Le cadre de promotion du libre-échange à l’OMC

Partie II. Une organisation au bout de réformes
L’ampleur des crises actuelles qui secouent le système multilatéral est loin de rassurer les observateurs sur la capacité de l’OMC à réguler le commerce multilatéral. Ainsi, comme l’affirme le professeur SIROËN, « cette évolution risque d’achever le principe fondateur du multilatéralisme déjà mal en point : la clause de la nation la plus favorisée »235.
Pourtant, malgré ces soubresauts, l’OMC s’est forgée une solide réputation en s’imposant dans la sphère des organisations internationales comme l’instance ayant permis d’assurer une meilleure régulation du commerce mondial. Elle s’est efforcée au mieux de ses moyens d’assurer une meilleure sécurité et une meilleure prévisibilité du système commerciale multilatéral.
La question n’est pas de savoir si les opinions exprimées çà et là sur l’OMC sont vraies ou fausses. S’inscrire dans une telle perspective s’avérerait tendancieuse et inféconde. L’enjeu ne doit pas se trouver pas dans les querelles sempiternelles entre les partisans ou les détracteurs de l’OMC.
L’enjeu sera plutôt d’esquisser des pistes de réforme crédibles du système commercial multilatéral. On pourrait se servir du blocage actuel du cycle de Doha comme une vraie occasion afin de repenser l’OMC pour lui ouvrir les portes d’un avenir plus conforme à la réalité mondiale.
A cet égard, l’OMC ne peut espérer une conjoncture heureuse du commerce mondiale et une perspective meilleure que s’il elle donne des gages sur sa capacité à s’adapter sur le long terme. Comme le rappelle Sandra POLASKI, l’OMC « peut et doit revoir les règles pour qu’elles favorisent moins les pays riches et qu’elles offrent des chances à tous les pays, quel que soit leur niveau de développement »236. Cette réforme pourrait être le point de départ pour réorganiser les règles commerciales autour d’objectifs de développement plus fondamentaux qui prendraient en considération à la fois les effets commerciaux et non commerciaux des négociations multilatérales.
Même si l’Organisation peut déjà se targuer de quelques succès significatifs qui pourraient dénoter de sa résilience (Chapitre I), il lui faudrait davantage s’inscrire dans une perspective réformatrice pour mieux relever les défis actuels et futurs (Chapitre II).
Chapitre I. L’OMC, une organisation résiliente
Il est assez habituel d’entendre des prédictions négatives sur l’avenir de l’OMC. « Serons- nous encore là l’année prochaine ? »237 rapporte Yves SCHEMEIL. Cette question hante en permanence l’esprit du personnel et semble être une épée de Damoclès sur la tête de l’Organisation. L’avènement au pouvoir de M. TRUMP aux Etats-Unis et sa volonté de mettre en place des mesures protectionnistes de grande ampleur238 ont aussi déclenché à l’échelle mondiale une vague de pessimisme sur l’avenir de l’Organisation chargée de la régulation du commerce mondial239.
Or à l’évidence, cette institution dure déjà depuis plus d’un demi-siècle, d’abord sous le couvert du GATT puis en tant qu’OMC, créée fin 1994 et inaugurée en janvier 1995. Quelles peuvent bien être alors les recettes de ce succès ?
Selon le professeur Yves SCHEMEIL, « cette longévité provient pour une bonne part de sa capacité à résister aux tentatives de contrôle et aux pressions des États qui la constituent. L’OMC est en effet pilotée par ses membres (les États qui y adhèrent), et n’est censée jouer qu’un rôle de facilitateur dans le déroulement des négociations multilatérales. Elle ne produit rien elle-même, à la différence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), par exemple, qui élabore des normes directement issues du travail de ses experts »240.
Si l’OMC a pu résister à l’implosion, c’est donc grâce au fait qu’au cours des vingt dernières années elle a su mieux incarner, au travers de ses règles, de ses mécanismes et de ses organes, un système commercial multilatéral plus universel, plus transparent et plus sûr lui permettant de s’imposer comme l’instance indispensable à la gouvernance de la mondialisation (Section I). De même, en traitant d’enjeux majeurs avec des ressources réduites‚ ses performances sur le court terme lui assurent donc une efficacité à long terme (Section II).
