Les peuples autochtones et les politiques aculturationnistes : Canada et Mexique
SCIENCES PO TOULOUSE
Promotion 2023
L’impact des politiques aculturationnistes sur l’autochtonie :
étude comparative du Mexique et du Canada
Réalisé par
Julie Bastida
Sous la direction de
Jérôme Viguier
Année universitaire
2022-2023
Remerciements
Je tiens tout d´abord à remercier mon directeur de mémoire, Jérôme Viguier, pour ses précieux conseils, son accompagnement ainsi que sa bienveillance.
Mes remerciements s’adressent également au professeur Francis Lévesque qui a accepté de répondre à mes questions.
Par ailleurs, je souhaite remercier mes parents, mes amis, ma famille et mon compagnon pour leur présence et leur soutien tout au long de ce travail.
Table des matières
Remerciements
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES
Introduction
I- Des premiers contacts à la mise en place de systèmes colonialistes aculturationnistes : comparaison historique et législative
A – Premiers contacts et mise en place du système colonialiste
1- Vue d’ensemble des politiques indigénistes au Canada et au Mexique
2-Les premières relations au Canada
a- Les premiers contact entre européens et populations autochtones
b- L’imaginaire développé par les européens autour de la figure de l’ « indien »
c- Les politiques de médiation et de francisation mises en place par les Français
d- Différence entre politiques britanniques et françaises
3- le cas mexicain
a- Premiers contacts
b- Statut juridique des populations autochtones au Mexique
B- Les lois encadrants les populations autochtones après les indépendances
1-Le cas du Mexique
a- L’omission de l’existence des peuples autochtones dans la Constitution et dans les principes libéraux
b- Les différentes phases des politiques indigénistes
c- 1910-1934 : politiques d’exclusion
d- 1934-1940 : politiques indigénistes paternalistes
e- 1940-1976 : politiques d’assimilation
2- Le cas du Canada
a- Le programme de “civilisation” des peuples autochtones
b- Statut juridique
C – Exclusion et acculturation : les moteurs des politiques indigénistes au Canada et au Mexique
1- Le concept d’exclusion sociale appliqué au Canada
a- les réserves
b- Le mandat de Pierre Trudeau
c- La crise d’Oka
d- Les pensionnats autochtones, instruments d’acculturation
2- Politiques d´intégration totale des populations autochtones à la société criolla : le cas du Mexique 39
a- Le rôle des anthropologues dans la mise en place des politiques d’acculturations 39
b- Le rôle des symboles nationaux 40
c- Le rôle prédominant de José Vasconcelos dans le processus d´acculturation 41
II- Les conséquences des politiques indigénistes sur la transmission culturelle intergénérationnelle
A- La territorialité comme enjeux majeur de transmission culturelle, fragilisé par l’appareilétatique : le cas de ejidos au Mexique et de la sédentarisation forcée des Inuit au Canada 43
1- Les ejidos au Mexique
a- La réforme agraire mexicaine
b- Le système agricole mexicain avant la révolution
c- Les avancées ambiguës de la révolution de 1910
d- Impact de la dépossession des terres sur les communautés autochtones
2- La sédentarisation forcée des Inuit au Canada
a- Statut juridique des terres autochtones
b- La sédentarisation forcée des inuit
B- Conséquences des politiques indigénistes sur les jeunesses autochtones
1- Le cas du Canada
a-la jeunesse définie par rapport aux autres générations
b- Une forme de biculturalisme ?
