Les dimensions identitaires et la consommation vestimentaire

Les dimensions identitaires et la consommation vestimentaire

I. L’adolescent individu et consommateur

À l’adolescence, le jeune recherche une nouvelle identité car il cherche à rompre les liens de dépendance à ses parents. Nous verrons comment au travers de sa consommation vestimentaire, il s’identifie à d’autres modèles en même temps qu’il revendique son individualité.

Il affirme sa position dans la société, position donnée par son âge, sa place au sein de sa famille (enfant de, éventuellement frère ou sœur de), son statut d’élève, son identité sexuée et ses engagements personnels (sportif, passionné de musique ou autre activité extra-scolaire). Les dimensions identitaires de l’individu constituent, dans le cadre de mon mémoire, un mode d’entrée à l’analyse des adolescents que j’ai interviewés et permettent de dessiner leur monde.

A. Les dimensions identitaires

Au travers de leurs activités scolaires, familiales ou de loisirs, la vie des adolescents est faite de prise de rôles divers, qui offrent la possibilité de retravailler continuellement leurs dimensions identitaires.

En se présentant succinctement, chaque adolescent a formulé, explicité ses dimensions identitaires. Ces dimensions sont celles d’élève (collégienne ou lycéenne), de membre d’une famille et d’amie, de sportif ou de passionné. La dimension identitaire enfant de et la dimension collective d’élève n’est pas choisie à la différence des dimensions identitaires de « passionné de » ou de « sportif ».

Une hiérarchie des dimensions identitaires peut en partie être appréhendée au travers de l’enquête Consojunior. Ainsi, parmi les principales valeurs citées par les adolescents: l’amitié (75%) arrive en premier, suivie par le rire (54%), la famille (50%), la fête (42%). Parmi les loisirs préférés, «discuter avec ses amis» (77%), quelque soit le moyen de communication, arrive en tête de liste, talonné par la musique (74%), le cinéma (67%) et les concerts (35%) pour les plus vieux des sondés.

1. Le collégien/lycéen

La dimension d’élève au collège ou au lycée monopolise beaucoup de leur temps et reste très ancrée dans leur esprit, certains parents se chargent de la rappeler très régulièrement, notamment quand ils souhaitent pousser l’investissement scolaire de leur adolescent. Cette dimension vient alors en compétition avec les dimensions liées aux pratiques de loisirs.

« Au lycée, il y a plus de pression de la part des profs, de l’établissement en général. Je suis restée avec les mêmes personnes jusqu’à cette année, je n’avais pas encore la bonne méthode de travail. Maintenant, je l’ai trouvée. J’ai un juste équilibre entre sortie et travail. Je ne sors pas trop en semaine le soir, plutôt le week-end. » (Mathilde,1ère, 16 ans, Asnières)

2. Le membre de la famille ou fratrie

Cette dimension semble particulièrement importante pour les adolescents qui entretiennent des relations privilégiées avec leur frère ou sœur proche en âge. Ainsi, si Salomé a essentiellement souligné sa position d’aînée, Mathilde a au cours de l’entretien élargi le champ familial à tous ses grands-parents.

Issue d’une famille recomposée de part et d’autres, elle leur attribue une grande importance et entretient avec des relations fréquentes, peut-être constituent-ils un point d’ancrage face aux bouleversements familiaux qu’elle a connus. De plus, Mathilde s’exprimera à plusieurs reprises dans le contexte de ses relations avec sa mère sous le « on » en associant sa sœur aînée, donc en tant que membre de la fratrie.

« J’ai 16 ans, je suis issue d’une famille particulière (recomposée de part et d’autres), c’est sympa. Les parents font assez confiance sur le travail.

Je suis plus gâtée que la plupart par les parents, on est une famille un peu atypique même si il y en a beaucoup qui sont issus de familles divorcées. Ma famille, c’est très important pour moi, notamment mes Grands Parents que je veux voir toutes les semaines (autant maternels que paternels). Chaque année, je fais un voyage avec mes grands-parents, l’an dernier c’était à Londres avec mes Grands Parents paternels. » (Mathilde,1ère, 16 ans, Asnières)

3. L’ami(e)

La jeunesse, c’est l’ « âge de l’amitié » pour C.Bidart en référence au poids relatif des amitiés d’enfance. Pour preuve, l’intensité fusionnelle de certains liens entre « meilleurs amis » chez les adolescents.

