Les mécanismes des dernières crises boursières

De la nécessité des modèles de valorisation -1° Partie:

1.1. Introduction

De nos jours, les crises financières se succèdent de plus en plus vite mettant à mal les modèles économiques de la veille. On assiste donc à une évolution de ces modèles pour prendre en compte les nouvelles donnes économiques.
Selon l’article de Christian Walter 2, la crise des subprimes est, au delà, d’une crise financière, une crise du modèle probabiliste qui appréhende le monde économique actuel.
Ces modèles se retrouvent à tous les niveaux de la vie économique : gestion, risk management, organisation, normes juridiques, comptabilité, etc.
Mais on commence à se rendre compte que ces modèles probabilistes ne sont plus adaptés au fonctionnement actuel de l’économie car ils n’intègrent pas les phénomènes d’emballement ou de crise. Ils se basent sur une distribution probabiliste relativement homogène et ignorent la psychologie du marché qui peut s’emballer par des phénomènes auto-entretenus.
On se rend souvent compte après une crise que les modèles utilisés se sont retrouvés obsolètes à un moment donné.
Il est donc essentiel de réévaluer régulièrement la conformité des modèles utilisés pour ne pas se laisser rattraper par les crises boursières. En fait, beaucoup de modèles ont une validité de leurs paramètres assez courte dans le temps et il faut réévaluer ceux-ci.

1.2. Mécanismes des dernières crises boursières

1.2.1. Krach de 1987

Le lundi 19 octobre 1987, suite à une forte hausse des taux d’intérêts, l’indice Dow Jones chute de 22.6% en une journée. Deux fois plus que le jeudi noir de 1928.
Cette remontée des taux engendre une baisse conséquente sur les marchés obligataires.
Le problème, c’est qu’une baisse ou une hausse des taux d’intérêt à des répercussions sur le calcul des modèles de valorisation des actions : à chaque hausse ou baisse des taux d’intérêts par la banque centrale, il faut réviser les calculs de valorisation des actions pour les faire coller à la nouvelle réalité du marché.
Donc une variation des taux d’intérêts change la prime de risque par rapport aux taux d’intérêts officiels que l’on est prêt à accepter pour détenir une action.
Une hausse des taux d’intérêts entraîne donc, à prix équivalent, une diminution instantanée de la prime de risque des actions par rapport au cours actuel, rendant l’action moins intéressante par rapport aux obligations.
Si la hausse des taux d’intérêts est élevée, il se peut même que la prime de risque soit négative, c’est à dire, avoir une action risquée avec un rendement inférieur à celui d’une obligation.
Le réflexe a donc été de vendre ses actions pour se diriger vers le marché obligataire.
D’un autre côté, on avait l’habitude de couvrir les positions de ses portefeuilles par des options. Les options étant délivrées par des Market Makers, qui sont en fait des banques, donnant des cotations pour ces options avec un différentiel des bids & asks était assez élevé.
La brusque chute du Dow Jones a entraîné la réalisation des options, ayant pour conséquence un déficit important au niveau des Market Makers.
Un autre facteur a été l’automatisation des bourses et l’apparition de programmes de vente et d’achat automatisés.
Ces programmes de couverture de portefeuille vendaient des actions couvertes par des futures puis rachetaient des actions à un cours plus bas et de nouveaux futures pour les couvrir. Plus le taux des actions baissaient, plus les programmes vendaient et achetaient des actions à des cours de plus en plus bas.
Voyant les cours fortement baisser à cause des programmes automatisés, les courtiers décidèrent de ne plus offrir de contrepartie sur le marché, ce qui entraîna une chute encore plus forte car les automates vendaient dans le vide.

