L’image de l’association et la communication du secteur marchand

L’image de l’association et la communication du secteur marchand

II. Les risques liés à l’utilisation de certaines techniques de communication

1. L’ utilisation calquée de certains outils issus du secteur marchand peut comporter des risques en terme d’image

Comme le signale Jean-Claude Guillebaud, écrivain-journaliste ayant participé à la fondation de Médecins Sans Frontières, la société de l’information que nous construisons amène les gens à n’être que des « pousseurs de caddies », des « consommateurs d’images ». 27

Cette remarque nous amène à formuler la question suivante : le discours associatif peut-il être relayé par une communication standardisée poussant à la consommation ?

Cette question est à mettre en parallèle avec le fait que le secteur représente, dans l’imaginaire collectif, un fournisseur d’informations non manipulées, en lequel le grand public a généralement confiance.

Cette crédibilité ne risque-t-elle pas d’être ébranlée par l’utilisation abusive de techniques marchandes ?

Dans cette partie, nous allons voir comment l’utilisation de certains outils de communication peut amener des risques de dérives tant au niveau de l’image que du message véhiculés par les associations. Pour ce faire, nous reprendrons certains des outils identifiés dans le Chapitre 1, et nous relèverons quels sont les risques de dérives relatifs à l’utilisation de ceux-ci.

a) La création d’événements médiatiques

On peut généraliser à l’ensemble des événements créés par les associations cette remarque d’Antoine Vaccaro (Directeur de l’agence Excel) à propos du Téléthon : « Le show charité fonctionne sur des opérations « coup de poing » qui nécessite, de part la spécificité des médias utilisés, d’aller toujours plus loin, de frapper toujours plus fort. Le risque étant qu’à force de coups de poing on parvienne au knock-out du téléspectateur donateur. »

Ainsi, loin d’intéresser et de mobiliser, le risque encouru est de banaliser et de démobiliser.

La médiatisation qui est faite autour de ce type d’événement change radicalement l’objet de la communication et donc le rapport au don : l’émotion liée à la cause est présente mais elle est doublée d’une émotion communautaire vécue avec plaisir.

Nous ne sommes plus seulement dans le plaisir de donner mais dans celui de la festivité du partage, de la proximité entre donateurs qui deviennent des acteurs de cette cérémonie. Cette manifestation peut trouver ses fondements dans la nécessité d’appartenir à une communauté ou dans le besoin de reconnaissance… ce qui, sans remettre en cause la sincérité des donateurs, peut nous amener à nous interroger sur l’intérêt réel des donateurs pour les actions menées par l’association.

b) Le lobbying

Sans conteste, cette technique est efficace. Comme nous l’avons vu précédemment, si elle a permis de faire évoluer certaines décisions politiques, elle pose un problème éthique et politique de taille : la transparence des décisions politiques.

De plus, dans sa phase discrète (négociation avec les responsables politiques et économiques), elle peut, sous prétexte d’efficacité et de confidentialité, mettre à mal le principe démocratique défendu par les associations. La fin (un monde meilleur) doit-elle justifier tous les moyens (mise à l’écart du citoyen) ?

Dans certains cas, elle pose à nouveau la question du risque d’actions « coup de poing » dictées par le principe de surenchère.

On peut, à ce titre, rappeler l’action menée par Greenpeace cette année pour gêner l’entraînement du bateau sponsorisé par le groupe Areva (activité liée au nucléaire) devant participer à la coupe America 2002. Lors de cette opération, un bateau de Greenpeace a percuté le navire et a endommagé la coque.

c) Le mailing

En 1982, le taux de retour moyen d’un mailing associatif était de 10%. Aujourd’hui, il n’est plus que de 1%28 à 4%29 selon les sources. Or, les professionnels s’accordent à dire que le seuil de rentabilité se situe autour de 2,5% (fonction du montant moyen des dons collectés).

Un mailing est onéreux (pas de tarification spéciale de la Poste pour les mailings d’associations, ni d’allègement de TVA), aussi, dans un objectif de coût minimum et rentabilité maximale, les associations ont recours à des méthodes permettant de garantir un niveau de collecte minimum : l’échange de fichiers entre elles, le choix de sujets qui « rapportent » et l’utilisation d’un type de message qui amène le destinataire à faire un don.

L’échange des fichiers de donateurs entre associations

Outre le fait qu’acheter des fichiers coûte plus cher que de les échanger, il faut prendre en considération le fait que le taux de retour d’un mailing est meilleur sur un fichier de donateurs.

Les associations échangent donc leurs fichiers en fonction de la qualité de ceux-ci.

