Constructivisme : Apprentissage en situation et autogéré – Jeux

3. 2. Concepts issus du constructivisme : apprentissage en situation et apprentissage autogéré Les diverses théories constructivistes soutiennent que les individus acquièrent la connaissance (une connaissance active et donc réutilisable) en la construisant par l’interaction de leurs capacités innées avec l’environnement. On s’est depuis longtemps aperçu qu’il ne suffisait pas de distiller de l’information pour que cette information soit assimilée mais qu’il fallait, au contraire, que l’apprenant soit en mesure d’intégrer ces nouvelles données dans ses structures conceptuelles propres, structures qu’il se sera bâties en interagissant avec l’environnement. La connaissance est donc un processus actif qui consiste, pour le sujet, à assimiler les données de l’expérience aux cadres de connaissance qu’il se sera forgés après avoir interagi avec le milieu dans lequel il évolue ou avec les situations dans lesquelles il aura été plongé. Il s’agit donc, dans cette perspective, d’exercer la responsabilité de l’apprenant et d’encourager ses initiatives en lui fournissant des matériaux et des tâches authentiques pour qu’il soit en mesure de construire son savoir de manière autonome. L’un des facteurs déterminants de cette construction est le conflit cognitif, défini par Piaget: c’est parce que l‘apprenant n’a pas l’ensemble des réponses qu’il est amené à créer, seul ou en partenariat, des réponses possibles. D’une certaine façon, cette théorie de la construction est une théorie du déséquilibre, du conflit: le raisonnement est en perpétuelle évolution, la pensée n’est jamais stable (Piaget parle d’ailleurs d’équilibration, un mécanisme qui pousse l’individu à tendre vers un équilibre qu’il n’atteint jamais). 3. 2. 1. L’apprentissage en situation(s) Pour qu’une application éducative puisse être perçue par l’apprenant comme un tout dans lequel il va pouvoir s’engager et qui va donc lui permettre de se laisser porter par un courant constructif, il faut créer un contexte crédible reflétant des situations réelles ou fictives cohérentes. En cela le jeu vidéo permet, peut-être mieux que tout autre média, de créer un espace de narration dans lequel le joueur va pouvoir développer des stratégies et des procédures pour résoudre des problèmes. Schank (1990) fait référence à des «schémas d’histoire» pour la lecture, schémas qui fournissent une structure mentale contenant un certain nombre de composants tels que le cadre, le but, la complication et la résolution. Ces schémas joueraient un rôle important dans l’organisation de la cognition chez l’apprenant. Le jeu vidéo peut fournir le même type de composants: un contexte, un ou des buts, des règles, un challenge, permettant à l’apprenant de structurer et organiser les domaines complexes qui lui sont proposés. Les jeux (en général) sont un moyen privilégié – car interactif – de raconter des histoires. Une partie de leurs pouvoirs est qu’au travers d’eux, nous avons une chance de prendre part à des narrations culturelles. Jouer au Monopoly, par exemple, est une opportunité de participer au drame du capitalisme, jouer aux échecs permet de nous engager dans une histoire de conflit et de résolution. Les enseignants experts utilisent souvent des histoires pour enseigner – certains diront même que tout apprentissage se fait au travers d’histoires, puisque toute compréhension est mieux conçue comme une narration, le savoir devenant un ensemble cohérent que l’on est plus à même d’intégrer en tant que système. Dans un jeu vidéo à but éducatif, le savoir n’est plus fragmenté artificiellement comme dans une situation de classe, par exemple, mais les actions entreprises par l’apprenant pour résoudre les problèmes auxquels il se trouve confronté sont liées par la métaphore ludique et alimentées par les objectifs, le contexte et le challenge du jeu. Il est en effet possible de présenter, par le biais d’un jeu, une situation d’apprentissage faisant sens pour l’apprenant, qui pourra envisager la tâche comme un ensemble dont il percevra l’intérêt dès le départ. Le jeu offre donc la possibilité d’ancrer l’apprentissage dans des situations réelles ou fictives permettant au sujet de se sentir engagé dans un processus de résolution de problèmes en réalisant des tâches dont il perçoit le sens par rapport à l’objectif fixé. Les théoriciens de l’apprentissage en situation (situated learning) – que l’on appelle également cognition