Les PED dans le système commercial multilatéral

Les pays en développement PED dans le système commercial multilatéral
Chapitre II. Une organisation contestée
Le système commercial multilatéral qu’incarne l’OMC a contribué d’une manière ou d’une autre à la croissance économique, au développement, et à l’emploi ces dernières décennies dans plusieurs parties du monde. Pourtant, l’OMC est depuis quelques temps contestée.
Beaucoup estiment que l’OMC ne prend pas suffisamment en compte les caractéristiques et les besoins particuliers des pays en développement. Des auteurs tels que Romain BENICCHIO et Céline CHARVERIAT ont par exemple montré qu’il y a une « dichotomie (…) entre l’attente des PED de solutions adaptées à leurs problèmes, et la volonté des pays de l’OCDE de préserver leurs politiques agricoles tout en s’ouvrant de nouveaux marchés dans les PED, que ce soit dans les domaines agricole, industriel ou des services »170. Or ces pays représentent à eux seuls environ 80 pourcent de la population mondiale, et plus du trois quart des Etats membres de l’Organisation 171. De leurs frustrations naît alors la contestation.
Le point d’orgue de cette contestation des PED fut la conférence de Seattle qui a vu les réunions annulées en partie en raison de la forte opposition des PED sur des dossiers aussi épineux que sont l’agriculture en raison des soutiens internes et des subventions accordées aux agriculteurs des pays du Nord. En outre, une partie des critiques actuelles émane de la société civile internationale, en l’occurrence des mouvements dits altermondialistes qui reprochent à l’OMC d’être peu regardant sur les questions intéressant les valeurs sociétales 172. Cette contestation s’élargit aussi aux économistes qui vilipendent l’Organisation au sujet des pseudos bienfaits du libéralisme.
En somme, ce sont donc essentiellement deux points qui prêtent constamment le flanc à la contestation : d’une part, la place marginale des PED dans le système commercial multilatéral, une mise à l’écart continuelle qui contribue à attiser leurs frustrations vis-à-vis de l’OMC (Section I) et d’autre part, la question des politiques sociales en amont des contestations principalement sociales et économiques (Section II).

Section I. L’OMC, une organisation contestée par les pays en développement

L’OMC est de plus en plus sous le feu de la critique des PED qui l’accusent d’avoir instaurer un système commercial multilatéral inégalitaire loin de favoriser leur intégration dans le commerce international.
Il convient alors de prendre la teneur de la contestation liée à la marginalisation des PED dans le système commercial international (§ 1) avant d’envisager celle qui est inhérente aux asymétries des accords (§ 2).

§1. Une contestation liée a la marginalisation des PED dans le système commercial multilatéral

Longtemps considérés comme « quémandeurs de traitements préférentiels »173 et parents pauvres de la mondialisation, les pays en développement sont encore bien moins lotis lorsqu’il s’agit d’évoquer leur situation actuelle dans le commerce mondial (A) ainsi que leur place au sein de l’OMC (B).

A. La persistance de la fracture Nord-Sud dans le commerce mondial 174

Au 1er janvier 1995, la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce avait été globalement saluée comme une avancée majeure pour les PED 175. Et pour cause, cette euphorie dans le Sud était à la mesure de l’ambition clairement affichée par la nouvelle Organisation.
En effet, en vertu de l’Accord instituant l’OMC, le cadre multilatéral devrait « faire des efforts positifs pour que les pays en développement en particulier, les moins avancés d’entre eux, s’assurent une part de la croissance du commerce internationale qui corresponde aux nécessités de leur développement économique »176. Le point d’orgue de cette noble ambition fut d’ailleurs la consécration du Traitement spécial différencié (TSD)177 censé protéger les acteurs commerciaux les plus faibles.
Cependant, après plus de vingt ans de fonctionnement de l’OMC, le Nord domine toujours outrageusement le commerce mondial, fixe discrétionnairement les prix des produits agricoles alors que le Sud dans sa grande majorité est encore loin de faire son retard.
Ainsi, malgré les deux décennies de croissance économique sensible dans les Pays Développés (PD) et dans les PED, les pays les moins avancés (PMA)178, quant à eux, n’ont pu profiter que modestement de la formidable expansion économique : leur part dans le commerce mondial de marchandises (exportations et exportations confondues) est actuellement de 1,08 pourcent179.
Pire leur part dans le secteur des services ne dépasse pas 0.5180 pourcent en 2010 alors qu’il était au même niveau en 2000. Au fil des années, force est de constater que le déséquilibre en termes de balance commerciale longtemps constaté entre les pays riches et les pays pauvres et pour lequel l’Accord instituant l’OMC se propose de servir de correctif, semble en définitive persisté voire se renforcé.
Dans un récent Rapport, la CNUCED indique que la chute des cours des matières premières a entraîné une baisse des exportations et des importations des PMA, d’où un doublement de leur déficit commercial qui est passé de 36 milliards de dollars en 2014 à 65 milliards de dollars en 2016181. C’est surtout au niveau du commerce des matières premières que la situation des ces pays est encore plus perceptible.
En effet, la part des exportations des produits minéraux, des combustibles ne cessent de décliner et avec elle, l’effondrement des économies des PED, encore essentiellement primaires 182. Plus pernicieux, l’excroissance des obstacles non tarifaires, la multiplication des soutiens internes à l’agriculture, y compris pour le coton dans les pays riches, les subventions à l’exportation continuent d’accentuer la mise à l’écart continuel des PMA dans le commerce international.
Le constat est donc sans appel, en dépit de la mise en place de l’OMC, les PED dans leurs grandes majorités continuent d’occuper une position marginale dans le commerce mondial qui, par conséquent, demeure largement inégalitaire.
S’il paraît indéniable que la position des PED dans le commerce mondial reste peu enviable, il en va de même de leur place au sein de l’OMC.

