L’économie de l’attention, Habitudes de consommation musicale

2. L’économie de l’attention

Les nouveaux médiateurs tels que iTunes, MySpace, Napster, Lastfm, Jamendo… mettent en relation les goûts et les attentes du public avec les artistes. Cette évolution est- elle favorable à la création et à la diversité culturelle ? Que nous apprend-elle sur « l’économie de l’attention »? Ce terme est introduit par Jean-Michel Salaün dans son bloc-notes.103 Grâce à MySpace, nouvel outil promotionnel, des groupes tels qu’Arctic Monkeys ou Clap Your Hands Say Yeah sont parvenus à se hisser au sommet des hit- parades pour ensuite être découverts par un label et débuter une carrière prometteuse.

Ces divers intermédiaires innovent avec une démarche entièrement tournée vers la promotion des artistes et de leurs œuvres. Les recettes commerciales, abondantes ou rares, profitent tout d’abord aux artistes.

L’expression « économie de l’attention »104 démontre le fonctionnement de marchés dans lesquels l’offre est abondante et où la ressource rare devient le temps et l’attention des consommateurs. Avec la musique et le numérique, l’abondance de l’offre se traduit à la fois par la diversité de la création et son accès facilité. Les fichiers musicaux sont des biens économiquement non rivaux. Ainsi on peut échanger un fichier tout en le conservant soi- même et en faire profiter d’autres consommateurs.

La caractéristique principale de cette « économie de l’attention » est marquée par le pouvoir économique se déplaçant vers les entreprises immédiatement en contact avec les futurs acheteurs. Elles sont plus à même de les connaître, de les comprendre, de leur prêter attention, en échange de l’intérêt qu’ils leur accordent. De cette façon, elles peuvent répondre à leurs besoins de manière personnalisée. Le site communautaire MySpace en montre un bel exemple.

Cette économie provoque un effet de concentration, notamment avec les réseaux des plates-formes mettant en relation les utilisateurs et faisant accroître le nombre. Selon Jean-Michel Salaün105, il n’existe pas vraiment de longue traîne dans la publicité en ligne. Il relate qu’aux Etats-Unis, en 2006, 92% des revenus de la publicité en ligne se concentraient sur quatre sites (Google, Yahoo, MSN et AOL), une proportion qui a même tendance à augmenter. La rapidité avec laquelle des sites tels que MySpace et YouTube sont parvenus à un quasi-monopole sur leurs espaces respectifs illustre parfaitement ce phénomène de concentration.

Selon Daniel Kaplan106, ces nouveaux médiateurs ne s’intéressent pas tant à ce qu’ils vendent qu’à ceux à qui ils vendent. Ainsi, les marques ciblant le consommateur sont prêtes à vendre tout ce que souhaite celui-ci. L’offre est de plus en plus personnalisée, pour le combler.107

Ce n’est pas un reproche en soi mais malgré cela, il faut bien saisir la double étiquette de ce constat car aux yeux des dirigeants de MySpace, d’Apple et de la plupart de ces autres nouveaux médiateurs de l’univers musical, la musique est un produit d’appel, une manière d’attirer ou de fidéliser des consommateurs, plutôt qu’une mission. Il est peu probable que certains d’entre eux décident d’investir directement dans la production. Leur intérêt à éduquer leur public pour les inciter à élargir leurs horizons n’apparaît pas non plus de manière évidente.

Ainsi, rien ne dit que ces nouveaux intermédiaires soutiendront plus activement que les majors la diversité de création. Il y a plusieurs raisons d’en douter. Une prise de contrôle de l’industrie musicale par l’intermédiation n’est pas forcément un heureux évènement pour la diversité de création. A l’opposé, elle pourrait aboutir à un financement de la créativité intégralement dicté par l’analyse des goûts de la clientèle, autrement dit, à l’industrialisation et la systématisation des dérives régulièrement dénoncées de l’industrie musicale actuelle.

Ce marché de l’attention s’est construit avec l’apparition du développement de la presse populaire et s’est étendu avec la télévision et la radio. Il existait donc bien avant l’arrivée d’Internet. On en distingue deux formes : une économie de l’attention tirée par la logique de la diffusion, et une autre tirée par celle de l’accès. Elles s’adressent toutes deux aux mêmes clients (les annonceurs, les agences, les régies), mais s’appliquent sur des activités différentes. Il y a donc naissance de concurrence.

L’économie de l’attention se fixe pour objectif le pouvoir de transformer à son profit les comportements de consommation en captant l’attention du consommateur potentiel, comme pour la publicité commerciale dans les médias. De plus, elle s’efforce de connaître les comportements des consommateurs, notamment grâce au système des enquêtes marketing.

Chaque fois qu’un service attire un nombre important d’internautes, il se positionne directement dans l’économie de l’attention. Il s’articule avec d’autres, il construit de la valeur potentielle et peut aussi en détourner à son profit car l’attention humaine étant limitée, son marché agit comme un système de vases communicants, c’est- à-dire que l’attention captée par les uns l’est au détriment de celle captée par les autres. S’il n’est pas déjà sous contrôle d’une des firmes dominantes, il devient une proie convoitée.

Comme le rappelle Christophe Deschamps du blog Outils Froids108, « la nécessité de mieux gérer notre attention dans une société où l’information est omniprésente est sans doute la prochaine frontière que nous devrons franchir si nous ne voulons pas finir noyés sous le déluge ».

