L’art de l’image et l’iconographie du Hezbollah

D- L’iconographie et l’art de l’image

Depuis sa création dans les années quatre-vingt, le Hezbollah a produit une iconographie très particulière qui a accompagné son travail de résistance.
Cette production s’est beaucoup développée et changée suite aux événements divers qui ont influencé le parti, comme les guerres successives, son entrée dans la vie politique libanaise, la libération du sud, les conflits sur la scène nationale avec les autres partis, la signature du pacte d’entente avec le CPL et enfin son intervention militaire dans le conflit syrien.
Les affichages ont changé : leurs tailles, leurs couleurs et leurs contenus, et malgré tous les variables politiques et les coalitions stratégiques, le seul constant dans les contenus de ces affichages reste le thème du conflit israélo-arabe et la cause palestinienne.
Selon Jérôme BIMBENET, « l’iconographie a été née avec le christianisme. Pour assurer son essor, ce dernier a mis en place un système parfait de représentation, l’iconographie chrétienne est destinée à convaincre, à émouvoir, à rassurer et à familiariser la mort »125. De son côté Descartes décrit l’image comme « la reproduction mentale d’une perception ou d’une impression en absence de l’objet qui lui avait donné naissance 126 »,
En outre, Jacques Aumont établit trois modes principaux de fonctions de l’image : Le mode symbolique selon lequel les images « ont servi essentiellement de symboles, plus précisément de symboles religieux, censés donner accès à la sphère du sacré par la manifestation plus ou moins directe d’une présence divine ».
Le mode épistémique où l’image « apporte des informations visuelles sur le monde, qu’elle permet ainsi de connaître, y compris dans certains de ces aspects non visuels », et le mode esthétique par lequel l’image « est destinée à plaire à son spectateur, lui proposer des sensations [aisthesis] spécifiques 127 ».
En ce qui concerne les représentations, Jean Clenet 128 explique que « la représentation construite par une personne ou un collectif est son lien, son rapport le plus intime avec l’organisation et l’environnement dans lequel elle se situe », il précise « que les représentations constituent un système d’interprétation par lequel l’individu donne une signification au monde et interagit avec son environnement 129 ».
Selon BIMBENET la représentation sociale « est un processus d’élaboration perceptive et mentale de la réalité qui transforme les objets sociaux (personnes, contextes, situations) en catégories symboliques (valeurs, croyances, idéologies) et leur confère un statut cognitif, permettant d’appréhender les aspects de la vie ordinaire par un recadrage de nos propres conduites à l’intérieur des interactions sociales 130 ».
L’iconographie du Hezbollah se manifeste principalement à travers les portraits des martyrs qui s’affichent dans les routes des villes et des villages du Sud, du Békaa et de la banlieue sud de Beyrouth.
De manière générale, le Hezbollah a fait un effort pour que chaque martyr ait un portrait devant sa maison ou dans le quartier de sa maison natale.
La fondation du martyr est l’acteur principal dans le processus de la création de cette iconographie, car, dès la mort du combattant du Hezbollah durant son travail djihadiste (sur le front contre Israël ou lors de l’entraînement militaire en Syrie ou en Iran), la fondation se dirige vers sa maison pour collecter tous ses documents personnels, et après l’acceptation expresse de sa famille, elle les ajoutent à l’archive des martyrs pour les utiliser dans tous les travaux de commémorations131, et principalement dans la création de leurs portraits.
Ces portraits, qui peuvent être des photos d’identité ou toute photo personnelle, seront envoyés à l’imprimerie de la région du combattant pour la création de son portrait officiel. Dans le cas de Nabatiyeh, il en existe plusieurs, et qui ne sont pas toutes une propriété du Hezbollah, mais qui travaillent de façon quotidienne avec les unités de communication du parti.
Un propriétaire d’une imprimerie dans la ville de Nabatiyeh que nous avons rencontré et qui a préféré garder son anonymat, raconte qu’il dispose de cette imprimerie dès la mort de son père, il n’est pas membre du Hezbollah, mais il est un partisan de ce parti : pratiquant, barbus et croyant dans son idéologie.