Certains adolescents ont restreint le cercle des intimes à leur(e) meilleur(e) ami(e) et le déroulé de l’entretien a confirmé l’élection d’une seule personne à ce cercle privilégié. L’élu(e) appartient à leur monde quotidien mais elles insistent également sur le fait que ce choix s’est opéré alors même qu’elles n’ont jamais partagé la même classe. Le partage d’activités communes à l’intérieur et à l’extérieur du collège ou du lycée, de circulation dans un environnement usuel, demeure constitutif de la relation.

« Mon meilleur ami, c’est mon ami le plus proche, s’appelle Grégory. Nous avons toujours été dans des classes séparées.On se voit ensemble le week-end, sinon on s’appelle beaucoup, on se parle beaucoup sur MSN, on déjeune ensemble à la cantine. Il vient souvent à la maison. »(Salomé,3ème, 15 ans, Neuilly)

A l’inverse, d’autres jeunes ont mis l’accent sur leur vaste réseau amical, mixte pour quelques uns et essentiellement du même sexe pour beaucoup de collégiennes.

4. Le sportif

À l’adolescence, le jeune choisit ses activités extra-scolaires ; même si initialement, elles peuvent avoir été décidées et imposées par les parents, c’est lui qui décide de les poursuivre ou non.

Même si la musique remporte tous les suffrages, le sport reste au cœur des centres d’intérêt des jeunes : 68% des 8 à 19 ans pratiquent un sport en dehors de l’école. Parmi les adolescents interrogés, seuls les garçons poursuivent des activités sportives régulièrement, à l’exception de Philippine qui fait 2 heures par semaine de danse classique et moderne. Salomé, Valentine, Laetitia et Mathilde ont abandonné le tennis, Maïmouna la natation.

La pratique de ces sports élargit le cercle des amis ou intensifie les liens existants. Le football réunit Grégory et Vincent. Enfin, notons que ce dernier entretient son corps par la pratique de la musculation à domicile, dans son monde privé.

« J’aime faire du sport. En sport, je fais du basket surtout, de la muscu dans ma chambre, le foot entre amis à l’école, j’en fais tous les jours. Le foot, j’en fais avec les amis avec qui je suis tous les jours, parfois dehors avec des amis dans d’autres écoles. Avant, j’allais au Bois de Boulogne, au Pont de Neuilly et au stade Monclar. Maintenant, j’ai plus trop le temps d’y aller. » (Vincent, 3ème, 15 ans, Neuilly)

« Je fais du foot depuis 8 ans, Emilien, c’est pareil, on a une passion commune. J’organise un tournoi de foot depuis l’an dernier au collège Le tournoi se déroule tout au long de l’année. Un surveillant du collège et moi, on a tout planifié. Je suis proche de ce surveillant car il me donne des cours de maths. » (Grégory, 3ème, 14 ans, Neuilly)

Les sports de glisse, le roller et notamment le skate ont été cités par beaucoup de garçons durant leur période collège.

« Tous les sports de glisse en montagne : ski, snowboard, snow blade, monoski et ski de fond. Du skate. J’en faisais dans la rue, au Skate Park. » (David, 1ère, 16 ans, 93 Gagny)

Les compétitions auxquelles les jeunes participent ou assistent permettent de resserrer les liens.

« J’aime le basket, la natation, le roller. Ça fait 4 ans que je fais du basket. Je suis soit meneur, soit ailier droit. Je fais les compétitions le week-end à Sceaux, à Montrouge. Je vais assister à des compétitions de basket avec mes copains. Je joue au basket à l’extérieur du collège, sur l’île de la Jatte, j’y ai des copains. Y en a un qui fait comme moi de la batterie et du basket. » (Edouard, 3ème, 15 ans, Neuilly)

5. Le passionné

Le « violon d’Ingres » constitue un des moyens d’ajouter une dimension supplémentaire à son identité, ce qui accroît le degré de liberté, sous réserve que cette passion ne devienne pas trop exclusive. Après l’amitié présente au fil de tous les entretiens, la passion de la musique a été revendiquée par beaucoup, en phase avec les données quantitatives d’Ipsos. Dan et David ont monté leur groupe entre amis et Laurence pratique le chant.

« Je fais du chant depuis que j’ai 12 ans, je fais des concerts. J’aime beaucoup tout ce qui touche à l’art, à la peinture, au dessin, à la créativité, le design, toutes sortes de moyens d’expression. » (Laurence, 1ère, 17 ans, Perpignan)

La passion de la batterie de Edouard trouve son origine dans son amour pour le jazz qu’il partage en famille.

« Je vais à des concerts quand y a un batteur qui joue bien, à des concerts de jazz avec mes parents. Je ne vais pas à des concerts avec mes copains.