Section I. Une organisation indispensable
L’OMC est avant tout la seule organisation internationale qui s’occupe des règles régissant le commerce mondial dans le but de prévenir et de régler les tensions commerciales, vecteurs de conflits internationaux. Son utilité vient de ce qu’elle est non seulement le cadre formel de promotion du libre-échange (§1) mais aussi le cadre de la défense du libre échange (§2).
§1. Le cadre de promotion du libre-échange
L’OMC est l’institution chargée, à l’échelle mondiale, du libre-échange. Le but primordial de l’organisation est de faire en sorte que le commerce soit aussi libre que possible. A cet effet, elle dispose d’une double mission : elle est à la fois l’enceinte de négociations commerciales multilatérales (A) et le cadre de mise en œuvre des accords commerciaux (B).
A. L’OMC, une enceinte de négociations permanentes et continues
En référence à l’article 3 §2 de l’Accord de Marrakech, l’OMC constitue une enceinte de négociations permanentes et continues241. Formellement, c’est le lieu où les gouvernements membres se rendent pour discuter des problèmes commerciaux qui les divisent. A ce propos une question se pose : quel est alors l’enjeu des négociations commerciales ? Pour la doctrine majoritaire242, les négociations commerciales multilatérales ont pour objet de promouvoir la libéralisation des échanges mondiaux sur la base d’un avantage mutuel.
Cette vision, en accord avec la théorie économique des avantages comparatifs243 formulée au 18 e siècle par le libéral Adam SMITH244 et popularisée au 19e siècle par l’économiste David RICARDO245, part du postulat selon lequel les échanges commerciaux sont bénéfiques à tous les pays.
Concrètement, les négociations commerciales se déroulent quotidiennement dans les locaux de l’Organisation246 à Genève et c’est la Conférence ministérielle qui est l’organe habileté en amont à décider de l’opportunité des sujets à négocier247 puis à entériner en aval les résultats issus des négociations. Mais faudrait-t-il, pour autant, y voir la marque d’un véritable pouvoir normatif conféré à cette Organisation ?
La question fait depuis débat248. A l’opposée d’autres organes des organisations internationales, le droit de l’OMC interdit tout pouvoir normatif, car l’OMC est une organisation member driven249. De jure, ses organes n’ont pas compétence à se substituer aux Etats membres250. Tout au plus, ils assument une mission d’assistance, de coordination ou de facilitation.
De plus, l’Organisation dispose d’un cadre de négociation caractérisée par une « dualité permanente »251 entre le volet formel et le volet informel252, entre l’Administration et le politique253. Cette disposition organique a toujours permis à l’OMC de s’affranchir de toute tentative de prise en otage des Etats Membres par les instances.
C’est ainsi que, contrairement à certaines organisation internationale comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont les normes sont directement issues du travail de ses experts, l’OMC ne décide de rien elle-même254. Un autre indicateur de la résistance de l’OMC, c’est la pratique des « chambres vertes »255 lors des négociations commerciales. Il s’agit d’une pratique informelle mise en place pendant le GATT sous la direction d’Arthur DUNKEL256.
Celle-ci consiste en effet à réunir dans un cadre restreint, en l’occurrence dans une confortable salle verte, sur convoc
ation du directeur général, des Membres récalcitrants, les tenants d’une solution et les indécis afin de traiter du processus d’ensemble de la négociation ou de thèmes sectoriels. De ce cadre restreint et à huit clos, les participants ne peuvent sortir que lorsque qu’un accord est trouvé. Les absents n’auront dès lors qu’à se rallier à la position de leur chef de file. Cette stratégie permet d’attester de la capacité d’adaptation de l’OMC.
