La réalisation de l’apport d’un contrat de société

B) La réalisation d’apports
§1) Les éléments matériels du contrat de société
32. – Il s’agit d’une exigence à laquelle est tenu chaque associé, par cela qu’elle déterminera les possibilités d’action de la société sur le plan matériel. Classiquement, les apports peuvent prendre trois formes :
33. – Il peut tout d’abord s’agir, et c’est le cas le plus fréquent, d’apports en numéraire, l’associé s’engageant à verser une somme d’argent à la société. Il est par ailleurs possible, pour l’associé prenant un tel engagement, de décider soit de libérer son apport dès la formation de la société, soit d’en prévoir un versement ultérieur. L’associé est alors tenu de s’exécuter à l’échéance prévue, l’article 1843-3 du Code civil prévoyant en son alinéa 5 des sanctions dans le cas contraire. Celui-ci énonce tout d’abord que « l’associé qui devait apporter une somme dans la société et qui ne l’a point fait devient de plein droit et sans demande, débiteur des intérêts de cette somme à compter du jour où elle devait être payée et ce sans préjudice de plus amples dommages-intérêts, s’il y a lieu ». Il ajoute ensuite que lorsque le délai légal, fixé par type de société pour la libération de l’apport est dépassé, tout intéressé peut agir en référé devant le président du tribunal compétent en fonction du type de société en cause, afin que celui-ci enjoigne aux dirigeants de ladite structure de prendre les mesures nécessaires pour que cette obligation soit accomplie, ou désigne un mandataire afin d’y procéder.
34. – Peut également intervenir un apport dit « en nature », l’associé s’engageant à fournir à la société un bien, autre que de l’argent, peu important qu’il soit corporel ou incorporel. A ce titre, l’associé pourra conférer à la société un droit réel sur le bien en question, à travers le droit de propriété ou ses démembrements que sont l’usufruit et la nue-propriété. Mais il aura également la possibilité d’opter pour l’octroi d’un droit personnel, et son apport interviendra alors en jouissance, l’apporteur s’engageant à mettre à la disposition de la société un bien dont il conserve la propriété. Cette dernière disposera ainsi d’une créance sur l’associé quant à la mise à disposition du bien en question. Ce mécanisme nécessitera néanmoins des aménagements lorsqu’un tel apport en jouissance portera sur une chose de genre. En effet, d’après l’article 1843-3 alinéa 2 : « lorsque l’apport en jouissance porte sur des choses de genre ou sur tous autres biens normalement appelés à être renouvelés pendant la durée de la société, le contrat transfère à celle-ci la propriété des biens apportés, à charge d’en rendre une pareille quantité, qualité et valeur ». Ce type d’apport peut également s’entendre d’une pluralité de biens, y compris regroupés sous la forme d’une universalité de fait telle un fonds de commerce. A ce titre, la pratique est allée encore plus loin, au-delà même de la lettre de l’article 1832 du Code civil, à travers l’admission de la réalisation de l’apport d’un contrat, et notamment synallagmatique et à exécution successive, par l’exemple récurrent du contrat de bail commercial. Il en résulte ainsi que l’opération d’apport n’est pas exclusive d’éléments de passif, si tant est qu’ils ne surpassent pas la valeur des éléments d’actif qui y sont corrélés.
