Quelques Business Models, le patent trolling

Quelques Business Models, le patent trolling

Section 5

Quelques Business Models

Si les Non-Practicing Entity NPE sont polymorphes, les trolls le sont tout autant, si pas plus : il y a autant de trolls différents que de sociétés différentes engagées dans la pratique du patent trolling. Si les sections précédentes avaient le mérite de mettre en évidence quelques traits souvent partagés par les patent trolls, elles ne sont en aucun cas, ni exhaustives, ni applicables à tous les cas. Malheureusement pour l’analyste, il est indispensable de recourir à une appréciation en fait.

En 2006, A. Chuang a développé une « taxinomie des trolls »68 qui tente, tant bien que mal, de les classifier. Dans le tableau 2, nous reprenons, adaptons et complétons légèrement sa classification. Bien qu’elle ait le mérite de la clarification, elle pêche par sa rigidité. A titre d’exemple, l’auteur caractérisait, en 2006, Intellectual Ventures comme un Trolling Buyer, ce qui était – partiellement – correct à l’époque; cependant, cette société est maintenant également un Trolling Developer. Nous y reviendrons infra.

NomDéfinitionExemples
Trolling BuyerUne entreprise qui se spécialise dans le rachat de

brevets non pas pour les exploiter

industriellement mais dans le but de les utiliser juridiquement

Acacia Technologies Group

Intellectual Ventures

Trolling ResurecterUne entreprise productrice qui a cessé ses

activités pour se concentrer sur l’octroi de licences d’exploitation

Ampex Corporation
Trolling DeveloperUn inventeur ou une entreprise établie par un

inventeur qui n’exploite pas industriellement les brevets qu’il/elle détient mais les utilise juridiquement

Jérôme Lemelson

NTP

(Intellectual Ventures)

Trolling AgentUne entreprise qui, pour le compte de ses clients, mène des actions en contrefaçon et des négociationsIPValue Management

Thinkfire Services USA Mahr-Leonard Management

Company

Trolling LawyerUn avocat qui, pour le compte de ses clients,

mène des actions en contrefaçon ou des négociations

Ray Niro

Tableau 2 : Une taxinomie des patent trolls

Nous faisons le choix de discuter ici d’Acacia Technologies Group et d’Intellectual Ventures car ce sont les deux compagnies les plus médiatisées et les plus importantes, la première par son activité devant les Cours et tribunaux, la seconde par la taille de son portefeuille de brevets.

§1. Acacia Technologies Group

Comme le dit si bien leur slogan, « Leader in Patent Licensing and Enforcement », Acacia Technologies Group se spécialise dans l’octroi de licences de brevets et dans la gestion des actions en justice pouvant en découler. Fondée en 1995, l’entreprise propose à ses clients de « transformer leurs brevets en revenus »69 et est active principalement dans le domaine de l’informatique.

Typiquement, Acacia devient le propriétaire ou détenteur d’une licence exclusive sur le brevet et reçoit toutes les prérogatives découlant du droit de propriété. Parmi ces dernières, la société fera usage, principalement, du droit d’intenter des actions en contrefaçon et de celui d’accorder une licence d’exploitation.

Le client reçoit un part des gains d’Acacia et, parfois, un paiement à l’avance. L’entreprise est très sélective quant aux brevets qu’elle acquiert : ceux-ci doivent pouvoir générer des flux financiers suffisants, soit par le biais de dommages et intérêts, soir par celui d’accords de licence.

Depuis sa création, Acacia a conclu plus de 740 accords de licences dont certains pour « plusieurs millions de dollars » avec quelques géants de l’industrie dont Hewlett Packard, IBM, Intel, Nokia, Samsung ou Sony. En 2009, elle a réalisé un chiffre d’affaires de 67 millions de dollars. Selon PatentFreedom70, Acacia a été impliquée dans 270 litiges depuis 2003.

§2. Intellectual Ventures

Fondée en 2000, Intellectual Ventures emploie 650 personnes et est active dans le « business des inventions »71. Ici encore, le but est d’offrir aux innovateurs la possibilité de tirer profit de leurs inventions. La société détient entre 10.000 et 15.000 familles de brevets72, selon PatentFreedom73, qu’elle a acquise, entre autres, dans les domaines de l’informatique, des télécommunications, de l’e-commerce, des nanotechnologies et des logiciels.

Si Intellectual Ventures est si célèbre, c’est en partie grâce à la renommée de ses fondateurs : Nathan Myhrvold, l’ancien Chief Technology Officer de Microsoft, Peter Detkin, l’ancien directeur de la propriété intellectuelle chez Intel, Edward Jung, de Microsoft également et Greg Gorder, avocat chez Perkins Coie LLP.

Depuis 2005, l’entreprise développe également ses propres inventions et a, en 2009, introduit près de 450 demandes de brevet, ce qui en fait l’une des cinquante entreprises les plus importantes en termes de dépôt de demandes de brevet74. Aujourd’hui, l’entreprise se structure donc autour de trois activités principales : l’investissement dans des inventions existantes, la gestion d’un « réseau d’inventeurs externes » et le développement d’inventions.

Intellectual Ventures se bat avec force contre le label de patent troll qui lui est constamment attribué. Ses fondateurs clament haut et fort que l’entreprise n’a jamais poursuivi personne en justice.

68 A. CHUANG, « Fixing the failures of software patent protection: deterring patent trolling by applying industry- specific patentability standards », Southern California Interdisciplinary Law Journal, 2006, vol. 16, spéc. pp. 221-227.

69 ACACIA TECHNOLOGIES, Corporate Brochure, 2010, http://www.acaciatechnologies.com/docs/CorporateBrochure.pdf (consulté le 6 août 2010).

70 PATENTFREEDOM, « Leading Entities by Number of Litigations (since 1979) », 2010, https://www.patentfreedom.com/research-ml.html (consulté le 6 août 2010).

71 INTELLECTUAL VENTURES, http://www.intellectualventures.com/Home.aspx (consulté le 7 août 2010).

72 Une famille de brevets désigne un ensemble de brevets qui se rapporte à un même document de priorité.

73 PATENTFREEDOM, « NPEs with Largest Patent Holdings », 2010, https://www.patentfreedom.com/research-ml.html (consulté le 6 août 2010).

Cependant, des observateurs ont remarqué que la société protégeait son image de marque en se réfugiant derrière des sociétés-écrans, qui intentent les actions en contrefaçon pour son compte75 : Intellectual Ventures transfèrent les brevets, objets d’une action en contrefaçon, soit à des sociétés préexistantes soit créées pour l’occasion. Un récent rapport fait état de plus de 1100 sociétés-écrans « liées » à l’entreprise76. Si Intellectual Ventures est un troll, il est sans doute le plus rusé d’entre eux.

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