située (situated cognition) – affirment que le degré de « situation » de l’action par rapport au domaine d’apprentissage renforce l’apprentissage. Ce que les anglo-saxons appellent l’ «embeddedness», c’est à dire la cohérence thématique, la signification de l’action par rapport au domaine de représentation, et signification du problème dans le domaine pour l’apprenant, font que celui-ci va pouvoir donner un sens à sa démarche pour construire ses connaissances et développer ses compétences. Il ne s’agit pas forcément ici d’immersion, qui se situe plus du côté sensoriel, comme dans les environnements de réalité virtuelle, mais d’environnements qui vont favoriser l’engagement de l’apprenant dans sa tâche et lui donner à la fois envie de persévérer (motivation, flow) et la possibilité d’apprendre (construire ses connaissances). Un dispositif d’enseignement ludique devrait donc être basé sur ces principes afin de ne pas isoler le sujet de la tâche puisque c’est le contexte qui donnera sens à sa démarche et qui lui permettra de construire des représentations – que l’on peut éventuellement envisager comme transférables – en manipulant les éléments proposés. Jonassen (1994) définit l’apprentissage situé comme se produisant quand les apprenants travaillent à des tâches authentiques et réalistes qui reflètent le monde réel. Le contenu du savoir est déterminé par sa contrepartie dans le réel et son contexte. Si le savoir est décontextualisé, il devient alors, comme le décrit Jonassen, inerte : l’apprenant apprend un nouveau concept mais est incapable de l’utiliser puisqu’il n’y a pas de contexte réaliste pour le faire. Dans une perspective constructiviste, un environnement d’apprentissage réaliste est crucial puisque le savoir se forme à partir de l’environnement et de l’interaction de l’apprenant avec cet environnement. Bien qu’en matière de multimédia une réplique exacte soit le plus souvent impossible, on part ici du principe qu’une imitation proche d’un contexte du monde réel améliorera l’apprentissage. Il est vrai que la notion « d’apprentissage situé » pose quelques difficultés lorsque l’on tente de l’adapter aux environnements d’apprentissage informatisés puisque les situations ne seront jamais réellement authentiques, sauf s’il s’agit, bien sûr, d’apprendre à utiliser un ordinateur… Mais est-il toujours nécessaire de créer un contexte d’apprentissage authentique, c’est-à-dire une situation ancrée dans la réalité de la vraie vie? La capacité des apprenants de réagir à la sollicitation cognitive inhérente au contexte dépend-elle uniquement du réalisme de la situation? Ou alors peut-on considérer que la seule cohérence d’un contexte (dans le sens d’un monde et des objets et caractéristiques qui le constituent), même fictif, est apte à favoriser chez le sujet la mise en place de structures de généralisation et à générer de sa part des efforts métacognitifs résultant en un savoir signifiant et utile? Car une histoire thématiquement signifiante, mais néanmoins fictive, dans laquelle l’apprenant trouvera la cohérence nécessaire à une généralisation de ce qu’il aura pu apprendre, peut éventuellement être considérée comme un modèle métaphorique de situation de la vie de tous les jours. Il n’en reste pas moins que trois des grands principes de l’apprentissage en situation se prêtent parfaitement aux applications éducatives ludiques : -*- Imbriquer l’apprentissage dans le contexte des activités cognitives qui lui donnent sens. Lave (1988), Brown, Collins et Duguid (1989) Comme nous l’avons vu, il s’agit là d’immerger l’apprenant dans la culture du domaine de connaissances ciblé afin de lui donner la possibilité d’en maîtriser les subtilités. Dans le cas d’un jeu éducatif, il est parfaitement possible – et même recommandé – de recréer un univers signifiant en corrélation avec les buts d’apprentissage. -*- Ancrer l’enseignement dans des « macrocontextes »  permettant d’explorer le savoir de différents points de vue Spiro et al., (1992) La connaissance humaine est vue comme la capacité de coordonner et d’adapter dynamiquement le comportement aux changements de circonstances. Toute idée ou action humaine est une généralisation adaptée à l’environnement dans lequel l’apprenant se trouve plongé car ce que l’on voit et ce que l’on fait est conçu comme un ensemble. L’apprentissage situé est l’étude de la manière dont le savoir humain se développe en cours d’activité, et plus particulièrement de la manière dont