Les conditions de réussite pour un suiveur sur un marché

Les conditions de réussite pour un suiveur sur un marché
3. ENSEIGNEMENTS ET CONCLUSIONS

Les exemples que nous venons d’étudier nous ont permis de discerner quelles caractéristiques du marché et du pionnier peuvent convaincre un suiveur de se lancer sur un marché. Nous avons également pu déduire de ces analyses de cas quelles sont les principales stratégies efficaces permettant à un suiveur de devenir leader sur le long terme.

3.1 Conditions de réussite pour un suiveur

3.1.1 Innover à petits pas

Il est très difficile de modifier radicalement des habitudes de consommation, et c’est pourquoi le processus d’innovation doit se faire en plusieurs étapes, avec des légères améliorations du produit à chaque fois. C’est ici que se pose le problème du choix entre l’innovation radicale, plus risquée, et l’innovation incrémentielle, plus sure car elle laisse le temps aux consommateurs de s’habituer à un nouveau concept.

Il est donc fondamental de savoir gérer les « petites » innovations. Souvent les produits des pionniers sont des adaptations directes d’une innovation technologique radicale, alors que le marché n’est pas forcément prêt à accueillir le produit. A ce moment, il y a une opportunité d’entrée pour d’éventuels suiveurs qui lanceraient, eux, une innovation plus « tempérée ».

Philippe Darnton, ancien Directeur Marketing monde de Reckitt & Colman, met en avant la nécessité pour tout acteur sur le marché de lancer une innovation qui apporte une réelle valeur ajoutée pour le consommateur : “ What is key is to be first. Even when following, be first to offer a benefit .”

C’est ce que Palm a su faire en créant son modèle de PDA. Plusieurs années avant, Apple avait lancé le Newton, dont la principale innovation, mise fortement en avant dans la communication d’Apple, était la reconnaissance d’écriture. Mais Apple a commis l’erreur de vouloir « trop » innover, en concevant un logiciel de reconnaissance d’écriture capable de reconnaître des mots entiers. Le mauvais fonctionnement de ce logiciel fut une des causes principales de l’échec du Newton.

Lorsque Palm a décidé de construire son propre PDA, il a opté pour une solution technique plus simple, reconnaissant les lettres une par une, mais qui avait, elle, le mérite de fonctionner parfaitement. L’utilisation du PalmPilot est en effet très facile et demande peu de temps d’apprentissage à l’écriture au stylet. En choisissant d’innover moins radicalement qu’Apple, Palm a donc plutôt opté pour un produit fonctionnement parfaitement.

3.1.2 Innover constamment

Il est très fréquent que les pionniers lancent de temps en temps une innovation dans le but de conserver leur leadership. Le cœur de leur stratégie n’est souvent pas basé sur l’innovation régulière. Un nouvel entrant peut alors décider d’entrer sur le marché en « noyant » le leader sous des innovations constantes.

C’est exactement le cas de Huggies qui est entré sur le marché américain des couches- culottes avec une stratégie basé sur un rythme d’innovation très soutenu. Le leader de la catégorie, Pampers, a tenté de suivre ce rythme mais, face à un concurrent plus rapide que lui, a perdu le leadership en une dizaine d’années.

Sur le marché des substituts de repas, Gerlinéa a détrôné Slim Fast en innovant constamment. Certes Slim Fast a beaucoup innové dès le début en créant la catégorie des substituts de repas, mais n’a par la suite pas conservé un rythme soutenu d’innovations.

Gerlinéa, au contraire, a réalisé des innovations produits en lançant de nouveaux formats de substituts de repas ainsi que des innovations en terme de circuits de distribution puisqu’ils ont pénétré le marché GMS alors que Slim Fast restait encore en pharmacies.

3.1.3 Entrer au bon moment

On peut discerner deux phases dans le processus d’innovation :

La période entre le moment où le produit est conçu et où il entre sur le marché.

La période entre le moment où il entre sur le marché et le moment où il commence à obtenir du succès. Cette deuxième période est importante, car elle montre combien de temps le pionnier doit attendre avant que son produit soit accepté, et combien de temps le suiveur doit attendre avant d’entrer sur le marché. On remarque qu’il faut souvent attendre plusieurs années avant que le produit pionnier ait du succès.

