Économie de fonctionnalité Car Sharing, Motorisation électrique

III.5. Économie de fonctionnalité : Car Sharing Clubs
Pour parvenir véritablement à diminuer les incidences du système actuel de transport individuel, il convient à notre avis de le modifier plus profondément que par le simple changement du mode de propulsion et du modèle commercial. Un certain nombre d’initiatives issues d’abord d’autres domaines d’activité que celui des transports et que les économistes appellent « économie de fonctionnalité » sont apparues ces dernières années [Buclet, 2005]. Selon les partisans de cette solution, les entreprises, plutôt que de vendre des objets, devraient vendre des services tout en restant propriétaires des objets qu’elles mettent à disposition. Car ce qui devrait intéresser le consommateur en premier lieu, ce n’est pas la possession d’un objet mais bien le service que celui-ci peut lui rendre.166 L’utilité première d’un objet est indépendant de sa possession et réside dans le service qu’il rend à celui qui l’utilise. Acheter une voiture n’est pas intéressant en soi, ce qui est intéressant c’est ce qu’on peut en faire, c’est-à-dire pouvoir se déplacer. Dès lors on pourrait en théorie satisfaire les besoins avec moins d’objets (puisqu’un même objet pourrait être utilisé alternativement par différents utilisateurs), ce qui diminuerait les impacts liés à la production. Par ailleurs, cela pousserait aussi les producteurs à mettre sur le marché des objets plus durables et rendrait caduque la tentation de l’obsolescence programmée167 : il serait dans l’intérêt des producteurs de fabriquer des objets qui ont une longue durée de vie puisque leurs revenus seraient liés à l’usage plutôt qu’à la vente d’objets. Enfin, il leur sera aussi indispensable de prévoir l’ensemble des coûts du cycle de vie des objets, et donc aussi la fin de vie qui est souvent négligée par les producteurs. De plus, en faisant payer l’usage plutôt que la propriété, on fait réfléchir l’utilisateur à l’opportunité de chacune de ses utilisations d’un objet et la rationalisation de son comportement est récompensée.
Il existe déjà des exemples qui se rapprochent du modèle d’économie de fonctionnalité dans le domaine du transport individuel motorisé et qu’on peut regrouper sous le nom de « voitures partagées » ou Car Sharing Clubs. Le système est assez simple : les membres peuvent louer pour un temps défini à l’avance une voiture et l’utiliser comme bon leur semble avant de la restituer en général au lieu où elle a été empruntée, ce qui la rend disponible pour un nouvel emprunteur. Les véhicules sont disponibles en quelques exemplaires à des « stations » localisées à des endroits stratégiques, principalement en ville, où la densité de la population donne tout son sens au système.
En Belgique le système Cambio de voitures partagées existe depuis 2002 et compte environ 10.000 clients.168 Il couvre à l’heure actuelle une vingtaine de villes169 dans lesquelles sont réparties 369 voitures. D’autres pays disposent de système similaires, notamment la Suisse,170 l’Allemagne et les Etats-Unis, principalement avec la société Zipcar.171 Un autre Car Sharing Club du nom de Car2Go, présent aux Etats-Unis (à Austin au Texas) et dans deux villes allemandes (Ulm et Hambourg), propose un système plus souple de partage. Dans ce système développé par le constructeur automobile Daimler, il n’est pas obligatoire de ramener la voiture au lieu où celle-ci a été empruntée, ni de spécifier pour combien de temps on souhaite la réserver. Chaque voiture est équipée d’un système de localisation par satellite et lorsqu’un abonné de Car2Go a besoin d’une voiture, il repère à l’aide de son téléphone portable ou sur un site internet où se trouvent les voitures disponibles.172 Le concept de voitures partagées a tellement attiré l’attention que d’autres constructeurs se sont lancés dans l’aventure ou pensent le faire : BMW a récemment lancé un système permettant aux habitants de Munich et de Berlin de louer des voitures à la minute.173
L’avantage pour l’utilisateur est principalement économique : posséder une voiture pour ne l’utiliser que quelques heures par jour ou par semaine est extrêmement onéreux et à vrai dire injustifié. En ne payant que pour les trajets qu’il réalise, l’utilisateur peut faire de substantielles économies. D’abord parce que les frais fixes (achat, assurance, taxes, entretien) sont répartis entre les usagers du système. Ensuite parce que comme chaque trajet lui est facturé (au lieu d’acheter une voiture, d’en oublier le prix et de n’être confronté aux aspects économiques que lorsqu’on passe à la pompe ou qu’on paye les coûts annuels) l’utilisateur réfléchit à deux fois avant de réserver une voiture et les utilisateurs de ce service ont dès lors tendance à rationaliser leurs déplacements.