1.2.2. Bulle internet de 2000

Les nouvelles technologies ont toujours créé un certain engouement chez les investisseurs. Certaines inventions majeures comme la vapeur ou la voiture ont su modifier notre mode de vie en profondeur et ces inventions ont toujours donné naissance des bulles spéculatives.
L’avènement d’internet est bien l’invention majeure de la fin du 20° siècle. Bien que celle-ci datait de plusieurs années, c’est son ouverture au grand public qui en fût la révélation. Les entreprises de télécommunication, fournissant l’accès à l’internet magique, suivirent le mouvement.
Cotées pour la plupart sur le Nasdaq, les startups technologiques eurent les faveurs des investisseurs et l’indice s’envola de 1000 points jusqu’à 5000 points en quelques années. Cet engouement euphorique déborda sur la plupart des secteurs de l’économie.
La croissance était telle que la spéculation en était devenu irrationnelle et la valorisation des actions atteignait des valeurs totalement absurdes : la valorisation d’Ebay était montée jusqu’à 8600 fois ses bénéfices annuels 3 alors qu’une entreprise normale est généralement valorisée entre 10 à 20 fois ses bénéfices.
Même si certains investisseurs se rendaient compte de l’absurdité des cotations, ils ne voulurent pas laisser passer l’occasion spéculative et suivirent le mouvement.
Dans le cas de la bulle internet, on ne peut pas à proprement parler d’un Krach dans la mesure où la chute ne fût pas brusque et douloureuse (sauf au début : les deux premières semaines d’avril 2000 où la bourse plonge de 27%). Il s’agit plutôt d’une longue descente des marchés financiers et d’une récession qui durèrent jusqu’en 2003.
Dans l’euphorie, les startups étaient gérées peu sérieusement, comme si elles pouvaient lever des fonds illimités, abreuvées par de multiples business angels.
Les business models adaptés aux startups n’étaient pas encore suffisamment affinés et la plupart pensaient pouvoir se financer grâce à la manne publicitaire. Malheureusement, celle-ci était loin d’être infinie et les business angels n’avaient pas des fonds infinis non plus. Après quelques années, beaucoup de startups, habituées à brûler leur capital, eurent de plus en plus de mal à se financer.
Aveuglées par l’illusion de profits gargantuesques, les startups, mais aussi les opérateurs télécoms et les entreprises technologiques, firent des investissements excessifs, s’endettant lourdement.
Petit à petit, les faillites ont commencé à se succéder les unes aux autres. Et l’édifice tout entier s’est effondré, entraînant des restructurations, des dépréciations, des dépôts de bilan. Certaines malversations et faillites frauduleuses retentissantes comme celle d’Enron, de Worldcom ou plus près de nous Lernout et Hauspie jetèrent le discrédit sur les entreprises du secteur technologique, entraînant une grande méfiance des investisseurs.
Les attentats du 11 septembre 2001 achevèrent de semer la panique chez les investisseurs en rendant tous leurs modèles d’investissement obsolètes du jour au lendemain. Ceux-ci n’avaient plus aucun horizon et ne purent réagir à cette nouvelle donne. Wall Street fut fermé durant une semaine et réouvrit sur la plus forte baisse en points jamais enregistrée.