L’OMC est le fruit de plusieurs négociations qui se sont tenues dans le cadre du cycle d’Uruguay de 1986 à 1994 mais aussi celles qui ont eu lieu antérieurement dans le cadre du GAAT. Quant aux dernières grandes négociations qui ont été lancées en 2001 dans le cadre du Cycle de Doha, malgré quelques avancées obtenues lors des Conférences ministérielles de Bali (2013) et de Nairobi (2015), notamment avec la conclusion d’un Accord sur la facilitation des échanges (AFE)257, les lignes n’ont pas pour l’instant suffisamment bougé pour permettre à ce cycle d’aboutir.
Néanmoins, la mission de l’OMC va encore plus loin en intégrant la gestion des accords commerciaux multilatéraux.
B. L’OMC, un cadre de mise en œuvre des accords commerciaux
L’OMC est avant tout le gardien de la légalité du système commercial multilatéral. Elle assure, à cet égard, un rôle d’encadrement en vue de parvenir à l’équilibre global issu des textes négociés, mais aussi dans le but de faciliter la mise en œuvre, et le fonctionnement de l’Accord de Marrakech. Bien entendu, la finalité étant de garantir l’effectivité du système.
A ce titre, elle doit faciliter la mise en œuvre, l’administration et le fonctionnement des Accords de l’OMC et favoriser la réalisation de leurs objectifs.
Pour ce faire, l’OMC assure le suivi des politiques commerciales nationales. Cette mission s’inscrit dans le cadre du mécanisme d’examen permanent des politiques commerciales (MEPC)258. Il s’agit d’un mécanisme qui oblige chaque Etat membre à présenter des rapports périodiques259 sur des mesures adoptées. L’ensemble des dispositions de ces rapports sont soumis à la critique multilatérale. Le MEPC instauré par l’OMC peut donc être analysé comme une garantie de transparence du système commercial.
L’Organisation s’efforce aussi de lever les obstacles au libre-échange. C’est ainsi que depuis sa création, les quotas prônés par les mercantilistes ont été abolis dans la quasi-totalité des secteurs. A la place des quotas, des droits de douane ont été introduits avec des réductions très significatives. On est ainsi passé de 14% en 1997 à 3% aujourd’hui soit une réduction de 11 points.
Mais le commerce multilatéral suppose aussi l’intégration d’un plus grand nombre d’acteurs y compris les plus faibles. C’est ici qu’apparaît l’une des missions les plus importantes à mettre à l’actif de l’OMC à savoir l’assistance des Etats les plus faibles.
Destinée en priorité aux PED, l’assistance apportée par l’OMC prend substantiellement la forme d’un appui juridique et technique, à travers la mise en place de sessions de formations sur le droit de l’OMC à destination des fonctionnaires des PED ou des PMA. Cette mission est dévolue au Centre consultatif sur la législation de l’OMC mis en place par cette dernière et basé à Genève. Aussi, l’appui de cet organisme s’est-il relevé significatif dans 45 procédures260.
Il a donc permis d’ouvrir un peu plus le mécanisme de règlement des différends aux PED, ce qui contribue de plus en plus à l’apaisement du Sud.
En somme, l’OMC assure la promotion du libre-échange, en essayant d’empêcher le repli protectionniste qui reste dommageable pour un commerce multilatéral concurrentiel et loyal. De la sorte, sa longévité provient alors pour une bonne part de sa capacité à résister aux tentatives de contrôle et aux pressions des États qui la composent lors des processus de négociations commerciales multilatérales. Cependant, en plus d’être l’enceinte de promotion du libre-échange, l’Organisation demeure aussi l’instance de protection du libre-échange.
_________________________
235 Jean-Marc SIROËN, « OMC : le possible et le souhaitable », L’Économie politique 2007/3 (n° 35), p. 12.
236 Sandra POLASKI, « L’OMC n’est pas en danger. », L’Économie politique 3/2007 (n° 35), p. 26.
237 Yves SCHEMEIL, « L’OMC, une organisation hybride et résiliente », op.cit., p. 31.
238 Depuis le 21 janvier 2017, le nouveau président américain a indéniablement choisi une orientation néo- isolationniste axée sur la relocalisation d’entreprises, l’abandon du traité transpacifique (TTP) et l’ALENA.