La start-up Faraday Media qui développe le moteur d’attention Touchstone Live, vient de créer l’Attention Profiling Markup Language Workgroup (APML), un groupe de travail souhaitant produire un langage standard pour décrire les profils d’application. Une fois ce profil créé, il pourrait être intégré à des logiciels (navigateur, mailer, téléphone mobile, logiciel de messagerie instantanée…) ou à des services en ligne, afin que leur utilisation prenne en compte les préférences des consommateurs.

La Fing109 (Fédération Internet Nouvelle Génération) a étudié 30 modèles économiques susceptibles de redynamiser la filière musicale parmi lesquels on retrouve Last.fm, Sellaband.com, Snocap, Jamendo etc, pouvant résoudre la crise actuelle de l’industrie musicale.

Cette étude précise qu’il existe un risque de voir la distribution de la filière musicale prendre le contrôle de la chaîne de valeur grâce à sa proximité avec les fans de musiques. Cette position de force conduirait à une réorganisation industrielle du secteur musical peu propice aux producteurs. La concentration des réseaux sociaux, pour qui la musique constitue juste un produit d’appel, combinée au financement publicitaire se concentrant sur les segments les plus rentables, entraînerait ainsi une réduction de la diversité culturelle.

Voici ce qu’explique Daniel Kaplan dans un article provenant du site InternetActu110: « si, demain, les amateurs se voient sollicités par des centaines de groupes, à partir des mêmes méthodes « communautaires », ce qui a produit le succès des Arctic Monkeys pourrait au contraire sceller le destin de leurs successeurs de 2008-2009… Déjà, des agents spécialisés prennent en main les stratégies de promotion des groupes sur ces espaces. Aujourd’hui, la ressource rare devient le temps et l’attention des consommateurs ».

L’article met en évidence trois points essentiels pour comprendre l’évolution de cette économie : le pouvoir économique se déplace vers les entreprises proches des consommateurs, vers le financement publicitaire de ces dernières et vers le phénomène de concentration et de quasi-monopole des acteurs majeurs du secteur (MySpace, Flickr, YouTube, etc.).

Daniel Kaplan conclue, plutôt pessimiste : « rien ne dit que les nouveaux intermédiaires auront plus à cœur que les majors de soutenir une création vivace et diverse. Il y a au contraire plusieurs raisons d’en douter. […] Elle pourrait aboutir à un financement de la création entièrement piloté par l’analyse des goûts de segments solvables de la clientèle – autrement dit, à l’industrialisation et la systématisation des dérives régulièrement dénoncées de l’industrie musicale d’aujourd’hui ».

103 Source : http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jms/index.php/2007/04/08/227-economies-de-wikipedia-2-l- attention.

104 L’économie de l’attention, autrement dit l’intermédiation entre une “offre” surabondante, diverse, mondiale et une demande de plus en plus individualisée et mobile.

105 Jean-Michel Salaün est une figure de la bibliothéconomie française puisqu’il est l’un des premiers a avoir poussé ces sujets sur le devant de la scène, du temps où il officiait à l’Enssib. Il est aujourd’hui directeur de l’Ecole de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) à Montréal et rédige cet intéressant blog de veille qui a pour sous-titre «Repérage de données sur l’économie des documents dans un environnement numérique».

106 Daniel Kaplan, 44 ans, a été désigné en 2002 par le magazine Newbiz comme l’une des 100 personnalités qui «font vraiment bouger la France».

Il est le délégué général de la Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération (FING), qui vise à repérer, stimuler et valoriser l’innovation dans les services et les usages d’Internet. Il préside également l’Institut européen du e-learning (EIfEL).

Membre de la Chambre d’experts du programme e-Europe, membre du Conseil stratégique des technologies de l’information, co-fondateur du Chapitre français de l’Internet Society, Daniel Kaplan est profondément impliqué dans le développement de l’Internet en France et dans le monde. Il a écrit ou dirigé 15 ouvrages sur le thème de l’internet, de la mobilité, de la prospective technologique, de l’e-éducation, de l’e-inclusion, du commerce et des médias électroniques.

107 « Musique et numérique : L’économie MySpace est-elle favorable à la création ? » article publié parInternet Actu dans Opinion , enjeux, débats, prospective , économie et marchés, médias par Daniel Kaplan le 12/04/2007

108 Source : http://www.outilsfroids.net

109 Site Internet : http://musique.fing.org

110Hebdomadaire gratuit fournissant des informations sur Internet et l’informatique : http://www.internetactu.com

Internet et la musique est une longue histoire qui ne cessera jamais d’évoluer. D’un côté, on retrouve le téléchargement, coupable de tous les maux, de l’autre, l’outil de découverte et de promotion d’artistes. Mais ce dernier système est-il vraiment viable dans la durée ? Peut-on imaginer que les artistes découverts via MySpace, comme Arctic Monkeys et Lily Allen, se multiplient et investissent massivement le secteur de la musique ?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Paul Verlaine Metz – UFR - Science Humaine et Arts
Auteur·trice·s 🎓:
Di Virgilio Marion

Di Virgilio Marion
Année de soutenance 📅: Domaine Sciences des Interactions Humaines mention Esthétique, Arts et Sociologie de la Culture spécialité Industries Culturelles - Mémoire de Master 1 Projets Culturels
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