Le consommateur et le téléchargement d’œuvre sur Internet

B) le consommateur, acteur à part entière dans le téléchargement d’œuvre sur Internet.
1°) L’arrivée d’Internet affaiblit le rôle des intermédiaires.
La situation actuelle est celle de l’émergence d’une nouvelle technique, l’Internet, qui permet de remplacer certaines méthodes, voir même l’existence de ces « industries de la culture ».
L’Internet permet de rapprocher ceux qui se trouvaient aux extrémités du processus de création et de diffusion de l’œuvre : l’auteur et le consommateur.
En effet, l’auteur peut diffuser son œuvre de lui-même via l’Internet, et même se faire payer directement par ses lecteurs.
Les coûts de fabrication du disque ou du livre disparaissent et n’ont plus lieu de se retrouver dans le prix payé par le consommateur. Alors que ces coûts rentraient dans un processus industriel, ce dernier est aujourd’hui remplacé par une prise en charge du consommateur. De chez lui, le consommateur télécharge l’œuvre et prend alors le relais du distributeur, puis grave l’œuvre issue du téléchargement sur un support papier, un CD ou un DVD.
Pour la vente de livres, « l’absence d’épreuves de contrôle imprimées, de création de films et de plaques d’impression, de machines professionnelles spécialisées coûtant très cher »31 permet de minimiser les frais de diffusion.
90 % des coûts justifiant le prix du livre sont donc rendus injustifiables dès lors que l’auteur vend directement à ses « lecteurs-clients ». Un livre diffusé sur Internet ne pourrait alors coûter que 10% de son prix en librairie. L’auteur, seul véritable acteur de la création, contrairement aux intermédiaires, pourrait alors augmenter ses marges dans une certaine mesure et sans que cela soit toutefois préjudiciable aux consommateurs.
Les distributeurs et autres intermédiaires n’ont plus à être rémunérées dans cette nouvelle économie puisque les services qu’ils dispensaient n’existent plus ou sont réalisés par l’auteur, seul.
Il en est de même en matière de CD audio pour lesquels 74 % des coûts pourraient alors être supprimés.
Les monopoles des intermédiaires ne se justifient donc plus aujourd’hui et les majors savent pertinemment qu’elles ne pourront empêcher le public d’utiliser ces nouveaux modes de diffusion. Alors, elles peuvent elles aussi avoir intérêts à envahir ce marché. Et c’est cette au regard de cette économie qu’il faudra redoubler de vigilance afin de ne pas voir se reconstituer les monopoles qu’il est aujourd’hui possible de combattre.
En outre, comme nous venons de la voir, la tendance est à la concentration dans les mains des majors de tous les pouvoirs de production, distribution, promotion…un monopole certain leur sera accordé, puisqu’en retirant aux sociétés de gestion collective le mandat qu’ils leur avaient été éventuellement confié, les producteurs seraient donc les seuls à pouvoir décider des conditions de diffusion de l’œuvre. A ce stade, les majors risquent de demander des sommes colossales à ces sociétés d’édition de services musicaux qui, la plupart du temps, ne pourront pas se soumettre aux conditions financières imposées par les majors.
C’est d’ailleurs, de manière implicite, le souhait de ces dernières.
En contrôlant ainsi toute la chaîne, de la production à la diffusion des œuvres sur le Net, les majors détourneront la consommation à leur seul ou principal profit.
Toutes ces sociétés telles que Universal ou Time Warner sont en effet des maisons de disques qui possèdent leurs propres artistes et leur propre catalogue. Leur souci essentiel sera que leurs artistes, qui sont de purs produits de consommation de masse, se vendent le mieux possible. Forts de la titularité de droits exclusifs, les producteurs et majors pourraient implicitement, par le jeu d’obligations contractuelles draconiennes, bloquer toutes diffusions en ligne autres que celles proposées par leurs filiales.
Ainsi, il leur sera facile d’inonder ces services en ligne d’autoproduits formatés pour la grande distribution32 et au prix qu’ils auront choisi.
Outre le problème lié au droit de la concurrence entre les éditeurs de services en ligne, ce contrôle massif des majors sur la diffusion à la demande, d’œuvres par Internet, bride l’accès à une diffusion la plus large possible des petits producteurs et artistes plus indépendants.

