Nature et Caractères des droits voisins du droit d’auteur.

Nature et Caractères des droits voisins du droit d’auteur.

Section 2 – Les droits voisins

Les droits voisins concernent un ensemble hétérogène d’intervenants englobant, en matière musicale, les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes1. On a pendant très longtemps dénié à ces auxiliaires de la création une quelconque protection de leur contribution au titre du droit de la propriété littéraire et artistique. Pour autant la loi du 3 juillet 1985 n’intègre pas dans le champ d’application du droit d’auteur aux artistes- interprètes et aux producteurs, mais instaure une nouvelle catégorie de droits.

Evolution du statut économique et social des auxiliaires de la création. Cette reconnaissance fut beaucoup plus tardive sur le plan juridique que sur le plan social et économique. En effet, si jusqu’au XVIIIème siècle les interprètes, et plus particulièrement les comédiens, étaient considérés comme des marginaux dont la carrière et la subsistance dépendaient du bon vouloir des princes ou des mécènes.

Ce n’est qu’après la Révolution et l’abolition des privilèges que le rapport direct entre l’artiste-interprète et le public s’établira. Des droits sont reconnus aux créateurs, pas aux interprètes. Cette disparité ne s’avèrera discriminatoire qu’à partir du moment où la technique permettra la conservation des interprétations puis leur communication indirecte. Et la place qui leur est dévolue dans le processus économique de création est de plus en plus conséquente. Si à l’origine l’artiste- interprète était considéré comme un simple exécutant, transparent aux yeux du public qui venait, à travers lui, applaudir l’auteur, il acquiert peu à peu une renommée propre et partant, une valeur économique significative. Ainsi, comme le fait remarquer A. Bertrand, « un comédien célèbre conserve son pouvoir d’attraction même s’il joue dans une pièce ou un film médiocre, alors que les pièces ou les films d’une grande qualité artistique peuvent n’attirer aucun public » et, citant E. Morin, donne les exemples des chansons de J. Hallyday ou des Rolling Stones, ou encore des films de l’ex-acteur américain A. Schwartzeneger, considéré comme le plus bankable1 durant les années 1991 à 1993 : qui connaît le nom de leurs auteurs- compositeurs ou leurs réalisateurs ?

1 Nous n’envisagerons dans le cadre de notre étude, uniquement ces deux catégories de titulaires de droit voisins du droit d’auteur. Il ne s’agit pas cependant, des seuls bénéficiaires de tels droits. La loi vise également les producteurs de vidéogrammes et les entreprises de communication audiovisuelle. Elle accorde par ailleurs un droit exclusif aux producteurs de bases de données (codifié dans un titre IV du Code de la propriété intellectuelle) et un ‘‘droit d’exploitation’’ reconnu aux organisateurs de manifestations ou compétitions sportives et qui pourraient s’analyser en un genre de droit voisin.

L’évolution du statut économique et social des artistes-interprètes et de leur rôle au sein du processus économique de création, emporte nécessairement des conséquences en termes de droit d’auteur. Un ratio de personnalité des artistes par ordre décroissant de personnalité peut ainsi être établi, faisant apparaître la part qu’occupent les artistes2 dans le processus créatif.

3Vedette de la chanson.Elle choisit ses auteurs-compositeurs et ses musiciens. Les œuvres ainsi créées expriment moins la personnalité de ses auteurs que celle de son interprète pour lequel/laquelle elles sont écrites. (e.g. : Johnny Hallyday)
2Artiste ou musicien intermédiaire.Le public connaît son nom, il n’est pas totalement anonyme, mais il n’est pas un ‘‘élément de référence’’ pour le public. Il n’interagit pas sur le contenu de l’œuvre, sa personnalité ne s’exprime qu’au travers de son interprétation. (e.g. : Abraham Laboriel Jr., batteur sur les tournées de J. Hallyday)
1Artiste ou musicien de complément.Il ne fait que participer d’une manière anonyme, à la mise à disposition du public d’une œuvre composée par un ou plusieurs auteurs et interprétée, à titre principal, par une ou plusieurs vedettes. Légalement cette catégorie d’artiste ne bénéficie pas de la loi de 1985. (e.g. : un violoniste de l’orchestre qui accompagne les musiciens)

d’après BERTRAND (A.), Le droit d’auteur et les droits voisins, Dalloz, Paris, 2e éd., 1999.

Evolution du statut juridique des auxiliaires de la création. Les juges ont semble t- il compris plus rapidement que le législateur, le rôle accru des artistes-interprètes et des producteurs dans le processus créatif, et ont pris conscience que leurs contributions devaient être protégées plus efficacement que par les règles de droit commun3.