2- Le cas du Mexique
a- L’impact des migrations sur la culture des jeunes mayas de Tiholop
b- La définition d´autochtone comme facteur de différenciation imposé
c- La génération des marges et des ruptures
C- Continuité et transmission
1- Le cas du Canada
a- L´ethnomusicologie
b- Le cas des powwows
2- Le cas du Mexique
a- Le parrainage au sein des communautés nahuas de Tzinacapan
b- La mémoire bioculturelle
III- Études de cas – les mouvements contestataires autochtones comme exemple d´une mouvance internationale : l´autochtonie
A- Idle no more
1- Les prémices du mouvement
a- L´utilisation du principe omnibus et le contenu des Lois
b- Les caractéristiques du mouvement
c- L’importance du genre dans le mouvement
2- Le mouvement silence no more et l’unification des populations autochtones au Canada
B – Le mouvement zapatiste
1- Les prémices du mouvement
2 – Les caractéristiques du mouvement
a- Origine du mouvement
b- Actions offensives lancées par l´EZLN
c- Organisation et revendications des Communes Autonomes
d- Définition du mouvement zapatiste
C- Un mouvement global de redéfinition des rôles : l´autochtonie
1- L´autochtonie : définition et concept
2- L’autochtonie comme processus international
a- L’hétérogénéité des partisans
b- Evolution du courant
c- Des revendications communes difficilement retranscrites dans le droit international
d- Le Groupe de travail sur les populations autochtones
3- Mise en place de mouvement régionaux autochtones
CONCLUSION
Bibliographie
Annexes
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES
CCI : Centros Coordinadores Indigenistas
CISA : Conseil indien d’Amérique du Sud
COICA : Coordination des organisations autochtones du bassin amazonien
CRPA : Commission royale sur les peuples autochtones
DAI: Département des affaires autochtones
EZLN : Ejército Zapatista de Liberación Nacional
FLN : Forces de Libération National
GTPA : Groupe de travail sur les populations autochtones
INI : Institut National Indigéniste
INPI : Institut national des peuples indigènes
INM : Idle no more
IWGIA : International Working Group for Indigenous Affairs
NAFTA : Accord de libre-échange nord-américain
ONG : Organismes non-gouvernementaux
ONU : Organisation des Nations Unies
OIT: Organisation Internationale du Travail
PRI : Parti Révolutionnaire Institutionnel
PROCEDE : Programme de certification des droits d’ejido et d’attribution de titres fonciers urbains
UNAM : Universidad Autónoma de México
L’impact des politiques aculturationnistes sur l’autochtonie : étude comparative du Mexique et du Canada
Introduction
«Lorsque indien, autochtone, est une catégorie extérieure, attribuée par le colonisateur, la négation des différences devient l’instrument de la domination. Ainsi, Emberas, Miskitos, Mapuches, Patagoniens, etc. sont tous placés dans la même position d’infériorité, celle d’Indiens-sujets, de sans-droits »1
Marisa Revilla Blanco
Cette étude est une analyse comparative contextualisée et historique de l’impact des politiques assimilationnistes sur les peuples autochtones au Mexique et au Canada, ainsi que sur leurs répercussions possibles sur la jeunesse autochtones d’aujourd’hui et les mouvements contestataires qui en résultent. Cette étude a également pour but de démontrer que le Canada et le Mexique ne sont pas deux cas isolés mais font partie d’une mouvance commune à de nombreux États au passé colonial.
L’analyse de cette question est basée sur plusieurs facteurs, notamment le visionnage d’un documentaire “Tuer l´Indien dans le cœur de l´enfant”2qui relate les violences subies par les Premières Nations au Canada dans le cadre d’une longue politique d’assimilation. Plusieurs centaines de restes humains d’enfants autochtones ont été découverts près d’un ancien pensionnat au Canada. Ces pensionnats ont connu leur apogée au XXème siècle et l’objectif principal était la suppression totale des traits culturels et des traditions des enfants autochtones. Ce cas n’est malheureusement pas un cas isolé et de nombreux cimetières situésà côté d´anciens pensionnats ont été retrouvés. Le chef de la Fédération des Nations Autochtones souveraines de la province de Saskatchewan avait qualifié les pensionnats de“camps de concentration” où des “crimes contre l’humanité” avaient été commis. « C’est un triste rappel de ce chapitre sombre de notre histoire », avait déclaré le Premier ministre canadien Justin Trudeau.
1 Marisa REVILLA BLANCO, « Propuesta para un análisis del movimiento indígena como movimiento social »in Política y Sociedad, vol. 42, no2, 2005, p.54.
2 Tuer l´indien dans le cœur de l´enfant, Arte, 2020.
Ces événements s’inscrivent dans un long processus d’assimilation, d’exclusion sociale et d’acculturation mis en place par le gouvernement fédéral canadien au fil des siècles. La volonté de réaliser une étude comparative est le fruit de la curiosité d’étudier deux pays qui partagent des dynamiques coloniales et concentrent une partie importante de leur population s’identifiant comme appartenant à un peuple autochtone. A première vue, le Mexique est particulièrement différent du Canada concernant les relations entre État et populations autochtones. Il semblait donc intéressant de comparer des situations différentes avec un dénominateur commun, un passé colonial. Par ailleurs, sur les réseaux sociaux, de plus en plus de jeunes autochtones de communautés et de pays différents partagent du contenu consacré à la valorisation des traditions et cultures de leur communauté, afin de s’approprier un discours anticolonial axé sur la mise en lumière des coutumes et traditions et non leur dégradation. Les populations autochtones au Mexique et au Canada étant particulièrement différentes, il semblait intéressant de marquer l’hétérogénéité à travers un travail comparatif, tout en cherchant des dynamiques communes aux deux pays. Enfin, ce travail a pour volonté de démontrer que les dynamiques coloniales et les mouvements contestataires qui en découlent ne sont pas propres au Canada ou au Mexique, même si chaque situation est différente, mais sont ancrées dans un modèle global de représentation de l’autochtonie et ont créé des canaux de partages entre populations autochtones du monde entier.
