Situation économique des étudiants Erasmus et Types de loisirs

Situation économique des étudiants Erasmus et Types de loisirs

4.4.2 Des loisirs socialement et nationalement construits

Bien qu’influente à plusieurs titres, la situation économique des étudiants Erasmus ne peut expliquer à elle seule les pratiques diversifiées en matière de loisirs. Certaines différences quantitatives et qualitatives observées ne sont en fait qu’indirectement liées au capital économique possédé.

L’âge, le capital culturel et migratoire des familles, semblent être des éléments déterminant fortement les pratiques des étudiants Erasmus. En effet, nous avons observé une distraction juvénile, qui rythme la semaine avec des sorties et des soirées évoquant le divertissement, à travers des rassemblements entre amis en fonction des lieux d’animation de la ville. En dehors de la fréquence et de la récurrence des propos à ce sujet chez les étudiants Erasmus, les formes de l’activité ne se différencient pas vraiment de celles des étudiants sédentaires.

La décohabitation et la vie festive semblent pourtant participer à une sous-culture qui se justifie, selon les étudiants, par la particularité de cette année libérée de la tutelle familiale, des pressions exercée par le corps enseignant et écartées des futures responsabilités d’un travail rémunéré, au sein d’un monde universitaire nouveau. « Faire la fête » est la raison essentielle de se retrouver en groupe, nous dit

Olivier Galland dans le monde des étudiants120. Cogneau (D) et Donnat (O)121, parlent de « culture des sorties » chez l’ensemble des étudiants. Mais ceci pourrait tout aussi bien correspondre (si nous généralisions) au monde étudiant Erasmus. Pourquoi alors l’expérience Erasmus est-elle vécue et décrite comme si unique?

Dans une autre étude122, nous avions dégagé (en examinant le questionnaire d’Olivier Galland), en quoi l’imprécision du terme « sortie » qui peut englober tout un ensemble de pratiques (de la « balade » en colline à la sortie en discothèque en passant par des repas entre amis), pouvait amener à des interprétations diverses.

Nous avions vu qu’à l’université de Provence, au terme d’une analyse d’entretiens, les étudiants sortent le soir de manière modérée et c’est souvent pour se rendre chez des amis (et beaucoup plus rarement en discothèque ou dans des bars). Toutefois, dans l’ensemble, ils ont de nombreux loisirs quotidiens, comme la lecture, l’écoute musicale, l’informatique, les jeux de cartes.

L’étude et le recodage de la question ouverte de notre questionnaire sur le type de loisirs des étudiants Erasmus sortants des trois universités, nous permet de souligner, qu’ils s’adonnent également à de nombreux loisirs en plein air et à des « balades », notamment pendant les week-ends et les vacances scolaires. Certains énoncent même la pratique de loisirs « intelligents » qui leur permet tout en se relaxant, d’enrichir leurs connaissances.

La pratique d’un sport régulier est citée par environ un étudiant sur deux dans les trois universités, (parmi les Erasmus et les sédentaires). Comme pour l’exercice d’une activité rémunérée, les différences que nous observons entre les populations sont davantage qualitatives que quantitatives. Contrairement à ce que nous pourrions penser, le climat et la situation géographique de la ville ne jouent qu’un rôle extrêmement limité sur le développement de certaines activités plutôt que d’autres.

Les activités extérieures sont davantage à relier à des traditions sportives bien ancrées dans les pays, comme le cricket en Angleterre ou le football en Italie. On constate aussi, dans nos échantillons, une corrélation entre l’origine sociale et la pratique de certains sports. Comme l’a démontré Pierre Bourdieu dans « la distinction », l’opposition principale, selon le volume global de capital, s’établit entre les sports vus comme « distingués » par leur rareté, de ceux considérés comme vulgaires, parce qu’à la fois faciles et communs.

La probabilité pour les différentes« classes » de pratiquer certaines activités doit beaucoup au passé des distributions. Ainsi l’image « aristocratique » de sports comme le tennis ou l’équitation peut survivre à la transformation relative des conditions matérielles de l’accès. Le sens de légitimité des pratiques, est ainsi fonction de leur valeur « distributionnelle », mais aussi du degré qu’elles prêtent à « l’esthétisation », dans la pratique ou dans les discours. Les sports pratiqués en des lieux réservés et séparés, à des moments de son choix, seul ou avec des partenaires choisis, sont effectivement dans notre enquête l’apanage des étudiants d’origine sociale élevée.