Mais les avantages du système de voitures partagées ne s’arrêtent pas aux aspects financiers. D’abord, comme nous l’avons vu, les utilisateurs de ce système roulent moins que les automobilistes qui possèdent une voiture particulière. Cette diminution des kilomètres parcourus permet de réduire les nuisances liées à l’utilisation du véhicule. Robin Chase, la fondatrice de Zipcar, révèle que les membres du système qu’elle a créé roulent en moyenne 800 km par an au lieu des 20.000 km de la moyenne américaine.174 Ensuite, parce que le système de voitures partagées permet de choisir un petit véhicule économe pour un simple déplacement et un véhicule plus spacieux lorsque c’est vraiment nécessaire. Alors que l’achat d’un véhicule se fait généralement en fonction de tous les besoins en mobilité de son possesseur, même si certains de ces besoins sont très peu fréquents. Le système de partage de véhicules permet d’augmenter l’efficience énergétique de la mobilité.
Enfin, on peut estimer qu’un grand nombre d’automobilistes a pu se passer de l’achat d’un véhicule grâce au système de voitures partagées, ce qui réduit la pollution liée à la construction et à la fin de vie d’un nombre important de véhicules ainsi que les incidences en termes d’occupation de l’espace par les véhicules en stationnement. Une enquête faite auprès des utilisateurs de Cambio a estimé qu’une voiture partagée permet d’éviter la construction d’environ 10 véhicules.175
A l’heure actuelle la plupart de ces systèmes n’offrent que des voitures thermiques mais leur modèle de fonctionnement (qui impose généralement que la voiture soit stationnée à un endroit précis) s’accommoderait très bien de l’usage de voitures électriques en installant une borne de recharge sur le lieu de stationnement. De plus, ces sociétés font leur profit en vendant des km parcourus, or les voitures électriques ont un coût de fonctionnement beaucoup plus bas que les voitures thermiques. Réparti sur l’ensemble des utilisateurs, le surcoût nécessaire à l’acquisition d’une voiture électrique par rapport à une voiture thermique pourrait être rapidement rentabilisé par l’utilisation plus soutenue qui en serait faite. La société suisse Mobility Carsharing s’est d’ailleurs lancée dans un projet d’installation de VE partagées, disponibles principalement aux abords des gares.176 D’autres suivent le même raisonnement puisque Car2Go va proposer fin 2011 des voitures électriques en libre-service à Amsterdam.177 La ville de Paris n’est pas en reste et prévoit le déploiement d’un vaste système de VE partagées appelé Autolib. Le projet est de mettre en place un peu plus de 1000 stations qui accueilleront 3000 voitures électriques. Le système, sur le modèle des Vélib, les vélos en libre-service, permet à l’utilisateur de ne pas rapporter le véhicule à l’endroit où il l’a emprunté mais bien dans n’importe laquelle des stations de la ville, où il sera possible de recharger la batterie.178
Bruxelles, qui ne veut sans doute pas passer pour la moins « branchée » des capitales européennes, a aussi lancé un système similaire. Un système de voitures partagées propose depuis peu de petites VE qui permettent à un conducteur et un passager d’y prendre place. Le système privé est développé avec l’aide des pouvoirs publics (la Société Régionale d’Investissement de Bruxelles) qui l’a inauguré en grande pompe.179
L’offre est malheureusement indépendante de tout autre moyen de transport et même non liée au système Cambio de voitures partagées pourtant bien présent sur le territoire bruxellois, ce qui est très regrettable. On comprend mal l’intérêt de multiplier les acteurs dans un domaine qui pour l’heure reste relativement peu développé. De plus, les premières stations disponibles se situent dans des parkings de la ville, par ailleurs partenaires du projet.180 Cette localisation laisse perplexe sur les possibilités d’intermodalité avec des transports en commun, puisque généralement les parkings sont accessibles le plus commodément en voiture.
Ce système semble particulièrement efficace en zone urbaine. La population qui y réside dispose d’une offre importante de transport lui permettant d’être moins dépendante de la voiture. Par ailleurs, la densité est suffisante en ville pour justifier l’installation de stations abritant des voitures partagées et rappelons que celles-ci permettent de diminuer la consommation d’espace en remplaçant chacune environ dix voitures individuelles. Enfin les distances parcourues sont généralement moins grandes, ce qui favorise aussi les solutions de type mobilité active ou transports en commun. On peut par contre se poser la question de savoir si en zone rurale, ce système pourrait efficacement remplir les besoins de mobilité généralement remplis par l’automobile et nettement moins facilement remplaçables.