on crée et interprète la description (les représentations) de ce que l’on fait. Un jeu éducatif se prête bien à la création de situations multiples qui permettent à l’apprenant de réutiliser ses nouvelles connaissances en les appliquant de manière différente afin de mieux les assimiler. -*- Créer des communautés de construction du savoir D’après Lave (1988), l’interaction sociale est un composant critique de l’apprentissage situé: les apprenants sont inclus dans une communauté de pratique qui englobe certaines croyances et comportements à acquérir. A mesure que le nouveau venu se déplace de la périphérie au centre de cette communauté, ils deviennent plus actifs et engagés dans la culture et assurent donc le rôle de l’expert. Cet aspect de la théorie de l’apprentissage situé est le seul qui ne se prête pas au jeu éducatif individualisé pris en tant qu’unité. Par contre, il correspond parfaitement aux jeux en réseau ainsi qu’aux forums et dispositifs mis en place pour permettre aux joueurs de communiquer et d’apprendre à maîtriser à certains jeux vidéo, seuls ou à plusieurs. Cette dimension sociale du jeu vidéo, qui tend à se développer de manière significative, représente en elle-même un objet d’études. L’évolution de la technologie permet en effet d’envisager des situations d’apprentissage et la conception d’interfaces de jeux éducatifs qui se joueraient en réseau et qui permettraient à plusieurs joueurs de construire ensemble leurs connaissances. Cette dimension potentielle du jeu vidéo à but éducatif est importante car, lorsque plusieurs personnes jouent ensemble en tentant de résoudre des problèmes, les propositions de chacun peuvent créer des conflits socio-cognitifs et un dynamisme qui permet d’envisager des réponses auxquelles aucun des protagonistes n’aurait songé, seul, dans un autre contexte. Comme le dit Franck Veillon (2001), enseignant au CELSA (Sorbonne) et auteur de jeux vidéo, les jeux vidéo, loin d’être antisociaux, comme on le leur reproche le plus souvent, permettent aux enfants et adolescents d’accéder à une culture propre dans laquelle il est de mise d’échanger des astuces, de se rencontrer, ne serait-ce que virtuellement, de relater son expérience et de lire des revues spécialisées. L’enseignement pourrait ainsi « être l’objectif et le ciment d’une communauté en réseau (communautique)». -*- Favoriser l’accompagnement cognitif (cognitive apprenticeship) Collins et al., (1991), Rogoff, (1990), Clancey (1992) et Young (1993) Pour ces auteurs, le modèle de référence de l’apprentissage est celui du compagnonnage, dans lequel l’apprenti était accompagné et régulé par le « maître » dans son parcours. On peut ici faire un rapprochement avec certains systèmes d’aides dans les jeux vidéo, de plus en plus basés sur ce modèle. McLellan (1996) parle de «coaching», modèle inspiré de l’athlétisme, et qui représente un glissement du rôle de l’instructeur en tant que détenteur du savoir à celui de guide et entraîneur du savoir. Il s’agit là d’une forme de tutorat au cours de laquelle l’apprenant, aidé par quelqu’un de plus compétent que lui, et qui peut être un pair, parviendra à intérioriser les conseils de celui ci et à se les approprier. Les joueurs font d’ailleurs cela spontanément : il n’est pas rare de voir se former ce type d’interactions autour des jeux vidéo, où regarder faire des joueurs plus compétents et demander des conseils est chose naturelle. Cette idée, selon laquelle le tutorat entre pairs présente un intérêt précieux pour l’apprentissage, est l’un des principes dominants des travaux actuels du socio-constructivisme, d’où il ressort que favoriser la formation d’une zone proximale de développement est un moyen privilégié d’amener le sujet à mieux construire ses connaissances en étant, dans un premier temps, encadré par un adulte ou un pair plus compétent que lui pour s’acheminer tout naturellement vers une autonomie croissante à mesure qu’il parvient à intérioriser les compétences et les conseils du tuteur. Selon Bruner (1983), ce tuteur joue un rôle de médiateur entre les compétences initiales de l’apprenant et celles qu’il développera par la suite en lui permettant d’étayer ses connaissances et en rendant certaines tâches plus intelligibles de façon à l’aider à mettre en œuvre des procédures de résolution. Il s’agit donc là d’un dispositif de soutien dans l’action au cours duquel le tuteur doit rester présent tout en se gardant de se substituer à l’apprenant qui doit, autant que faire se peut, découvrir règles et principes par lui-même. 3. 