Prohibition du prêt de main-d’œuvre à but lucratif et son impact

Les limites introduites par la loi – Section II –

« Le droit du travail, branche du droit, recouvre l’ensemble des règles juridiques ayant pour objet, dans le secteur privé, les relations de travail entre employeurs et salariés »1. Bien qu’étant basé sur une relation commerciale entre l’employeur et son client, l’activité de prêt de main-d’œuvre repose également sur une relation de travail entre le salarié et son employeur et est donc objet des règles juridiques du droit du travail. Ces règles juridiques régissent « les rapports d’emploi (l’accès à l’emploi, le contrat de travail, les licenciements,…) »2 notamment ; les rapports d’emploi dans le cadre du prêt de main-d’œuvre sont concernés. Le droit du travail réglemente l’activité de prêt de main-d’œuvre notamment en ce qu’il prohibe le prêt de main-d’œuvre à but lucratif3. Au moment du recrutement l’activité de prêt de main- d’œuvre n’est pas totalement libre, cela a un impact considérable sur la création du lien d’emploi. Quel impact a l’interdiction légale de principe sur la création du lien d’emploi dans le cadre du prêt de main d’œuvre ? Cette interrogation soulève la nécessité d’étudier la prohibition du prêt de main-d’œuvre à but lucratif (§1) et de remarquer que certaines formes de prêt de main-d’œuvre étudiées sont à but lucratif sans être menacés de sanctions (§2).

§1 – Interdiction légale de principe

Le prêt de main-d’œuvre à but lucratif est prohibé sous peine de sanctions, ce sont les articles L. 125-1 et L. 125-3 qui nous l’enseignent. Le terme « lucratif » précise que toute opération de prêt de main-d’œuvre n’est pas interdite, les opérations ayant un but non lucratif ne sont pas visées par ces textes. Cette interdiction doit tout de même avoir une influence sur les formes de prêt de main-d’œuvre étudiées, certaines étant à but lucratif et d’autres non. Pour mesurer l’influence et l’impact de cette interdiction sur les formes de prêt de main-d’œuvre étudiées (A.) il faut tout d’abord en comprendre l’origine et l’étendue (B.).

A – Etendue de la prohibition

Deux infractions sont retenues au titre du prêt de main-d’œuvre : le délit de marchandage et le délit de prêt de main-d’œuvre illicite respectivement aux articles L. 125-1 et L. 125-3 du code du travail. Le délit de prêt de main-d’œuvre illicite est constitué dès lors que l’opération a un but lucratif et que l’objet de cette opération est exclusivement le prêt de main-d’œuvre. Il suffirait donc que l’objet de l’opération ne soit pas exclusivement le prêt de main-d’œuvre pour échapper à la sanction, il est facile d’adjoindre une prestation de service au contrat. Intervient alors le délit de marchandage, ce dernier ne nécessité pas de but exclusif. Pour être constitué il nécessite un but lucratif ainsi que d’avoir pour effet « de causer un préjudice au salarié » ou « d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail »1.
L’interdiction du marchandage remonte en 1848 en France, la République décrète alors « l’exploitation des ouvriers par les sous-entrepreneurs, ou marchandage, est abolie »2, mais les chambres Réunies décident ensuite que le délit de marchandage suppose une intention de nuire3. La portée du texte en était d’autant plus réduite, comment prouver l’intention de nuire. La loi du 3 juillet 19734 redéfini le délit de marchandage, l’intention de nuire n’est plus demandée, c’est en fonction de ses effets que l’infraction est constituée.
Le champ d’application concerne les opérations dans lesquelles un salarié est prêté, à but lucratif et selon l’article appliqué exclusivement ou causant un préjudice au salarié ou en éludant l’application de textes protecteurs. Pour certains cette définition légale faisait preuve d’insuffisances5, le juge a donc progressivement « défini les frontières du licite et de l’illicite » par la méthode du faisceau d’indices. Pour caractériser l’exclusivité de l’objet de l’opération du prêt de main-d’œuvre, dans le cadre de l’article L. 125-3, le juge s’appuie sur différents indices tels que l’objet du contrat de mise à disposition, l’encadrement des salariés fournis, la fourniture de matériel et le mode de rémunération6. Le caractère non exclusif signifie que l’opération de prêt de main-d’œuvre est la conséquence nécessaire de la réalisation d’une autre prestation. Le but lucratif des deux infractions est lui entendu largement, on vise le but recherché et non le but atteint, « la loi n’exige pas que l’opération envisagée ait rapporté un profit à l’entrepreneur mais énonce seulement que la fourniture de main-d’œuvre ait eu un but lucratif »7. Dans le cadre du délit de marchandage, un préjudice financier, une perte d’avantages ou encore le préjudice résultant de la méconnaissance de la législation relative au travail temporaire sont admis par le juge au titre du préjudice causé au salarié constitutif de cette infraction. Il est à remarquer que dans la lettre du texte le préjudice du salarié et la non application de textes protecteurs sont des conditions alternatives (emploi du terme « ou »), mais la jurisprudence les analyse souvent comme des conditions cumulatives. C’est que dans les faits le préjudice du salarié découle généralement de la non application d’un texte.
La sanction en cas d’infraction à ces textes est énoncée à l’article L. 152-3 du code du travail.
Il s’agit de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30000 € cumulativement ou alternativement, le juge a la possibilité de prononcer l’interdiction d’exercer l’activité de sous- entrepreneur de main-d’œuvre pendant deux à dix ans enfin le juge peut exiger la publicité du jugement aux portes des établissements de l’entreprises et dans les journaux.
Le tableau de lecture final qu’il reste à dresser est simple : les formes de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif ne tombent pas sous la prohibition (en entendant bien sûr le but recherché et non le but atteint ; les formes de prêt de main-d’œuvre à but lucratives sont prohibées si elles ont un caractère exclusif, si elles causent préjudice au salarié ou si elles ont pour effet d’éluder l’application de textes protecteurs. Le principe étant posé reste à vérifier ses conséquences sur les formes de prêt de main-d’œuvre étudiées.