32 L’exemple le plus flagrant actuellement est celui de Star Academy, qui selon certaines sources (dont la SACEM), a permis d’éviter une baisse des ventes de phonogrammes en 2002, et qui a surtout permis à TF1 et Universal Music de percevoir des sommes colossales liées entre autre au matraquage médiatique et aux bonnes opérations de diffusion de « l’œuvre », par toutes les filiales du groupe Universal (TF1, site Universalmusic.fr…)

Dès lors, seuls les artistes des majors risquent de se retrouver à très court terme sur Internet.
Alors que Joëlle Farchy33 considère que les éditeurs-producteurs « assurent depuis longtemps, en économie de la culture, une fonction de tri, qui est, pour le consommateur, un label de qualité », nous pouvons lui opposer que la présence sur le Net d’un éventail le plus large possible d’auteurs diffusant leurs œuvres directement au public permettra d’une part de minimiser les coûts, et d’autre part engendrera une diversité culturelle et une égalité des chances inégalée dans l’accès à un public.
Qui aurait misé sur l’album de Carla Bruni si elle n’était pas connue en tant que mannequin, ou sur celui du chanteur à textes Vincent Delerm, s’il n’avait pas été fait référence, lors de la promotion de l’album, à sa qualification de « fils de ».
Sans leur notoriété, ou sans la notoriété de leur nom, ces artistes n’auraient sûrement pas signé de contrats dans leurs maisons de disques respectives, ou auraient sans doute connu plus de difficulté, et ce quand bien même la qualité de leurs albums est respectable.
Cette fonction de sélection ne tient pas ici. La sélection ne se fait pas au regard de la qualité mais au regard de l’attente des consommateurs potentiels, facilitée par la mise en avant d’un nom, d’un matraquage médiatique…
Internet permet une appréhension horizontale des œuvres, un accès libre et égalitaire à la médiatisation34.
Dans un premier temps, il est évident que les plus fortes demandes concerneront les artistes les plus connus actuellement, mais nous pouvons légitimement penser que certains artistes inconnus peuvent profiter de cette nouvelle forme de diffusion. Même si les ventes réalisées par un auteur « modeste » dans le cadre d’une diffusion Internet n’égaleront pas celles des auteurs confirmés, il est évident qu’elles seront le plus souvent supérieures à ce qu’il aurait été en droit d’attendre s’il avait signé chez une maison de disque, cette dernière solution ayant d’ailleurs eu peu de chance de se réaliser.

33 Voir J. Farchy, in Internet et le Droit d’auteur – La culture Napster, CNRS Communication, CNRS éditions, Avril 2003
34 Voir l’article « le blues du businessman », op. cit. : « Le Réseau permet des choses inconcevables dans l’édition : il permet à chacun de s’exprimer directement (sans sélection préalable par des entreprises), il permet de construire une renommée sur la durée (rien de comparable avec un premier roman envoyé au pilon au bout de quelques mois), mais aussi il offre des outils et des méthodes collectives qui font ressortir les créations originales. Et cela sans aucun frais de promotion. »

