La recherche de satisfaction de besoins pratiques, SEL

La recherche de satisfaction de besoins pratiques, SEL

1. La recherche de satisfaction de besoins pratiques

La volonté d’utiliser le SEL en vue de la satisfaction de besoins pratiques se retrouve à des degrés divers chez les répondants. Pour les p.i 10, 11 et 12 elle a extrêmement peu d’importance en comparaison avec la motivation politique (3). En revanche, cette dernière n’est pas la principale motivation de l’entièreté des membres :

« Les gens que t’as pu rencontrer à ces deux où trois bruseliennes et à cette AG… pour toi c’est des gens qui attendent quoi du SEL ? Comment est-ce qu’ils voient ce truc-là ?

Qu’on leur rende des services ! C’est ça le but. C’est ça le but premier, c’est ça le but… à des prix ‘fin… pas des prix, c’est des services gratuits, c’est ça le but aussi je crois. ‘Fin, gratuit… en compensation d’un autre service quoi (…). C’est gratuit.

Tu n’as … comment j’vais dire moi, tu n’as pas de frais élevés à payer pour un service (…). La plupart des gens qui sont là-dedans sont des gens qui n’ont tout de même pas d’euros à mon avis hein… La situation économique de chacun est pas élevée mais bon… [on nous sert le café ‘tu veux du lait’]. Oui, je ne connais pas la situation économique de chacun ou la vie privée de chacun mais enfin je crois que la plupart des gens sont pas des gens qui ont une fortune… à la Ben Laden. Bon, il y a peut-être des gens qui sont mieux lotis que d’autres [‘ah, salut, ça va’], bon… » [9.140].

Selon Servet, « A défaut d’une participation à une société de production, d’une intégration par le travail, participer à la société de consommation peut jouer un rôle de compensation d’ordre symbolique et la recherche d’un meilleur statut social passe alors par l’acquisition de biens d’équipement ». Le SEL offre précisément comme avantage de permette à certains de s’offrir des biens ou des services qu’autrement ils ne pourraient se payer.

« Et en fait, c’était pour une question très pratique, c’était parce que je devais déménager. Et elle m’a parlé que… il y avait des équipes de déménagement. Comme j’avais pas beaucoup d’argent, que c’était possible de faire des déménagements par ce système… Et puis j’ai été pour une réunion d’information et donc j’ai vu que c’était quelque chose de plus vaste.

Et donc je me suis inscrit parce que je trouvais que c’était un système alternatif… vraiment pour beaucoup de problèmes d’ordre pratique, pour les gens qui n’ont pas beaucoup de possibilités financières. Un plombier coûte très cher, n’importe quel bricolage de la maison. C’était plus d’un point de vue pratique » [3.16].

« (…) j’aurais besoin de remplacer la planche du meuble qui était cassée au déménagement, deux trois trucs… mon ordinateur… qu’on mette trois planches comme ça au-dessus ma tour pour qu’elle soit protégée… enfin des… un peu de menuiserie quoi. J’aurais besoin de ça, j’aurais besoin de ça… j’aurais envie de tapisser mon hall et j’ai envie d’être aidée pour ça… et j’aurais besoin de ranger ma cave parce qu’on ne sait plus rentrer dedans. Donc, c’est trois choses bien concrètes que j’aurais besoin… » [7.109].

« ça rend possible des choses si t’as pas beaucoup de moyens (…). ça si jamais j’ai besoin je peux faire appel, tu vois, tu te sens plus léger (…). Je fonctionne avec pas beaucoup d’argent tu vois, donc j’ai des choses que j’ai besoin mais… j’ai pas… je compte quand même tu vois… je peux pas dépenser comme ça sans réfléchir… » [13.307].