Souvent le marché n’est pas encore prêt pour le produit, où le produit n’est pas prêt pour le marché. Au lieu de développer un avantage concurrentiel, le pionnier se retrouve coincé dans ce marché.

Les pionniers sont donc souvent présents sur le marché « trop tôt ». L’avantage pour le suiveur est qu’il peut entrer sur le marché au moment où la demande explose. En attendant que le marché explose, le suiveur s’assure des coûts de production plus bas.

Si le choix de la période d’entrée est prépondérant pour le suiveur, il arrive régulièrement que ce dernier ne se soit pas réellement penché sur le problème, mais soit arrivé au bon moment « par chance ». On peut par exemple se demander si Palm, qui est entré sur le marché des PDA au moment où la demande a littéralement explosé, s’était vraiment penché sur les problématiques de timing.

Qui plus est, il semble parfois que le suiveur se soit lancé au moment le plus opportun, alors qu’en réalité c’est sa stratégie qui a entraîné l’explosion de la demande. C’est effectivement le cas de Danone avec Bio, puisqu’à partir de son arrivée sur le marché, la demande de produits au bifidus actif a explosé, conséquence directe de la puissance marketing du groupe.

3.1.4 Profiter de l’inertie du leader

Souvent, les grands leaders d’un marché sont les derniers à voir le réel potentiel des innovations possibles sur le marché. Des petites entreprises plus flexibles sont souvent les premières à lancer les innovations, en profitant de l’inertie du leader en place. Une telle stratégie peut permettre à des petites entreprises suiveuses de s’emparer du leadership.

Il y a quatre explications possibles à l’inertie des leaders en terme d’innovations51 :

  •  Ils ne voient pas l’innovation comme une menace à long terme, car le risque d’échec est important pour les innovateurs.
  •  Les grands leaders n’ont pas besoin d’innover en premier. Pour conserver leur leadership sur le long terme, il leur suffit de « ne pas être trop loin derrière ».
  •  Les grands leaders ont souvent une vision étroite du marché. Les innovations radicales ne sont pas vues comme des extensions des lignes de produits actuelles, mais comme des nouveautés qui ne concernent pas directement leur marché.
  •  Les innovations technologiques rendent les produits actuels obsolètes, et les entreprises n’ont donc pas envie d’innover car cela cannibaliserait leurs propres produits. C’est ce que Schumpeter appelle la « destruction créative », et selon lui, les entreprises devraient au contraire se lancer dans ce processus. Si en réalité elles n’osent pas, c’est parce qu’elles prendraient ainsi un risque, avec une récompense incertaine à la clé.

L’exemple de Slim Fast illustre bien ce phénomène puisque, d’une part, la marque n’a pas considéré nécessaire d’innover car leur succès était complet à l’époque, et d’autre part n’a pas réalisé que l’orientation plaisir / bien-être, adopté par Gerlinéa, constituait un véritable axe de développement adapté aux nouvelles attentes des consommateurs.

Par ailleurs, lorsque Lexus est apparu sur le marché américain, BMW et Mercedes ne se sont pas du tout sentis menacés au départ, et n’ont pas cru que l’effort porté par Lexus sur les services lui permettrait de concurrencer les marques allemandes. Les deux géants sont restés ancrés dans l’idée que seules la puissance du moteur et la réputation de robustesse des marques allemandes comptaient aux yeux des consommateurs sur ce marché.

3.1.5 Entraîner l’auto destruction du pionnier

Souvent, lorsqu’un suiveur pénètre le marché du pionnier, ce n’est pas uniquement ses actions qui détruisent le pionnier, mais également les actions dans lesquelles s’engage le pionnier lui-même. Les pionniers sont donc en partie responsables de leurs échecs. Parmi les causes de ces échecs52, on peut citer : une crise interne à l’entreprise pour en prendre le contrôle, des rachats d’entreprise mal conçus, des désaccords entre ceux qui ont conçu l’innovation et les investisseurs qui souhaitent une rentabilité à court terme.

