Condamnation de l’assureur au titre de la garantie d’assurance

Condamnation de l’assureur au titre de la garantie d’assurance

B. L’absence de condamnation au titre de la garantie d’assurance

1308. L’article 388-3 du Code de procédure pénale est le seul texte de la loi du 8 juillet 1983 à donner une indication sur l’effet de l’intervention de l’assureur au procès pénal, et il le fait en les termes suivants : « la décision concernant les intérêts civils est opposable à l’assureur qui est intervenu au procès ou a été avisé dans les conditions prévues à l’article 388-2 ».

1309. Pour des commentateurs, « la portée du chapitre [de la loi de 1983] concernant l’intervention de l’assureur au procès pénal est résumée en ces quelques lignes »2073.

Cependant, le texte n’envisage que l’opposabilité de la décision et ne fait pas référence à la possibilité de condamner l’assureur. L’article 388-3 ne prévoit donc pas expressément que le juge répressif puisse condamner l’assureur lorsqu’il statue sur les intérêts civils, mais il ne l’interdit pas non plus.

Nous sommes confrontés à une lacune du législateur qui « a voulu faire les choses à moitié, ou plutôt, n’a pas osé les faire complètement »2074. De plus, « il est assez étonnant de constater que les travaux préparatoires sont muets sur cette question qui semble ne pas avoir effleuré le législateur »2075.

1310. C’est donc à la jurisprudence qu’il a incombé d’interpréter l’article 388-3 pour décider si l’assureur intervenu ou mis en cause au procès pénal pouvait être condamné, ou si la décision devait seulement lui être déclarée opposable.

Les premières décisions d’application de ce texte montrent que les juges du fond ont eu du mal à en apprécier la portée2076. Pour certains magistrats, le jugement est commun à l’assureur2077; pour d’autres, l’assureur doit garantie2078 et pour d’autres encore le prévenu et l’assureur sont tenus in solidum2079.

1308 Crim. 30 janvier 2001, n° 00-83464; Crim. 15 mars 2006, n° 05-85874.

1309 Crim. 19 juin 2007, n° 06-87417, AJ Pénal 2007 p. 440 note C. Saas.

1310 L’article 10 alinéa 2 du Code de procédure pénale ne permet pas d’appliquer les articles 4 et 5 du Code de procédure civile (Crim. 28 mai 1986, Bull. n° 182; Douai 18 décembre 1984, Gaz. pal. 1985,2,748), d’accueillir une exception de péremption d’instance (Crim. 11 mars 1992, Bull. n° 109; Crim. 27 septembre 2000, n° 99-88024, Bull. n° 279), et ne concerne pas les frais de justice, qui sont régis par l’article 800-1 du Code de procédure pénale y compris lorsque le juge répressif statue sur les seuls intérêts civils (Crim. 8 janvier 2008, n° 07-82154, Dr. pén. 2008 comm. 38 note A. Maron, RCA 2008 comm. 118).

Il a donc fallu que la Chambre criminelle de la Cour de cassation donne son interprétation de l’article 388-3 (1°), interprétation qui a suscité des critiques (2°).

1°. Le principe de l’absence de condamnation de l’assureur, déduit par la Cour de cassation de l’article 388-3 du Code de procédure pénale

1311. Jurisprudence de la Chambre criminelle. La Chambre criminelle a parfois seulement indiqué, dans une motivation strictement conforme au texte, que « l’intervention volontaire ou forcée de l’assureur à l’instance pénale a pour objet, selon l’article 388-3 du Code de procédure pénale, de lui rendre opposable la décision rendue sur les intérêts civils », mais elle en a tiré la conséquence que l’assureur ne pouvait être condamné au titre de la garantie d’assurance2080.

1312. Le plus souvent, elle a adopté une motivation ajoutant à l’article 388-3, mais dont il ressortait plus explicitement que l’intervention de l’assureur « n’a d’autre effet que » 2081 ou encore « n’a pour objet que »2082 de lui rendre opposable la décision rendue sur les intérêts civils.

