Repérer les patent trolls : Patent Troll Tracker et PatentFreedom

Repérer les patent trolls : Patent Troll Tracker et PatentFreedom

Section 2 – Repérer les patent trolls

Pour minimiser le risque d’être victime d’un troll, les entreprises ont à leur disposition un certain nombre de moyens pour les repérer, avant d’en être victimes. Elles sont ainsi en mesure de rechercher quels sont les brevets détenus par ces firmes engagées dans le trolling.

§1. Le blog « Patent Troll Tracker »

Le blog « Patent Troll Tracker »143 est au moins aussi célèbre pour les informations qu’il fournissait sur les patent trolls et leurs activités que pour le retentissant procès en diffamation intenté à l’encontre de son gestionnaire. Mis en place en mai 2007 et administré, sous le couvert de l’anonymat, par Richard G. Frenkel, en charge de la propriété intellectuelle chez Cisco Systems144, le but premier du blog était d’informer ses lecteurs des cas impliquant des patent trolls145 ainsi que de proposer une description et une analyse de leurs pratiques.

Dès le mois de septembre 2007, l’avocat américain Raymond P. Niro, désigné comme the original patent troll146, prend contact avec l’auteur du blog, sans succès, tout en décriant son action dans les médias. Il et en arrive à proposer une récompense de cinq mille dollars à celui qui dévoilera l’identité du bloggeur147; ce montant est doublé, puis triplé.

Suite à l’emballement de l’opinion publique et du tollé provoqué par une telle méthode digne du Far West, Frenkel révèle son identité fin février 2008. Il ne fallut pas longtemps pour que deux avocats texans, Eric Albritton et T. John Ward Jr.148 l’attaquent en diffamation149, en même temps que Cisco Systems. Les deux cas furent finalement réglés hors des tribunaux, des accords, restés confidentiels, étant intervenus entre les parties.

On le constate aisément : ce genre de blog ne fait pas le bonheur des patent trolls. Comme la frontière entre information et diffamation est souvent bien floue dans ce domaine, le troll fait, à l’encontre de ces bloggeurs, ce qu’il fait de mieux : des procès. Même si R. G. Frenkel, dans le cas présent, ne fut finalement pas condamné, le procès dont il fut la cible eut pour conséquence, non seulement, que Patent Troll Tracker fut fermé au grand public et l’est toujours aujourd’hui mais aussi de décourager des initiatives similaires.

Cependant, il reste que la problématique du trolling fait couler beaucoup d’encre et l’information disponible sur les patent trolls s’étoffe avec le temps : outre les sources académiques, dont certaines sont citées dans cette étude, mentionnons le blog Patently-O, particulièrement à jour en ce qui concerne la problématique150.

Dans la lignée des problèmes de définition et d’identification des trolls ex ante – qui doit, selon nous, être basée sur des critères comportementaux –, leur identification ex post peut également être fort subjective et relève de la sensibilité de chaque auteur : un comportement donné sera assimilé à un comportement de troll par l’un et pas par l’autre.

§2. PatentFreedom

Outre les bloggeurs et les académiques, les sociétés productrices se sont également organisées pour acquérir et partager des informations sur les trolls. A titre d’exemple original, citons PatentFreedom, LLC, créée en avril 2008.

Cette entreprise a pour but premier la collecte et l’analyse d’informations sur les Non-Practising Entities151 et de permettre, par ce biais, à ses membres, de développer des stratégies de défense adéquates. PatentFreedom a récolté, au 15 juillet 2010, soit deux ans et demi après sa création, des informations sur plus de 325 NPE, plus de 23.000 brevets et demandes de brevet américains et plus de 3.300 affaires judiciaires.

Leurs recherches visent à identifier clairement les activités, moyens de financement, dirigeants et brevets détenus par les NPE ainsi que toute information critique pour prédire, contrecarrer et gérer au mieux les interactions avec elles.

Selon son directeur et fondateur, Dan McCurdy, les NPE possèdent des informations très détaillées sur leurs victimes alors que ces dernières sont pénalisées par le caractère secret des trolls. Il s’agit donc, pour PatentFreedom, de corriger cette « asymétrie informationnelle »152.

Sont admis comme membres « les compagnies qui tirent la majorité de leurs revenus de la vente de produits et services autres que des services qui impliquent la vente ou la licence de droits de propriété intellectuelle »153. La cotisation annuelle varie entre 50.000 et 75.000 dollars. Selon PatentFreedom, ses membres sont guidés à travers « le champ de mines des NPE » pour un coût de quatre cents pour chaque dollar que le membre dépenserait s’il réalisait les recherches lui- même et pour un coût d’un cent seulement pour chaque dollar que le membre dépenserait s’il recourrait aux services d’un cabinet d’avocats.

142 AMERICAN INTELLECTUAL PROPERTY LAW ASSOCIATION, Report of the Economic Survey 2007 cité dans E. BLACK, Report on Dissemination of Patent Information, 2009, http://www.ccianet.org/CCIA/files/ccLibraryFiles/Filename/000000000226/Ltr%20on%20Rpt%20SCP-13-51.pdf (consulté le 7 août 2010).

143 http://trolltracker.blogspot.com. Le blog n’est aujourd’hui plus accessible au grand public mais seulement aux lecteurs invités par l’auteur.

144 Cisco Systems, Inc. est une multinationale américaine qui développe du matériel électronique à destination du grand public ainsi que du matériel réseau. L’appartenance de Frenkel au personnel de cette compagnie, active dans un domaine propice à l’action des trolls, explique sûrement son animosité à leur égard.

145 Declaration of Richard Frenkel in Support of Richard Frenkel’s and Cisco Systems, Inc.’s Motions to Quash Subpoena and Motions for Protective Order, LV No. 05:08-80075-JF(HRL) (N.D. Cal. 2008) cité dans J. MULLIN, « Patent Troll Tracker speaks—and vows to return », 2008, http://thepriorart.typepad.com/the_prior_art/2008/05/patent-troll-tr.html (consulté le 15 juillet 2010). Voyez ce dernier blog pour une description détaillée des arcanes et implications de l’affaire.

146 L. LERER, « Meet the Original Patent Troll », IP Law & Business, 20 juillet 2006.

147 M. MASNICK, « Patent Attorney Offers $5k For Identity Of Anonymous Patent Troll Tracker », 2007, http://www.techdirt.com/articles/20071205/025243.shtml (consulté le 15 juillet 2007).

148 Pour l’anecdote, T. John Ward, Jr. est le fils de T. John Ward, juge fédéral de l’Eastern District of Texas, évoqué supra.

149 Voyez Ward v. Cisco Systems, Inc. et al., 4:08-cv-04022 (Federal), 2007-2502-A (State) et Albritton v. Cisco Systems, Inc. et al., 6:08-cv-00089 (Federal), 2008-481 (state).

150 http://patentlaw.typepad.com/

151 Il est particulièrement intéressant de constater que le site internet, https://www.patentfreedom.com/, consulté le 15 juillet 2010, ne mentionne qu’à une unique occasion, et avec la prudence de rigueur, de patent troll.

152 T. HARBERT, « If you can’t beat patent trolls, join them », Electronic Design Strategy News, 9 septembre 2008.

153 Traduction libre tirée de https://www.patentfreedom.com/serviceofferings-co.html (consulté le 15 juillet 2010).

On assiste donc à une sorte d’alliance contre les trolls. A défaut de réformes législatives et jurisprudentielles, les firmes s’allient, partagent l’information et élaborent, ensemble, des mécanismes de défenses.

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