  1. 1 – Les crises internes sont fréquentes, surtout dans les petites entreprises qui ont grandi rapidement. Par contre, les suiveurs sont plus rationnels, ne se battent pas en interne, et se concentrent plus sur la croissance du marché. Parfois également, les pionniers ont beaucoup investi pour se lancer sur le marché, et ne disposent plus des capitaux nécessaires pour se battre contre les nouveaux entrants.
  2. 2 – Il arrive qu’en voulant racheter d’autres entreprises (intégration verticale), le pionnier dépense toute son énergie à rembourser ses dettes, et ne peut plus lutter contre les nouveaux entrants.
  3. 3 – Parfois les investisseurs cherchent des retours sur investissement à court terme, ce qui empêche l’entreprise d’investir par exemple en R&D, alors que les nouveaux entrants sont justement en train de réaliser un effort de R&D.

Ces trois exemples sont typiques des petites et moyennes entreprises pionnières qui ont remporté un succès rapide, comme par exemple de nombreuses start-up Internet.

Par ailleurs, il arrive que les entreprises qui ont toujours été seules sur le marché se trouvent désemparées lorsqu’un suiveur les attaque sur leur terrain. N’ayant pas l’habitude d’être concurrencés, ils vont mettre un certain temps à réagir, et leur réponse ne sera pas efficace tout de suite. On peut citer comme exemple COGESAL (Groupe UNILEVER) avec Carte d’Or qui a mis longtemps à réagir et à se défendre face à l’arrivée d’un nouvel acteur, en l’occurrence NESTLE avec les glaces La Laitière.

3.1.6 Créer des problèmes légaux pour le pionnier

Les grands leaders d’un marché, qui ont beaucoup à perdre lorsqu’ils voient un pionnier lancer une nouvelle innovation, peuvent chercher à déstabiliser ce pionnier en créant des problèmes légaux. On peut ainsi citer l’exemple de Coca-Cola, lorsque Canada Dry a lancé le premier cola sans caféine.

Coca-Cola a persuadé la FDA d’interdire à Canada Dry d’utiliser le terme « cola » pour son produit, puisque le cola provient des graines de cacao qui contiennent de la caféine. Cette stratégie a réussi, et Canada Dry n’a pas eu le droit d’utiliser le terme « cola », du moins jusqu’à ce que les géants se décident à leur tour à lancer des colas sans caféine.

C’est également la stratégie qu’a développée Microsoft pour affaiblir le pionnier Netscape. Microsoft se doutait que Netscape n’aurait pas les moyens d’investir à la fois dans une guerre juridique et dans sa recherche et développement.

En effet, Netscape s’est consacré entièrement à la guerre contre Microsoft, a n’a donc plus eu le temps ni les moyens de se préoccuper de son produit. Pour preuve, il a même mis son code libre pour que les ingénieurs du monde entier développent le navigateur, pensant que le développement de Netscape

Navigator serait plus rapide et plus efficace.

3.1.7 Attaquer un pionnier de petite taille

Dans la plupart des cas, des grandes entreprises remplacent des petites entreprises pionnières une fois que le marché a décollé. Les géants de l’industrie, en position de suiveurs, peuvent en effet imiter le pionnier, qui a osé innover, et utiliser toute leur puissance marketing pour l’évincer. C’est exactement ce qui s’est passé pour la Laiterie Saint-Hubert, qui n’a pas pu résister face à la puissance de Danone lorsque le groupe a lancé Bio.

Ce type de renversement se produit souvent lorsqu’un petit acteur envahit le marché dominé par un ou plusieurs géants, grâce à une innovation que le leader n’avait pas vu au départ. Le leader va réagir en imitant le « petit » pionnier, et en utilisant toute sa force en terme de marketing, communication et distribution, pour imposer son produit.

De même, Microsoft a su utiliser le lancement de Windows 95, accompagné d’un effort en marketing et en communication impressionnant, pour imposer son navigateur Internet Explorer, et petit à petit anéantir le pionnier Netscape.

Enfin, le pionnier Banania a également fait les frais de la puissance marketing du groupe Nestlé, dont la marque Nesquik a bénéficié d’un soutien important dès son lancement.

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