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Exclusion et acculturation des autochtones au Canada

C – Exclusion et acculturation : les moteurs des politiques indigénistes au Canada et au Mexique

1- Le concept d’exclusion sociale appliqué au Canada

Se référant au processus imposé aux peuples autochtones au Canada, la professeure de droit Mylène Jaccoud parle d’un processus d’exclusion sociale. Le terme d’exclusion sociale renvoie souvent à un concept de pauvreté économique, à un isolement social de populations souvent éloignées du marché du travail, de la vie sociale et des institutions centrales de l’État (absence de représentation politique, etc)70.

Selon l’auteure, les populations autochtones peuvent être qualifiées d’exclues, principalement au sens économique. Par exemple, la population autochtone au chômage représentait 14,0 % de la population active autochtone vivant hors réserve en février 2021, contre 8,7 % de chômage dans la même période pour la population active allochtone71[voir annexe 3].

De manière générale, les données comparant le niveau de sous-développement et de pauvreté des populations autochtones sont considérablement plus élevées que ceux du reste de la société canadienne.

Exclusion et Acculturation des Autochtones au Canada

La notion d’exclusion peut également se référer, comme nous l’avons vu auparavant, à la sphère juridique. Étant sous la tutelle et compétence exclusive du gouvernement, les peuples autochtones ont eu un statut juridique différent du reste de la population canadienne. Jaccoud explique que ce processus est une forme de marginalisation que nous pouvons observer comme résultant de trois phases, la création des réserves au XIXe siècle, la tentative de destruction des réserves par le Premier ministre Trudeau dans les années 1960 et la crise d’Oka des années 199072.

70 Mylène JACCOUD, « L’exclusion sociale et les Autochtones », in Lien social et Politiques, no 34, 1995, p. 94 71 BLEAKNEY, et al. « Répercussions de la COVID-19 sur le marché du travail des Autochtones vivant hors réserve dans les provinces : mars 2020 à août 2021 » . Statistique Canada, 2021,
www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2021001/article/00037-fra.htm,. Consulté le 29 avril 2023.

72 Mylène JACCOUD, ibidem, p.95

a- Les réserves

Tout d’abord, la création des réserves s’inscrit dans une dynamique de supérioritélégitimée par les euro-canadiens. Elle repose sur le mythe de l’infériorité des autochtones, qui a été généralisé, institutionnalisé et légalisé. Comme nous l’avons développé plus haut, parce qu’ils sont considérés comme vulnérables, l’État a le “devoir” de les protéger légalement. Deuxièmement, la marginalisation découle d’une incorporation des populations autochtones dans l’État-nation, mais d’une incorporation périphérique, dans des réserves.

Les réserves sont définies dans la Loi des Indiens comme « un ensemble de terres détenues par la Couronne [l’État] à l’usage et au profit des groupes autochtones en vertu de traités et d’accords »73.

Les réserves sont donc des espaces délimités, de mise à distance physique à l’intérieur des frontières nationales. Avec la création de l’État-nation canadien en 1867, basé en partie sur la conquête des terres autochtones, l’État canadien s’est distancié de l’Europe en délimitant ses propres frontières (cf film Frozen River)74. Il a ensuite incorporéles populations autochtones, privées de leurs terres, à l’État-nation d’une certaine manière, dans des réserves. Au-delà de cette distanciation physique induite par la territorialisation canadienne, ce processus se traduit par une distanciation historique, en termes de liens et de symboles.

En perdant leurs liens avec leurs terres ancestrales, les processus de production et de reproduction sociale des peuples autochtones sont affaiblis75. Ce processus de pillage des terres est au cœur des revendications des peuples autochtones, que ce soit au Canada comme au Mexique, comme nous le verrons en suivant. On peut donc parler d’une forme d’inclusion des peuples autochtones, mais d’une inclusion périphérique, qui se traduit par une“marginalisation de l’intégration”76.

b- Le mandat de Pierre Trudeau

Le deuxième processus qui a favorisé la marginalisation des peuples autochtones a étémené par le Premier ministre Pierre Elliott Trudeau (1968-1979 et 1980-1984). Il s’agissait d’une politique d’assimilation complète proposée à la fin des années 1960. Par le biais d’instruments politiques, notamment le Livre Blanc de 1969, Trudeau a souhaité abolir toute la législation existante sur les peuples autochtones, en particulier la Loi sur les Indiens. Son objectif était d’assimiler totalement les autochtones à la société canadienne77, en supprimant leur statut et leurs droits ainsi que la législation existante.