239 Dans une tribune intitulée ‘‘Trump peut-il signer l’arrêt de mort de l’OMC et du libre-échange ?’’ signée dans le Figaro le 10 Novembre 2016, le Professeur Philip Marin indiquait que « si les Etats-Unis sortaient de l’Organisation, les autres membres n’auraient pas d’intérêt à rester dans l’organisation ». Et d’ajouter que « sans l’OMC, le monde entrerait dans un univers commercial chaotique ». Cet article est disponible sur http : //www.lefigaro.fr. Consulté le 12 décembre 2016.
240 Yves SCHEMEIL, « L’OMC, une organisation hybride et résiliente », op. cit p. 32.
241 A la différence du GATT qui n’était qu’un simple accord de caractère provisoire liant les parties contractantes, l’innovation de l’OMC réside dans son caractère institutionnel.
242Jean-Marc SIROËN, « l’OMC et les négociations commerciales multilatérales », De Boeck Supérieur Négociations 2007 (no7) p.7.
243 Cette théorie qui est au fondement du commerce international explique que dans un contexte de libre- échange, chaque pays, s’il se spécialise dans la production pour laquelle il dispose de la productivité la plus forte comparativement à ses partenaires, accroitra sa richesse nationale. Pour une analyse détaillée cf. Robert TORRENS, Essay on External CornTrade, J. Hatchard , London, 1815, p. 17 et ss.
244 Economiste écossais (5 juin 1723-17juillet 1790) connu pour avoir été le père de l’économie politique.
245 Economiste britannique considéré comme l’un des économistes libéraux les plus influents de l’école classique aux côté d’Adam Smith et de Thomas Malthus.
246Plus particulièrement, c’est dans l’organe ad hoc du comité de négociation commercial (CNC) que se tiennent les négociations. En l’occasion, cet organe définit le plus souvent 21 thèmes qui seront soumis aux nouvelles négociations témoignant ainsi du caractère véritablement mouvant du droit de l’OMC.
247 L’art. 4§1 de l’Accord de Marrakech souligne que la conférence ministériel a le pouvoir pour négocier « sur toute question relevant de tout accord commercial multilatéral ».
248 Jean-Louis GOUTAL, « le rôle normatif de l’organisation mondiale du commerce » Petites affiches – 11/01/1995 – n° 5 – page 24; De même voir Karim BENYEKHLEF, une possible histoire de la norme : les normativités émergentes de la mondialisation, 2eme éd., Thémis, 2015; v. de même Joseph NGAMBI, la preuve dans le règlement de différends de l’organisation mondiale du commerce, Bruyant, 2010.
249 Une organisation member driven signifie littéralement que l’OMC est une organisation gouvernée par ces membres. Subséquemment, les décisions de l’OMC ne peuvent valablement émaner que des Etats et non des instances de l’Organisation.
250 Sur ce point, voir Mehdi ABBAS et Christian DEBLOCK, « L’Organisation mondiale du commerce et le programme de Doha pour le développement. Un système commercial en mal de renouvellement », Paris, Annuaire français de relations internationales, juin 2015, pp. 739-760.
251 Yves SCHEMEIL, « L’OMC, une organisation hybride et résiliente », op.cit., p. 32.
252 Il convient de souligner,
en effet, qu’à part les réunions officielles, il y a une multitude de réunions officieuses. Il s’agit de négociations de couloir qui, soit ne sont pas répertoriées à l’agenda officiel de l’organisation ou bien ne donnent pas lieu à un compte rendu officiel.
253 Quel que soit le type de négociations ou de débats, la présidence d’une séance est assurée conjointement par un membre du secrétariat général et un représentant permanent élu par ses pairs. Ils décident ensemble de l’ordre du jour de la réunion, du contenu de sa note de synthèse et des résultats susceptibles d’être communiqués à l’extérieur. C’est un élément capital car il implique un consensus entre le volet technico-administratif et le volet politique.
254 Yves SCHEMEIL, « L’OMC, une organisation hybride et résiliente », op.cit., p. 33.
255 Idem.

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