D’autres décisions expriment encore plus nettement la position de la Chambre criminelle, qui casse des arrêts d’appel ayant condamné l’assureur car le juge du second degré « n’avait d’autre pouvoir, en application des articles 385-1 et 388-3 du Code de procédure pénale, que de déclarer sa première décision opposable à l’assureur » 2083 ou encore « ne pouvait condamner l’assureur au lieu de lui déclarer la décision opposable en application de l’article 388-3 »2084.

A l’occasion, la cassation est prononcée sans renvoi, l’arrêt d’appel étant cassé et annulé en ses seules dispositions ayant condamné l’assureur2085.

Se heurtant à la résistance des juges du fond, la chambre criminelle a dû réaffirmer sa position de manière encore plus appuyée, l’exposant à deux reprises dans des motifs incidents qui ne s’imposaient pas eu égard aux litiges2086.

Cependant, il ne s’agit que d’une position de principe qui, pour ferme qu’elle soit, reçoit des exceptions2087. Il n’en reste pas moins que la Chambre criminelle évoque à l’occasion la citation d’un assureur devant le tribunal correctionnel « en déclaration de jugement commun »2088, étant rappelé que l’intervention en déclaration de jugement commun s’oppose à la mise en cause aux fins de condamnation2089.

1313. Jurisprudence de la Chambre civile. Pour le Professeur Groutel, la Première Chambre civile de la Cour de cassation admet implicitement dans un arrêt du 24 janvier 1995 que la juridiction pénale puisse condamner l’assureur2090.

Toutefois, l’arrêt énonce seulement que la forclusion instituée par l’article 385-1 du Code de procédure pénale ne concerne que l’action civile engagée devant la juridiction pénale et ne s’oppose pas à ce que l’assureur invoque contre son assuré, devant la juridiction civile, une cause de non garantie, « sans toutefois que puissent être remises en questions les obligations de l’assureur envers la victime, telles qu’elles ont été fixées par le juge pénal »2091.

1311 Crim. 5 février 1980, Bull. n° 47, Gaz. pal. 1980 p. 286 note P. Malaval, D 1980 IR 338 note M. Puech (poursuite pour faux témoignage); Crim. 4 janvier 1985, Bull. n° 11, JCP 1985 II 20521 note Benabent (poursuite pour subornation de témoins); Crim. 4 février 1991, Bull. n° 57, JCP 1992 II 21915 note P. Chambon (usage d’attestations mensongères); Contra Crim 21 février 2006 Bull. n° 49 (qui écarte l’application de l’art. 205 CPC en cas de violences).

1312 Crim. 8 octobre 1997, Bull. n° 329.

1313 Crim. 13 décembre 2005, n° 05-82776, Bull. n° 330, RSC 2006 p. 632 obs. A. Giudicelli, D 2006 IR 323.

En l’occurrence, il n’apparaît pas que la fixation des obligations de l’assureur envers la victime se traduise par la condamnation. L’arrêt réserve en effet le débat sur une cause de non garantie devant le juge civil.

Or, pour que l’assureur soit tenu à garantie, il faut non seulement que la responsabilité de l’assuré ait été reconnue et évaluée en son étendue, mais aussi que cette responsabilité soit garantie par l’assurance.

La fixation des obligations de l’assureur envers la victime devait vraisemblablement être comprise comme traduisant l’opposabilité à l’assureur de la décision fixant la responsabilité de l’assuré.

La position de la Chambre civile paraît donc être conforme à celle de la Chambre criminelle, qui n’admet en principe pas la condamnation de l’assureur, même si ce principe connaît des exceptions.

En tout état de cause la position de la Chambre civile est de bien faible portée devant le juge répressif, car celui-ci va plutôt s’en tenir à la jurisprudence de la Chambre criminelle.

La jurisprudence de la Chambre criminelle a fait l’objet de critiques, mais il nous semble que ce n’est pas la Cour de cassation qui est à blâmer en l’occurrence car son interprétation des textes apparaît correcte.

