Les causes de rupture de contrat entre majors et artistes

Seconde partie

Les impacts des nouvelles technologies et des nouveaux supports numériques sur la diffusion des artistes

I. Les causes de rupture de contrat entre majors et artistes

1. Les majors, pompes aspirantes de nouveaux talents

Internet ainsi que la nouvelle économie de l’information et de la communication favorisent davantage les majors que les nouveaux intervenants. L’industrie du disque subit l’impact des technologies poussant à la gratuité.

L’artiste serait-il le dernier avatar, la dernière métamorphose du capitalisme, et l’art une sorte de principe de fermentation de ce dernier ? Voici ce qu’en pense certains philosophes : Pour Adorno, lors du débat théorique engagé dans les années 30 avec Walter Benjamin, l’essence sociale de l’œuvre réside dans son autonomie car c’est une protestation contre l’utilitarisme marchand.

Il n’y a pas d’échappatoire mais une sorte de passion de l’art authentiquement novateur. Pour Marx, dans « Le Capital » (livre 7), le travail artistique est conçu comme le modèle du travail non aliéné permettant à l’individu de se connaître, de prendre possession de lui, d’accéder à l’autonomie. Howard S. Becker, dans son livre les « Mondes de l’Art », au chapitre I « Mondes de l’art et activité collective », a souligné comment toute activité artistique mobilise diverses catégories professionnelles entretenant des relations d’interdépendance, allant de la coopération à la concurrence et rendant possible la production et la valorisation publique de l’œuvre.

Désormais, de nouveaux critères d’évaluation sont à prendre en considération. Les qualités requises sont celles que le capitalisme exige c’est-à-dire l’individualisme, la créativité, la mobilité, la flexibilité, le goût du risque et de la nouveauté.

La compétition qui existe entre les différents artistes pour les distinguer de par leur créativité aux yeux du public repose sur plusieurs facteurs : le travail, le talent et la chance. On peut citer l’un des nombreux concours visant à récompenser les meilleurs talents comme les Grammy Awards ou encore le Hit-Parade. Il s’agit de jurys constitués d’experts légitimant une forme de reconnaissance de l’artiste. Ce sont les ventes qui conditionnent le classement, c’est une forme de légitimité de l’artiste.

Ainsi du côté de l’offre, il s’agit de détecter ces artistes et de construire leur carrière de façon à les promouvoir. C’est alors que les technologies de communication et de médiatisation destinées à façonner leur image viseront à identifier une cible marchande, à analyser les évolutions de la demande en captant le changement des attentes du public et en démultipliant les canaux d’information et de diffusion.

Si le consommateur est disposé à augmenter sa dépense pour acheter un bien plus élevé, l’artiste peut soit attirer, pour un prix donné, beaucoup plus d’audience que ses rivaux moins talentueux, soit attirer au moins autant d’audience en pratiquant des tarifs plus élevés que ses adversaires, soit choisir une solution mixte en proposant un tarif différencié.

L’exploitation des technologies de reproduction et de communication permet à un artiste réputé de servir un marché considérable par la diffusion planétaire de ses disques. Son rendement est démultiplié par les moyens d’élargissement du marché, grâce aux médias, aux technologies de communication, aux consommateurs.

L’évolution de la demande suit une logique constructive : plus l’artiste est talentueux, plus la demande en terme de biens augmente. La réputation d’un artiste oriente le choix du consommateur et augmente ses chances de succès face à cette concurrence monopolistique.

Les maisons de disques ont très bien compris ce système et alimentent sans cesse le vivier des candidats à la gloire avec de nouveaux talents susceptibles de déclencher l’engouement du public et de répondre à la mode des nouvelles identités artistiques. Elles doivent cependant affronter un marché vaste et instable. Un constat pessimiste s’impose car les réputations durables sont exceptionnelles en comparaison avec le nombre de réussites éphémères. C’est le cas actuellement de toutes les émissions de télé-réalité qui lancent des vedettes instantanées. La concurrence accroît la production d’innovation en stimulant la quête de nouveauté du consommateur.

Dès lors, on questionne : les inégalités sont-elles le résultat d’un aveuglement du public dont les choix seraient orientés par les acteurs les plus influents des marchés artistiques, l’emploi des technologies modernes, les compétitions de sélections des jeunes talents ou le matraquage publicitaire ?

Pour Adorno, Horkeimer et l’Ecole de Francfort, l’art véritable est rebelle à toute domestication par le marché et le pouvoir des institutions, mais sa production l’inscrit dans le jeu social et économique de nos sociétés.61

Les perspectives d’exploitation commerciale de l’industrie du disque sont accrues par la mondialisation du marché. Le but des majors est principalement de maximiser les ventes de disques. Cette logique passe par une intensification des moyens de promotion et de marketing. Il s’agit par exemple du travail sur les pochettes de disques, les apparitions à la radio et à la télévision, l’organisation de tournées, les conférences de presse ou les sessions photos. Par exemple, EMI a investi 1 500 £ pour la pochette de l’album « Sergent Pepper’s » des Beatles contre 25 £ traditionnellement.

