La quête Idéologique Ou Politique, la motivation du SEL

La quête Idéologique Ou Politique, la motivation du SEL

3. la Quête Idéologique Ou Politique

3.1. Non pas la motivation la plus importante mais la fonction la plus englobante

Les fondateurs y voyaient le but premier du SEL : leur idée était moins de satisfaire des besoins matériels et relationnels que de faire l’expérience de rapports sociaux libres, égalitaires et solidaires. Si on entend « politique » dans son sens le plus large, on peut considérer cette quête politique – non comme la motivation la plus importante mais – comme la fonction la plus englobante : c’est-à-dire que les autres fonctions de BruSEL peuvent s’y réduire.

Le (1) bénéfice matériel tiré des services rendus et la (2) satisfaction personnelle issue de l’activité prestée et des liens noués sont tous deux politiques en ce sens qu’ils participent du bien de la collectivité : la liberté de chacun dans le cadre d’un collectif égalitaire et solidaire.

Profiter d’un déménagement gratuit c’est voir se relâcher d’éventuelles contraintes financières ; c’est un peu de liberté qui naît. Donner un cours collectif de maths c’est -qu’on le veuille ou non et sauf exception – rajouter de la valeur tant à soi-même qu’aux destinataires du service et exercer de facto sa liberté. Fournir un cours de chant à quelqu’un qui ne pourrait jamais s’en payer c’est – qu’on en soit conscient ou non – aller dans le sens d’une plus grande égalité des chances. Préparer un bon repas de fête c’est participer au renforcement de la cohésion du groupe ; c’est de la solidarité. L’exercice collectif d’une tâche revient – sauf exception – à créer de la solidarité.

Puisque toutes ces activités participent d’une quête politique, il est tout à fait fondé de dire la fonction politique englobe toutes les autres. Mais cela ne revient bien entendu pas à dire que la visée ou la motivation principale des membres est politique.

Elle ne l’est pas puisque c’est généralement le lien qu’ils visent en tout premier lieu. Si on en croit Jeff Van Ouytsel et Katrin Vanderweyden (cf. supra) la quête de liens est à la fois la motivation principale des selistes et la fonction latente des échanges. Elle se cache derrière le prétexte de la quête de biens (qui est quant à elle la fonction manifeste des échanges). Bref, le bien est le moyen par lequel le lien se noue.

Alors en quoi ne pourrait-on pas décréter que le fait de nouer des liens est la fonction la plus englobante ? C’est faux, sauf si on s’entend sur la nature à la fois libre, égale et solidaire de ces liens ; mais par là même, la quête de liens se retrouve subsumée à la quête politique.

Puisque les membres sont en effet tous tenus aux obligations d’une charte éminemment politique, c’est bien évidemment le projet politique de BruSEL qui continuera à donner son unité à l’ensemble, et cela bien que les motivations personnelles des membres soient davantage relationnelles que politiques.

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3.2 Faire tourner un laboratoire politique

Comme cela a déjà été dit plus haut, il semble que la motivation politique soit davantage présente chez les membres au statut socio-économique élevé. Parmi les p.i. les plus intéressées par le versant idéologique et politique du SEL, on retrouve deux historiens (4, 11), un informaticien (12), une juriste (10) un artiste (5) et un sociologue-AS (8). Ceux qui sont le moins intéressés par ce versant politique sont les p.i. 2 et 9, une masseuse-astrologue et un ancien ouvrier des chemins de fer.

La posture citoyenne ou civique des p.i. 4, 5, 8, 10, 11 et 12 les amène parfois à admettre que leur adhésion relève moins de l’envie d’échanger que de l’envie de soutenir un projet qui leur tient à cœur : « Au début je me disais que je m’inscrirais même si j’avais rien à proposer, juste pour soutenir le truc… presque comme un choix citoyen quoi » (5.28).

« Donc, mon intérêt c’était politique, c’était la construction politique en fait de ce système d’échange et j’aimais bien l’invention de l’argent aussi. C’est aussi une subversion de l’argent quoi (rire). C’est vraiment ça qui m’a plu (rire)… Et c’est pour ça que j’y reste… c’est pour maintenir le principe : parce que j’ai envie d’accorder, ou de donner mon appui, ou peut-être ma solidarité … ou je sais pas comment on peut appeler ça.

Participer à ça quoi… même si dans le pratique, je fais pas… je fais pas d’échanges quoi. » (10.26)

Le SEL est ainsi souvent défini pas les p.i. comme un laboratoire politique : ce qu’on y teste c’est la viabilité d’un vivre ensemble émancipé des contraintes du marché, des distinctions de statuts socio-économiques et de l’individualisme ambiant.

i. Des activités autonomes

Plutôt que de faire se multiplier ces emplois qui asservissent les individus sans même apporter de richesses supplémentaires à la société, il faudrait – selon Gorz – développer un secteur d’activités autonomes, des espaces d’autonomie dans lesquels nous pourrions « vouloir ce que nous faisons et en répondre ». Ce que propose BruSEL n’est rien d’autre que cela.