Une association qui a un fichier qualifié, agréé par la poste, échangera rarement celui-ci contre celui d’une association qui en possède un mal qualifié (car l’entretien de ces fichiers coûte cher)30.

Certains analystes qualifient cette démarche de « suicide collectif » car il y a un risque de saturation des donateurs.

Mais lorsque nous avons évoqué ce risque avec Frank Hourdeau, Responsable de communication d’Action Contre la Faim, celui-ci a alors répondu que le fait qu’un taux de retour soit supérieur à celui obtenu à partir d’un fichier acheté validait cette démarche.

De la même façon, Laurent Terrisse explique que si certains râlent, d’autres sont ravis de recevoir des nouvelles de la part des associations (dans la majeure partie, il faut signaler que ce sont des personnes seules , nous formulons alors l’hypothèse que celles-ci sont simplement ravies de recevoir du courrier !). A cela, il faut ajouter que « Plus on leur écrit, plus ils donnent. », ce qui rejoint le fait que le don spontané est rare.

Afin d’illustrer ce risque de saturation, qui est bien réel, nous avons relevé l’exemple suivant : En 2001, une personne a relevé scrupuleusement, chaque jour, le nom des associations ainsi que la cause qu’elles défendaient pour chacun des mailings d’associations qu’elle recevait. En un an, elle a reçu plus de 160 mailings… cette dame en a alors référé au

Comité de la Charte de Déontologie, qui a alors transmis une photocopie de ce courrier à toutes les associations membres… pour le moment, aucune décision collective n’a été prise afin de diminuer la prospection par mailing.

Au sujet de l’échange de fichiers, nous relèverons le paradoxe suivant : les associations

collectent des fonds dans un contexte de concurrence accrue, mais échangent leurs fichiers de donateurs, source la plus précieuse lorsque l’on mène des actions de marketing.

Les risques de surenchère symbolique

Du fait du nombre croissant de sollicitation du donateur, il s’est inévitablement développé une surenchère symbolique, ce qui, quelquefois, a amené à des dérapages éthiques dans le discours et le contenu de ces mailings. Alors que certains messages semblent « prendre en otage » le donateur (ou plutôt sa conscience…) en ne lui proposant pas, dans le courrier reçu, d’autre issue psychologique que celle de donner, certaines associations, dans un contexte de surenchère, font fi de toute éthique.

Un exemple frappant est celui de Handicap International qui, pour amener les destinataires à ouvrir la lettre, a mis celle-ci dans une enveloppe timbrée d’un pays étranger avec l’adresse écrite à la main. A l’intérieur, la première chose que le destinataire voyait était une mini- béquille en bois… (nous verrons une illustration de ce type de mailing en partie B.)

Ainsi, non seulement il peut arriver que des associations perdent de l’argent en voulant en récolter, mais en plus, ces actions peuvent désensibiliser les citoyens qui étaient les plus réceptifs aux thèses de l’association et décrédibiliser le message associatif.

d) Les spots publicitaires

Un spot publicitaire n’est qu’un élément de sensibilisation dans une campagne de communication globale. Au sein de cette campagne, une information de base par le biais d’autres vecteurs (presse, documentaires, conférences, etc.) doit relayer cette sensibilisation primaire.

Or, les ONG ont de plus en plus de mal à fournir, parallèlement aux spots, une information détaillée au moyen d’un média de presse ou télévisuel à fort audimat en dehors de période de crise.

En terme d’impact, un spot publicitaire rapporte peu d’argent. Il est efficace, en fait, quand le problème est déjà posé grâce à d’autres moyens de communication : le spot canalise alors l’information, mais il ne provoque pas un élan de générosité à lui tout seul, « il ne rapporte quasiment rien, mais doit jouer un rôle de soutien. »31

En terme de message, les spots d’associations sont devenus des spots commerciaux comme les autres. On y parle seulement d’une organisation, les actions de celles-ci étant alors occultées.

La cause du problème est-elle un alibi ? L’organisation est-elle la finalité ? D’une manière générale, les associations et les agences de publicité partent du postulat qu’il est difficile d’aborder des aspects plus complexes liés à l’éducation au développement dans ces spots. Mais les raisons objectives de ces difficultés ne sont pas claires.

Les symptômes tangibles et simplifiés des crises humanitaires s’adaptent beaucoup plus facilement à une technique de communication telle que le spot. Si l’on voit un médecin relater ce qu’il observe autour de lui de façon très simple, l’accent est mis à la fois sur le problème et sur la solution. Opter pour une véritable démarche de communication sur un projet de développement qui mette à plat les causes structurelles du mal-développement et valorise le travail d’une ONG locale, est plus difficile à résumer en 30 secondes.

