Mémoire de recherche sur la voiture électrique : efficience, émissions, impacts sur l’environnement et limites structurelles du modèle de mobilité individuelle.
Découvrez l’analyse critique de Damien Sury (ULB) sur la voiture électrique : avantages environnementaux, incertitudes technologiques et limites du modèle actuel de mobilité. La voiture électrique est-elle une vraie révolution ou une fausse bonne idée ?
Université Libre de Bruxelles
Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire
Faculté des Sciences
Master en Sciences et Gestion de l’Environnement
Mémoire de fin d’études présenté en vue de l’obtention du grade académique de Master en Sciences et Gestion de l’Environnement
La voiture électrique : révolution ou fausse bonne idée ?
par SURY Damien
Directeur : Frédéric DOBRUSZKES
Co-directeur : Michel HUART
Année académique
2010-2011
Résumé :
La voiture qui est au cœur du mode de vie des sociétés occidentales et qui a longtemps été synonyme de progrès, commence à voir son image ternie par la somme de ses incidences négatives, principalement dans le domaine environnemental.
Pollution, participation au réchauffement climatique, bruit, congestion urbaine, scarification des paysages, dépendance face aux pays exportateurs de pétrole, exclusion économique et sociale des non-motorisés, mortalité routière, voici quelques-unes des nouvelles images qui lui sont aujourd’hui associées.
Pourtant, ce mode de déplacement continue à être perçu comme indispensable à notre mode de vie et entretient avec lui une relation de dépendance.
C’est dans ce contexte que la voiture électrique est présentée comme la réponse à la plupart de ces nuisances et comme l’avenir de l’automobile voire comme le symbole d’une nouvelle mobilité.
Pourtant ces promesses ne résistent pas à l’analyse environnementale rigoureuse qui nous a guidée au long de ce travail.
Notre conclusion est donc que la voiture électrique est une bonne idée, mais une mauvaise solution. Une bonne idée, parce que la voiture électrique est plus efficiente que la voiture thermique, qu’elle réduit les émissions de gaz à effet de serre, le bruit et les effets de la pollution et qu’elle se marie fort bien avec des sources d’énergie renouvelables.
Par ailleurs les perspectives d’amélioration de son bilan environnemental sont importantes, principalement en raison de la possibilité de réduction des émissions dues à la production d’électricité.
Mais la voiture électrique est malgré tout une mauvaise solution, pour différentes raisons.
La diminution des gaz à effet de serre qu’elle permet, en l’état actuel du mix énergétique de la production d’électricité, ne suffit pas à atteindre les objectifs fixés par le GIEC.
La réduction des incidences de la pollution atmosphérique tient plus au déplacement des émissions (les pots d’échappements en ville sont remplacés par les cheminées des centrales de production d’électricité en dehors des villes) qu’à leur diminution.
La diminution du bruit ne se produit que pour des vitesses inférieures à 50 km/h.
Par ailleurs, un grand nombre d’incertitudes planent encore quant à sa fiabilité, la disponibilité et les impacts sur l’environnement de certaines ressources nécessaires à sa construction et les conséquences fortuites (effets pervers) que pourraient amener son utilisation à grande échelle.
Mais d’un point de vue environnemental, son principal défaut est sans doute de donner l’illusion que le modèle actuel de mobilité individuelle motorisée est pérenne.
Si la voiture électrique est une bonne idée, elle n’est pas un changement de paradigme et le simple remplacement du moteur thermique par un moteur électrique sans rien changer au modèle de mobilité individuelle n’est pas une situation souhaitable d’un point de vue environnemental.
La mobilité ne pourra être durable, c’est-à-dire compatible avec les limites environnementales et énergétiques de la Terre que dans le cadre d’une mobilité repensée qui devrait à notre avis se fonder sur un triple impératif :
- diminuer la mobilité : ce qui ne pourra se faire que par une refondation profonde à la fois de la conception de la mobilité et d’autres modes d’organisation de nos sociétés, au premier rang duquel l’aménagement du territoire;
- augmenter l’efficience de la mobilité : en privilégiant pour les trajets courts les modes actifs (marche, vélo, etc.) et pour les trajets plus longs les transports en commun ferrés électriques sans énergie embarquée (tram, métro, train). Les besoins résiduels qui ne peuvent être rencontrés que par des modes de déplacement individuels devraient être couverts par des véhicules électriques ;
- utiliser le plus possible des sources d’énergie renouvelables.
Dans ce cadre la voiture électrique a un rôle à jouer, mais uniquement pour les besoins qui ne peuvent pas être couverts par la mobilité active et les transports en commun.
Son utilisation devrait donc se concevoir en dehors du modèle dominant actuel qui prône la possession par chaque individu de véhicules surdimensionnés.