« J’appelle autonomes ces activités qui sont à elles-mêmes leur propre fin. Elles valent par et pour elles-mêmes non pas parce qu’elles n’ont pas d’autre but que la satisfaction ou le plaisir qu’elles procurent mais parce que la réalisation du but autant que l’action qui le réalise sont source de satisfaction : la fin se reflète dans les moyens et inversement (…) ».

Les services de BruSEL consistent en des activités autonomes : Même dans les déménagements – tâche habituellement perçue comme pesante – il y a une certaine convivialité, un plaisir à être à la tâche et une satisfaction à faire ce que l’on fait.

La cueillette collective de cerises, les conseils de cuisine ou les cours de musique par exemple sont autant de services par lesquels on se voit amenés à « apprendre comment faire », à « approcher une perfection dont on a nous-même défini les normes ». « L’activité porte sa récompense en elle-même, tant par son résultat que par les qualités que son accomplissement me fait acquérir».

ii. Contre la hiérarchie : Contre la mesure de la valeur humaine

« L’avantage du SEL c’est qu’il met toutes les activités sur le même pied », « il n’y a pas des activités très prestigieuses et des activités qui ne valent rien », « il permet de se dire à soi-même qu’on ne sert pas à rien, ou qu’on ne vaut pas moins que rien » : ce sont des idées récurrentes dans les témoignages que nous avons recueillis. Tous ces témoignages nous montrent à quel point les selistes rejettent l’idée que la valeur d’un homme puisse se mesurer à l’aune de ce qui est nommé « utilité sociale » par le marché du travail. L’article 1 de la charte illustre avec force ce rejet de l’échelle d’utilité imposée par le marché.

Le fait qu’on considère la valeur de l’activité humaine comme incommensurable a des implications au niveau de la liberté personnelle des membres, de la reconnaissance faite aux membres et la nature des échanges.

iii. Le Don de soi

Dans le système dominant on estime que le désintéressement est une condition préalable à l’exécution de certaines tâches : cela revient à dire que certaines tâches requièrent de la part de ceux qui les exécutent qu’il n’y ait pas intérêt à ce qu’il y ait du travail à faire.

Ce sont principalement les services de soins et d’aide qui sont ici visés. Bref, afin que l’aide conserve son caractère de fin ultime il faut que l’employé soit rétribué indépendamment de son rendement ; il faut qu’il y ait incommensurabilité entre ce qu’il fait et ce qu’il gagne : soit il gagnera un salaire non-révisable (et on parlera de fonctionnariat) soit il ne gagnera rien (et on parlera de bénévolat).

Dans le SEL, le désintéressement est posé comme condition nécessaire de l’exécution de tout service. Comme dans le cas des services de soin et d’aide, l’intérêt doit être détaché de l’échange afin que l’échange se passe bien. Comme dans le cas susdit, on considère que l’appât du gain impliquerait une entrave potentielle au don de soi qui est supposé naître de par l’échange. Et c’est précisément afin de rendre la relation désintéressée qu’on en exclut l’argent. « On touche à quelque chose de l’ordre du don, du don gratuit, du don de soi, qui n’est pas du commerce » (5.123).

« Ah, comment expliquer ça, c’est plus naturel. Puis ça permet à tout le monde de recevoir ce dont il a besoin… ça permet aussi de donner de la même façon, c’est donner de sa personne hein. C’est donner plus de sa personne que si on reçoit de l’argent » (7.150).

A. Gorz, op. cit, p 268

id., p. 267

ibid. p. 272

ibid., p. 272

art. 1 « Le BruSEL est un Système d’Echange Local dont l’objet est de permettre un échange de services entre ses membres sur une base égalitaire dégagée de considérations financières, et de contribuer par là au renforcement d’un tissu social local qui ne reproduit ni les rapports sociaux ni la hiérarchie des qualifications tels qu’ils existent sur le marché du travail ».

