La mise en scène de la victime et le rôle proposé au donateur

La mise en scène de la victime et le rôle proposé au donateur

4. La mise en scène de la victime

La victime est généralement au centre du discours des associations. En effet, les bénéficiaires sont la raison d’être des associations : les associations travaillent pour elles.

Il est donc intéressant de repérer de quelle façon les associations les représentent, et comment elles mettent en contact bénéficiaires et donateurs.

Certaines associations mettent en avant les victimes afin d’illustrer le mal qui les touche (expression d’un manque) ou bien l’action bénéfique que réalise l’association (photo qui illustre à la fois le problème et sa solution).

a) Ce que représente la victime

La victime représente d’abord l’expression d’un manque : manque de santé, de nourriture, de lien social, de respect. L’image d’ une icône de la souffrance vaut symbole, permet de faire des raccourcis, et résume tous les contextes.

La victime représente d’abord l’expression d’un manqu

Ci-contre, la couverture du journal envoyé aux donateurs de l’association Solidarités, août 2002. Cette photo a été prise dans un camp de déplacés en avril 2002, dans le nord de l’Afghanistan.

Celle-ci a été choisie car l’association a pris le parti de montrer la réalité de la souffrance des victimes secourues.

Cette photo contient une dimension supplémentaire, une dimension « biblique », spirituelle en se référant à l’image de la vierge et l’enfant.

(entretien avec Sébastien Le Clézio, Responsable de communication de l’association Solidarités)

La victime ne joue jamais un rôle actif, mais est utilisée comme soutien.

Elle est la preuve de l’existence du problème ou représente la légitimité des actions du secoureur (et par conséquent, celle de l’association et ses donateurs).

Une telle photographie contient à la fois le problème et sa solution : le donateur comprend rapidement que pour lutter contre la souffrance, des hommes se mobilisent, certains agissent directement, d’autres peuvent les aider à agir.

la victime et le rôle proposé au donateur

Cette photo de Sebastiao Salgado est tirée d’une série de photos prises en Angola cette année, présentées sur le site de Médecins Sans Frontières.

Elle représente un infirmière soignant une femme souffrant de malnutrition sévère en Angola.

Ce type de photographies est présent sur la plupart des supports de communication des associations d’urgence afin de « montrer » (au grand public et aux bailleurs) ce que l’association fait (des dons qu’elle reçoit).

b) La façon dont les associations présentent les victimes

Le mode de présentation de la victime est lié au positionnement et à la tonalité adoptés par l’association, il s’agit d’un point clé de la stratégie de l’association.

Les associations peuvent utiliser quatre modes de présentation de la victime :

  •  le mode ostentatoire, qui va généralement de pair avec la tonalité « directe »
  •  la présentation sobre voire anecdotique, où la victime interpelle le donateur
  •  la présentation retenue ou la non-représentation de la victime, qui joue sur la force de l’absence.

La présentation ostentatoire

La victime est montrée dans toute sa souffrance. Les associations qui utilisent ce type de représentation (Action Contre la Faim, Raoul Follereau) le font car elles estiment qu’il est important de montrer au public la réalité du mal dont souffrent certaines catégories de populations.

Cela permet aussi de montrer qui sont les bénéficiaires, de façon à personnaliser la relation d’aide et montrer explicitement pourquoi il faut donner et, plus implicitement, pourquoi il est moralement difficile de ne pas donner.

Cette photo, prise au Guatemala, est présentée sur le site d’Action Contre la faim

Cette photo, prise au Guatemala, est présentée sur le site d’Action Contre la faim pour illustrer une des quarante crises humanitaires non médiatisées actuellement, dans lesquelles ACF intervient.

Cette photo illustre le dernier slogan d’ACF : « Ce n’est pas parce qu’ils ne passent plus au 20 h qu’ils ne meurent plus de faim. »

A notre connaissance, ACF est une des associations qui poussent le plus loin la représentation victimaire.

Cette photo est utilisée sur le site de l’association Raoul Follereau

Cette photo est utilisée sur le site de l’association Raoul Follereau pour montrer quels peuvent être les ravages de la lèpre.

Une présence sobre, voire anecdotique de la victime

Ce type de présentation est utilisé par les Restos du Cœur, Amnesty International, le Comité d’Aide Médicale, et d’autres.

Dans ce cas, l’association sert de médiateur-écran et s’efface au profit d’une relation entre donateurs et bénéficiaires.

Une présence sobre, voire anecdotique de la victime

Sur cette affiche d’Amnesty International, la victime interpelle le public avec un regard qui semble dire « Regardez-moi et ne m’oubliez pas… je suis le symbole de l’atteinte à la liberté de penser… d’ailleurs, dans certains pays, on peut mourir de penser. »

Ici, cet homme n’est pas montré dans un état de souffrance physique.

Cette représentation a été faite dans le respect de la dignité de la personne, ce qui va, de fait avec les valeurs défendues.

campagne du Comité d’Aide Médicale

Cette campagne du Comité d’Aide Médicale vise à faire connaître les actions menées en France et à l’étranger par l’association.

Ici, le sourire de cet enfant illustre le dialogue :

– « Ca fait quoi de donner à une association humanitaire »

– « Rien ! Et pourtant ça change tout. »

Mais avant tout, son sourire intrigue, accroche le regard… Il semble être à lui seul la réponse à la question posée.

Cette image parle à la raison, plus qu’à l’émotion du donateur.

Une évocation retenue de la victime

En fonction des sujets à aborder, certaines associations pourront préférer une évocation retenue de la victime (Médecins Du Monde, dernière campagne d’Amnesty international).