35. – Enfin, peut se présenter l’hypothèse, généralement marginale, de l’existence d’apports en industrie, dans le cadre desquels l’associé s’engage à apporter « son activité et ses capacités techniques (connaissances, travail, services) dans le domaine spécifié, qui rend l’apporteur comptable envers la société de tous les gains qu’il réalise par son activité, conformément à l’article 1843-3 alinéa 5. »34 Ce cas apparaît d’autant plus exceptionnel, que cette éventualité est exclue ou restreinte dans bon nombre de sociétés. L’apport en industrie est ainsi notamment par principe impossible au sein des sociétés par actions, du fait de l’article L225-3 alinéa 4 du Code de commerce selon lequel « Les actions ne peuvent représenter des apports en industrie ». C’est ici très globalement, à la distinction entre sociétés de personnes, et sociétés de capitaux qu’il convient de faire référence. En effet, dans les premières, la personne de l’associé prédomine. Il sera alors logique d’admettre la possibilité d’apports en industrie, en ce que par son savoir faire, un associé peut occuper une place prépondérante au sein de la société. L’admission de ce type d’apports s’inscrit alors dans le prolongement de l’engagement postulé des associés dans la vie sociale. En revanche, au sein des sociétés de capitaux, la tendance sera davantage réservée concernant l’éventualité d’apports en industrie, en ce que dans de telles structures, c’est la place d’un associé dans le capital social qui importe. Or, conformément à l’article 1843-2 alinéa 2, « Les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent lieu à l’attribution de parts ouvrant droit au partage des bénéfices et de l’actif net, à charge de contribuer aux pertes. »
36. – De la même manière que les précédentes, cette exigence d’apports s’impose à la société créée de fait, comme condition sine qua non de la reconnaissance de son existence, mais sa spécificité de groupement de fait commande quelques particularités. En effet, on peut tout d’abord noter que la perspective est en l’occurrence inversée : si dans la majorité des sociétés, on observe une prééminence des apports en numéraire, la société créée de fait repose souvent sur des apports en industrie, qui ne sont pas prohibés en l’espèce. Tel est notamment le cas dans le cadre des rapports entre époux séparés de biens, où l’un prétendra avoir participé informellement, parfois pendant des années, à l’activité économique exercée par l’autre, souvent propriétaire d’un fonds de commerce, et ce au-delà de la simple contribution aux charges du mariage. Celui-ci agira ainsi en justice pour faire reconnaitre l’existence entre eux d’une société créée de fait visant à l’exploitation de ce fonds de commerce, en arguant du fait que l’un aurait apporté ledit fonds, et l’autre son industrie35.
37. – D’autre part, il faut également garder à l’esprit que s’agissant d’une société non formalisée, elle n’est pas dotée de la personnalité morale. L’opération d’apports ne peut donc pas prendre un tour ostensible en se manifestant par le transfert d’un droit réel du patrimoine de l’associé vers le patrimoine de la société ou par l’existence d’une créance liée à la jouissance du bien appartenant à un associé au sein de ce dernier car celui-ci est, par hypothèse, inexistant. Il en résulte une nécessaire adaptation du mécanisme d’apports à cette situation particulière. Celle-ci est réalisée par l’article 1872 du Code civil, qui pose en son premier alinéa le principe selon lequel : « A l’égard des tiers, chaque associé reste propriétaire des biens qu’il met à la disposition de la société. » Pour autant, ces apports peuvent être regroupés au sein d’une indivision, ou transférés à l’un des associés contraint de les utiliser dans l’intérêt de la société. Enfin, celui-ci ajoute en son deuxième alinéa que « Sont réputés indivis entre les associés les biens acquis par emploi ou remploi de deniers indivis pendant la durée de la société et ceux qui se trouvaient indivis avant d’être mis à la disposition de la société. »
38. – En correspondance des apports effectués, chaque associé se verra attribuer des droits au sein de la société, y compris s’il n’a apporté qu’en industrie. D’après l’article 1843-2 alinéa premier, « Les droits de chaque associé dans le capital social sont proportionnels à ses apports lors de la constitution de la société ou au cours de l’existence de celle-ci. ». A l’opération d’apports proprement dite s’ajoute donc un second flux entre les patrimoines, mais en sens inverse, partant cette fois de celui de la société vers celui de l’associé, déterminant ainsi le poids du second au sein de la première. De la même manière, cette logique ne saurait avoir cours en matière de société créée de fait, qui ne dispose pas de patrimoine, comme nous l’avons souligné. C’est donc directement entre les associés que naitront ces créances, alors par ailleurs que l’octroi de tels droits sociaux ne paraît pas en l’espèce indispensable en ce sens que c’est essentiellement au cours de la vie de la société que leur détermination prend son sens. Or, la société créée de fait n’ayant vocation à être reconnue que pour être liquidée, les règles propres à la liquidation pallieront cette carence. Mais ces éléments matériels ne sauraient être envisagés de manière autonome, en ce qu’ils ont vocation à constituer la traduction factuelle d’un état d’esprit.
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Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité
Université de Savoie Annecy-Chambéry

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