« Dans BruSEL ce qui est échangé ce sont des services très personnalisés, des petits services (5.49) », « Le SEL ça fonctionne vraiment pour des petits services interstitiels comme ça, ça remplit un peu des vides très précis » (5.268)

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Les motivationsLes attentesLes moyensLes attentes rencontrées« remplit des vides très précis »Les attentes déçuesLes stratégies réactives
Au niveau de l’action individuelle et des échanges interpersonnelsAu niveau de l’Assemblée Générale et de la Coordination
B. pratiques– facilités, possibilités- gratuité– diversifier l’offre- rencontrer la demande- rétribution des services en monnaie de SEL– accès à des services inaccessibles- échapper à des dépenses coûteuses- sortir de diff. financières

– augm. qualité de vie

– Aide

– Pouvoir d’achat

– dénis de demandes- pas de satisfaction- coût excessif en heures/ blés

– manque d’échange

– manque de demande

– mauvaise coordination

– absence de biens

– questionner l’offreur- participer, offrir davantage- meilleure coordination

– les biens peuvent être donnés mais pas échangés

– instauration de l’obligation de réponse (ne serait-ce que pour dire non)- informer les nouveaux membres des attentes légitimes au sein de BruSEL- dynamiser les échanges en responsabilisant (un numéro par membre plutôt que par toit)

– un coordinateur par groupe

– règle instaurant l’échange exclusif de services (savoirs, savoir-faire) ; possibilité de la remettre en question

Q. estime de soi« un système parallèle qui a un impact positif sur les gens »Q. de reconn. sociale– se sentir valorisé- reconnaissance- transmettre des savoirs

– Contact humain

– Rencontre

– Confiance

– Être dans une solidarité

– Sortir de l’idée donnant-donnant

– subversion de l’argent

– Don de soi

– principe « une heure égale une heure »- aide info services- le tutoiement

– Les bruseliennes (fêtes) et les AG

– droit à refuser des services

– échange en triangle

– création d’une monnaie fictive

– valorisation des compétences, fructification pour soi et pour autrui- contre sentiment d’inutilité- Rester actif

– Vivre avec décence

– contre l’isolement

– qualité contact humain, des rencontres (chaleureux, sain, écologique)

– culture de groupe

– liberté comme non-redevabilité, contre l’« hypercontrôle »

– offres non-demandées- dénis de demandes- non-disponibilité

– anonymat, comptes à zéro

– mauvaises expériences et rencontres, aggressivité

– pts réseaux

– membres qui ne se connaissent pas

– fêtes et AG peu fréquentées

– rencontre de mentalités de consommateur, d’acheteur

– profiteurs

– [pfs mal vécu par les p.i] redéfinition de ses offres ou découragement et départ- [généralement mal perçu ou mal vécu par les p.i.]- appeler les inactifs et les nouveaux

– résignation, déception, conflits

– convivialité

– participation aux fêtes et aux AG

– engagement, motivation

– [mal perçu]

– inciter les membres à répondre aux demandes les plus fréquentes et les moins souvent satisfaites- instauration de l’obligation de réponse (ne serait-ce que pour dire non)- inciter les membres à appeler les inactifs et les nouveaux, inversion du bottin

– médiations, discussions en AG, éventuelle décision d’expulsion

– instauration de « règles de motivation »

– Améliorer la communication, informatisation

– pas un système policier

Q. idéologique– prouver que d’autres rapports humains sont possibles- contre l’esprit de lucre et la « commercialisation de tout »- anti-productivisme

(controversé)

– Construire des Alternatives

– valorisation des petites choses

– faire tourner un laboratoire de pensée

– démocratie directe

– égalité, équité

– intégration

– instaurer un système d’échange sans argent- échanges en blés- mise à disposition de tous d’un bottin où chacun peut figurer (en référence aux services de son choix)

– principes et discussion au sein de l’assemblée

– AG ouverte à tous, pas de délégation

– échanges à l’aune du temps

– SEL

– action politique, voix commune- amélioration de la société, effets concrets dans le quotidien- Réflexion, réveil des consciences (confiance, don de soi, solidarité)

– se défaire de logiques utilitaristes, spéculatrices

– Aide aux chômeurs

(controversé)

– réflexions, discussions, « enrichissantes », intéressantes

– exercice d’une aptitude à trancher, décider par soi-même

– valorisation des activités dévalorisées sur le marché classique

– combler des vides

– ruptures de confiance (les déménagements)- transgression de l’esprit de départ- logiques du SED qui déteignent sur le SEL

– offres non-demandées

– valorisation de choses plus intello que pratiques

– incompréhension

– rhétorique

– gros investissement en temps

– non-considération de la pénibilité du service

– le prix l’œuvre d’art ne se calcule pas en temps

– rien à faire- discussions-aller à l’encontre d’un m. de pensée qui « prend de la place dans la tête »

– se redéfinir

– Écoute mutuelle, confronter les expériences, personne ne détient la vérité

– Inévitable, pas un système policier- cf. discussions en AG ?- inciter les membres à répondre aux demandes les plus fréquentes et les moins souvent satisfaites

– info services

 

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