La riposte des distributeurs (téléchargement de musique en ligne)

3°) La riposte des distributeurs.
Les intermédiaires ont pu se rendre compte qu’ils devenaient techniquement inutiles et que la menace qui planait autour de leurs monopoles était bien réelle et qu’elle se vérifiait en pratique.
Les réactions ne se font pas attendre et les grands groupes industriels tentent aujourd’hui de créer leur propre site de téléchargement de musique payante en ligne.
Trois sites principaux sont aujourd’hui sur le marché36 : OD2, e-compil, et Virgine Méga.
– OD2 loue ses services aux sites de la FNAC, MSN, Tiscali, et Wanadoo. Un catalogue identique de 200.000 chansons leur est ainsi offert. L’acquisition de titres ou d’albums peut se faire de deux manières différentes, par forfait de 500 crédits mensuels coûtant 8 euros (écoute ponctuelle en qualité médiocre, 1 crédit, location d’une chanson le temps de l’abonnement, 10 euros, ou achat de titre ou d’album complet en « qualité CD », allant de 70 à 100 crédit le titre) ou sans abonnement, pour 1,25 à 2 euros le titre !
– e-compil, le serveur de Universal Music On Line propose deux abonnements, de 8 et 15,50 euros, permettant de télécharger de 10 à 20 chansons par mois. L’achat sans abonnement s’élève à 1,69 le titre.
– VirginMega réunit les catalogues de Universal, Warner et d’EMI.
Quatre abonnements de 5 à 51 euros sont disponibles. Le téléchargement d’un titre s’élève entre 1 et 1,50 euros.
Ces sites de téléchargement permettent de diffuser des titres pour lesquels les droits sont gérés numériquement.
Des restrictions sont alors apportées aux possibilités de gravure, de nombres d’écoutes…mais aussi de lecture.
+ Appareils et formats divers.
Alors que la plupart des titres téléchargés peuvent être lus par le format Windows Media Player de Microsoft, plusieurs baladeurs sur le marché, alors même qu’ils sont compatibles avec ce format, ne peuvent lire les fichiers protégés. Microsoft développe en effet ses mécanismes DRM, permettant de protéger par le lecteur Windows Media ces titres en ligne. Ainsi, outre les systèmes d’exploitation comme Linux ou Mac OS X, qui ne peuvent gérer ces nouvelles protections, de bons nombres de logiciels refuseront de lire des chansons protégées au format Windows37. Dès lors, cela renforce le monopole de Windows dans le monde de l’informatique et restreint d’autant plus le choix du consommateur.
Toutefois, certains contre exemples sont à noter. Apple et Sony s’apprêtent à sortir leur site de musique en ligne. Or, il n’est plus besoin de rappeler que ces géants de la musique sont aussi des constructeurs de matériel informatique et hifi. Chacun d’eux va vouloir élaborer un format de fichier ne pouvant être lu, quasi exclusivement, sur les appareils de la marque ou nécessitant l’achat d’un logiciel supplémentaire

36 Voir l’article « Microsoft verrouille votre PC – Les forfaits de la musique en ligne », magazine SVM, N°222, janvier 2004, p.52ss.
37 Une liste des baladeurs compatibles est disponible sur le site : http://www.windowsmedia.com/9series/personalization/cooldevices.asp