Avec le système de partage de voitures, il est par ailleurs possible de vaincre certaines résistances parmi les automobilistes en raison du fait que ce système n’est pas une négation de ce que représente l’automobile. Il est toujours possible de l’utiliser pour se déplacer, pour déplacer des objets et même pour le plaisir. Car comme le rappelle Robin Chase, les utilisateurs de voitures partagées se rendent compte qu’on peut continuer d’assouvir son plaisir de conduire et même d’afficher son statut social avec des voitures partagées.181 Il s’agit plutôt d’une rationalisation de l’utilisation de l’automobile que d’obliger les gens à y renoncer et en cela l’expérience est très intéressante.
Le système de voitures partagées disposant de moteurs électriques représente à notre avis un début de changement de paradigme ayant le potentiel de modifier le régime sociotechnique en place. En conjuguant voitures partagées et motorisation électrique, il est possible d’avoir un début de véritable transformation vers un système de mobilité individuelle énergétiquement et environnementalement soutenable, c’est-à-dire en accord avec la réalité. Pour autant, pour que le potentiel de cette combinaison soit réalisé, il faut à notre avis qu’il ne soit qu’une pièce du puzzle de la mobilité et nécessite donc d’aller plus loin dans la remise en question de la mobilité actuelle elle-même, comme nous le verrons ci-après.
Lire le mémoire complet ==> (La voiture électrique : révolution ou fausse bonne idée ?)
Master en Sciences et Gestion de l’Environnement – Université Libre de Bruxelles
Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire
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166 Pour autant les consommateurs ne sont pas rationnels et la possession d’objets peut en fait, d’après certains auteurs, servir différents objectifs. Le positionnement social par la consommation a par exemple été étudié dès la fin du XIXe siècle par Thorstein Veblen, qui parle de « consommation ostentatoire ».
167 Pratique de certains producteurs de biens qui construisent des objets à durée de vie délibérément courte afin de pouvoir les vendre plus souvent. Le cas d’école (et le premier cas avéré de cartel) de cette pratique est l’accord passé entre fabriquants d’ampoules électriques de ne pas mettre sur le marché des ampoules pouvant fonctionner plus de 1000 heures avant de tomber en panne, alors qu’il était technologiquement et économiquement possible de proposer des lampes à la durée de vie bien plus longue. Voir le documentaire de Cosima Dannoritzer, The light bulb conspiracy, 2010.
168 Chiffres publiées par Cambio fin 2010. Voir : http://www.cambio.be/cms/2/downloads/6e2e04cc-cce0-4493-8368-fb9a568dd628/BXL_newsletter_2010-12_Fr.pdf
169 Pour la liste des villes disposant de voitures partagées Cambio voir : http://www.cambio.be/cms/carsharing/fr/2/cms/stdws_info/stationen.html
170 Le système « Mobility Carsharing » dispose de 2500 véhicules répartis dans 1250 stations couvrant plus de 400 localités et comptant près de 100.000 utilisateurs. Voir http://www.mobility.ch/fr/pub/index.cfm
171 Voir http://www.zipcar.com/
172 Pour une évaluation complète du système Car2Go voir : http://green.autoblog.com/2011/03/24/daimler- car2go-program-carsharing-smart-fortwo/
173 Voir http://green.autoblog.com/2011/03/24/bmw-sixt-launch-drivenow-car-sharing-program-w-video/
174 Il faut à notre avis relativiser cette différence en partant du principe que les utilisateurs de Zipcar faisaient sans doute déjà partie de la population parcourant le moins de km en voiture avant de devenir membres. Voir : http://www.ted.com/talks/lang/eng/robin_chase_on_zipcar_and_her_next_big_idea.html
175 Voir http://www.cambio.be/cms/2/downloads/6e2e04cc-cce0-4493-8368- fb9a568dd628/BXL_newsletter_2010-12_Fr.pdf
176 Voir http://www.mobility.ch/fr/pub/footer/presse/communique_de_presse/electromobilite.htm
177 Voir http://green.autoblog.com/2011/04/11/daimler-electric-car2go-carsharing-service-amsterdam/
178 Voir http://www.moteurnature.com/actu/2010/autolib-paris-bollore-bluecar.php
179 Voir http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_zen-car-bruxelles-se-lance-dans-la-voiture-electrique- partagee?id=5590553
180 Voir http://www.zencar.eu/fr/index.cfm
181 Voir http://www.youtube.com/watch?v=oBtcdvPf_ZU&feature=player_embedded
 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La voiture électrique : révolution ou fausse bonne idée ?
Université 🏫: Université Libre de Bruxelles - Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire - Mémoire de Master
Auteur·trice·s 🎓:

SURY Damien
Année de soutenance 📅:
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