’effort; les gestionnaires décident du niveau des ressources mises à disposition,
− 2 x 2 objectifs économiques : le médecin et la clinique privée maximisent leur profit, le médecin et l’hôpital public maximisent leur utilité. La satisfaction du patient est prise en compte par chacun des acteurs dans sa fonction objectif,
− 2 types de financement : avant la réforme T2A, paiement à l’acte pour le médecin en clinique privée, forfait technique et paiement à la journée pour la clinique et D.G.F. pour l’hôpital public; après la réforme T2A, paiement à l’acte pour le médecin en clinique privée, forfait G.H.S. pour la clinique et l’hôpital.
L’auteur a opéré deux parti-pris préalables. D’une part, il considère que le passage à la T2A maintient les niveaux de paiement antérieurs pour se concentrer uniquement sur les changements provoqués par le passage à la T2A sans interférence de quelconques fluctuations budgétaires. D’autre part, la double échelle tarifaire, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est maintenue, en supposant que les tarifs du privé seront inférieurs à ceux du public.
Selon M. DERVAUX, les choix opérés par le médecin et la clinique, et les implications d’un changement de mode de tarification, dépendent de leur capacité à coopérer. Il distingue trois cas de figure :
− absence de coopération : le médecin et la clinique exercent leur activité sans se soucier des choix opérés par le partenaire. Chacun pense que ses choix ne peuvent influer sur l’activité de son partenaire,
− médecin leader dans la relation médecin-clinique : le médecin a conscience qu’en choisissant habilement son intensité des soins et sa durée d’hospitalisation, il est capable d’inciter la clinique à opérer des choix dans son intérêt de médecin,
− coopération entre médecin et clinique : le médecin et la clinique coopèrent pleinement dans le sens où chacun d’entre eux est prêt à sacrifier son propre intérêt dans celui de son partenaire afin d’améliorer la situation globale du couple médecin-clinique, ceci peut être le cas quand le médecin est actionnaire de la clinique).
Concernant le secteur privé, cet auteur conclut que le médecin a toujours intérêt à être leader dans sa relation avec la clinique alors que la clinique peut tirer profit d’une absence de coopération. Cependant, le passage à la logique T2A vient bouleverser les choses. En effet, la clinique peut avoir intérêt à laisser le médecin être leader si aucune coopération n’est possible. Car la réforme introduit un effet de synergie entre leurs actions du fait de la durée de séjour dans le financement de la clinique. Par contre, si la coopération est possible, le profit joint des deux acteurs sera plus important avec la T2A qu’avant la réforme. On peut donc affirmer que la T2A incite à plus de coopération entre médecins et gestionnaires. Si l’on détaille davantage, on peut observer que :
− Avant la réforme T2A, le passage à la coopération entraîne un impact indéterminé sur le niveau d’effort du médecin, la durée d’hospitalisation et le volume de ressources mobilisées par la clinique. Mais il permet aussi d’augmenter le profit joint mais n’a que peu d’influence sur le profit individuel du médecin ou de la clinique. Et enfin, l’impact sur la demande est indéterminé, le patient peut y perdre ou y gagner.
− Après la réforme T2A, le passage à la coopération entraîne l’augmentation du niveau d’effort du médecin, une diminution de la durée de séjour et une augmentation du niveau d’inputs de la clinique. Ceci permet également l’augmentation du profit joint et les profits individuels de la clinique et du médecin. Enfin l’impact sur la demande est positif.
En ce qui concerne l’hôpital public, les variables du modèle sont différentes car les objectifs économiques du médecin et du gestionnaire diffèrent. En effet, dans le secteur public, médecin et hôpital font leurs choix en termes de niveau d’effort et de montant d’inputs en vue de maximiser leur fonction-objectif composée, d’une part, pour le médecin, de la demande et du coût lié à l’effort et, d’autre part, pour l’hôpital, de la demande sous contrainte budgétaire. B. DERVAUX prend le parti de ne présenter que l’impact du passage à la T2A en l’absence de coopération médecin-hôpital :
− Si la demande est sensible au niveau des ressources mobilisées à l’hôpital, alors le niveau d’effort du médecin augmentera, la durée de séjour diminuera et le niveau d’inputs de l’hôpital augmentera. On peut également noter que la T2A améliore la satisfaction du médecin, de l’hôpital et des patients. Ceci se traduit par une augmentation de la demande,
− Si la demande est peu sensible, la T2A n’aura pas d’impact dans le secteur public.
2.3.3.2 – Impact du passage à la T2A sur la concurrence entre clinique privée et hôpital public
Le modèle s’articule de la manière suivante : le patient choisi la clinique ou l’hôpital en comparant la satisfaction qu’il retire des choix offerts par le privé et le public en termes de niveau d’effort du médecin et du niveau des ressources mobilisées, mais aussi de sa préférence naturelle pour le public ou le privé. La demande totale est considérée comme fixe et totalement satisfaite : si la demande du privé augmente, la demande du public diminue d’autant et inversement. Et l’auteur considère que la concurrence entre les deux secteurs s’opère dans un modèle où chacun des acteurs pense qu’il ne peut pas influencer les choix de l’autre.
Si on s’intéresse à l’impact de la réforme sur la répartition des parts de marché. L’impact de la T2A sera différent si il y a absence de coopération ou coopération entre médecin et clinique :
En cas d’absence de coopération, il faut distinguer :
− Si la demande est sensible au niveau des ressources mobilisées par l’hôpital public : le couple médecin-clinique ne réagit pas initialement à la T2A mais l’hôpital public réagit en augmentant le niveau d’inputs et le médecin augmente son effort, ce qui entraîne une augmentation de la demande de l’hôpital public au détriment du secteur privé. Le couple médecin-clinique réagit ensuite à la perte de demande en augmentant le niveau d’efforts et le niveau d’inputs : il récupère une partie de ses parts de marché perdues mais pas la totalité. À l’équilibre final, l’hôpital public aura gagné des parts de marché.
− Si la demande est peu sensible au niveau des inputs : ni le médecin ni le gestionnaire de la clinique ne réagissent au passage à la T2A. La réaction du médecin et du gestionnaire de l’hôpital public est identique. Le passage à la T2A aura alors aucun impact sur la concurrence.
Par contre si on se trouve dans un forme de relation médecin leader ou coopération entre médecin et clinique, la situation est fort différente :
− Si la demande est sensible au niveau des ressources mobilisées par l’hôpital public : l’hôpital et la clinique augmentent leur niveau d’effort et leur niveau d’inputs, l’impact sur les parts de marché respectives est indéterminé. Mais le patient tire bénéfice du passage à la T2A car les niveaux d’effort et d’inputs augmentent. L’impact sur le parts de marché est donc indéterminé.
− Si la demande est peu sensible au niveau des inputs : l’hôpital ne réagit pas initialement au passage à la T2A mais la clinique augmente son niveau d’inputs et le médecin augmente son niveau d’effort : le couple médecin-clinique gagne des parts de marché.
Les résultats de cette étude sont synthétisés dans le tableau suivant :
Tableau : Impact de la réforme de la réforme en fonction de la sensibilité de la demande aux ressources de l’hôpital public et en fonction du degré de coopération dans le secteur privé [DERVAUX G., 2003]