73 Harvey A. McCue, « Éducation des Autochtones au Canada ». l’Encyclopédie Canadienne, 17 avril 2023, Historica Canada.
74 Frozen River. Réalisé par Courtney HUNT, 2009, .

75 Mylène JACCOUD, ibidem, p.98
76 Mylène JACCOUD, ibidem, p.96

Cette ligne politique fait suite à uneétude menée par le Ministre des Affaires indiennes du gouvernement Trudeau, Jean Chrétien, avant 1969, et qui démontre que les populations autochtones du Canada subissent un racisme systémique. L´objectif de Trudeau va donc être d´aller à l´encontre des politiques menées auparavant, en supprimant totalement le statut d’ “indien”.

Nous retrouvons ici des caractéristiques communes avec l’idéologie indigéniste de l´INI, à savoir la volontéd´intégration totale forcée des populations autochtones dans la population euro-descendante. Il ne s’agit pas de la volonté d’un métissage à proprement parler, qui supposerait un changement et une acceptation de la part de la société, mais bien une intégration à sens unique qui suppose la suppression totale des valeurs et caractéristiques culturelles des populations autochtones afin de valoriser la culture dite dominante, des euro-descendants. La proposition de Trudeau va susciter de vives critiques de la part des communautés autochtones, qui revendiquaient leurs différences, et étaient en désaccord total avec leur l’assimilation à la société euro-canadienne.

La marginalité peut donc être vue ici, comme une forme de revendication à la différence, qui n´implique pas, dans ce cas-là, une volontéd´inégalité. La revendication du droit à la différence des populations autochtones à la suite de la publication du Livre Blanc de 1969, ne supposait pas une volonté d´exclusion mais bien d´inclusion impliquant une acceptation de la différence. De la différence demandée et assumée va donc découler une amplification du processus de marginalisation. En effet, ces demandes vont être prises à contre-pied et interprétées comme un refus d’aide et d’intégration par le gouvernement.

c- La crise d’Oka

Enfin, le troisième processus qui a conduit à la marginalisation des peuples autochtones au Canada, selon Jaccoud, est le conflit qui a opposé en 1990 les Mohawks aux gouvernements québécois et fédéral dans le cadre de la crise d’Oka. Les Mohawks d’Oka se sont opposés à l’agrandissement d’un golf et la construction de maisons de luxe sur des terres qu’ils revendiquent. La police est intervenue et le conflit a dégénéré faisant un mort, du côtépolicier. Ce conflit a été extrêmement médiatisé ce qui a entraîné des conséquences néfastes pour les Premières Nations. En effet, avec la médiatisation du conflit, la réalité des réserves et de la précarité de Premières Nations sont devenues connues de la majorité de la population

77John BOYKO, « Livre blanc ». l’Encyclopédie Canadienne, 14 septembre 2021, Historica Canada.

québécoise, inconnues auparavant. L’indignation de la population a conduit le gouvernementà créer une Commission royale chargée de mener des enquêtes neutres sur les conditions de vie des autochtones. Les données et les informations recueillies au cours de ces enquêtes sont pour la plupart catastrophiques : les indicateurs de pauvreté, de sous-développement, de sous-représentation, sont considérablement élevés dans les communautés autochtones. La société canadienne a donc pris conscience des conditions de vie des populations autochtones, ce qui a entraîné une aliénation considérable, une différenciation importante par rapport aux Premières Nations.