Il ajoute qu’il travaille avec un responsable du Hezbollah dans la ville de façon permanente mais sans qu’il soit engagé par un contrat. Il n’avait pas de diplôme d’Université mais dispose d’une expérience importante dans l’impression. Après la mort du martyr, cet homme reçoit du responsable du Hezbollah son image, et parfois il reçoit plusieurs images des martyrs de la région de Nabatiyeh qui sont tués au même combat.
Tout de suite, il utilise son ordinateur pour modifier la photo, et pour créer le portrait standard132 de tous les martyrs du Hezbollah : un visage souriant, avec un foulard noir en carreaux sur son cou, un habit militaire, en affichant le nom du martyr avec son pseudonyme djihadiste. Le portrait crée sera ensuite utilisé dans les panneaux de commémoration du martyr durant ses funérailles, et enfin dans un tableau qui sera mis devant sa maison.
En outre, d’autres partisans du Hezbollah, considèrent que les portraits des martyrs qui se trouvent partout, jouent un rôle très important dans la société de résistance : « c’est un élément qui encourage les jeunes à adhérer au parti, et à adopter la cause de la résistance, surtout quand ils regardent les portraits des jeunes hommes de leurs âges, qui ont sacrifié leurs corps pour défendre ce pays ».
Cependant, la majorité des martyrs auront la même taille des portraits au contraire des autres personnes qui disposent d’une importance considérable au niveau du parti. Cela se manifeste dans les grandes tailles de leurs portraits et de leurs icônes.
On parle ici principalement de Hassan Nassrallah, dont on trouve ses icônes à chaque coin des zones appartenant au Hezbollah, chaque coin veut dire : les rues, les magasins, les voitures, les maisons, les écoles al mahdi, les associations et les fondations du Hezbollah, sur les calendriers, et les livres, et même sur les briquets.
Ensuite on observe les portraits des dirigeants martyrs qui sont les fondateurs de la résistance : Abbas el Moussawi, Ragheb Harb et Imad Moghniyeh, dans toutes les routes et dans les institutions du parti, on les trouve affichés dans la place principale des célébrations périodiques du moujamma’a-sayyed-al shouhada’a à la banlieue Sud de Beyrouth.
Enfin, les portraits des martyrs volontaires qui ont fait des opérations suicidaires occupent aussi une certaine importance, comme Ahmad Kassir, Salah Ghandour et autres, dont leurs gigantesques portraits sont installés dans les places de leurs opérations, et sur lesquels on trouve des citations et des versets coraniques calligraphiées pour commémorer leur courage et leur place chez Dieu après leurs opérations « héroïques ».
Tous les autres martyrs disposent des portraits installés devant leurs maisons, mais parfois on trouve de grands panneaux où se sont insérés plusieurs portraits avec les noms des martyrs à coté de leurs cimetières.
La question de la production iconographique du Hezbollah, aux formes très variées a été étudiée par l’auteur Kinda CHAIB, qui s’est interrogée sur la fonction mobilisatrice assignée à cette iconographie si présente dans les zones à majorité chiite133.
Selon elle, les martyrs constituent aujourd’hui « un fond de commerce du Hezbollah, une de ces sources de légitimité qui n’admet pas de critique », ils bénéficient d’une attention sans faille des centres de conception graphique et sont l’objet « d’une politique consciente de mise en valeur de leur image ou de l’image du parti à travers eux ».
Elle conclut que : la terre est très représentée dans les dessins des martyrs (41% des cas), à travers un sol craquelé, des pierres ou des arbres, elle symbolise la nation au sens religieux.
Ensuite les fleurs rouges qui représentent les martyrs sont utilisées très fréquemment à travers des symboles et des couleurs134 avec une concurrence de (40%) et personnifient le martyr, elles sont le symbole du martyr qui par sa lutte « nourrit la terre et la fait revivre ». Et enfin le sang est aussi très représenté (38%), il symbolise « les blessures d’un martyr, ou d’une fleur135 »
L’iconographie du Hezbollah se manifeste aussi de façon principale, dans ces institutions, fondations et écoles.