Introduction :
Le mode de vie des sociétés dans les pays dits développés1 se caractérise par une grande influence de la voiture individuelle pour le transport de personnes.
1 Nous reprenons pour ce terme la vision critiquable mais à notre avis pertinente pour la problématique que nous étudions, qui divise le monde sur une base socio-économique en trois groupes ; les pays développés (soit les pays de l’OCDE), les pays émergeants (tels que le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud ou le Mexique) et les pays en développement (au nombre desquels la majorité des pays de l’Afrique centrale).
Elle a permis l’étalement de l’habitat, la concentration des zones de travail en dehors des villes et une augmentation, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, de la mobilité individuelle.
Longtemps considérée comme un facteur d’émancipation et bénéficiant toujours, plus particulièrement dans les pays en développement, d’un fort pouvoir d’attraction, la voiture est devenue pour de nombreux habitants de la Terre indispensable à leur façon de vivre et indissociable de leur confort.
Elle confère donc aux acteurs économiques qui la soutiennent un statut privilégié, renforcé par la non remise en question du modèle de possession d’une voiture individuelle à moteur thermique.2
2 Que nous appellerons aussi indistinctement moteur à combustion interne.
Pour autant les esprits les plus alertes ne manquent pas de dénoncer les incidences négatives de ce modèle, incidences qui commencent à être partagées par une part croissante de la population, en tous cas dans les pays développés.
Ces incidences sont de toutes sortes et concernent un large spectre de conséquences.
Elles couvrent par exemple l’aménagement du territoire ou l’approvisionnement énergétique mais aussi des nuisances environnementales (consommation de matière et d’énergie, émission de gaz à effet de serre, pollutions, occupation de l’espace) ainsi que sociales et économiques (coûts importants liés à l’automobile qui provoquent l’exclusion d’une partie de la population, embouteillages, effets sur la santé publique).
Face à ces problèmes, la voiture électrique est présentée par certains comme une solution et compte des partisans, y compris parmi ceux qui se préoccupent de la défense de l’environnement.
Elle permet de se passer du pétrole, considéré comme un carburant polluant et appelé à se raréfier, et de ne rejeter aucune émission directe, même si la plus élémentaire des honnêtetés intellectuelles exige de prendre en compte les émissions dues à la génération de l’électricité.
La voiture électrique permettrait aussi de diminuer le bruit grâce à un moteur particulièrement silencieux.
Certains voient même dans ses batteries un adjuvant précieux pour l’électricité générée à base de sources d’énergie renouvelables.
Car celles-ci sont des énergies de flux (énergie solaire et éolienne) dont le stockage est problématique au contraire des énergies de stock (pétrole, gaz, charbon) qui ne présentent pas cette faiblesse.
Les batteries permettraient alternativement de stocker la génération électrique excédentaire, caractéristique de l’électricité produite à base de sources d’énergie renouvelables qui est intrinsèquement intermittente et donc imprévisible à court terme, et de libérer de l’électricité sur le réseau lorsque la génération est déficitaire, lors de pics de consommation.
Après une première partie en forme de brève introduction qui plantera le décor, nous entrerons dans le vif du sujet.
La deuxième partie se veut une analyse critique du bilan environnemental et énergétique de la voiture électrique, sur la base des connaissances existantes.
Elle s’ouvre, de façon sans doute un peu étonnante, par un chapitre sur la question des batteries, qui doivent leur préséance à leur rôle central dans ce qui fait la différence – et surtout la limite – entre les voitures électriques et celles à moteur thermique.
Vient ensuite un chapitre central qui compare l’efficience énergétique et les émissions de ces deux types de motorisations et pose la question des impacts – positifs ou négatifs – pour le réseau électrique de l’électrification d’une partie de la flotte automobile.
Le chapitre suivant tente de saisir les conséquences, en termes de nuisances et de changements pour ses utilisateurs, que représenterait l’électrification de la motorisation automobile.
Il sera question d’identifier ce qui pourrait évoluer positivement, ce qui ne serait pas modifié et ce qui risque d’empirer. Le dernier chapitre s’intéresse à l’influence des politiques publiques sur le possible avènement de la voiture électrique.
La troisième partie est davantage prospective et pose la question de l’avènement d’un changement de paradigme dans le système de transport routier individuel motorisé, changement dont la voiture électrique serait une partie intégrante.
En partant de différents exemples analysés à travers la grille de la théorie de la transition, elle tente d’y voir clair dans les intentions des différents acteurs et de brosser à gros traits les contours de ce que pourrait être une refondation de la mobilité individuelle, compatible avec les limites de la Terre.
Ainsi, au bout de notre parcours, nous pourrons tenter de répondre à notre interrogation initiale : « La voiture électrique : véritable révolution ou fausse bonne idée ? ».