Ainsi certaines décisions reconnurent très tôt aux interprètes, un droit sur leur interprétation4. Il faut toutefois attendre 1955 pour que la Cour de cassation juge que « l’artiste exécutant est fondé à interdire toute utilisation de son exécution autre que celle qu’il avait autorisée en contractant »1, ce qui fit écrire à maître R. Badinter que la Cour avait ainsi formulé « une double proposition » consacrant d’une part à l’interprétation la qualité d’œuvre, et d’autre part à son interprète la qualité d’auteur2.

Ces considérations jurisprudentielles n’eurent aucune influence sur la loi du 11 mars 1957.

1 Terme américain pour désigner les stars de cinéma capable d’attirer, sur leur seul nom, le plus grand public, et dont le seul accord à la participation à un film suffit à convaincre les investisseurs.

2 Ces remarques valent également pour les producteurs de phonogrammes. Certains producteurs ne se cantonnent pas à un simple rôle d’investisseur et s’impliquent fortement dans le processus créatif dont ils assurent la direction et dans lequel la place accordée aux interprètes et aux auteurs s’avère secondaire (certains producteurs dans les années 1990 se sont ainsi fait une spécialité dans la création de groupe de dance-music aux interprètes interchangeables : World Apparts, 2 Unlimited, Alliage… Sur ce point, V. note 3, p. 16)

3 Auparavant, ces intervenants pouvaient agir sur le fondement du droit de la personnalité, du droit de la responsabilité contractuelle ou du droit de la concurrence déloyale. Ils se heurtaient alors à des difficultés probatoires concernant la faute de l’utilisateur.

4 « La reproduction sonore, qu’elle s’applique à des airs ou à des paroles, n’appartient qu’a l’artiste exécutant dont elle emprunte la personnalité même, elle ne saurait se confondre avec l’édition de l’œuvre qui échappe à la propriété de l’auteur » Trib. Civ. Seine, 6 mars 1903, Enoch c/ Cie des gramophones, Gaz. Pal., 1903, 1, 468.

Egalement : « Si en règle générale, les artistes dramatiques ou cinématographiques ne peuvent prétendre à aucun droit sur l’œuvre dramatique ou le film, il convient de leur reconnaître un droit sur celles de leurs créations ayant un caractère personnel tel que l’interprétation qu’ils donnent aux rôles qui leurs sont confiés » Trib. Civ. Seine, 23 avril 1937, Dalloz, 1938, 2, 57.

A l’issue d’une conférence diplomatique sous l’égide du Bureau international du travail, de l’OMPI et de l’Unesco est signée la Convention de Rome du 26 octobre 1961 qui reconnaît aux exécutants (les artistes-interprètes), aux producteurs de phonogrammes et aux organismes de radiodiffusion un droit exclusif sur leur contribution. Ses dispositions furent transposées en France par la loi du 3 juillet 1985 qui consacre la notion de droits voisins du droit d’auteur.

§ 1. Nature des droits voisins

Justification des droits voisins. Nous ne reviendrons pas sur les considérations qui ont amené la jurisprudence puis le législateur, à accorder à l’artiste-interprète, intermédiaire souvent indispensable dont la contribution constitue une plus-value parfois importante, un droit exclusif sur son interprétation.

La reconnaissance d’un tel droit aux producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ainsi qu’aux entreprises de communication audiovisuelle peut paraître plus surprenante. Il s’agit en fait d’offrir à ces ‘‘promoteurs culturels’’, une protection juridique efficace contre le piratage de leurs produits.

Une protection au titre du droit d’auteur étant impossible (la contribution de ces intervenants ne pouvant être considérée comme une création, et que par ailleurs ces intervenants sont souvent des personnes morales), il ne pouvait s’agir que de droits sui generis. « On se trouve désormais en présence de deux lois : l’une qui est la loi du 11 mars 1957, l’autre la loi du 3 juillet 1985 ; et ces deux lois organisent deux régimes : l’un qui est celui du créateur individuel, l’autre celui du créateur de masse » regrette B. Edelman3.

1 Cass. civ., 4 janvier 1964, affaire Furtwängler, Dalloz, 1964, jurisp., p. 321

2 Commentaire de Cass. civ., 4 janvier 1964, affaire Furtwängler, JCP, 1964, I, 1844.

3 EDELMAN (B.), « Commentaire de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins », Actualité législative Dalloz, numéro spécial hors série, 1987.

Coexistence avec le droit d’auteur. Droit d’auteur et droits voisins n’ont pas le même sujet. Le premier s’intéresse à l’œuvre, les seconds à son interprétation1. Mais en reconnaissant un droit exclusif leur permettant d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de leur interprétation aux artistes interprètes, se pose la question de savoir si l’exercice d’un tel droit n’entraîne pas ipso facto des limites aux droits des auteurs des œuvres interprétées. Cependant les prérogatives dont bénéficient les artistes-interprètes et les producteurs sont moins étendues

que celles des auteurs. Les deux types de droits ne s’opposent pas frontalement quant à leur contenu et leur structure (cf. infra). En outre, le texte de la Convention de Rome, repris dans le Code de la propriété intellectuelle dispose clairement que « les droits voisins ne portent pas atteinte aux droits des auteurs. En conséquence, aucune disposition du présent titre ne doit être interprétée de manière à limiter l’exercice du droit d’auteur par ses titulaires »2.