En ce qui concerne la terminologie utilisée dans ce document, nous utiliserons une approche interdisciplinaire mêlant anthropologie, sociologie et histoire. La journaliste Quechua Zulema Enriquez affirme que les mots que nous utilisons pour désigner les peuples autochtones sont des faits politiques. L’utilisation d’un terme ou d’un autre a des conséquences en termes de représentation et de signification que nous donnons au sujet et àses droits. « Cela ne me dérange pas d’être appelé indienne, autochtone ou indigène, car l’enjeu est que l’autre puisse repenser le sens [du mot] en tant que sujet politique, actif et social du présent et non en tant qu’objet d’étude du passé ». Que ce soit pour les anthropologues, les historiens ou les juristes, les termes utilisés pour désigner les peuples autochtones sont divers et variés : peuples, communautés, originaires, minorités, autochtones, indiens, etc.
L’anthropologue Charles de Lespinay s’est intéressé aux usages et aux significations associés aux termes “autochtones” et “minoritaires”. Ces deux concepts sont assez difficiles à définir et sont parfois utilisés pour désigner les mêmes groupes d’individus, à tort. Au Canada, la tentative de définition des termes est liée aux droits accordés, ou non, aux peuples autochtones dans certains traités et accords3. Ces traités, rédigés et signés par des nations coloniales, au “nom de la civilisation”, définissent le droit, ou non, des peuples autochtones àjouir d´une existence juridique, politique ou ethnique. En ce qui concerne le terme “peuples autochtones”, nous nous réfèrons à « un groupe de familles et de cohabitants identifiés par une histoire commune antérieure à la naissance de l’État-nation. Ils ont une culture et une organisation sociale, une identité, une langue, des rites et des traditions qui leur sont propres»4. Des organismes supranationaux ont tenté de définir et de généraliser les termes relatifs aux peuples autochtones, tels que l’ONU (rapport du rapporteur spécial Martinez Cobo), l’OIT (Convention 169 sur les peuples autochtones et tribaux) ou la Banque mondiale (Directive opérationnelle 4.20 de 1991). Nous utiliserons le terme “autochtone” dans le même sens que l’historien et juriste Charles de Lespinay : « Le membre d’une population installée sur un territoire donné avant tous les autres, qui a établi des relations particulières, anciennes et toujours actuelles avec ce territoire et son environnement, et qui a des coutumes et une culture qui lui sont propres »5.
Il est important de noter que ce travail comporte des études de nombreux textes rédigés en castillans et en anglais. Le terme majoritairement utilisé par les hispanophones et les anglo-saxons est le terme “indigena” ou « indigenous” pour se référer aux autochtones. Dans les traductions que nous avons réalisées de passages de textes de l´espagnol et de l´anglais au français, nous avons donc librement traduit les termes “indigena” et“indigenous”par “autochtone”, ce terme se rapprochant le plus de la traduction conceptuelle. En français, certains termes comme “indien”, aborigène”, “indigène” ou “amérindien” ont des connotations négatives et ne sont plus utilisés dans les sciences sociales afin de se référer aux peuples autochtones. Les terminologies varient également entre le Canada et le Mexique. Par exemple, l´organisme autochtone Mikana explique l’importance de l’utilisation du terme“autochtone” : « Au Canada, nous utilisons le mot Autochtone pour désigner les trois groupes distincts reconnus au Canada : Premières Nations, Métis et Inuit ».6Les Premières Nations, selon l´encyclopédie canadienne, désignent les peuples autochtones au Canada autre que les Métis et les Inuit.7Les Métis est le terme employé afin de se référer aux descendants des Premières Nations et des colons Européens, et les Inuit (qui veut dire peuple en langue inuktitut) désignent un qui habite majoritairement dans les régions nordiques du Canada. Une personne inuite est appelée Inuk.8
3 Charles DE LESPINAY, « Les concepts d’autochtone (indigenous) et de minorité (minority)», in Droit et cultures, vol. 72, 2016, p.15.
