Rapport à l’emploi et Instances de la famille et de la société
1.3.7. Conclusion. Une phase de vie qui se joue aussi bien dans le rapport à l’emploi que dans les relations aux diverses instances de la famille et de la société
De ces cinq points de vue, nous retiendrons ceci :
- Entrer dans la vie active après une sortie de formation prend du temps et n’est plus immédiat ;
- Si les jeunes sortants du système de formation sont les plus concernés, ils ne sont plus les seuls du fait de l’accroissement de la mobilité professionnelle en cours de vie et des périodes de formation (formation continue, re-formation initiale, …) qui y sont le plus souvent associées.
Que l’on s’intéresse à la structuration économique et aux phénomènes de domination à l’œuvre lors des transitions professionnelles sur le marché du travail, aux comportements des jeunes et aux conditions dans lesquelles ils sont confrontés à la question de leur engagement professionnel, aux mécanismes transactionnels de leur construction identitaire, à la façon dont les jeunes construisent leur expérience sociale au sein d’un système social dorénavant éclaté entre des logiques conflictuelles, ou à l’apparition d’un nouveau modèle de passage à l’âge adulte basé sur l’expérimentation, tous ces auteurs s’accordent, certes plus ou moins fermement et explicitement, sur la nécessité de ne plus considérer ces phénomènes sociologiques comme exclusivement sur-socialisés ou sous-socialisés (Granovetter 1985, 1994).
Il s’agit au contraire de rechercher une forme d’articulation prenant en compte dans le même mouvement la capacité d’action volontaire de l’individu et l’effet des structures sociales, à la fois contraintes et ressources, au sein desquelles elle s’exerce.
Les débutants cherchent à entrer dans la vie active et dans l’emploi, mais sont tout à la fois désireux et contraints d’en décrypter tout d’abord les règles.
Certes le poids des déterminismes sociaux et de l’organisation sociale d’un côté, la dureté du marché du travail due au rationnement de l’emploi de l’autre, sont là, mais ils sont tout à la fois contraintes d’espaces possibles d’intégration et ressources identitaires plus ou moins fortes et valorisables.
Par ailleurs, on peut remarquer aussi que cette phase d’apprentissage social peut mettre plus ou moins de temps, et surtout comporte des risques de sortie « par le bas » pourrait-on dire.
Le corollaire de l’apparition de cette période est bien aussi le développement d’une part de risque accru pour les personnes qui y sont engagées, nécessité leur étant faite de se mettre en scène soi-même « sans règles et sans filet », comme le dit Chantal Nicole-Drancourt ; toutes ces analyses, à des degrés divers, montrent que la fragilité des positions intermédiaires fait intrinsèquement partie de cette période et que se sont développées là des formes potentielles d’exclusion, même si l’on doit débattre du sens à donner à cette notion (Demazières & Dubar 1994, Paugam 1996).
C’est dans cette période du passage à l’âge adulte, en fait du passage vers une conformité éventuelle à un modèle « normal », que, pour ceux qui ne pourront l’obtenir, apparaît le risque que s’enclenche progressivement une sorte « d’apprentissage à l’exclusion » (Lagrée 1996).
Ces approches ont donc en commun d’identifier et de décrire assez finement cette nouvelle période de vie, avec ses caractéristiques et ses règles, dans laquelle prend place l’analyse des modes d’accès à l’emploi après la sortie du système éducatif ou d’un dispositif de formation.
La plupart des auteurs reconnaissent un certain poids aux relations sociales dans le fonctionnement de cette phase de vie, généralement cantonné à l’identification des formes de sociabilité correspondant à des modes de vie spécifiquement juvéniles, selon des origines sociales différenciées (Galland par exemple).
Ils ignorent cependant en quoi ces relations sociales jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement du marché du travail, et en particulier dans ce moment de vie au cours duquel une sociabilité intense peut masquer bien des différences et des inégalités entre les individus.
Il a été vu au point précédent (1.2.) que rendre compte de l’action des individus sur le marché du travail sans intégrer dans l’analyse les réseaux relationnels indissolublement associés à la réalisation de ces actions était difficile.
Nous venons de voir (1.3.) que les approches récentes de l’insertion des jeunes ne prenaient que très peu en compte les dimensions relationnelles du point de vue de leur circulation sur le marché du travail, celles-ci étant observées plutôt comme un trait de sociabilité permettant de caractériser la phase de vie de « jeunesse« .
Ces aspects relationnels seront développés dans le chapitre suivant à propos des phénomènes se produisant à la jonction de l’école et des entreprises lors des débuts de carrière des jeunes sur le marché du travail, en mobilisant plus précisément la notion de capital social.