Il a ainsi été jugé dans la célèbre affaire Rostropovitch dans laquelle le violoncelliste, mécontent de l’utilisation de sa prestation pour la reproduction de laquelle, il avait donné son accord, ne pouvait porter atteinte aux droits des auteurs du film dans lequel elle était incorporée. En l’occurrence, si le tribunal accueillit la demande et estima l’atteinte à l’interprétation caractérisée, il fut jugé que celle-ci « ne saurait justifier des mesures qui porteraient à leur tour, atteinte aux droits d’auteur du film ».3

§ 2. Caractères des droits voisins

Automaticité. La protection accordée au titre des droits voisins est indifférente à l’originalité et est donc accordée de façon automatique en contrepartie de la contribution de l’artiste-interprète ou du producteur.

Cette solution s’explique aisément par le fait que le rôle du producteur est dépourvu de toute originalité au sens du Code de la propriété intellectuelle ; conditionner l’obtention de la protection à ce critère n’aurait pas permis aux producteurs d’en bénéficier.

Cette condition n’est pas davantage requise concernant les artistes-interprètes ; toutefois en excluant les artistes de complément, l’article L. 212-1 du Code réduit le bénéfice des droits voisins des artistes-interprètes aux seules personnes qui interprètent.

Ne sera pas considérée comme une interprétation, un acte dépourvu de toute subjectivité tel qu’un acte purement technique1 ou encore une contribution minime sur laquelle la ‘‘marque’’ de l’interprète ne laisse aucune trace2.

1 Encore que certaines décisions qualifient de façon surprenante, « d’œuvre » la contribution d’un artiste- interprète, alimentant ainsi le doute entretenu sur une éventuelle protection des artistes-interprètes par le droit d’auteur esquissée par l’arrêt Furtwängler (Cass. civ., 4 janvier 1964, cité supra). Ainsi, par exemple : Paris, 4ème ch., 20 juin 1995, RDP int., décembre 1995, p. 47 (reproduction de maquette de travail non divulguée portant atteinte au droit moral des artistes-interprètes « par la dévalorisation de leur œuvre aux yeux du public ».)

2 Art. L. 211-1 CPI.

3 TGI Paris, 10 janvier 1990, Dalloz 1991, 206. Les auteurs furent condamnés à insérer l’avertissement suivant à la suite du générique du film « Mistlav Rostropovitch désapprouve, au nom de son droit moral, le bruitage qui a été superposé à son interprétation musicale de l’opéra Boris Godounov […] »

Durée. Le droit moral reconnu au titre des droits voisins aux artistes-interprètes est inaliénable, imprescriptible et attaché à sa personne. Il est, tout comme celui reconnu aux auteurs, transmissibles aux héritiers3.

La durée des droits patrimoniaux des droits voisins est moindre que celle des droits des auteurs. Cette durée est fixée à 50 ans par l’article L. 211-4 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit différentes computations. Le dies a quo est fixé au 1er janvier de l’année suivant celle de la communication au public si celle-ci est faite au cours de la période de protection initiale4. Cette période de protection initiale est calculée à partir :

  •  de l’année suivant celle de l’interprétation pour les artistes-interprètes ;
  •  de la première fixation sonore pour les producteurs de phonogrammes.

1 Exclusion des simples techniciens : Cass. soc., 8 juillet 1998, URSAFF de Lille c/ Le Brueghel, Dalloz, 1999, IR, p. 212. (la qualité d’artiste du spectacle de l’art. L. 762-1 c. trav. n’emporte pas reconnaissance de la qualité d’artiste-interprète au sens du Code de la propriété intellectuelle).

2 L’art. L. 212-1 fait référence aux usages professionnels qui fixent le seuil de brièveté au-deçà duquel, l’interprète sera considéré comme un artiste de complément. Ce seuil, variable selon les secteurs, semble devoir s’apprécier cependant eut égard à la durée de l’œuvre représentée (Cass. civ. 1ère, 6 juillet 1999, 1er arrêt, Communication Commerce Electronique, 1999, comm. 42, note CARON : concernant un film publicitaire), certains arrêts n’opérant par ailleurs, de distinctions sur ce critère (Paris, 4ème ch. sect. A, 12 mai 1999, Juris- Data, n° 024101, dans le domaine musical ; Cass. civ. 1ère, 6 juillet 1999, 2 arrêts, cités supra, concernant des second rôles)

3 Art. L. 212-2 CPI.

4 Ces dispositions ne valent pas pour les entreprises de communication audiovisuelle dont la durée de protection est de toute façon, calculée à compter du 1er janvier de l’année suivant celle de la première communication des programmes au public.

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