4 « Aborígenes, indígenas, originarios. ¿Cuál es la diferencia entre cada término ? » Ministerio de Cultura Argentina, octobre 2018,
www.cultura.gob.ar/aborigenes-indigenas-originarios-a-que-refiere-cada-termino_6293. Consulté le 25 mars 2023.5 Charles DE LESPINAY, Ibid, p.2
6 « Guide des terminologies en contexte autochtone » in Mikana,
Le terme “Indien” est encore utilisé dans certains contextes juridiques, car il fait toujours référence à l’identité légale d’une personne appartenant à une Première Nation en vertu de la Loi sur les Indiens. Dans cette étude, nous utiliserons les termes “autochtone” et“peuples autochtones” pour nous référer aux populations du Canada et du Mexique. Pour le Canada, nous spécifions si nous nous référons aux Premières Nations, aux Inuit ou aux Métisse, et, plus généralement, dans des cas précis, nous utiliserons le nom du peuple auquel nous nous référons. Dans le cas du Mexique, au-delà de l’utilisation directe du nom des peuples autochtones, le terme “pueblo indigena”, peuple autochtone, est principalement utilisé. Cependant, même si le terme “autochtone” semble le plus adapté, il s´agit de rappeler l’aspect homogénéisant qu’il véhicule et le lien direct avec la relation coloniale et la notion de colonisé qu’il implique.
Ici, nous souhaitons montrer que les politiques d´assimilations et d´exclusion perpétrées contre les populations autochtones, et les mouvements contestataires qui en découlent font partie d´une mouvance internationale qui touche de nombreux pays au passécolonial. Ce processus globalisé a pour nom l´indigénisme, indigenismo en espagnol. Il s´agit d´un terme global qui, dans un premier temps, définit les politiques mises en place par les non-autochtones concernant les peuples autochtones. Néanmoins il est particulièrement ambigu car le sens varie d’un auteur à un autre. Par exemple, pour H. Favre, il désigne : « Un courant d’opinion favorable aux Indiens ».9Cependant, de manière générale, l´indigénisme est décrit comme un ensemble de politiques appliquées aux populations autochtones dans le but de les intégrer totalement à la population dite dominante. Ce courant n´est pas propre au Canada et au Mexique, mais généralisé, premièrement dans les Amériques, puis dans le monde entier, « Le problème indien au Mexique et dans le reste du sous-continent ne diffère guère dans ses prémisses, qui sont toutes enracinées dans la dépendance coloniale »10.
7 Encyclopedia, The Canadian. « Premières Nations » in l’Encyclopédie Canadienne, 05 avril 2023, Historica Canada. www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/premieres-nations. Date consulté: 25 mars 2023.
8 « Guide des terminologies en contexte autochtone » in Mikana,
9 FAVRE, Henri,.« El indigenismo », in Fondo de Cultura Económica, México, 1998.
Nous utiliserons donc ici le terme d´indigénisme et de politique indigéniste comme un mouvement politique en faveur de l’assimilation complète des peuples autochtones aux sociétés euro-descendantes ou métisses. Enfin, ce mouvement politique international est allé de pair avec l’autochtonie, définie par Françoise Morin comme « un mouvement international autochtone [qui] s’est développé à partir des “premières nations” des deux Amériques, et a peu à peu mobilisé les autres peuples autochtones de la planète ».11Nous étudierons donc les relations entre ces concepts et les liens qui les unissent.
Par le biais d’instruments politiques, religieux et juridiques, les colons européens, puis les gouvernements fédéraux mexicain et canadien, ont mené une politique d’assimilation, d’acculturation et d’exclusion sociale à l’égard des peuples autochtones. Nous reviendrons sur ces notions et ces termes, mais il est important de noter qu’une politique d’assimilation, d’acculturation ou d’exclusion sociale implique, en premier lieu, une notion d’altérité et de domination. L’idée du “déficit sauvage”12partagée par les colons européens à leur arrivée en Amérique est la cause d’une longue politique visant à assimiler pleinement les peuples autochtones du Canada et du Mexique à la société euro-canadienne, englobant tous les aspects de la vie des peuples (organisation politique, culture, mode de vie, traditions,éducation, etc.). En ce qui concerne le concept d’assimilation, nous nous référons à la définition du psychologue Norbert Sillamy : « du latin assimilatio, de assimilare, rendre semblable, de similis, pareil. C’est l’action de rendre ou de devenir semblable […] Sur le plan psychosocial, on parle d’assimilation pour désigner l’intégration de personnes […] dans un nouveau milieu. Généralement, les valeurs du groupe de référence prennent une grande importance pour ceux qui s’efforcent de s’y adapter »13. Au-delà de la notion d’adaptation qui, dans cette définition, est vue comme choisie, nous parlons ici d´assimilation forcée et non consentie. De même, Carlos Giménez Romero définit l’assimilation comme un processus d’inclusion apparente, avec une composante d’homogénéisation, par opposition au pluralisme culturel, qui implique l’acceptation de la diversité culturelle [voir annexe 1]. L’assimilation implique une disparition définitive du système social constitutif de la minorité.
