Quelles stratégies d’implémentation pour l’éducation en Haïti ?

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🏫 Université d'État d'Haïti - Faculté des Sciences Humaines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de licence
🎓 Auteur·trice·s
Chéry, Jeanne-Elsa
Chéry, Jeanne-Elsa

Les stratégies d’implémentation éducative révèlent des inégalités de genre marquées dans les écoles secondaires haïtiennes. Cette recherche met en lumière comment le sexisme, enraciné dans les normes sociales, influence les rapports pédagogiques et désavantage les filles, soulevant des questions cruciales sur l’équité éducative.


2.2- Apprentissage et différenciation

2.2.1- L’école, un agent socialisateur

Guy Rocher qui a longuement étudié le concept de socialisation met l’emphase sur le rôle des agents socialisateurs dans l’intériorisation des normes et des valeurs sociales, propres à sa culture et à la société dans laquelle on évolue. En ce sens, l’école est une institution qui participe à la reproduction des rapports sociaux.

En effet, l’école est depuis longtemps considérée comme un espace de socialisation privilégié pour ses membres, et de cadre idéal pour la formation des générations adultes ; de par sa contribution à l’épanouissement social et individuel. Avec la généralisation de l’instruction secondaire, cette fonction se trouve partagée avec la famille. Mais à part cet espace de formation des gens, elle représente une structure clé qui initie l’enfant à l’ensemble social.

En fait, elle familiarise l’individu avec les normes et valeurs sociales qui deviendront sans nul doute assez déterminantes dans son appréhension de soi et du monde. Par ailleurs, même si elle joue un rôle très important dans la socialisation primaire connue dans la tendre enfance, responsable de l’intégration de l’individu dans la société, le rôle de la famille n’est pas à négliger dans le processus de socialisation.

En effet, la structure psychique de l’enfant est disposée à accueillir un ensemble de connaissances (linguistiques, normatives, etc.), à faire un ensemble d’apprentissages puisque celui ou celle-ci n’a pas encore saisi les codes sociaux. La psychologie du développement a considérablement étudié le développement psychosocial de l’enfant en faisant ressortir le lien entre les influences provenant de l’environnement et l’acquisition des compétences cognitives, propres à chaque âge. De plus, plusieurs théoriciens (Freud, Splitz, Bowlby) ont expliqué le processus de passage de l’inexistence de sujet chez le bébé jusqu’à la construction de sa personnalité. Nous n’allons pas pouvoir les considérer dans cette présente étude ; toutefois, les considérations sur l’apprentissage du langage sont assez révélatrices et méritent qu’on s’y attarde un peu.

Dans leur ouvrage, « Introduction à la psychologie de l’enfant », Catherine et Michèle Tiguetti nous disent que, pour communiquer, le bébé se sert de ses aptitudes sensorielles et sensomotrices qui lui permettront de distinguer l’odeur, la langue de sa mère, ou sa voix. Ces compétences sont valables et pour la communication non verbale, mais aussi facilitent l’acquisition verbale ultérieure.

Ce processus requiert l’observation et l’enregistrement des sons, des syntaxes autour de lui/elle ; pour elles, le processus interactif du langage est à ce point assez révélateur sur l’implication fortement sociale du langage, car le bébé parle la langue qu’il entend autour de lui, et qu’à 6 mois, une nette sélection des phonèmes entendus dans son entourage est faite.

Or par le langage, s’opère simultanément l’apprentissage de la culture de l’adulte expliquent Catherine Tourrette et Michèle Guidetti même si elles ont passé furtivement sur cette question, reprenant chez Bruner la notion du LASS (Language Acquisition Support System ou, système de support pour l’acquisition), elles avancent : « Le LASS, n’est pas exclusivement linguistique, il est aussi social car c’est par lui que l’adulte introduit l’enfant à sa culture » (Tiguetti, 2002 :64).

Peter Berger et Thomas Luckmann déjà cités ont expliqué de manière assez détaillée l’apprentissage de la norme chez l’enfant, en faisant ressortir les rapports symétriques entre l’assimilation du particulier au général. De plus, ils montrent comment l’adoption des rôles et attitudes futurs de l’enfant peuvent être une reproduction des inculcations antérieures. Ils expliquent que la socialisation primaire crée dans la conscience de l’individu une abstraction progressive qui se déplace des rôles et des attitudes spécifiques vers des rôles et des attitudes généraux (Berger et Luckmann, 2003).

Comme d’autres significatifs supplémentaires (le père, la grand-mère, la sœur ainée, etc.) appuient l’attitude négative de la mère à l’encontre de la maladresse de l’enfant, la généralité de la norme est subjectivement étendue. L’étape décisive apparait quand l’enfant reconnait que tout le monde est contre sa maladresse, et la norme est généralisée de la façon suivante : on ne renverse pas la soupe (…) » (Tiguetti, 2002 : 64).

2.2.2- Un environnement conflictuel, favorable à la transgression des normes sociales

Il est vrai que c’est par un ensemble de répétitions que les attitudes sont apprises, intériorisées et arrivent à avoir la vie dure. Mais, il faudrait que dans un même cadre de figure, concernant sa maladresse, l’enfant ne reçoive pas des ordres contraires venant de différents significatifs de son entourage. Ce cadre que présentent Berger et Luckmann correspond à un environnement exempt de conflit d’autorité, par exemple.