Ce phénomène est lié à la recherche d’artistes possédant un fort potentiel de vente mais ceci est toutefois rendu complexe par l’évolution de la fonction de consommation musicale, qui, nous l’avons dit précédemment, est en constante évolution. De fait, le renouvellement permanent de la demande rend plus difficile la prévision des nouveaux artistes qui rencontreront le succès. C’est un pari sur l’avenir.

Pourtant cette contrainte peut-être résolue par le rachat de labels indépendants spécialisés dans un genre musical. En effet, le talent véritable est assez rare. La concurrence entre maisons de disques a donc pour effet la hausse de la valeur des stars. Leur pouvoir de négociation leur permet d’extraire une augmentation de rente lors de la signature de contrats. En 1981, Rosen introduit une approche, connu sous le nom de modèle « Superstar » où il démontre que les artistes les plus talentueux toucheront un vaste marché et recevront en contrepartie de forts revenus.62

La logique pour les majors est donc de signer des artistes à forte rentabilité. Toutefois, s’il est possible de prédire le succès d’une star renommée, le succès d’un artiste en devenir est moins évident. La recherche de nouveaux talents s’accompagne de ce fait d’une incertitude plus ou moins grande sur les ventes.

Il faut savoir que les majors investissent dans très peu de nouveaux artistes et préfèrent confier le rôle de dénicheur de talents aux labels indépendants, spécialisés dans certains genres musicaux qui entretiennent des liens de proximité avec les consommateurs.

Ils essayent dès lors de s’approprier les artistes prometteurs pour bénéficier du phénomène de mode et d’une base de consommateurs déjà constituée. Deux cas de figures peuvent être discernés : soit le label indépendant et la major s’accordent sur les conditions de cette acquisition et l’artiste est simplement transféré, soit la major fait l’acquisition du label indépendant, ce qui s’avère un profit pour les deux : la major peut exploiter l’ensemble du catalogue musical du label indépendant et celui-ci peut bénéficier des ressources de distribution mondiale de la major.

Si les artistes veulent travailler dans les meilleures conditions et accroître leurs chances de réussite, leur intérêt est donc de signer chez une major qui dispose d’une part de ressources très fructueuses et d’autre part d’une fabuleuse ouverture vers l’international, contrairement aux labels indépendants. Les majors profitent alors de cette situation privilégiée afin d’imposer des contrats qui leur donnent un plus grand avantage, notamment en ce qui concerne la part qui leur est reversée pour les ventes de musique. Ainsi, le succès d’un artiste devient plus lucratif et permet de compenser les pertes provoquées par l’échec des autres artistes.

Les majors utilisent une stratégie de diversification. L’idée est de produire un nombre d’artistes supérieurs à ce que peut aspirer le marché, dans le but d’accroître ses chances de disposer d’une star. Cette manière de gérer l’incertitude est spécifique des industries de capital-risque63.

Selon la Recording Industry Association of America (R.I.A.A.), un album sur dix est aujourd’hui profitable dans l’industrie. On peut qualifier cette stratégie de logique de surproduction qui vient renforcer le phénomène de maximisation des ventes et d’amplification marketing.

Les majors possèdent donc un fort impact commercial leur permettant d’attirer les artistes prometteurs et de les distribuer dans le monde entier, mais avec le développement fulgurant d’Internet, ce système disparaît : en effet, les consommateurs téléchargent gratuitement de la musique grâce aux réseaux peer-to-peer et le lancement des vedettes instantanées provenant des émissions comme la Star Academy, dont on a fait allusion précédemment, ne leur est guère bénéfique.

Pour palier à cet état de fait, les éditeurs phonographiques en France ont donc décidé de réduire leurs coûts, au grand dam des artistes insuffisamment rémunérateurs, puisqu’ils verront leur contrat non renouvelé, ils seront donc licenciés ! En conséquence, des chanteurs tels qu’Yves Duteil, Alain Chamfort, Jacques Higelin, Ophélie Winter ont vu leurs contrats rompus.

Une dernière voie a été explorée avec la baisse du prix des disques (souvent des albums devenus désuets) avant la sortie de nouveautés; ainsi, Universal Music France a baissé de 25 % le prix de ses singles. La rupture entre Johnny Halliday et son éditeur Universal, qui a fait couler beaucoup d’encre, s’inscrit dans ce contexte mais semble surtout être le fruit d’une longue dégradation des relations des deux partenaires.

61 Source : cours M1 Esthétique, Arts et Sociologie de la Culture de Monsieur Lachaux.

62 Source : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2005-13.pdf

Observatoire français des conjonctures économiques, « Stars et box-office : un état des approches théoriques et empiriques », juillet 2005.

63 C’est par exemple le cas de l’industrie pétrolière pour laquelle la découverte d’un gisement est suffisante pour compenser les pertes provoquées par des tentatives de forage infructueuses.

Les enjeux de l’industrie musicale ont donc conduit les maisons de disques à avoir une vision tant artistique que financière. Le marché du disque, mondialisé, a connu une croissance prospère avant de subir un arrêt brutal lors de la crise de 1979.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Paul Verlaine Metz – UFR - Science Humaine et Arts
Auteur·trice·s 🎓:
Di Virgilio Marion

Di Virgilio Marion
Année de soutenance 📅: Domaine Sciences des Interactions Humaines mention Esthétique, Arts et Sociologie de la Culture spécialité Industries Culturelles - Mémoire de Master 1 Projets Culturels
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