Dispositifs de formation, Monde de l’école et Monde du travail
4.3.2. Une approche plus structurale : les dispositifs de formation à caractère professionnel comme articulateurs entre le monde de l’école et le monde du travail
Il s’agit maintenant d’affiner l’identification de la position des dispositifs de formation vis-à- vis du monde du travail. C’est une seconde façon d’appréhender les liens entre organisations formatives et organisations de travail, centrée sur les liens interpersonnels concrètement tissés entre ces deux mondes.
Tout dispositif de formation professionnelle peut être considéré comme un point de contact privilégié entre le système éducatif et le système productif – le monde du travail en général.
A chaque dispositif de formation est associé un flux de connexions avec le milieu professionnel visé assurant à la fois l’accès à un potentiel d’informations contenues dans ces relations et une communauté culturelle commune avec le milieu professionnel visé.
En ce sens ces dispositifs de formation occupent une position spécifique entre un milieu de travail accessible par des moyens distinguant peu ceux qui les mobilisent et un appareil de formation qui n’aurait pas de lien particulier avec celui-ci109.
Ces dispositifs de formation sont des articulateurs essentiels entre le monde de l’école et le milieu professionnel auquel ils destinent leurs élèves, source d’un capital social collectif favorisant toutes les actions que les uns et les autres engagent dans le but de recruter ou de rechercher un emploi.
109 Il s’agit des premières entrées sur le marché du travail, ce qui est le cas le plus général ; mais cela peut concerner aussi les nouvelles entrées suite à une période de retour en formation, quel qu’en soit le statut, dès lors que cela préfigure une mobilité professionnelle. On ne peut alors ignorer les relations professionnelles antérieures des individus. Dans ce cas, en forçant le trait et pour faire court, selon que l’objectif de l’adulte en re- formation est de rester ou de quitter son milieu professionnel d’origine, son réseau professionnel antérieur sera plus ou moins pertinent, et inversement, les opportunités offertes par le dispositif de formation prendront plus ou moins de poids, selon un principe qui veut qu’on mobilise les réseaux qu’on a sous la main, les chaînes les plus courtes possibles et en fonction du maximum de pertinence pour l’objectif visé. Les pratiques diversifiées de formation tout au long de la vie suggèrent des développements d’analyse prenant en compte les opérateurs de formation autres que le système de formation initiale classique, leurs positions vis-à-vis du marché du travail et des entreprises, les interactions avec les aspects marchands du marché de la formation, etc., sous l’angle des ressources autres que strictement formatives qu’ils peuvent fournir. Dans la même optique que les travaux de Lucie Tanguy (La formation, une activité sociale en voie de définition ? 1994), il y aurait là une piste d’interrogations nouvelles sur le rôle de la formation dans nos sociétés ?
4.3.2.1. Les flux de contacts du dispositif de formation avec le milieu professionnel visé
Lorsqu’un dispositif de formation professionnelle est créé, il a généralement pour objectif de former des personnes destinées à un espace professionnel donné, et cela peut difficilement se réaliser sans contacts avec des professionnels du milieu visé, ne serait-ce que pour la constitution d’un premier vivier de stages.
Il est facile d’imaginer par ailleurs que, bien qu’encadrée par les règles propres à l’institution au sein de laquelle ce dispositif se met en place, sa création n’est pas le fruit du hasard.
Si elle dépend bien sûr des opportunités qu’offre le contexte institutionnel, elle tient beaucoup, d’une part, à la connaissance du milieu professionnel visé qu’en a son promoteur et responsable, et, d’autre part, aux contacts dont il dispose dans ce milieu.
Il est possible de faire le parallèle, toute proportion gardée, avec l’activité entrepreneuriale : pour le promoteur de la formation, c’est un peu comme la découverte puis l’occupation d’une niche de marché pour des entrepreneurs.
Créer un dispositif de formation suppose pour son promoteur d’avoir identifié un créneau, donc au moins de connaître suffisamment de monde dans le milieu professionnel visé, ou plus vraisemblablement d’être en relation avec quelques professionnels bien choisis pour leur leadership dans le milieu, de façon à s’assurer de la pertinence de son idée110 (à l’instar de la description par Harrison White de la construction d’un marché à partir des liens entre les producteurs [1988]111).
110 nous n’excluons absolument pas la possibilité qu’une formation soit créée à partir de quelques éléments glanés dans l’air du temps ou dans un rapport quelconque ; sa durée de vie montrera a contrario sa pertinence. Mais le cas doit être rare. Il y aurait ici beaucoup à dire à la fois sur les conditions et l’histoire institutionnelle de la création des dispositifs de formation en terme de stratégie de leurs promoteurs et responsables.
111 Cf. § 1.2.4.5.
Cela constitue le point de départ, possible mais non obligatoire, d’un flux de contacts qui peut se développer au cours du temps.
Résumons les aspects dynamiques de la situation à partir des éléments avancés aux chapitres 2 et 3 précédents :
- 1) du point de vue du dispositif de formation, des relations nouées dans le cours de son histoire avec des employeurs ou des professionnels apparaissent à l’instigation des responsables, au gré de l’organisation pédagogique mise en place.
Celle-ci crée des occasions de contacts renforçant la densité des liens qui s’établissent au cours du temps. Cela constitue un premier flux de liens rapprochant enseignants et professionnels.
- 2) du point de vue des élèves, parmi les ressources relationnelles auxquelles ils peuvent accéder, celles procurées par les dispositifs de formation sont essentielles dans la mesure où ils ne disposent pratiquement pas de relations professionnelles.
A ce moment particulier du début de carrière, les dispositifs de formation représentent pour eux des points de concentration des possibilités de se construire un premier jeu de relations professionnelles.
- 3) toujours du point de vue de l’élève, mais cette fois-ci considéré comme un individu situé à une étape de son parcours : si l’effet de l’école est maximum lors de l’accès au premier emploi, le réseau de contacts professionnels prend la suite lorsqu’on observe de manière dynamique les différents moyens aboutissant à l’embauche pour les emplois successivement occupés.
En d’autres termes, ego mobilise les réseaux auxquels il a accès dans le milieu qu’il fréquente : l’emploi est obtenu par contact, mais la nature des réseaux mobilisables change avec les immersions successives dans des milieux différents.
- 4) revenons maintenant au point de vue du dispositif de formation : les relations nouées lors du passage en formation ne disparaissent pas toutes, c’est même un enjeu pour leurs responsables112. Mais même s’il s’agit toujours des mêmes individus, leur nature évolue au cours du temps.
Pour un ancien élève, un enseignant avec qui il reste en relation est toujours un enseignant ; pour l’enseignant ce n’est plus une relation avec un élève mais avec un nouveau professionnel. Et celui-ci pourra lui-même être à l’origine d’une embauche pour les élèves des promotions ultérieures.
La nature des relations change avec l’évolution des statuts des interactants, et cela contribue grandement à constituer, entretenir et assurer la position particulière du dispositif de formation vis-à-vis de son espace professionnel attitré.
L’ensemble du processus aboutit de façon cumulative à la constitution, au développement et au renforcement d’un système relationnel composé de toutes les personnes qui assurent le fonctionnement du dispositif de formation (enseignants principalement), des élèves, des employeurs ou de leurs salariés impliqués dans son fonctionnement, et de tous leurs contacts dans leur milieu professionnel.
Les enseignants et les employeurs sont les éléments fixes du système liant les deux mondes, et les élèves circulent de l’un à l’autre.