En ce qui concerne le terme “acculturation”, nous nous référons à la définition de Redfield, Linton et Herskovits, à savoir « l’ensemble des phénomènes qui résultent de ce que des groupes d’individus de cultures différentes entrent en contact, continu et direct, avec les changements qui surviennent dans les patrons culturels originaux de l’un ou des deux groupes…
10 Gonzalo AGUIRRE BELTRÁN, « Regiones de refugio. El desarrollo de la comunidad y el proceso dominical en mestizo América. », in Monografías de Antropología Social, Instituto Nacional Indigenista, vol. 17, 1975, p.7.
11 Françoise MORIN, « L’Autochtonie, forme d’ethnicité ou exemple d’ethnogenèse ? » Parcours anthropologiques, vol. 6, 2006, p. 54.
12 David SOLODKOW, (2013): «Las ciudades indígenas a través del discurso etnográfico colonial. Utopía, asimilación cultural y violencia”, Vanderbilt e-Journal of Luso-Hispanic Studies, p.174.
13 Norbert SILLAMY, « Dictionnaire usuel de psychologie », Bordas, Paris, 1992.
Selon cette définition, l’acculturation doit être distinguée du changement culturel, dont elle n’est qu’un des aspects −et de l’assimilation, qui n’en est qu’une des phases. Elle doit être également différenciée de la diffusion qui, bien que se produisant dans tous les cas d’acculturation, peut non seulement se produire sans qu’il y ait contact de groupes, mais encore qui ne constitue qu’un des aspects du processus de l’acculturation »14. L’acculturation est donc un processus large qui englobe toutes les phases d´un changement culturel, et l’assimilation fait partie de ce processus. Ici nous parlerons globalement d’acculturation car nous nous intéresseronségalement à la phase de dépossession forcée de la culture d’origine des individus. Dans cetteétude, nous examinerons comment ces deux concepts ont été appliqués aux peuples autochtones du Canada et du Mexique.
La plupart des données et informations recueillies dans ce travail proviennent de sources secondaires, de travaux de recherche scientifiques, d’entretiens ethnographiques, d’articles de presse, etc. Ce travail comprend également l’étude de sources primaires telles qu’un entretien avec Francis Lévesque, docteur en anthropologie, spécialiste des peuples autochtones du Québec, et l’étude de documentaires et de films, tels que le film Frozen River, ou le documentaire Tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant. Les ouvrages et revues utilisés sont des ouvrages ethnographiques, de récupération des mémoires collectives et de témoignages. Nous allons également utiliser dans notre analyse une étude réalisée sous l’angle de l’ethnomusicologie et une autre axée sur la mémoire bioculturelle. Il s’agit également de rappeler que la plupart des données et témoignages datant de l’époque coloniale sont pour la plupart, voire la totalité, des données européennes. Comme l’explique Cook, dans le cas du Canada, les témoignages autochtones n’ont pas été pris en compte dans la documentation et la recompilation de données de l´époque et furent relayés au rang de “collections de musée”15. De plus, les données archivées servant de base aux études scientifiques ne prennent pas en compte l’oralité des transmissions des peuples canadiens et mexicains. Depuis l’arrêt Delgamuukw de 1997 au Canada, la prise en compte des traditions orales est obligatoire dans le cas de recherches, indépendamment des données et témoignages écrits, pour la plupart non autochtones, afin de garantir une forme d´équité.
14Robert REDFIELD, et al. « Memorandum for Acculturation », in American Anthropologist, vol. 38, no 1, 1936, p. 149‑52.
15 Peter, COOK, «Les premiers contacts vus à travers les sources documentaires européennes» p.55 dans GOHIER, Maxime, « Les Autochtones Et Le Québec», in Presses De l’Université De Montréal, 2013.