L’école al-Chahid du groupe al-Mahdi constitue un exemple concret136, où on trouve dans le hall du bâtiment, des panneaux commémorant les dates importantes du calendrier liturgique chiite, ainsi que des affiches de la gloire du Hezbollah qui célèbrent la victoire divine obtenue en juillet 2006.
En plus, dans les autres écoles de la mouvance Hezbollah on trouve les mêmes affiches et portraits, des posters du Nassrallah et les drapeaux du parti. L’école al- Chahid, accueille aussi des expositions de dessins et travaux d’élèves consacrés à la résistance. Cette iconographie participe à la création de l’identité confessionnelle et religieuse des élèves.
De son côté Mona HARB considère que le Hezbollah rappelle quotidiennement à ses fidèles, à travers le marquage iconographique, et de manière symbolique, son « appartenance à la hala islamiya et à la mission de la résistance ».
Elle ajoute que cette iconographie est bien perçue par les adhérents à la sphère du Hezbolllah car elle « actualise les normes et les valeurs » qui régulent leur quotidien, et « participe à l’entretien des mythes fédérateurs du Hezbollah, à la structuration de son action collective et à sa mobilisation politique », en rappelant à chacun et chacune la nécessité de l’engagement politique dans ses actes quotidiens.137.
Pourquoi cette grande quantité d’affiches? Le Hezbollah adopte une politique de diffusion massive de ces images et affiches dans ces régions ; les habitants de ces régions s’habituent quotidiennement aux nouveaux affichages et aux portraits des martyrs, des dirigeants du Hezbollah et de ces campagnes politiques.
Cette stratégie est adoptée pour que les gens n’oublient pas les martyrs et la cause principale de la résistance. La grande quantité revient au grand nombre de martyrs dans chaque village, ce qui résulte en une création de monstres de portraits dans les lieux publics et sur les routes.

• Analyse de deux affiches entre 1984 et 2007 :

On constate un grand changement dans le contenu et les formes des affiches et des posters du Hezbollah.
En premier lieu, le drapeau du Hezbollah a changé dès sa création, on observe que l’expression « la révolution islamique au Liban » en dessous du logo dans le drapeau du parti est remplacée par « la résistance islamique au Liban » après une polémique dans le pays sur le mot « révolution ».
Ensuite, ce processus de changement a affecté les autres affiches politiques.
Par exemple, un poster très célèbre durant les premières années de la création du Hezbollah résume tout ce changement : Dans ce poster dessiné à la main, on trouve quatre personnes : une femme portant le tchador iranien, avec deux djihadistes barbus et un homme de religion, portant un drapeau sur lequel s’est calligraphiée une expression islamique, et au fond de l’affiche est dessinée la mosquée d’alkuds entourée par l’étoile juive de David qui symbolise l’occupation israélienne de la Palestine.
On observe aussi en bas de l’affiche, et au fond d’un fil de fer barbelé, les drapeaux américains, français et israéliens déchirés par ces quatre personnes qui sont venues pour libérer la Palestine.
Aussi on remarque le drapeau du Hezbollah, à côté d’une citation de l’Ayatollah Khomeiny en bas de l’affiche par laquelle il incite tous les musulmans à se préparer pour confronter l’occupation israélienne, et pour libérer la Palestine qui est « une propriété des musulmans ».
L’art de l’image et l’iconographie du Hezbollah - L'affiche du Hezbollah en 1984- Collection Zeina MAASIRI
Figure 6 L’affiche du Hezbollah en 1984- Collection Zeina MAASIRI 138
Cependant, et depuis l’année 2005, on peut réaliser cette différence et ce changement dans la stratégie de propagande, qui se manifestent par la nouvelle iconographie qui a subit des réformes de modernisation et d’adaptation avec les nouvelles politiques du parti et notamment après la signature du pacte d’entente et la coalition avec le CPL qui est un des plus grands partis qui représente la communauté chrétienne au Liban.