Les monopoles des intermédiaires ne se justifient plus aujourd’hui et si le rapprochement entre l’auteur et le consommateur est possible techniquement, certains exemples montrent en pratique que ce processus fait ses preuves, même s’il en est à ses balbutiements.
2°) L’autoproduction fonctionne en pratique et rapproche les auteurs des consommateurs de leurs œuvres.
Bon nombre d’auteurs ont choisi de se lancer dans l’aventure de la diffusion en ligne de leurs œuvres.
Les auteurs et artistes d’œuvres musicales n’ont plus à gravir l’obstacle financier que représente l’enregistrement d’un disque. Les écrivains, assis derrière leurs ordinateurs peuvent envoyer à la terre entière leurs derniers écrits de manière quasi instantanée.
Les auteurs doivent cependant tirer profit de la diffusion de ces fichiers sur Internet. Nous pouvons alors nous interroger comment, en dehors d’une distribution classique, l’auteur pourra percevoir en toute sécurité des revenus de son œuvre.
En réalité, « ce même réseau qui permet d’échanger facilement de la musique en cliquant sur un bouton permet tout aisément de verser un dollar sur un compte 35». On connaît en effet l’engouement actuel des consommateurs pour les sites de ventes aux enchères sur Internet. Un des modes de paiement permet au consommateur d’acheter l’objet vendu par un particulier directement. Certes, le commerce électronique existe depuis longtemps, mais celui- ci est le plus souvent utilisé par les grosses entreprises (voir Cdiscount.com, Fnac.com…). En l’espèce, l’accent est mis sur le fait que n’importe qui peut bénéficier de cette technique de paiement. Que l’auteur en ligne se soit constitué en société de taille importante afin de faciliter l’accès à son œuvre, ou bien que l’auteur diffuse depuis un petit ordinateur personnel situé dans son bureau, est indifférent. Ce service, le Paypal, permet d’effectuer des paiements sécurisés en ligne, par carte ou virement bancaire.
Les consommateurs pourront alors rétribuer directement leur auteur favori via le même logiciel qui leur a permis de télécharger l’œuvre qu’ils désirent.
Stephen King a tenté l’expérience. Après avoir distribué en ligne et gratuitement 400.000 exemplaires de Ridding the Bullet, Stephen King a en effet diffusé The Plant, l’un de ses futurs romans. Il était demandé au lecteur internaute de verser un dollar pour chaque chapitre téléchargé. Si 75% des internautes respectaient cet engagement, Stephen King s’engageait quant à lui à continuer d’inonder le net de sa dernière nouvelle.

35 Voir dans Courrier International, n° 689 du 15 janvier 2004, p.30, l’article A bas les intermédiaires, tiré du journal américain The Nation.

Tel fût le premier exemple marquant de diffusion en ligne réalisé par un auteur, en dehors des réseaux Peer to Peer. A cette occasion, les éditeurs et distributeurs habituels de cet auteur de renom ont du se rendre compte de la menace qui les guettait et qui n’avait rien d’une fiction d’épouvante. Car même si cet audacieux projet s’est arrêté, a priori à cause du manque d’obligation de paiement, il a permis à son instigateur d’engranger quelques 700.000 dollars de recettes brut, soit un bénéfice de 463.000 dollars une fois les frais de gestion du site décomptés. En outre, il a permis au consommateur de réaliser une économie substantielle.
Les exemples identiques ne manquent pas.
En matière de musique, de petits artistes ont tout intérêt à développer ce genre d’initiatives. Un groupe suédois, Damn en a fait de même. Dans un article paru dans un quotidien suédois, le leader du groupe énumère les avantages qu’il a d’éditer sa musique depuis sa propre société et de n’avoir que six salariés : « moindre coûts, circuits de décisions plus courts, meilleur contrôle, travail plus amusant. Il ajoute son sentiment son souhait de voir les artistes passer dans de petits labels, mais aussi celui de voir les consommateurs faire la différence entre les grosses et les petites compagnies discographiques.
Mais en dehors de ces artistes indépendants, encore peu connus, et de ces petits label, de grosses pointures tentent actuellement d’envahir le marché, et contrer le monopole des maisons de disques, y compris celles chez qui ils ont signés, en permettant ainsi aux consommateurs de faire des économies.
Prince a pu créer ainsi son propre site, indépendant.
L’intégralité de son répertoire, à l’exception des albums Purple Rain, Kiss et 1999 sont donc à disposition des consommateurs, pour un prix inférieur à 1 dollar le titre.
Ce site lui permet de sortir des circuits classiques de distributions, notamment en matière d’exclusivité des droits. Alors que ses disques sont aussi distribués en CD, et notamment son dernier album, Musicology, distribué par Columbia Records, un label de Sony Music, nous pouvons légitimement imaginer que Prince se réserve le droit de diffuser des inédits sur ce site, inédits sur lesquels sa maison de disque ne pourra revendiquer aucun droit.
Lire le mémoire complet ==> (Le droit d’auteur et le consommateur dans l’univers numérique)
Entre solidarisme de la consommation et individualisme de la propriété.
Mémoire de fin d’études – DEA De Droit Des Créations Immatérielles – Droit Nouvelles Technologies
Université De MONTPELLIER I – Faculté De Droit
 

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