La satisfaction de ses besoins pratiques est une motivation légitime, mais il est généralement mal vu qu’un membre en fasse de la sa motivation principale. En effet, dans la morale SEL (défendue entre autres par Terris dans son « SEL mode d’emploi »), le bien n’est pas censé valoir davantage que le lien. Ainsi, au sein de BruSEL (cf. supra, p.i. 9) certaines p.i. reprochent à d’autres de s’accrocher à une attitude de « consommateur ». Ce sont – disent certains – des gens qui se méprennent, se fourvoient.

« Je vois qu’il y a un peu deux genres de personnes : il y a ceux qui seraient plus pour le côté politique, affectif et cætera et quand même quelques-uns qui se fourvoient un peu là-dedans, de gens qui attendent qu’on leur donne un service quoi et qui fait rien de plus.

En tout cas, dans la réclamation, quand j’ai eu des réclamations, ou qu’on m’en a parlé, j’ai eu un peu le sentiment que ça peut être, des gens qui attendaient vraiment un service gratuit comme on demande un service que normalement on paye, enfin je veux dire, avec une exigence de consommateur, consommateur au mauvais sens du terme… Je te donne mille francs et je dois en avoir pour mes mille francs quoi, p’t’être même pour mille cinq cents francs… (rire) Vous voyez, c’est des choses comme ça quoi… » [10.320].

Une large part des membres interrogés s’accorde à dire que cette motivation n’est pas essentielle.

« Alors, tout au début, quand je me suis inscrit, je te dis, c’était un peu galvanisé par les… idées, et donc, j’ai pas demandé des services tout de suite, ça a mis assez longtemps. J’ai rendu des services assez vite mais j’ai pas demandé. Et au début, même, j’étais un peu étonné parce que je me suis dit « au fond j’en ai pas besoin ». Parce que je suis quelqu’un qui quand j’ai besoin de quelque chose j’essaye de le faire moi-même » [5.224].

« Ben, bon moi, au départ c’est pas une démarche utilitariste, j’en ai pas besoin du SEL, c’est plutôt une démarche politique je vais dire, au sens large du terme. C’est-à-dire qu’en fait je voulais participer à une expérience tout à fait politique au sens le plus étroit du terme. J’avais l’expérience de gauches unies, je sais pas si quelqu’un t’a parlé de ça ? » [11.6].

Mais il semble que l’argent continue à avoir son importance dans ces échanges où il est censé n’être absolument plus question d’argent. Son influence continue à s’exercer sur les attentes et motivations des gens malgré leur intégration dans le SEL. Concrètement, les préoccupations politiques ne semblent ainsi intéresser que ceux et celles qui ont su faire passer leurs préoccupations pratiques au second plan.

C’est un peu comme dans l’éthique à Nicomaque : l’accès à la polis est impossible à ceux dont l’existence demeure rattachée à la nécessité. Afin de vérifier ou d’infirmer la pertinence de cette idée à l’égard du cas qui nous occupe, il serait intéressant de mettre à l’épreuve l’hypothèse suivante : Dans BruSEL, les personnes essentiellement motivées par des motivations politiques ont généralement un statut socio-économique comparativement plus élevé que les personnes mues par des motivations pratiques.

Notons que les membres de BruSEL versant « polis » connotent souvent négativement les échanges rattachés essentiellement à des questions de nécessité. Ce qu’ils leur reprochent – semble-t-il – c’est de trop penser à leur intérêt, d’agir pour leur bien propre plutôt que pour le bien commun. Les membres les plus « politiques » disent quasi immanquablement « je n’ai pas besoin du SEL » (cf. infra), et par là, ce qu’ils entendent c’est : « Ce ne sont pas mes besoins matériels qui me motivent, je cherche autre chose ».

Ce que les tenants de l’« oikos » voient dans BruSEL, c’est en revanche quelque chose qui leur permet de « souffler », c’est un recours, une garantie, une aide. Rien n’empêche certains d’entre eux d’adhérer à l’idéologie SEL mais celle-ci n’est pas la raison de leur présence dans BruSEL.