Ces données et enquêtes ont médiatisé les différences entre les communautés autochtones et non autochtones. Les populations non autochtones ont pris conscience du fossé qui les séparait des Premières Nations, et ce processus a donc augmentéla marginalisation des peuples autochtones de par la prise de conscience de cette différence. Au lieu de s’identifier et de se rapprocher des Premières Nations, ce conflit a fait émerger les différences mais surtout l’accentuation des inégalités.

En résumé, l’auteur met en évidence deux types de marginalisations à l’égard des peuples autochtones : l’une produite historiquement dans un contexte de domination et de colonisation (première forme), l’autre produite dans un contexte politique (deuxième et troisième formes)78. Les tentatives d’inclusion menées par P. Trudeau, ou de mise en lumière des conditions de vie des autochtones par la Commission Royale ont eu l’effet inverse souhaité, à savoir un accroissement de la prise de distance entre populations autochtones et non-autochtones.

d- Les pensionnats autochtones, instruments d’acculturation

Le cas du Canada est assez paradoxal de par les différents outils et politiques qu’il a mené. En effet, couplées à des politiques de marginalisation et d’exclusion, intentionnelles ou non, l’État canadien a également mis en place des mesures d’acculturation vis-à-vis des Premières Nations et des Inuit.

Le cas des pensionnats autochtones au Canada est un exemple de tentative des autorités gouvernementales de rompre avec l’historicité et les traits culturels des Premières Nations, tout comme la création des réserves. Selon Gilles Ottawa, historien atikamekw et victime des pensionnats, les euro-canadiens avaient un double objectif à l’égard des autochtones, transposé dans les pensionnats. Il s’agissait d’abord de les convertir au christianisme, puis de les acculturer pleinement et rapidement pour les assimiler à la sociétéallochtone79.

78 Mylène JACCOUD, ibidem, p.98

Les premiers pensionnats au Canada ont ouvert leurs portes en 1863, et le dernier a fermé en 199680. Officiellement, ils dépendaient de l’éducation nationale, et étaient réservés aux enfants autochtones. Ces institutions prenaient la forme d´internats où les enfants étaient forcés d’étudier, séparés de leur famille et de leur foyer pendant des années.

Les écoles étaient placées sous l’autorité du gouvernement fédéral canadien et dirigées par des ecclésiastiques, dont la plupart n’avaient aucune formation pédagogique, dans le but d’éliminer le “problème indien”. Cet objectif, “civiliser, assimiler et christianiser”81se matérialise par l’apprentissage des valeurs et des traditions euro-canadiennes, ainsi que par l’interdiction de tout signe de culture autochtone. Au-delà du contenu des enseignements transmis dans les internats, les enfants étaient physiquement et psychologiquement éloignés de leurs repères.

caractéristiques culturelles et physiques à travers des violences physiques et psychologiques. Comme l’explique un témoin dans le documentaire “Tuer l´indien dans le cœur de l’enfant”, les cheveux longs des enfants étaient coupés, leurs vêtements brûlés, il leur était interdit de parler une autre langue que l’anglais et leurs effets personnels étaient confisqués. Environ 150 000 enfants sont passés par ces institutions et 4 000 sont morts dans ces écoles. Ils ontégalement été, pour une grande partie, victimes d’abus physiques et/ou sexuels. Le taux de mortalité dans les écoles était de 35%, et pouvait atteindre 75%, en partie à cause de la malnutrition. Plusieurs cimetières et restes humains ont été découverts à proximité des anciennes écoles, comme dans la province de Colombie-Britannique, dans l’ouest du Canada, où 215 corps d’enfants ont été découverts, présentant des signes d’abus considérables82.

L’impact sur les enfants victimes dans les écoles, leurs familles et leurs descendants est important. Ces événements sont qualifiés de « traumatisme historique » et de « génocide culturel » par la Commission royale dans un rapport de 2004. Elle le définit comme « la destruction des structures et des pratiques qui permettent aux groupes de vivre ensemble », ce qui continue d’avoir des conséquences aujourd’hui. Dion, Hains, Ross et Collin-Vézina décrivent ce processus en termes d’impacts au-delà des victimes de ces écoles elles-mêmes. Ils parlent d’un processus à fort impact intergénérationnel83.