De plus, il est à noter qu’une agence qui réalise un spot pour une association peut le faire à destination d’un « jury de publicitaire », ce qui, au-delà d’aspects créatifs et esthétiques, risque de rendre le spot incompréhensible pour le grand public. Cela a été le cas pour le spot d’ACF faisant partie de la campagne présentée au chapitre 1, lancé en 2000 au JT de 20 heure de TF1.

Certains téléspectateurs n’ont pas compris ce spot et ont même été choqués (enquête de la SOFRES). En effet, l’association ne demandant pas d’argent, les gens n’ont pas compris où celle-ci voulait en venir.

Pour éviter ce risque, Laurent Terrisse recommande plutôt la création de spots simples, voire minimalistes, utilisant un langage clair et explicite, favorisant ainsi la proximité entre les donateurs et la personne parlant au nom de l’association. (ex : spot réalisé pour l’Association des Paralysés de France ou les spots de l’Arc)

e) Le produit-partage et le produit dérivé

Une enquête du CREDOC sur la consommation engagée montre que la proportion de consommateurs qui se disent beaucoup ou assez incités à l’achat de produits réalisés par des industriels soutenant une cause humanitaire est en constante progression .

Le produit-partage est donc une très bonne opération commerciale pour les entreprises ainsi qu’une manière relativement efficace de faire rentrer de l’argent dans les caisses des associations. Cependant, il s’agit, à notre avis, de la plus critiquable de toutes les techniques de collecte de fonds :

Les risques d’altération de l’image de l’association

Pour quelques milliers de francs, l’association offre des « brevets de respectabilité » à des marques rarement au-dessus de tous soupçons éthiques.

Action Contre la Faim et les magasins U sont associés depuis décembre 2000 autour de l’opération « Sauvez des milliers d’enfants ». Les magasins U offrent à leurs clients titulaires de la carte U la possibilité de verser tout ou partie de leurs points fidélité à l’association.

Les points, transformés par les magasins U en équivalant de nourriture, sont alors intégralement reversés au fond d’intervention d’urgence de l’association.

L’engagement des sociétés de grande distribution auprès des associations (Casino et SOS

Villages d’enfants, Carrefour et WWF), intervient dans un contexte de développement de la consommation-engagement ainsi que dans un contexte de désaffection du public pour le secteur de la grande distribution (dénonciation des marges importantes prises sur certains produits agricoles, conditions de travail…).

Les risques de détérioration et de simplification du message véhiculé

Le produit-partage rend le message de l’association totalement inintelligible et contribue à renforcer une société de consommation dont les excès et les manques sont souvent à l’origine de l’action associative..

Faut-il boire de l’eau en bouteille ou manger des yaourts pour combattre la faim dans le monde ?

f) Le sponsoring

La crise sévit et les sponsors sont rares. Les entrepreneurs qui ont les capacités financières de mettre en pratique leurs convictions philosophiques ou religieuses ne sont pas légion.

Bien souvent, seules les entreprises qui ont quelque chose à se faire pardonner (industrie chimique, nucléaire, pétrolière…) acceptent d’apporter une aide financière.

De par la nature de certains sponsors, ce partenariat profite aux entreprises (elle redore à peu de frais un image de marque quelquefois négative) mais peut ternir l’image de marque des associations qui semblent cautionner les agissements de leurs « encombrants » partenaires. (développé précédemment dans ce chapitre).

F

Dans cette partie, nous avons identifié, à l’étude de certains outils de communication utilisés par les associations, les risques de dérives suivants :

  •  remplacer le plaisir de donner par une festivité de partage
  •  aller vers une surenchère (des messages et des formes de communication) dans un contexte de concurrence accrue
  •  tenir un discours simplificateur et manichéen du fait de contraintes liées aux supports utilisés
  •  désensibiliser les citoyens
  •  décrédibiliser le message associatif
  •  être identifié comme un générateur d’activités lucratives (à un niveau quasi identique à celui des acteurs du secteur marchand)
  •  redorer l’image de marque de certaines entreprises qui s’engagent rarement au-delà d’une participation financière médiatiquement valorisée.

Si ces outils sont généralement rentables en terme de collecte de fonds, c’est-à-dire sur des objectifs de court et moyen termes, ils devraient être utilisés avec prudence car ils peuvent interférer dans la réalisation des objectifs de sensibilisation à la cause défendue par l’association.

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