1.2.3. La crise des Subprimes en 2008

Sous cette appellation, on retrouve plusieurs crises imbriquées :
– Les Subprimes sont des sur-primes payées par les emprunteurs américains à solvabilité douteuse.
Jusqu’en 2007, le financement des ménages américains se faisait en grande partie sur l’endettement. Celui-ci était couvert par les biens immobiliers des ménages.
Comme les taux d’intérêts étaient assez bas et que l’immobilier a connu une croissance constante au cours des dernières années, cela permettait aux ménages de souscrire des prêts de plus en plus importants, couverts par des valeurs immobilières de plus en plus élevées. La plupart des remboursements se faisant sur base d’un taux variable et comme les taux d’intérêts étaient assez bas, cela ne posait pas trop de problèmes de remboursement pour les ménages.
Afin de reporter les risques de ces emprunts, les banques ont commencé à titriser des paquets de dettes immobilières et à émettre des obligations adossées à ces emprunts immobiliers sur le marché. Cela consiste en fait, à revendre les dettes de leurs clients via des obligations.
Celles-ci couvraient les prêts octroyés aux ménages et les intérêts versés par ceux-ci étaient reversés aux titulaires des obligations. De cette façon, les banques couvraient leurs risques des deux côtés. Si l’opération semble intéressante lorsque l’obligation est couverte par des ménages solvables, certaines banques, prêtant à des ménages peu solvables à des taux très élevés produisirent aussi des obligations adossées aux subprimes.
Ces obligations ayant un taux d’intérêt supérieur au marché puisque plus risquées furent considérées comme des obligations normales.
Les agences de cotations comme Moody’s, Fitch Ratings ou Standard & Poor’s donnèrent des notes élevées à ce genre de titres, les rendant donc fort intéressantes dans un portefeuille. Dès lors, on pouvait en retrouver dans la composition de Sicavs, dans les actifs d’une entreprise ou d’une banque, etc. Ces obligations, faisant partie des actifs des entreprises, prenait une part plus ou moins importante dans la valeur de cette entreprise et donc dans la valeur de ses actions.
Actions qui pouvaient se retrouver à leur tour dans le portefeuille d’une autre entreprise, etc. Finalement, on s’est rendu compte que ces obligations avaient contaminé l’ensemble de l’économie un peu comme le ferait un virus.
Le déclenchement de la crise des subprimes est dû principalement à une hausse des taux d’intérêts. Celle-ci a entraîné une perte de solvabilité des ménages étant donné que les emprunts étaient basés sur un taux variable, donc une hausse des taux d’intérêt a un impact direct et quasi immédiat sur les montants que doivent débourser les ménages pour faire face à leurs dettes. Ainsi, certains remboursements ont été multipliés par 5 en quelques mois.
Les ménages n’arrivant plus à faire face aux remboursements, les maisons furent saisies et revendues. Mais l’accroissement de l’offre sur le marché immobilier a eu pour conséquence une baisse du prix des maisons. Les prêts n’étant plus couverts et les américains ne pouvant plus se ré-endetter, la situation ne fit qu’aggraver.
Certaines banques ne purent plus faire face aux remboursements des obligations émises ou alors au prix de lourdes pertes. La valeur de ces titres s’effondra. D’autres banques qui avaient des instruments financiers adossés à des subprimes durent déclarer des pertes importantes. Il s’en suivi une perte de confiance du public dans les établissements bancaires.
On vit des files devant les agences de la banque anglaise Northern Rock où les gens venaient retirer leur argent en masse. La confiance même entre les banques était atteinte, chacune restant attentive à la solvabilité des autres. Ceci se ressenti fortement sur le marché interbancaire où les banques nationales durent injecter des grosses quantités de liquidités afin de continuer à faire fonctionner le marché.
– Une crise pétrolière est la deuxième composante de cette crise.
Depuis quelques années, les pays d’Asie ont pris leur envol économique. La Chine et l’Inde, en particulier, occupent une place importante dans les pays émergents. A eux seuls, ces deux pays représentent un tiers de l’humanité. Connaissant une industrialisation fulgurante, ils concurrencent aujourd’hui directement les pays occidentaux à tous les niveaux. Or cette industrialisation a un coût énergétique.
Subitement, ces pays deviennent des gros consommateurs de matières premières, faisant augmenter la demande et donc les prix, principalement celui du pétrole dont la valeur a doublé en 1 an (voir graphique ci-dessous).
crise pétrolière
(Source : Boursorama, Light Sweet Crude Oil, URL : www.boursorama.com, le 18/07/08)
L’augmentation du prix du pétrole a eu un impact direct sur l’inflation qui a augmenté rapidement dans les pays industrialisés, se trouvant subitement en concurrence directe avec les pays émergents.
On s’est rendu compte que contrairement à ce que prévoyait les modèles, la demande sur les produits pétroliers était élastique mais, contrairement à ce que prévoyaient les modèles, avec un effet retardé. Cette inflation a un impact direct sur le coût des déplacements et de l’énergie en général. Si aujourd’hui le pétrole baisse un peu, c’est uniquement dû aux économies réalisées aux USA.
Une hausse significative du prix des aliments a aussi été constatée. Jusqu’à présent, on ne s’est toujours pas prononcé pour savoir si cette hausse est due à une concurrence de production des carburants issus de l’agriculture versus cultures traditionnelles alimentaires, ou un surcoût de production dû à l’augmentation des carburants ou simplement une augmentation de prix imposée par les distributeurs grâce à leur monopole.
Cette inflation et ces surcoûts sur les produits pétroliers affaiblissant ainsi le pouvoir d’achat des ménages, a pour conséquence de réduire leur consommation. Cette baisse de consommation va impacter la production des entreprises et donc limiter fortement la croissance, voire même provoquer une récession.
Lire le mémoire complet ==> (Comparaison épistémologique entre les modèles issus des sciences de la vie et les modèles de valorisation d’actions)
Mémoire présenté pour l’obtention du grade de Master en sciences commerciales
Enseignement supérieur de type long de niveau universitaire
Groupe ICHEC – ISC St-LOUIS – ISFSC – Haute Ecole
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2 Voy. Christian Walter, Crise boursière, régulation financière et images de l’incertitude, publié dans «Les échos», le 05/02/08.
3 William Emmanuel, 01 Réseaux (N°143), Que reste-t-il de la bulle internet, le 01/10/2004, URL : http://www.01net.com/article/258900.html, page consultée le 20/07/08

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Institut catholique des hautes études commerciales - Haute Ecole Groupe ICHEC - ISC Saint Louis - ISFSC - Enseignement supérieur de type long de niveau universitaire
Auteur·trice·s 🎓:
Emmanuel de Coninck

Emmanuel de Coninck
Année de soutenance 📅: Mémoire présenté pour l’obtention du grade de Master en sciences commerciales 2007-2009
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