B – Impact de la prohibition

En droit français existe ce principe de non exploitation de la main-d’oeuvre, cette dernière n’est pas une marchandise et ne peut faire l’objet de convention à but lucratif. La conséquence de ce principe se lit dans chacune des formes de prêt de main-d’œuvre étudiée, mais différemment.
Premier type de réaction : une réaction législative de respect du principe qui touche les groupements d’employeurs. Lors de leur création par la loi du 25 juillet 19851, le législateur a tenu à respecter les principes des articles L. 125-1 et l.125-3. Les groupements d’employeurs seront encadrés législativement de telle sorte qu’ils respectent ces articles, ils feront alors partie de la catégorie des prêts de main-d’œuvre à but non lucratif (non interdits). Pour respecter la non « lucrativité » de l’opération le législateur a fait appel à un instrument du droit civil : les associations. Les groupements d’employeurs se constituent nécessairement sous la forme d’association, le texte le précise clairement : « Ces groupements ne peuvent effectuer que des opérations à but non lucratif. Ils sont constitués sous la forme d’associations déclarées de la loi du 1er juillet 1901 »2. Or une association déclarée est en elle-même une personnalité ne pouvant mener son activité à but lucratif. Les deux phrases du texte forment une redondance, on ressent la volonté ferme du législateur. Le régime juridique des associations doit être respecté, une déclaration doit être effectuée en préfecture ou sous-préfecture, dans le ressort de laquelle le groupement a son siège social. Il bénéficie alors d’une personnalité juridique mais restreinte car elle ne lui permet pas la réception de libéralités et l’acquisition d’immeubles à titre onéreux en dehors de ceux strictement nécessaires à l’accomplissement de l’objet social. La forme associative interdit bien tout enrichissement provenant de l’activité de prêt de main-d’œuvre, si ce dernier n’est pas intégralement reversé dans l’accomplissement de l’objet social. La réalisation de profits n’est pas interdite mais si des profits sont réalisés ils devront être consacrés à l’objet social, par exemple à l’achat de matériel permettant l’activité du groupement ou encore l’acquisition de nouveaux locaux. La sanction spécifique du non respect de l’article L. 127-1 est prévue à l’article L. 152-5, si un groupement exerce un but lucratif ou n’a pas la forme d’une association (ou ne respecte pas le régime juridique des associations) une infraction passible de 3750 € sear caractérisée, « la récidive est punie d’une amende de 7500 € et d’un emprisonnement de six moisou de l’une de ces deux peines seulement ». Le juge peut également ordonner la publicité du jugement à la porte du siège du groupement, aux portes des entreprises utilisatrices et dans les journaux. La peine est moins sévère qu’en cas d’infraction aux articles L. 125-1 et L. 125-3 du code du travail. Le droit du travail est entièrement respecté dans le cadre des groupements d’employeurs, ils ne prohibent pas l’interdiction du prêt de main-d’œuvre à but lucratif en leur texte.
Le portage salarial a lui une existence sans texte et utilise, pour mener son activité, les solutions préexistantes du droit, mais en matière de prohibition du prêt de main d’œuvre à but lucratif le portage salarial se retrouve à la limite de l’illégalité. Le second type de réaction intervient alors mais cette fois de la part du juge : le respect de la légalité préservé par le juge.
« Le portage se présente comme un montage juridique permettant à un individu de travailler en indépendant tout en relevant du statut de salarié »1. Mais le droit supporte mal ce montage juridique. Le salarié est prêté par la société de portage et il l’est à but lucratif (la société de portage perçoit en général une commission sur la transaction réalisée). De plus cette activité n’est pas réalisée dans le cadre des textes réglementant l’intérim, il y’a marchandage. C’est à ce niveau que le juge intervient. Si l’activité de portage se trouve déférée devant le juge, ce dernier sanctionnera au titre du marchandage2. Ce n’est qu’au prix de montages supplémentaires tels que le camouflage en contrat d’entreprise ou de prêt réalisé à titre gratuit que le portage échappera à la condamnation. Le droit ne peut accepter de prêt de main- d’œuvre à but lucratif et le juge sanctionne tout fait relevant de cette infraction.
Cette dernière est en partie fausse car le législateur a autorisé certaines formes de prêt de main-d’œuvre à but lucratif. Si jusqu’à présent nous avons remarqué que l’impact de la prohibition donnait toute sa force au principe de non spéculation sur la main-d’œuvre, nous allons voir maintenant que ce principe a été aménagé, aménagement encadré par la loi.
Lire le mémoire complet ==> (Le lien d’emploi et le tiers dans le cadre du prêt de main d’œuvre)
Mémoire présenté et soutenu en vue de l’obtention du Master Droit « recherche », mention « droit du travail »
Ecole doctorale des sciences juridiques, politique et de gestion (n°74) Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Lille 2, université du droit et de la santé

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