Le pari est risqué pour Sony : en proposant une solution exclusivement propriétaire par son format de fichiers et ses lecteurs associés, le constructeur nippon limite sa clientèle potentielle aux fidèles de la marque. Mais cette démarche a vraisemblablement fait ses preuves outre atlantique pour Apple qui a su s’imposer en lançant une solution propriétaire identique.
Apple, fort de son succès aux Etats-Unis vient de lancer le 16 Juin 2004 la version européenne de son iTunes Music Store.
Sony et Apple s’appuient tous les deux sur un nouveau format musical protégé, l’AAC (Advance Audio Coding), qui est selon eux « le meilleur format actuel » puisqu’il écraserait MP3 et Windows Media. Ce format empêche les fichiers d’être lu sur la plupart des appareils autres que Sony et Apple. En effet, ces deux sociétés ont tout intérêts à vendre leurs propres appareils en se réservant un monopole en s’appropriant un format de fichier qui constitue à lui seul un véritable verrou.
Toutefois, ceci annonce plusieurs interrogations et remarques au regard du droit de la concurrence et des « droits » des consommateurs.
+ Création de monopoles…parfois nécessaires.
L’apparition de ces différents formats audio crée une concurrence assez importante entre toutes les sociétés ayant intérêts à développer leur propre plateforme de musique en ligne sur Internet. Grâce à ces fichiers formatés exclusivement en faveur de leurs appareils de lecture (logiciels informatiques ou appareils audiovisuels), ces société se réservent une part de marché et bloque quasiment tout accès à d’autres matériels de marque concurrente.
La pratique de Sony permet une fidélisation de clientèle.
Pour Apple, cette activité de diffusion de musique en ligne « n’est pas rentable » en elle-même. Toutefois, il est évident qu’elle sert à « créer une offre pour vendre le matériel qui permet d’écouter ces morceaux » formatés par cette même société : le iPod. En effet, 12 % du d’affaires d’Apple est réalisé grâce à l’iPod, qui constitue à l’heure actuelle 30 % du marché des baladeurs.
Même si cette concurrence n’est pas répréhensible en elle-même, il semble nécessaire de trouver un compromis afin de s’accorder sur un format uniforme, standard.
Microsoft travaille actuellement sur un format qui permettra d’assurer une compatibilité avec les autres logiciels et appareils de lecture, tout en protégeant l’œuvre contre les différentes atteintes qui pourraient lui être portées, et notamment celles au droit de reproduction. Ainsi, sa technologie permettra de protéger les données numériques vendues ou louées sur Internet tout en restant parfaitement compatible avec tous équipements audio et vidéo. Cette compatibilité entre tous les services de musique en ligne est nécessaire afin qu’il ne soit pas porté de restrictions aux droits du consommateur. Alors que cette nouvelle forme de diffusion est récente, il est évident que si le consommateur n’en a pas un accès le plus libre possible, il s’en détournera à très court terme.
+ Atteintes manifestes aux intérêts des consommateurs.
Ces nouvelles formes de diffusions ne sont finalement pas aussi avantageuses que cela puisse paraître pour le consommateur.
En effet, a priori, nous serions tentés de déclarer que les offres proposées sont assez attrayantes. Néanmoins, en y regardant de plus près, l’achat d’une chanson coûte actuellement entre 1 et 1,60 euros, selon que le consommateur a choisi une formule avec ou sans abonnement. L’achat d’un album entier, qui contiendrait 12 titres, coûterait pour le consommateur final entre 12 et 19 euros. Ajouté à cela le prix d’un éventuel CD vierge afin de conserver l’œuvre sur un support, son téléchargement revient quasiment aussi cher que l’achat du CD en magasin, la pochette en moins. Quelques exemples, heureusement épars, ont de plus montrés que le téléchargement via un site légal de musique en ligne pouvait atteindre le double du prix du même CD acheté dans le commerce, si l’on téléchargeait l’intégralité des titres.
A l’inverse, il serait peut-être excessif de condamner de manière un peu trop hâtive ce mode d’acquisition d’une œuvre. En effet, acheter un album où seules deux ou trois chansons sont de qualité n’encourage pas l’acte de consommation. Le consommateur pourra alors trouver un intérêt dans l’acquisition de titres à la carte, car même si payer 1 euro ou plus par chanson peut paraître élevé, la liberté de choix qui en découle est indéniable. Acheter un album, où seules deux ou trois chansons sont de qualité, ne satisfait plus, aujourd’hui. Le consommateur moderne est devenu « zappeur, infidèle, rusé et plus exigeant38. Cette liberté de choix constitue donc bel et bien une alternative et éventuellement une économie pour le consommateur, qui ne payera que ce qu’il souhaite écouter. A défaut d’offre de qualité, et de facilité d’utilisation en ce qui concerne le téléchargement sur Internet « il n’en paiera jamais le prix, que ce soit dans les rayons des magasins… ou sur la toile ».
Cette évidence économique est certainement l’une des raisons de leur peu d’empressement à investir un tel marché et surtout de ne pas quitter celui du support matériel, dans lequel ils peuvent encore masquer leur marge.
Qu’est-ce qui justifie pourtant que les artistes confient leurs droits et leur image à des intervenants qui ponctionnent 90% du prix de vente, à l’heure où un nouveau processus de distribution émerge dans tous les pays développés. De plus, les auteurs sont à même, nous l’avons vu, de pouvoir développer par leur propre moyen et pour un coût non prohibitif leurs sites de téléchargement personnel.
On voit qu’il reste du chemin à faire vers une véritable « moralisation » des pratiques commerciales des industriels de la culture. Outre ces pratiques qui ne font que renforcer le monopole de ces constructeurs, la rétribution des droits peut constituer en pratique un véritable casse-tête.
En effet, les industriels se heurtent ici à la multiplicité d’ayants droits sur un morceau donné ainsi qu’à l’édiction de clauses limitant l’exercice du téléchargement. Une généralisation et harmonisation des techniques contractuelles est alors nécessaire afin de mieux répondre aux attentes des auteurs, qui doivent tirer profit de leurs activités, mais aussi à celles des consommateurs, pour qui l’accès à ces systèmes de téléchargement légaux doit être le plus simple et efficace possible.
Lire le mémoire complet ==> (Le droit d’auteur et le consommateur dans l’univers numérique)
Entre solidarisme de la consommation et individualisme de la propriété.
Mémoire de fin d’études – DEA De Droit Des Créations Immatérielles – Droit Nouvelles Technologies
Université De MONTPELLIER I – Faculté De Droit
 

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