120 Op. cit. Page 133

121COGNEAU (D), DONNAT (O), Les pratiques culturelles des français 1973-1989, La découverte, Ministère de la culture et de la communication, 1990

122 Op. Cit. BALLATORE (M)

Ainsi l’équitation et le tennis sont plus fréquemment cités chez les étudiants Erasmus sortants d’Aix-Marseille, que chez les étudiants français de la population témoin. Les étudiantes turinoises sédentaires, pour prendre un autre exemple, sont plus nombreuses à faire du stretching ou de la gymnastique.

Les étudiantes Erasmus citent davantage la natation. Bien que Marseille soit une ville maritime entourée de calanques et Turin à une heure des Alpes, se sont les Bristoliens, qui relatent le plus de sports de montagne, (ski, escalade, randonnée) et de mer, (canoë, aviron, voile). On reconnaît chez les Erasmus britanniques la dynamique du rêve de « vol social »123 à la base de pratiques comme la voile, le ski, le windsurf, qui ont en commun de demander un fort investissement de capital culturel, dans l’exercice même de la pratique, la préparation, l’entretien et l’utilisation des instruments. Mais surtout peut-être dans la verbalisation des expériences. Tout ceci va dans le sens d’une construction sociale et nationale du sport.

Les étudiants Erasmus étant en moyenne d’origine sociale plus élevée par rapport aux étudiants sédentaires, on relève une plus grande diversité des activités de loisirs. Du nord au sud, la situation socioéconomique de la famille aura un rôle au moins indirect sur la pratique d’activités à forte appropriation symbolique et matérielle.

De même, comme Vassiliki Papatsiba124 l’avait également relevé dans son étude automatique du discours où le mot « opéra » était cité 23 fois, les loisirs autour des spectacles cultivés sont très souvent mis en avant. L’auteur s’interroge alors sur les pratiques mentionnées par convenance. Or, il semble que nous sommes loin de la convenance et qu’étant donnée l’origine sociale élevée de la grande majorité des étudiants interrogés, ceci ne nous paraît aucunement « suspect ». On constate ainsi que les étudiants

123 BOURDIEU (P), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, les éditions de minuit, 1979, p670p. Page 243

124 Op. Cit. Le séjour d’études à l’étranger : formation, expérience. Analyse des rapports d’étudiants français ayant bénéficié du programme Erasmus. Thèse de Sciences de l’éducation, sous la direction de Jacky BEILLEROT, soutenue le 20 décembre 2001 à l’Université Paris 10.

Erasmus vont plus souvent au théâtre que leurs homologues sédentaires, comme le montre le tableau n°55 suivant issu de notre enquête par questionnaire : 32,4% des étudiants Erasmus ont indiqué ne jamais aller au théâtre durant l’année universitaire contre 48,3% des sédentaires.

La ville et l’accessibilité de son offre culturelle aux étudiants peut permettre d’expliquer une partie des différences entre les universités, mais pas seulement. Car l’origine sociale influe de manière significative sur la fréquentation des théâtres et opéras. Ainsi à l’université de Provence et plus généralement parmi les populations sédentaires, où existe une proportion plus grande d’étudiants d’origine sociale modeste, on constate aussi une fréquentation mineure des opéras et théâtres. Mais qu’en est-il des « sorties » moins cultivées, au sein de bar ou au pub par exemple ?

Tableau 55: Fréquentation des théâtres par les étudiants Erasmus et sédentaires selon l’université d’origine, l’année précédant le départ à l’étranger –2004-2005- (en pourcentage)

ERASMUS Témoin

Provence Provence

ERASMUS Témoin

Turin Turin

ERASMUS Témoin

Bristol Bristol

Ensemble

ERASMUS

Ensemble

Témoin

Jamais

Quelquefois dans l’année Plusieurs

fois par mois

Toutes les semaines TOTAL (N=)

41,3 66,6

54,2 32,4

4,5 0,9

0 0

100 100

(155) (105)

26 43,1

66,9 52,9

7,1 3,9

0 0

100 100

(127) (153)

25,6 37

74,4 61

0 2

0 0

100 100

(82) (100)

32,4

63,2

4,4

100

(364)

48,3

49,2

2,5

100

(358)

= 17,0 p < 0, 001 = 9,4 p < 0, 01 = 4,7 p < 0, 10 = 19,5 p < 0, 001

Source : enquête par questionnaire

Pour les étudiants de l’université de Bristol, le pub peut difficilement être détaché des pratiques de sociabilité élective : c’est là que les étudiants se donnent rendez-vous et qu’ils passent la majorité de leurs soirées. Quelquefois ils y mangent aussi entre midi et deux heures ou s’y rendent à la sortie des cours. Et ceci plusieurs fois par semaine pour la majorité d’entre eux. Ainsi, ils disent eux-même que c’est un lieu où ils « se socialisent avec leurs ami(e)s » (I socialize with my friends).