B. La place marginale réservée aux PED au sein de l’OMC

Cette question sera abordée autour de deux pôles qui font inexorablement l’objet de récriminations de la part des pays du Sud, à savoir leur marginalisation du point de vue normatif ensuite leur marginalisation du point de vue de la participation aux travaux de l’OMC.
Sur le premier point, pour séduisant qu’il puisse paraître prima facie, le cadre normatif l’OMC n’emporte pas toujours la satisfaction des Etats du Sud: si sa philosophie semble plus altruiste, il est infiniment préférable de tenter de réglementer l’usage qui peut être fait de la puissance en amont de la production des normes que de la laisser produire ses effets dans la sphère même du droit. Bien évidemment, ce sont toujours les Etats puissants du Nord qui tirent le plus d’avantages du cadre multilatéral.
En effet, le cadre normatif de l’OMC leur a permis, jusqu’à maintenant, d’imposer leurs lois aux pays du Sud. La configuration actuelle de l’économie mondiale, la géographie de la richesse mondiale permettent de penser que la plupart des règles de l’OMC ont été élaborées pour favoriser leurs intérêts dans un sens qui accroît leur hégémonie sur le reste du monde.
Le résultat, comme le soulignait un Rapport de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, est que pour certains groupes de l’humanité, l’OMC est vécue comme un « véritable cauchemar »183.
Sur le second point, relativement à la participation des PED aux travaux de l’OMC, il relève de l’évidence que jusqu’à présent, les pays du Sud sont encore minoritaires bien que la plupart des questions abordées aient souvent été d’une importance significative pour ces pays, du moins pour la majorité d’entre eux. En effet, la principale équation pour les PED demeure sans aucun doute le défi de leur participation à l’OMC.
Et pour cause, parmi les pays en développement, certains pays, faute de ressources financières, administratives mais aussi par manque de compétences techniques, ne sont pas en mesure d’entretenir une représentation permanente au sein de l’Organisation. Il s’ensuit dès lors une obstruction manifeste quant à la capacité de ceux-ci à assurer une participation optimale à l’ensemble des travaux. En conséquence, ils ne peuvent ni s’imprégner des enjeux ni défendre leurs intérêts.
Dans le Rapport d’information sur la place des pays en développement dans le système commercial multilatéral, il a déjà été indiqué que vingt-huit pays membres de l’OMC n’entretiennent aucune représentation à Genève 184.
En effet, contrairement à ses objectifs, l’Organisation n’accorde que peu de ressources au financement de l’assistance technique promis aux pays les plus faibles. Cette inadéquation complète entre les objectifs poursuivis et les moyens qui leur sont consacrés fait alimenter ainsi la frustration des PED.
Outre leur marginalisation dans le système commercial multilatéral, les PED s’indignent davantage des asymétries des accords de l’OMC.
______________________________________________
170 Romain BENICCHIO, Céline CHARVERIAT, « L’avenir compromis de l’OMC », op.cit., p. 57.
171 Cf. la liste des membres disponible sur https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/org6_f.html
172 Au titre de ces valeurs, l’on évoque souvent les droits de l’homme, les normes de travail, les normes environnementales, etc.
173A ce propos voir Philippe VINCENT, L’OMC et les pays en développement, Larcier, 2010. p.5 et ss.
174 Ce rapport déséquilibré entre les pays du Sud et les pays du Nord pourrait s’analyser comme une résultante de la chute du mur de Berlin qui met désormais face à face les pays de Nord et les pays du Sud, avec à la clef la responsabilisation des pays du Sud sur le plan international.
175 Guy FEUER, « l’Uruguay round, les pays en développement et le droit international du développement », op.cit., p.758.
176 Voir Préambule de l’accord instituant l’OMC.
177 Mis en place lors de la conférence de Doha en 2001, le TSD, regroupe un certain nombre clauses introduites dans différents accords de l’OMC en faveur des pays en développement, la finalité de celles-ci étant d’accorder une aide suffisante aux industries naissantes de ces pays à l’interne (protection) comme à l’externe (préférences commerciales).
178 Les PMA incluent les 49 pays les plus pauvres de la planète dans quatre continents dont l’Océanie. Selon la CNUCED ces pays répondent à 3 critères à savoir un revenu national bas, un capital humain faible et une grande vulnérabilité économique. Plus de la moitié des pays africains font partie de cette catégorie.
179 OMC /Introduction au commerce et au développement, disponible sur https://ecampus.wto.org/TD-M2-R1-F.
180 Idem.
181 CNUCED, Rapport 2016 sur les pays les moins avancés, disponible sur http://www.unctad.org/ldc.
182 Idem.
183 Joe OLOKA-ONYANGO et DEEPIKA UDAGAMA, La mondialisation et ses effets sur la pleine jouissance des droits de l’homme, Rapport préliminaire présenté le 15 juin 2000, in Rapport d’information no 2750 « sur la place des pays en développement dans le système commercial multilatéral », Assemblée nationale française, 2000, p.41.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top