La victime est alors suggérée plutôt que montrée. Cette forme d’ellipse parle au donateur en mettant en scène la violence du non-dit, du non-vu. Il interpelle le donateur sur le mal causé par l’indifférence ou l’ignorance volontaire et sur la responsabilité de chacun.

La campagne 2002 d’Amnesty International

La campagne 2002 d’Amnesty International dénonce ici, de façon illustrative, le viol de femmes dans les prisons.

Pour cela, l’association a choisi de représenter plutôt que de montrer (ce qui aurait pu être choquant ou amener à un certain voyeurisme) ou de faire témoigner (ce qui aurait peut-être donné une valeur moins universelle à la cause défendue).

Le texte est, comme dans la plupart des campagnes de l’association, évocateur et subtil : « Pour se distraire, certains gardiens de prison collent les femmes aux murs. »

Dans ce cas, l’effort de réflexion nécessaire pour comprendre la cause défendue valorise le lecteur dans sa compréhension du problème.

La non représentation des victimes

Il arrive que les associations aient recours, dans un refus de toute représentation, à un public-victime virtuel (Ligue Contre le Cancer, dernières campagnes d’Handicap International et de Médecins du Monde).

La limite entre ce type de représentation et celui décrit précédemment est très sensible. Il ne peut être déterminé qu’en fonction des intentions affichées par les Responsables de communication de chacune de ces associations.

L’association part ici du principe que « ses » victimes sont connues et qu’il n’est donc pas besoin de les montrer (pour la nème fois) : les évoquer suffit.

Ce mode de présentation est lié à l’emploi d’une tonalité sobre, réaliste (évoquée précédemment).

Handicap International a lancé une campagne de communication

Pour fêter ses vingt ans d’existence, Handicap International a lancé une campagne de communication dont le but est d’ inviter les enfants et leurs parents à dialoguer de manière dédramatisée sur le thème difficile du handicap. L’humour a été choisi pour traiter le drame du handicap en face et vivre avec celui qui en porte les séquelles en refusant la fatalité, la compassion et la pitié.

Par cette campagne, Handicap International qui mène des actions à l’international, recentre sa communication sur la proximité et s’affirme, en tant que marque, comme LE défenseur de cette cause.

la campagne de communication de Médecins du Monde

Ce visuel fait partie de la campagne de communication de Médecins du Monde lancée fin 1999.

« Le traitement du Sida est trop cher dans les pays pauvres. La Tri thérapie serait-elle un luxe ? »

Cette campagne, sans illustration et sans représentation de la victime, est centrée sur le message que veut faire passer l’association. Elle fait notamment référence à la campagne de lobbying menées par certaines associations pour permettre aux sidéens des pays pauvres de pouvoir avoir accès aux traitements qui existent.

L’objectif est de sensibiliser le grand public à la vocation de Médecins du Monde qui est de soigner, mais aussi d’aller «au-delà» du soin.

5. Rôle proposé au donateur potentiel

Définir le positionnement du message d’une association revient à le replacer dans l’environnement concurrentiel dans lequel il évolue et à définir le rôle de chacun des partis impliqué dans la relation (l’association, le bénéficiaire et le donateur).

Après avoir analysé les différents modes d’expression des associations et les modes de présentation des bénéficiaires, nous allons étudier le rôle proposé aux donateurs dans cette relation tripartite. Dans ce cadre, nous nous attacherons plus particulièrement à repérer quelles sont les configurations relationnelles qui permettent de mobiliser les ressources du donateur potentiel.

L’inclusion : « Nous avec vous ».

Le donateur potentiel et l’organisation sont englobés dans un groupe d’appartenance qui les rend partenaires, co-acteurs (Action Contre la Faim, Ligue Contre le Cancer, Ensemble Contre le Sida, ARC, Aide Médicale Internationale).

Ensemble contre le Sida porte, dans son nom, la relation entre le donateur et l’association.

Le slogan d’Aide Médicale Internationale est « Aidons-les à se passer de nous. »

L’intermédiation : « Vous par nous ».

Le donateur n’est pas reconnu compétent. Il est mis à distance de la victime via un médiateur-écran qui possède l’expertise (Restos du Cœur, MSF).

Ce positionnement met en valeur la compétence et le professionnalisme de l’association, qui dit en quelque sorte : « Donnez-nous, nous savons comment faire pour intervenir et faire évoluer cette situation. »

La dernière campagne d’urgence de Médecins Sans Frontière pour l’Angola titre : « Aidez- nous à les sauver ». Dans cette campagne, l’association se positionne comme un expert de l’urgence et fait comprendre au public que pour agir contre la famine, la seule alternative possible, au niveau individuel , est de donner.

– La délégation : « Nous pour vous ».

Le donateur est ici apparenté à un « client » qui fait appel à un prestataire de service (l’organisation), pour gérer sa générosité et faire fructifier son don.

C’est le cas de la Fondation de France et des fondations en général qui se chargent de distribuer les fonds collectés à des projets après étude.

La valorisation : « Vous pour eux ».

L’organisme secoureur s’efface au profit du donateur qui est l’acteur clé. En obtenant une lecture directe de la valeur de son don, le donateur perçoit le résultat concret de sa contribution (Médecins sans Frontières, associations de parrainage).

Il s’agit généralement du message formulé dans les campagnes de communication des associations de parrainage d’enfants. Ce n’est plus l’association qui s’adresse au donateur, c’est la victime elle-même.

Elles mettent souvent en avant un enfant s’adressant directement au lecteur de façon personnelle.

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