2. 2. L’apprentissage autogéré La plupart des logiciels conçus pour faire apprendre partent du principe que l’apprenant doit être en mesure de superviser son apprentissage. Mais n’oublions pas que dans un tel contexte d’apprentissage, rien ne serait possible sans un minimum d’autodétermination de la part de l’apprenant, ni sans que celui-ci soit capable d’être actif d’un point de vue métacognitif. Les théories constructivistes prônent en effet une certaine autonomie de la part du sujet, sans laquelle il ne peut rien construire par lui même. Bien sûr, peu d’entre eux sont capables de superviser leur apprentissage mais cette compétence n’est-elle pas, finalement, la plus importante à acquérir? Peu de chercheurs contestent le fait que l’apprentissage soit beaucoup plus efficace s’il est autogéré et que les apprenants qui réussissent le mieux sont capables de «méta-réfléchir» sur leur démarche. Là où ils ne sont pas toujours d’accord, c’est sur la manière de d’établir et de maintenir cette orientation. Pour réconcilier les motivateurs extrinsèques et les choix personnels de l’individu et donc pour faire en sorte que la motivation devienne – du moins partiellement – intrinsèque, l’autodétermination semble constituer un pôle important. Un haut degré d’autodétermination affecte en effet la qualité de l’apprentissage. En d’autres termes, la valeur intrinsèque d’une activité est souvent une question de choix personnel et l’apprentissage peut être amélioré quand on cherche et trouve des motivations personnelles pour non seulement participer à une activité d’apprentissage mais aussi prendre la responsabilité du résultat. Schuck et Zimmerman (1994) se sont penchés sur les principes d’autorégulation dans apprentissage «self-regulation» et ont montré que les individus engagés dans un apprentissage autogéré possèdent trois attributs: -*- Ils trouvent les objectifs d’apprentissage et l’environnement intéressants en eux-mêmes et n’ont pas besoin d’incitations externes (ou de menaces), pour participer. -*- Ils sont capables de superviser leur propre apprentissage et d’identifier ce qui leur pose problème. Les apprenants qui s’autorégulent sont actifs d’un point de vue métacognitif. Ils s’engagent activement dans la planification et l’établissement de buts. -*- Ils sont également actifs dans leur comportement et prennent les dispositions nécessaires pour sélectionner et structurer l’environnement et l’adapter à leur manière d’apprendre. Le contrôle de l’apprenant est donc ici essentiel. Ils peuvent donc ainsi prendre les dispositions qui s’imposent pour, si besoin, changer leur environnement d’apprentissage pour faire en sorte que l’apprentissage ait lieu. Seymour Papert fut l’un des premiers à comprendre l’intérêt pédagogique de l’engouement des écoliers pour les jeux vidéo et se référait d’ailleurs à ces notions en disant qu’il fallait donner à l’apprenant le «droit à l’autodétermination intellectuelle». A ce propos, citons une fois encore Franck Veillon (2001) : « Jeux, culture, éducation sont autant de secteurs qui vont s’auto alimenter et permettre des contenus de plus en plus élaborés. Réduisant les distances qui séparent l’écrit de l’image, effaçant la passivité d’une lecture linéaire, ces nouveaux outils amènent l’individu à progresser à son propre rythme, à s’auto-éduquer, à gérer lui-même ses échecs et apprendre à se dépasser. » Cette notion de recherche progressive d’autonomie chez l’apprenant est, à la base, un des principes qui sous-tendent la conception des micromondes. Lire le mémoire complet ==> (Le potentiel du jeu vidéo pour l’éducation) Mémoire en vue de l’obtention du DESS Sciences et Technologies de l’Apprentissage et de la Formation Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education – Université de Genève ______________________________ Voir le système d’aide du jeu Black and White La notion de «zone proximale de développement», définie par Vygotsky (1934), part du principe que l’enfant ne peut progresser au-delà de son niveau de développement actuel que si l’adulte lui fournit la direction et l’aide lui permettant d’atteindre un niveau de résolution de problèmes élevé. Ce qu’un enfant est capable de réaliser avec l’aide d’un adulte délimite sa zone proximale de développement» et permet de prédire ce qu’il sera capable ultérieurement, de faire seul.  

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