2- Politiques d’intégration totale des populations autochtones à la société criolla : le cas du Mexique
Au Mexique, une tout autre idéologie a été développée concernant le lien entre populations autochtones et allochtones. À l’inverse de l’État canadien qui a mis en place des politiques physiques d’éloignement des populations autochtones, tout en maintenant des politiques d’acculturation, l’État mexicain a souhaité intégrer totalement les peuples autochtones au reste de la population mexicaine, au point de supprimer intégralement leurs cultures, valeurs et traditions.
a- Le rôle des anthropologues dans la mise en place des politiques d’acculturations
Les chercheurs en sciences sociales, notamment les anthropologues, ont joué un rôle particulièrement important dans la mise en place de politiques d’acculturations au XXème siècle.
En effet, de nombreux universitaires et chercheurs en sciences sociales mexicains vont soutenir et défendre l’assimilation des peuples autochtones à la société mexicaine. Par exemple, l’anthropologue et sociologue mexicain Manuel Gamio va, dans son ouvrage Hacía un México Nuevo, catégoriser en 1935 la population mexicaine en trois types de population : «
- 1) population de culture anachronique et déficiente, composée de familles autochtones, généralement nomades, qui errent dans les régions isolées de la république ;
- 2) population de culture intermédiaire et inefficace, qui vit généralement dans les villes, les ranchs et les champs, y compris les côtes ;
- 3) population de culture moderne et efficace, qui vit principalement dans la capitale de la république, dans les États et dans les villes importantes… »86.
Cet imaginaire, partagé par une grande partie de la population, et notamment par les dirigeants libéraux, est contraire aux principes d’homogénéité et d’unification défendues. Gamio est un personnage clé de l’indigénisme au Mexique, il va mettre en place cette idéologie à travers une stratégie précise : premièrement étudier les populations autochtones, ensuite définir leur manque d ́ “occidentalisation” puis mettre en place des politiques pour favoriser leur “évolution culturelle”87.
86 Miguel Alberto BARTOLOMÉ, « Etnicidad, historicidad y complejidad Del Colonialismo al Indigenismo y al Estado pluricultural en México », ibidem, p.105
87 Natividad GUTIERREZ CHONG, , Mitos nacionalistas e identidades étnicas : los intelectuales indígenas y el Estado mexicano, ibidem, p.148
Le concept clé défendu durant cette période a été le concept de métissage, mestizaje, afin de créer une société homogène et unifiée. La “race métisse” viendrait de la “race autochtone” améliorée par le sang espagnol comme l’expliquait le politique José María Luis Mora. Les métis auraient donc hérité de la force et de la robustesse des autochtones et de la pureté des Espagnols, créant donc la “race cosmique”88, la “race métisse” : « La race autochtone et la race métisse ne se distinguent ni par leur beauté, ni par leur culture ni, plus généralement, par le raffinement des races présentant un degré très élevé d’évolution, mais par les conditions de leur adaptation incomparable au milieu, par les qualités de leur remarquable force animale »89[Traduction libre]. Cependant, l’intervention des populations autochtones dans la population mestiza s’arrêtera à l’aspect résilient, le reste devra s’apparenter aux traits culturels espagnols.
Pour cela, il va mettre en place un programme, le “changement culturel” qui va toucher de nombreux domaines, notamment la création de symboles nationaux et l’évolution du système scolaire90.
b- Le rôle des symboles nationaux
Fábregas Puig explique que pendant le mandat de Lazaro Cárdenas furent créés les symboles nationaux du Mexique, vitrine de cette société “métisse” : « Le président Cárdenas a encouragé la consolidation d’une société nationale, qui comprenait l’assimilation des cultures autochtones à la culture nationale, symbolisée par une musique nationale, le mariachi ; un sport national, la charrería ; une boisson nationale, la tequila, et un prototype du métis mexicain représenté par le charro »91.
Ces symboles sont intégrants de la culture métisse. Cependant, nous pouvons remarquer qu’aucun symbole national ne fait référence aux cultures autochtones, si ce n’est le serpent et l’aigle sur le blason du drapeau mexicain. L’objectif était donc de créer des référentiels communs à la “race cosmique”, pour reprendre l’expression de Vasconcelos, à la société dite métisse, mais sans inclure de symbole et de représentation de communautéautochtone.
- 88 José Luiz Moraes VASCONCELOS, La Raza Cósmica. 1925.
- 89 Andrés MOLINA, Los grandes problemas nacionales, in 1909, p.349
90 Natividad GUTIERREZ CHONG, ibidem, p.151
91 Andrés. A FÁBREGAS PUIG, « Historia mínima del indigenismo en América Latina», in El Colegio de México, Ciudad de México, México, no 1, 2021, p.76.
Un charro- Photo libre de droit (Pexels)
Cette unification souhaitée va se traduire dans le système scolaire, par l’enseignement du castillan, qui va devenir langue officielle dans les écoles, comme un moyen d’unifier et d’éliminer toute différence. Au-delà de devenir langue officielle, toutes autres langues (précisément les langues autochtones) étaient interdites. En effet, les langues autochtonesétaient vu comme une menace à l’unification tant souhaitée et le castillan comme arme afin de solutionner l’homogénéité.