Les problématiques de recherche que nous nous posons tout au long de ce document sont les suivantes : En quoi le Mexique et le Canada sont des exemples de pays ou des politiques d’acculturation et d’exclusion des gouvernements fédéraux ont été mises en place, et en quoi ont-ils eu des conséquences sur la transmission culturelle intergénérationnelle des peuples autochtones ? Et dans quelle mesure le zapatisme et le mouvement idle no more, deux mouvement revendicatifs identitaires autochtones, sont-ils conséquences de ces politiques, et font partie d’une mouvance internationale, l’autochtonie ?
Pour mener à bien ce travail, nous partons de trois hypothèses à confirmer. Premièrement, les États fédéraux canadien et mexicain ont utilisé, et continuent d’utiliser, des instruments politiques et juridiques d’acculturation à l’égard des peuples autochtones du Canada et du Mexique. Deuxièmement, ces instruments utilisés par les gouvernements ont eu des conséquences dramatiques sur la transmission culturelle intergénérationnelle au sein des peuples autochtones. Et enfin, les mouvements zapatiste et idle no more sont les conséquences de politiques d’exclusion et d’acculturation passées, et s’inscrivent dans une logique internationale de contestation et de revendication de l’autochtonie.
En ce qui concerne les limites de la démarche, il est important de souligner que le sujet de cette étude est très large lorsqu’il s’agit des “peuples autochtones au Canada et du Mexique”. Les réalités, les contextes historiques et actuels des peuples autochtones dans les deux pays sont hétérogènes et certaines réalités ne peuvent être comparées. Ce document n’a pas pour but de généraliser les situations des peuples autochtones, mais bien d’ aborder le cas de plusieurs peuples en fonction des enjeux et des défis que nous développerons dans ce document, sans généraliser les événements et les situations à l’ensemble des peuples canadiens et mexicains. Nous nous concentrerons sur l’étude des politiques et instruments gouvernementaux qui s’appliquent à tous ou à la plupart des peuples autochtones, comme la Loi sur les Indiens au Canada, ou les politiques de l’Institut National des Peuples Autochtones au Mexique, mais plus spécifiquement sur l’impact de ces instruments sur des peuples en particulier.
Il convient également de noter que les réalités des peuples autochtones sont très différentes au Canada, entre les Premières nations, les Inuit et les Métis, les trois catégories juridiques mises en avant par l’État canadien en tant que “peuples autochtones” maiségalement au Mexique. En effet, le Mexique compte soixante-huit peuples autochtones divisés sur l’ensemble du territoire mexicain, vecteur d’une forte hétérogénéité. Dans le présent document, nous nous concentrerons davantage sur les cas des Premières Nations et des Inuit, pour le Canada, et des populations Mixes et Mayas pour le Mexique, tout en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit pas de situations ou de contextes homogènes.
Enfin, cette analyse reste particulièrement théorique de par le manque d’étude de terrain dont elle fait preuve. Un entretien par écrit a pu être réalisé avec le professeur Francis Lévesque, professeur spécialisé des Études autochtones, et une tentative d´entretien avortée aété démarrée avec le poète maya Pedro Uc, militant et activiste. Un premier contact à étéétabli avec M. Uc mais n’a pas abouti sur la réalisation d’un entretien. Les témoignages présents dans cette analyse sont le fruit de travaux ethnographiques de chercheurs en sciences sociales retranscrits dans des travaux académiques.
Ce travail se centrera sur l’analyse comparée historique et anthropologique des décisions, politiques et actions menées par les nations coloniales, et par la suite par les États fédéraux mexicains et canadiens, dans le but d’assimiler pleinement les populations autochtones, dans une première partie. Ce document se concentrera ensuite sur l’impact de ces actions gouvernementales sur la transmission culturelle intergénérationnelle des populations autochtones mexicaines canadiennes, et enfin sur l’étude de deux mouvements contestataires et identitaires de revendication de l’autodétermination des peuples autochtones.
L’objectif de cette étude est de comprendre les logiques assimilationnistes qui sous-tendent les actions gouvernementales et les réponses des communautés autochtones àces logiques. Dans un premier temps relégués au rang d’acteur passif, les nombreuses actions et revendications lancées par les peuples autochtones sont au cœur de ce travail. Nous examinerons également les conséquences de ces processus sur la manière dont elles ont affecté la transmission culturelle intergénérationnelle. Enfin, ce travail s’inscrit dans une logique globale d’étude de l’autochtonie, comme un mouvement international, en prenant pour exemple le Mexique et le Canada : ces deux cas ne sont pas isolés et font en effet partie de logique colonialistes existantes dans de nombreux pays.