2°. Critique de la solution adoptée par la Cour de cassation

1314. L’absence d’indication de l’article 388-3. Il a été reproché à la Chambre criminelle d’ajouter à l’article 388-3 en affirmant que l’intervention de l’assureur n’a pour effet que de lui rendre la décision opposable.

Force est de constater que « l’article 388-3 n’en dit en réalité pas tant »2092. C’est d’ailleurs le principal grief adressé au législateur : il ne fournit pas la réponse à la question de l’effet de l’intervention de l’assureur.

Il a pu être soutenu que si l’article 388-3 n’a prévu que l’opposabilité, ce serait l’indice de ce que le législateur ne voulait pas donner plus de pouvoirs au juge pénal2093. Malheureusement, l’explication la plus plausible est que le législateur n’a pas envisagé du tout le problème de la condamnation de l’assureur2094.

1315. Recherche de la volonté du législateur. Aux yeux de certains commentateurs, l’interprétation de la Chambre criminelle n’est pas conforme aux intentions du législateur, ou du moins à la seule intention qu’il est concevable de lui attribuer.

A ce sujet, nous pouvons relever la terminologie employée car elle n’est pas anodine. Alors qu’il s’agit de déterminer les effets de l’intervention de l’assureur au procès pénal (opposabilité et/ou condamnation), la Cour de cassation, dans certaines décisions, et la doctrine évoquent l’objet de l’intervention, ce qui est révélateur.

Lorsque l’effet de l’intervention de l’assureur est envisagé comme son objet, cela renvoie à l’intention animant le législateur quand il a instauré cette intervention.

En particulier, le Professeur Beauchard exprime clairement son opinion lorsqu’il écrit que la faculté de condamner l’assureur « était toute la question de l’objet de l’intervention de l’assureur au procès pénal »2095.

1316. Ainsi que cela a été relevé, l’opposabilité à l’assureur de la décision sur les intérêts civils découle déjà de l’autorité de la chose jugée au civil et l’article 388-3 n’apporte donc rien à la victime s’il ne fait que confirmer cette opposabilité2096.

Si l’assureur ne peut être condamné par le juge répressif à indemniser la victime, celle-ci se trouve contrainte de saisir le juge civil pour obtenir un titre exécutoire contre un assureur récalcitrant.

Dans ces conditions, l’intervention de l’assureur au procès pénal n’apporte aucun avantage à la victime puisqu’elle ne lui permet pas de faire l’économie d’un second procès devant le juge civil.

Le seul intérêt pour la victime, voire également pour son assureur subrogé, est de pouvoir exercer l’action directe contre l’assureur du prévenu ou du civilement responsable devant le juge pénal. Ceci suppose que ce juge puisse prononcer une condamnation de l’assureur.

En clair, refuser au juge répressif la faculté de condamner l’assureur serait contraire au but affiché par le législateur dans la loi du 8 juillet 1983, « destinée à favoriser l’indemnisation des victimes d’infractions »2097.

1317. Ce raisonnement est rigoureusement exact d’un strict point de vue juridique, mais la pratique invite à y apporter des nuances.

Lorsque l’assureur n’a pas d’exception de garantie à opposer à la victime, il n’a aucune raison de ne pas lui régler l’indemnité fixée par le juge répressif au titre de la responsabilité civile de l’assuré. Ce ne serait pour lui « qu’une manœuvre d’arrière garde sans grand intérêt »2098.

En premier lieu, bien que la victime ne dispose pas d’un titre exécutoire contre l’assureur, il ne lui est pas bien difficile d’en obtenir un par la voie du référé, plus simple et plus rapide que l’assignation au fond devant le juge civil.

En second lieu, l’assureur qui refuserait de régler l’indemnité sans justifier d’une exception valable de garantie s’exposerait même à une condamnation pour résistance abusive, le caractère dilatoire de la manœuvre étant flagrant.

1318. Recherche de la volonté du législateur dans l’ensemble de la loi de 1983. L’article 388-3 n’étant pas explicite et les travaux parlementaires ne donnant pas d’indication décisive, la volonté du législateur peut être recherchée grâce à l’examen d’autres dispositions de la loi du 8 juillet 1983.