Je suis plutôt dans la mode informatique, les derniers jeux d’ordinateurs. J’y joue le soir ou le week-end. Je touche pas mal en informatique, je m’amuse tout seul ou avec des copains. Je pirate de la musique par des fichiers US, on ne peut pas m’attraper. Je m’y suis mis à fond cette année. » (Edouard, 3ème, 15 ans, Neuilly)

Seul rappeur du collège, Vincent est conforté dans son choix par la pratique du rap en solo ou avec ses amis, par ses discussions avec ses amis lycéens rappeurs et sa participation à des concerts de rap. Pour J.C. Kaufmann, l’individu est contraint de rester dans le groupe qui confère un sens particulier à sa vie pour que les valeurs qui le constituent en tant qu’individu gardent un sens. L’identification collective et la socialisation corrélative est un instrument de confirmation réciproque d’un sens particulier de la vie.

« Je suis rappeur. Amédy aime bien le rap. Il vient à la maison car il est au Lycée Saint James. Il rappe chez moi. Il y a un logiciel, il pose ses textes sur l’instrumentation. Parfois on rate des prises, on recommence. En 1H, on fait un ou 2 sons. Moi et Amédy, on enregistre, pas mon frère. C’est moi le plus fan de rap.

Moi, j’ai grandi avec la culture US : dans les films, dans la musique que j’écoute, dans les séries. Je regarde le rap US sur Daily Motion. En anglais, les thèmes sont plus intéressants, ça parle de choses vraies. Les concerts de rap, j’y vais de temps en temps. La dernière fois en décembre 2006, au Zenith. Ça bougeait beaucoup, on était devant, y avait 99% de rappeurs. » (Vincent, 3ème, 15 ans, Neuilly)

Au-delà de motiver des sorties entre amis, le cinéma est aussi la passion de David, sa carte illimitée et sa caméra marquent sa passion.

« Mes centres d’intérêt, c’est le cinéma. Je discute le plus cinéma avec ma (petite) copine Maylis, Pierre, Amélie et Nathan. On est assez différent, il s’attache plus au jeu des acteurs, je regarde aussi la réalisation et le scénario. On va au cinéma de Rosny 2, j’ai la carte illimitée, j’y vais entre 1 et 3 fois par semaine.

Ce que j’aime dans le cinéma, c’est qu’on a l’impression de vivre une histoire, cela permet de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux sentiments. C’est plutôt agréable de voir ce qui peut se passer dans une vie, ça implique qu’on puisse les reproduire dans la réalité. J’essaie de voir des films différents.

Avec ma caméra, je filme au quotidien, les soirées, je fais des montages avec des logiciels quand j’ai du temps. Je fais des productions au lycée soit des TPE (travaux personnels encadrés) ou du CJS (éducation civique juridique) ».  (David, 1ère, 16 ans, 93 Gagny)

Les jeux vidéos, la console et l’informatique sont des activités privilégiées de Edouard et Dan. La politique, peu citée par les adolescents, concerne Dan, peut-être en lien avec l’enjeu de l’élection présidentielle de 2007 qui a mobilisé toute la nation.

« Je suis intéressé par la politique, j’aime bien débattre, partager mes idées avec mes amis, mes parents et mon frère. Je joue à la console. » (Dan, 2nde, 15 ans, 93 Gagny)

Autre activité artistique, le dessin est la passion de Valentine, le théâtre et la photo celles d’Axelle. Ces passions peuvent dessiner leur carrière professionnelle, ainsi, Valentine se destine à être architecte tout comme la passion de Grégory pour le football le projette vers le métier de commentateur sportif.

« J’adore le théâtre, j’en avais déjà fait plus petite. Ça correspond bien avec ma personnalité. J’aime bien le faire avec Clémentine, avec des amies. Ça fait 3 ans que je pars en colo l’été. L’été dernier, c’était sur le thème de la photographie. C’est moi qui l’ai choisi, j’ai fait des affiches de cinéma avec Photoshop (exposées dans sa chambre). J’ai installé Photoshop sur l’ordinateur. J’aime bien retoucher les photos, notamment celles avec Clémentine : recadrage, faire plus ressortir quelque chose ou des montages de photos. (Axelle, 3ème, 14 ans, Paris)

Notons que Maïmouna, jeune adolescente des cités a révélé lors de son entretien un nombre plus limité de dimensions identitaires (fille, amie, élève) car sa mère lui a refusé toute activité extra-scolaire, elle ne participe à aucune soirée entre amis. Son territoire de liberté est le shopping, le lèche-vitrine avec son amie.