Et en dehors de l’intérêt pratique, l’intérêt que ça présentait pour toi de faire des échanges sans argent, c’était quoi ? S’il y en a un…

Oui, ben de rencontrer des gens quand même aussi … quelque chose de plus humain quoi à la limite, de sortir du système dans lequel on vit … Oui je sais bien que je parle beaucoup d’argent mais fin tu vois c’est… c’est pompant tu vois.

‘Fin, je sais pas, de sortir de ça, de rendre un peu autre chose possible, de pouvoir échanger, de pouvoir partager des choses que d’autres connaissent pas, ‘fin… et de pas non plus juste donner et pas recevoir, tu vois. ‘Fin voilà un autre système parallèle au système dans lequel on est obligé de vivre quoi, ce que tout le monde vit quoi… Je sais pas très bien comment expliquer : rendre possible des choses qui dans un autre système sont pas toujours possible quoi…

Comme…

Ben comme euh… faudrait que j’aie la liste devant moi mais… je sais pas, quand tu vois la liste tu te dis, chouette ça ça serait sympa, ça si jamais j’ai besoin je peux faire appel, tu vois, tu te sens plus léger (…) je fonctionne avec pas beaucoup d’argent tu vois je… donc j’ai des choses que j’ai besoin mais j’ai pas… je compte quand même tu vois, je peux pas dépenser comme ça sans réfléchir. Donc euh, vite tout coûte tu vois, n’importe quoi, des problèmes avec l’ordinateur tu dois claquer comme ça, tout le temps. Et quand tu vois tous les services tu te dis, tu te sens fff… ok ça va, si j’ai besoin je peux contacter untel.

Ca c’est l’impression que ça ça me donne quand je reçois… quand je recevais parce que finalement c’est pas tous les jours un ordinateur (inaudible) donc voilà, la sensation que c’est un autre système, c’est plus abordable pour tout le monde… en espérant que finalement les gens soient sympas et que… ouais au départ moi je me disais ben si en plus tu peux rencontrer des chouettes gens et t’faire un réseau d’entraide c’est un peu le rêve comme ça tu vois, bon après tu gardes ou tu gardes pas contact souvent tu gardes pas mais… Voilà, moi au début ça me donnait la sensation que c’était peut-être possible de faire partie d’un truc tu vois où les gens sont plus connectés, s’entraident, se rencontrent… Tu peux avoir accès à des services qui en temps normal… t’y aurais pas accès quoi (…)

Il y a des gens, des gens du SEL qui en partant de cette idée-là disent que ce qui est rendu possible au sein du SEL c’est une espèce de projet politique, de projet citoyen : tu penses quoi de ça ?

Ben moi je suis pas du tout politique (rire)… ça, en pratique, ‘fin pour moi en tout cas, c’est pas ce qui se passe… ça pourrait, en Australie à mon avis c’est beaucoup plus comme ça, mais je crois qu’ici on est encore bien trop obligé d’avoir un boulot et tu vois, d’être dans assez de choses pour … dans l’autre système que pour… ‘fin je sais pas si il y a des gens qui fonctionnent qu’avec le SEL hein mais euh… mais oui, je peux imaginer que des gens rêvent à ça mais je sais pas si ça se passe dans la pratique quoi.

J.-M. Servet, op cit., p. 271

Aristote, Ethique à Nicomaque (trad. B. Saint-Hilaire), Paris, Librairie Générale Française, 1992, Livre X, chapitre VII & VIII, pp. 415-420

Ben en tout cas, moi les gens que j’ai rencontrés et qui font partie du SEL euh, sont pas des « SEL, SEL, SEL », ‘fin tu vois, ont leurs vies et comme ça plic-ploc « ah oui ça… » et « quelqu’un qui … (rire)… propose ça, et ça m’intéresse », ou « oh, j’ai justement besoin de ça et on le propose justement dans le SEL » mais pff principalement on est tout à fait dans la vie normale quoi.

[13.276 – 13.356]

 

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