Notamment, l’article 385-1 prévoit que le juge répressif ne peut pas connaître de toutes les exceptions de non assurance que l’assureur peut être amené à soulever2099.

Il en résulte que le juge répressif ne peut statuer sur l’action directe de la victime (ou de son assureur subrogé) contre l’assureur du responsable, car le débat n’est pas entièrement épuisé sur la garantie d’assurance et il risquerait de prendre une décision mal fondée2100.

En d’autres termes, l’assureur ne peut en principe pas condamner l’assureur du responsable, car celui-ci peut faire valoir des exceptions qu’il appartient au juge civil de trancher.

En limitant la compétence du juge répressif sur les problèmes de garantie d’assurance, le législateur a implicitement renvoyé au seul juge civil le problème de la condamnation de l’assureur du responsable envers la victime.

Le juge répressif ne pouvant valablement statuer que sur la responsabilité de l’assuré, il ne peut condamner l’assureur et l’opposabilité de la décision sur la responsabilité est le seul effet, à l’égard de l’assureur, de son intervention.

1319. En dépit des ambitions affichées par le législateur, le texte de la loi de 1983 n’est donc pas de nature à améliorer le sort de la victime.

La combinaison des articles 388-3 et 385-1 du Code de procédure pénale conduit à considérer que le juge pénal ne pouvant normalement pas statuer sur tous les aspects de la garantie, il ne peut en principe pas prononcer la condamnation de l’assureur.

Cette justification du principe a pour corollaire que lorsque l’assureur ne peut pas opposer une exception de garantie à la victime, le juge répressif statuant sur les intérêts civils doit pouvoir le condamner à l’indemniser. Il le fait d’ailleurs à l’occasion2101.

1320. De ceci, il résulte qu’à défaut d’être conforme à la volonté affichée par le législateur d’améliorer le sort des victimes, la jurisprudence interprétant l’article 388-3 comme posant le principe de l’absence de condamnation de l’assureur par le juge répressif est en conformité avec les dispositions issues de la loi du 8 juillet 1983 organisant l’intervention de l’assureur.

1314 L’éventuel empiètement du pouvoir législatif sur le domaine règlementaire est prévu et régi par l’article 37 de la Constitution.

1315 Cf. supra n° 896 et not. Crim. 27 septembre 2000, n° 99-88024, Bull. n° 279, posant en principe que : « les règles de la procédure civile ne sont applicables, devant la juridiction pénale, qu’aux mesures d’instruction ordonnées sur les intérêts civils, après décision sur l’action publique ».

1316 F. Bussy : L’attraction exercée par les p

rincipes directeurs du procès civil sur la matière pénale, RSC 2007 p. 39.

1317 Articles 66 et 325 à 338 du Code de procédure civile.

1318 J.-L. Froment : L’action civile devant le juge pénal en matière d’homicide et de blessures involontaires depuis la loi du 8 juillet 1983 relative à la protection des victimes d’infractions, Gaz. pal. 1986., 1, doctr. 42.

1319 B. Bouloc : Procédure pénale, 21ème éd. Dalloz 2008, n° 228.

 

1320 Crim. 15 avril 2008, n° 07-87671, Dr. pén. juillet-août 2008 comm. 106 note A. Maron et M. Haas, Dr. pén. novembre 2008 comm. 146 note J.-H. Robert.

En effet, le régime de cette intervention de l’assureur, qui n’autorise pas le juge répressif à vider le débat sur la garantie d’assurance, ne permet pas de prononcer une condamnation de l’assureur dans le cadre de l’action civile.

Si le seul intérêt de la loi était de rendre possible cette condamnation de l’assureur par le juge répressif, c’est le législateur qui est à blâmer pour ne pas avoir instauré cette possibilité, et non la jurisprudence.

Cela étant, les juridictions répressives ont rapidement perçu les inconvénients du principe de l’absence de condamnation. Aussi elles ont admis, de manière plus ou moins justifiée, des cas de condamnation de l’assureur, par exception au principe.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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