« J’ai arrêté mes activités car je dois garder ma petite sœur. Elle ne va plus au centre aéré. Il y a 2 ans, maman a voulu que je garde ma sœur le mercredi. » (Maïmouna, 3ème, 14 ans, 93 Epinay sur Seine)

6. Le polyglotte, le multiculturel

La dimension culturelle est une dimension au travers de laquelle certains adolescents se sont définis. Ainsi, de par sa mère nigérienne, Vincent est bilingue et a adopté la culture afro-américaine au travers du rap et des séries télévisées. De son côté, Maîmouna affiche sa dimension africaine lorsqu’elle revêt des vêtements pour les fêtes. Jouissant d’expériences cosmopolites, Edouard insiste sur ce facteur de différenciation et entretient des relations amicales à travers le monde.

« J’ai une personnalité à part. J’ai vécu au Brésil, en République Tchèque aussi. Je parle le brésilien couramment. » (Edouard, 3ème, 15 ans, Neuilly)

Enfin, la dimension religieuse est peu sortie spontanément mais davantage à l’occasion de la description de leurs bijoux ou des tenues adaptées pour les sorties à la synagogue ou pour les Bar Mitsvas.

Ces dimensions identitaires ne sont pas hiérarchisables, la pondération des dimensions identitaires est très variable selon les adolescents, mais la dimension amicale semble clé puisque c’est auprès d’eux que la présentation de soi est la plus importante.

Le tableau ci-dessous présente les dimensions identitaires de chaque adolescent hormis celle de fils/fille de et d’élève qu’ils partagent tous et qu’ils n’ont pas choisies. Elles permettent de dresser un portrait fidèle et dessiner les contours de leur monde.

PrénomFratrieAmitiésSportivePassionCultureReligion
Saloméprochemixtesjuive
AxellefémininesThéâtre, photocatholique
Philippineprochefémininesdansecatholique
Maimounaprochefémininesmulti
Valentinemixtesdessin
Laetitiaprochemixtescatholique
Laurencemixteschantcatholique
Mathildeprochemixtes
PrénomFratrieAmitiésSportifPassionCultureReligion
EdouardmixtesBasket, natationBatterie, informatiquemulticatholique
GrégorymixtesFootballJeux vidéosjuive
VincentprochemixtesFootball, basketrapcatholique
DanprochemixtesskateJeu vidéo,

politique

juive
Davidprochemixtesglissecinémajuive
Jean-baptistemixtesmontagneTrompette, scout, politicatholique

L’adolescent est multidimensionnel mais il n’est jamais toutes ces dimensions identitaires à la fois, il réactive les différentes facettes de sa personnalité selon les circonstances de sa vie sociale et dans l’interaction avec autrui, comme le souligne Laurence.

Ses vêtements renvoient à plusieurs dimensions de son identité (collégien ou lycéen, enfant de, représentant de la culture jeune, sportif, passionné de musique…). Nous identifierons les signes d’extériorisation de certaines de ces dimensions identitaires dans la partie consacrée à la présentation de soi.

« On n’est pas une seule personne, une étiquette. On essaye de renvoyer une seule image de nous-même mais à l’intérieur, on est plusieurs personnes, ça dépend de qui on va voir. » (Laurence, 1ère, 17 ans, Perpignan)

Le processus d’individualisation diversifie les sources, ce qui permet une certaine distanciation vis-à-vis de chacune des appartenances (familiale, scolaire, amicale). Cette ouverture à d’autres mondes forme un des moyens de « briser le prisme parental » (Dolto). Pour F. de Singly, l’équilibre entre ces dimensions identitaires est le garant d’une transition réussie vers un statut d’individu.

Consojunior enquête auprès de 1524 collégiens de 11 à 15 ans- 2007

Bidart C., L’amitié, un lien social, La Découverte, Paris, 1997

Source Djeun’s wear – Consojunior 2007

Kaufmann J.C., L’invention de soi, Armand Colin, 2004, p 141-142

Dolto F., La cause des enfants, Robert Laffont, 1985

Pour leurs achats vestimentaires, les adolescents bénéficient de deux ressources financières potentielles, l’argent de leurs parents qui les positionne en tant que » fille de » ou leur propre argent de poche où le « je » peut pleinement s’exprimer. Intéressons-nous à leur pratiques en terme d’argent de poche, d’achat vestimentaire et de mise en scène de soi.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Modes vestimentaires chez les adolescents
Université 🏫: Université Paris-Descartes – Paris V - Faculté des sciences humaines et sociales
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche Master 2 - JUIN 2008
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