La campagne publicitaire qui a suivi la guerre de 2006 était la plus célèbre, cela s’est manifesté par une haute technicité dans la création d’affiches.
La campagne a célébré « la victoire divine » du Hezbollah après l’offensive israélienne, elle était formée en plusieurs exemplaires, qui ont été marqué par l’expression : « la victoire divine », traduite en anglais et français, car le destinataire n’est plus seulement la société de la résistance.
Ces affiches ont envoyé un message au spectateur international, pour lui montrer la victoire de ce parti contre l’ennemi israélien.
Cette campagne iconographique a mis en évidence les portraits de Nassrallah souriant et saluant le spectacle de la résistance lors de la cérémonie de 22 septembre 2006, durant laquelle il a déclaré sa victoire dans la dite guerre. Cette campagne a attiré l’attention sur les combattants du parti, photographiés dans les champs du sud, et portant leurs armes.
En effet, et selon MASSIRI, le changement radical dans la création des affiches et des portraits du Hezbollah entre 1980 et 2005 est du « à ces tentatives de transmettre son image à l’extérieur de sa subjectivité islamo-chiite, et à son effort d’élargir sa portée parmi le public libanais ».
En plus, les transformations au sein du groupe médiatique du parti ont entraîné « une accommodation dans son discours de résistance dès le début de l’an 1990 dans un contexte national, mais aussi ont entraîné l’inscription de son image dans un contexte social libanais139».
L’art de l’image et l’iconographie du Hezbollah - Photo de Nassrallah utilisée comme une affiche, après son discours durant le festival de 22 septembre qui a suivi la guerre de juillet 2006
Figure 7 Photo de Nassrallah utilisée comme une affiche, après son discours durant le festival de 22 septembre qui a suivi la guerre de juillet 2006 140
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125 (J) BIMBENET, Film et histoire, Collection U, © Armand Colin, Paris 2007.P 34
126 Ibid.
127 Idem. P 9-11
128 Jean CLENET, Représentations, formations et alternance, Paris, L’Harmattan, coll., Alternances/Développement, 1998, p.70
129 M.Denis, Sciences humaines, N’27
130 G.N. Fischer, Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Montréal, Presses de l’université de Montréal, Dunod, 1987, P.118
131 Les portraits, les testaments et les biographies des martyrs sont publiés sur le site Web de la fondation : <http://www.shaheed.com.lb/> [consulté le 24/01/2015]
132 Sur ce point, plusieurs membres du parti que nous avons rencontrés, ont critiqué cette habitude utilisée pour créer le même portrait, en disant qu’ils ne veulent pas avoir le même portrait ancien et classique après leur mort
133 MERVIN (S), les mondes chiites et l’Iran, Editions KHARTALA 2007, P 115-124
134 L’étude de CHAIB montre que les couleurs dominantes des affichages ont évolué passant des couleurs foncées à des couleurs claires comme le jaune ou le bleu ciel, qui sont choisies par l’artiste selon ses affinités personnelles et son interprétation du sujet.
135 Ibid.
136 LE THOMAS (K), Les écoles Chiites au Liban, construction communautaire et mobilisation politique, Editions KARTHALA-Ifpo 2012, P : 154-155
137 HARB (M), Le Hezbollah a Beyrouth (1985-2005) De la banlieue à la ville, Editions KARTHALA 2010, P 166
138 Photo publiée sur le site Signsofconflicte.com, disponible sur le lien :
<http://www.signsofconflict.com/ar/Archive/poster_details/1408> [Consulté le 26/01/2015]
139 MAASRI (Z), The Aesthetics of Belonging: Transformations in Hizbullah’s Political Posters (1985– 2006),Middle East Journal of Culture and Communication 5 (2012) 149–189
140 Photo disponible sur le site Web du Hezbollah Moqawama.org, disponible sur ce lien : <http://gallery.moqawama.org/displayimage.php?album=9&pos=23> [Consulté le 26/01/2015]

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