79 J.R. Miller, . « Pensionnats indiens au Canada ». l’Encyclopédie Canadienne, 06 janvier 2023, Historica Canada. . Date consulté: 11 avril 2023.

80Dominique GLASMAN, « OTTAWA Gilles. Les pensionnats indiens au Québec. Un double regard », in Revue française de pédagogie, no189, 2014, p. 152.

81 Marie-Pierre BOUSQUET, « Le projet des pensionnats autochtones du Québec : « Passer en moins d’une génération du canot d’écorce à la fusée interplanétaire » », in Revue de la SPHQ, vol. 55, no3, 2017, p.24 82 Timothé MATTE-BERGERON, et Guy BOIS. « Pensionnats autochtones : découverte « déchirante » des restes de 215 enfants » . Radio Canada, 2021,
ici.radio-canada.ca/nouvelle/1796744/pensionnats-autochtones-decouverte-dechirante-des-restes-de-215-enfants

Ils décrivent ce processus en trois étapes. Tout d’abord, les enfants ont été forcés d’oublier leur langue maternelle, leurs croyances et leur mode de vie, rendant impossible la transmission intergénérationnelle des traditions autochtones. Ainsi, une fois rentrés chez eux, les enfants ont été perçus par leur propre famille comme des étrangers, et inversement, les familles ont été perçues comme étrangères pour les enfants, car ils ne comprenaient pas la langue, les rites et traditions pratiqués. Cela a eu des conséquences sur la transmission culturelle des descendants : un individu aliéné par rapport à ses traits culturels ne pourra pas les transmettre aux générations futures. Baril et Tourigny développent également la théorie du cycle intergénérationnel de la victimisation de l’enfance. Les impacts négatifs des pensionnats ne se limitent pas aux anciens élèves, mais aussi à leurs descendants84. Au-delà de la transmission culturelle, les pensionnats ont des impacts néfastes sur les conditions de vie et la violence transmises aux anciens élèves. La victime est plus susceptible de devenir un agresseur à l’âge adulte et de reproduire les schémas de violence vécus pendant l’enfance. Ce n’est pas une fatalité, mais un facteur à prendre en compte.

A la fin de leurs études dans les pensionnats, les enfants, resocialisés et baignés dans les valeurs de la culture européenne, seront les prototypes d’une métamorphose souhaitée et assumée par les autorités : “le « sauvage » devenu civilisé, prêt à accepter ses privilèges et ses responsabilités de citoyen, responsabilité qu’il ne pouvait assumer auparavant”85.

83Jacinthe DION, et al. « Pensionnats autochtones : impact intergénérationnel » . Enfances Familles Générations, vol. 25, no1, 2016.

84 Karine BARIL , Marc TOURIGNY, « Le cycle intergénérationnel de la victimisation sexuelle dans l’enfance : modèle explicatif basé sur la théorie du trauma » in Carnet de notes sur les maltraitances infantiles, 2015, n° 1, p. 28-63
85 Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA), Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa, 1996, p.365.

Ces formes d’exclusion peuvent se traduire, comme nous l’avons vu, par unéloignement non seulement territorial, mais aussi historique et culturel des Premières Nations et des Inuit. Au-delà d’un éloignement que l´on peut définir comme national entre les communautés autochtones et non autochtones, ces processus de marginalisation ont produit une distanciation que l’on peut qualifier d’interne, au sein-même des communautés autochtones. En 2008, le Premier ministre canadien Stephen Harper a présenté des excuses publiques pour les crimes commis à l’encontre des peuples autochtones.

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L’impact des politiques aculturationnistes sur l’autochtonie : étude comparative du Mexique et du Canada
Université 🏫: SCIENCES PO TOULOUSE
Auteur·trice·s 🎓:
Julie Bastida

Julie Bastida
Année de soutenance 📅: Promotion 2023 - 2022-2023
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