Le politique mexicain Justo Sierra expliquera :
« Étant la seule langue scolaire [le castillan], elle finira par atrophier et par détruire les langues locales, et ainsi unifier la parole nationale, inestimable vecteur d’unification sociale»92.
L’objectif n’était donc clairement pas l’articulation des différentes cultures existantes, mais leur éradication et la création d’une nouvelle, où plutôt l’uniformisation des cultures dites marginales a la culture dite dominante, la culture mestiza.
c- Le rôle prédominant de José Vasconcelos dans le processus d’acculturation
Le Secrétaire d’Éducation Publique, José Vasconcelos, a joué un rôle particulièrement important dans le processus d’acculturation de l’ensemble des sociétés autochtones. Au contraire des canadiens, le Secrétaire explique qu’il ne souhaite pas marginaliser les peuples autochtones dans des réserves, mais plutôt les insérer dans la société euro-descendante : «J’entendais contredire la pratique nord-américaine et protestante qui traite le problème de l’éducation des Indiens comme quelque chose de spécial et de séparé du reste de la population »93[Traduction libre].
92 Justo SIERRA, “Discurso pronunciado el día 13 de septiembre del año 1902 con motivo de la inauguración del Consejo Superior de Educación Pública”, en Discursos, México, Herrera Hermanos, 1919, p. 191.
93 José Luiz Moraes VASCONCELOS, El Desastre, México, Trillas, 1938, p.62
Vasconcelos expliquait que la société métisse devait aboutir àl’élimination totale des peuples autochtones. De nombreux écrits de Vasconcelos traduisent cette pensée extrêmement dévalorisante et dégradante à l’égard des autochtones : « Il est temps de proclamer sans réserve que tant l’Aztèque que les civilisations qui l’ont précédéformaient un ensemble de cas avortés d’humanité (…) Les peuples qui ne savent pas créer des valeurs et les défendre ne méritent d’autre destin que l’esclavage »94[Traduction libre]. Il est intéressant de rappeler que Vasconcelos, ex recteur de la Universidad Autónoma de México (UNAM) écrira l’actuelle devise de l’université, toujours utilisée aujourd’hui et particulièrement controversée, « Por mi raza hablara el espiritu » soit “par ma race, l’esprit parlera”[Traduction libre].
Certains auteurs, notamment Bartolomé, qualifient les politiques indigénistes au Mexique “d’incorporationnistes”95, avec un fort aspect raciste et aculturationiste. Les politiques indigénistes, gérées par l’INI, avaient un seul but, faire disparaître totalement l’“indien” et l’incorporer à la société mexicaine afin de créer un ensemble uniforme. Au-delàd’actions concrètes peu développées, l’indigénisme servait surtout de cadre idéologique pour les institutions et politiques englobant toute la société mexicaine96.
Le terme d’ “acculturation dirigée” qui était autrefois employé par les penseurs et humanistes qui ont modelé les politiques indigénistes, serait aujourd’hui qualifié d’ “ethnocide”97, soit « la destruction systématique des modes de vie et de pensée des personnes différentes de celles qui mènent àbien le processus (…)»98. Le processus d’assimilation s’insère donc dans une logique de nationalisme mexicain99.
Nous sommes donc face à deux situations particulièrement différentes. D’un côté, le Canada a créé une distanciation physique avec les Premières Nations et les Inuit, ce qui a entraîné paradoxalement une reconnaissance de la différence, mais pas des droits qui y sont associés. Les Premières Nations et les Inuit étaient reconnus comme différents, car ils étaient physiquement éloignés dans les périphéries, dans les réserves, mais ne bénéficiaient pas de droits associés à ces différences.
94 Miguel Alberto BARTOLOMÉ, ibidem, p.106
95 Miguel Alberto BARTOLOMÉ, ibidem, p.108
96 Miguel Alberto BARTOLOMÉ, ibidem, p.109
97 Miguel Alberto BARTOLOMÉ, ibidem
98 Pierre CLASTRES, « ETHNOCIDE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 avril 2023. URL :
99 Miguel Alberto BARTOLOMÉ, ibidem, p.105
Au contraire, les populations autochtones au Mexique n’étaient pas reconnues par l’État, et leur droit en conséquence non applicable. A contrario du Canada qui a souhaité éloigner physiquement les premières nations, le gouvernement mexicain a souhaité les intégrer complètement en tentant d’effacer les traits culturels des populations autochtones et en créant de nouveaux référentiels communs. Le cas du Canada est donc paradoxal car des politiques aculturationnistes sont utilisées, notamment dans le cadre des pensionnats autochtones, mais également des politiques d’exclusion qui vontéloigner les Premières Nations. Le cas du Mexique est différent de par l’absence de statut juridique spécifique des populations autochtones.
De plus, c’est un exemple complexe car chaque État a géré à sa façon les politiques indigénistes. Par exemple, la Constitution libérale de l’État du Chiapas au XIXème siècle n’admet pas l’existence des populations autochtones. De plus, les politiques indigénistes au Canada se sont traduites concrètement par la mise en place d’outil aculturationniste, alors que l’indigénisme mexicain se traduisait surtout par un courant de pensée, développé et partagé par de nombreux chercheurs et politiques, mais ne faisait pas l’objet d ́instrument concret d ́acculturation.
La destruction des valeurs et coutumes au Mexique va se traduire en grande partie par l’expropriation des terres des peuples autochtones, exemple commun au Canada.