Sinon, « la norme » pourrait être heurtée au doute qui s’installerait chez l’enfant, ne sachant réellement à qui obéir et/ou quelle attitude adopter. Par ailleurs, comme nous l’avons vu pour les valeurs, ces attitudes des adultes à l’endroit des enfants ne sont pas neutres et diffèrent suivant que l’enfant est une fille ou un garçon auxquels les normes de genre imposées offrent peu de perspectives.

Or, ces normes qui émanent de constructions sociales varient selon les sociétés, ne sont pas universelles, donc variables. Comme Alain Bihr et Roland Pfefferkorn le précisent : « Les valeurs humaines sont loin d’être uniformes, elles diffèrent notamment selon les classes sociales, les sexes (genres)5 et les générations » (Bihr et Pfefferkorn, 2002 : 16).

Dans l’exercice de certaines fonctions essentielles, comme l’alimentation des enfants, leur habillement, dans l’instruction préscolaire, s’attribuent des rôles, des taches qui révèlent comment les attitudes de différenciation à l’égard des enfants sont prégnantes. Cet apprentissage du monde de l’adulte est d’autant plus intense que le monde de connaissance de l’enfant est restreint et que l’environnement d’apprentissage est harmonieux. Depuis la naissance, les parents prennent et encouragent cette assignation sexuelle différente et de surcroit donnent toutes sortes d’attributs aux filles et aux garçons et construisent des clivages entre filles et garçons. Bien que les parents ne soient pas nécessairement conscients des implications de leurs attitudes, car eux-mêmes victimes de leur propre éducation.

D’ailleurs, on retrouve que c’est la mère qui détient un rôle prépondérant, prodigue des soins élémentaires, alors que le père en est épargné. L’attribution de congé parental différent pour la mère et le père suite à la naissance d’un enfant peut attester de cette dissociation faite entre la parentalité féminine et masculine.

Ce qui encore, comme les normes, relève d’une construction sociale, d’un conditionnement social.

La conception angélique de l’école qui est souvent mise en exergue, a été pointée du doigt par Ivan Illich (Illich, 1971). Dans son texte « Une société sans école » ; il prône un relâchement et une indépendance par rapport à l’école, prenant compte que la scolarité obligatoire est budgétivore pour l’État.

Il souligne qu’aux États-Unis, un étudiant diplômé coute 15100 fois plus que le citoyen moyen. Prenant de la distance à cette institutionnalisation à outrage qu’est faite de l’institution scolaire, il affirme qu’elle empêche d’autres institutions d’instruire. De plus, l’école serait le bastion de la ségrégation raciale et de castes car ceux/celles qui y restent plus longtemps sont considéré.e.s comme plus valeureux/ses.

De plus, ceux/celles qui y mettent les pieds, malgré l’accès à une même éducation, un même cursus scolaire, il les empêchera de poursuivre de par eux –mêmes d’autres moyens de s’instruire. Or, le savoir s’accumule par des expériences plutôt extrascolaires, l’exploration en dehors des bancs de l’école. À l’école, en dépit de la scolarité universelle, se poursuivent les mêmes manques chez ceux/celles qu’il appelle les déshérité-e-s par rapport aux élèves provenant du milieu aisé, puisque disposant de plus de savoirs préalables.

Le système scolaire n’est pas avantageux pour les gens qu’il forme, car d’emblée, d’autres formes d’apprentissages de connaissances pratiques sont délaissées. D’après Illich, l’école n’est pas le summum de l’enseignement et encore moins d’une bonne répartition des ressources :

« Dans le monde entier, l’école nuit à l’éducation, parce qu’on la considère comme seule capable de s’en charger. Et beaucoup viennent à croire que ses nombreux échecs prouvent que l’éducation est une tache couteuse, d’une complexité incompréhensible, que c’est une alchimie mystérieuse, la recherche, pourquoi pas, de la pierre philosophale ! » (Illich, 1971 :22-23).

Au regard de la conception d’Illich de l’école, se poursuit la conception bourdieusienne que l’école n’efface pas les inégalités sociales, mais les légitime. De plus, elle participe à la hiérarchisation des connaissances ou tout bonnement permet la discrimination de nombreuses connaissances pratiques. On peut déduire que ce n’est pas sans conséquences sur la considération des taches manuelles, qui impliques des connaissances sensorielles, dévolues très souvent aux femmes et aux filles.

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5 Bien qu’aucune différence ne soit semblablement faite dans le texte des coauteurs, notons que ces deux notions ne sont pas interchangeables. Nous y reviendrons sur ce sujet plus loin dans le mémoire.


Questions Fréquemment Posées

Quel est le rôle de l’école dans la socialisation des adolescents en Haïti ?

L’école est une institution qui participe à la reproduction des rapports sociaux et est considérée comme un espace de socialisation privilégié pour ses membres.

Comment l’éducation en Haïti reflète-t-elle des valeurs genrées ?

L’analyse révèle la présence du sexisme en milieu scolaire et montre comment l’éducation n’est pas exempte de valeurs genrées, impactant les rapports pédagogiques.

Quels sont les impacts des constructions sociales du féminin et du masculin sur l’éducation ?

Les constructions sociales du féminin et du masculin désavantagent les filles par rapport aux garçons dans le cadre éducatif.

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