Degré de coopération dans le secteur privéSensibilité de la demande aux ressources de l’hôpital public
Faible sensibilitéForte sensibilité
Absence de coopérationPas d’impactL’hôpital public gagne des parts de marché
Coopération de type médecin leaderLa clinique gagne des parts de marchéÉvolution des parts de marché indéterminée.

Ce que l’on peut retenir de cette étude, c’est que dans tous les cas de figure, le passage à la T2A va inciter à plus de coopération entre médecins et gestionnaires de cliniques privées. Cette coopération peur également être bénéfique à l’hôpital public dans la mesure où il ne réagira pas au passage à la T2A.
Mais pour que cette concurrence soit fructueuse et vertueuse, il faut, et beaucoup le réclament, il faut parvenir à une convergence des modes de tarification entre les secteurs public et privé.
Cependant, l’ensemble de ces effets attendus positivement ne doivent pas faire oublier l’envers de la médaille. La T2A n’est pas sans failles et des effets pervers sont à craindre. L’approche de la tarification à l’activité est semble-t-il seulement une étape. D’autres facteurs doivent être pris en compte comme par exemple les lacunes de l’unité de facturation. Lionel PERRIER et d’autres auteurs préconisent l’emploi du concept de trajectoire-patient au sein de réseaux et filières de soins. Mais on pourrait pousser plus loin et présenter un modèle de type contrat optimal pour régir les flux d’informations entre le médecin, le gestionnaire et l’Etat.
Lire le mémoire complet ==> (Un nouveau mode de financement du service public hospitalier en France :
le passage à la tarification à l’activité dans le cadre du plan « hôpital 2007 »)
Mémoire Présenté et soutenu par Fabien LAFFITTE – Institut d’Etudes Politiques de LYON
Université LUMIERE LYON II
 

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