Certains d’entre eux réalisent, que cette pratique est un rituel de la vie étudiante, auquel il faut adhérer sous peine d’exclusion. Dans le tableau 55b ci-dessous on peut relever que 12% des étudiants de la population témoin britannique ont énoncé une fréquentation quotidienne des pubs, contre 3,3% des italiens et aucun étudiant français des populations témoins.

La fréquence hebdomadaire semble concerner davantage les étudiants Erasmus avec une différence de pratiquement 20 points entre Turinois et Bristoliens et d’environ 40 points entre Provençaux et Bristoliens (cf. tableau 55a). En outre, la fréquentation des bars et des pubs pour les Turinois et les Provençaux augmente lors du séjour Erasmus (T2) par rapport à celle de l’année antérieure (T1). Ceci peut être dû à l’offre de divertissements dans les pays d’accueil (principalement l’Angleterre et l’Espagne), mais aussi à une forme de sociabilité, que l’éloignement des injonctions, des pressions scolaires et sociales locales rend possible.

Tableau 56a : Fréquentation des bars ou pubs par les étudiants Erasmus selon l’université d’origine et l’année d’étude* –2004-2005- (en pourcentage)

ERASMUS PROVENCE

T1 T2

ERASMUS TURIN T1 T2ERASMUS BRISTOL T1 T2ENSEMBLE T1ENSEMBLE T2
Jamais Quelquefois dans

l’année

Plusieurs fois par mois Toutes les semaines

Tous les jours

TOTAL (N=)

7,7 2,6

23,9 22,1

46,4 24,7

21,9 39,0

0 11,7

100 100

(155) (154)

1,6 3,1

9,4 13,4

44,9 22,0

39,4 48,0

4,7 13,4

100 100

(127) (127)

0 1,2

4,9 1,2

24,4 23,2

68,3 64,6

2,4 9,8

100 100

(82) (82)

3,8

14,6

40,9

38,5

2,2

100

(364)

2,6

14,3

23,4

47,9

11,8

100

(363)

= 39,8 p < 0, 001 = 17,8 p < 0, 001 = 6,5 p < 0, 10 = 46,3 p < 0, 001

Ce tableau se lit ainsi : 7,7% des étudiants Erasmus de l’université de Provence ont déclaré ne jamais être allés dans des bars ou des pubs l’année précédant le départ en Erasmus.

*NB : Lors du séjour Erasmus =T2. L’année antérieure =T1

Tableau 56b : Fréquentation des bars ou pubs par les étudiants sédentaires selon l’université d’origine–2004-2005- (en pourcentage)

Jamais

Quelquefois dans l’année Plusieurs fois par mois Toutes les semaines

Tous les jours

TOTAL (N=)

Témoin

PROVENCE

5,7

38,1

42,9

13,3

100

(105)

Témoin

TURIN

1,9

22,9

30,1

41,8

3,3

100

(153)

Témoin

BRISTOL

1

4

25

58

12

100

(100)

Ensemble

2,8

22,1

32,4

38,0

4,7

100

(358)

= 82,0 p < 0, 001

Source : enquête par questionnaire

A l’université de Turin, les sorties se font en général tard le soir, soit à l’heure de l’apéritif, dans des bars ou sur des terrasses grouillantes et bruyantes, soit après le dîner, sur les places, sous les portici. On prend alors un verre ou une glace ou encore on se contente de « vasche » : aller-retour d’un bout à l’autre de la rue en discutant. Les bars sont ouverts tard la nuit, contrairement aux pubs anglais et il existe de nombreux centres sociaux (circoli d’arte, centri sociali) qui ne demandent pas de paiement à l’entrée, comme alternative aux discothèques.

Contrairement aux sorties dans les bars et les cafés, la sortie en discothèque (club) est une activité beaucoup plus controversée. Le tableau 57a suivant montre que plus d’un quart des Erasmus provençaux et turinois interrogés ont énoncé ne jamais y aller dans leurs pays d’origine. Les étudiants bristoliens sont ceux qui indiquent la plus grande fréquentation de ces lieux : 59,8% y allaient toutes les semaines l’année précédant leur séjour, contre 4,5% des Provençaux et 8,7% des Turinois.

Mais il faut savoir que l’entrée dans un Club en Angleterre n’est pas très coûteux, au contraire des prix pratiqués en Italie et en France, quelquefois même discriminants en fonction du sexe. En Angleterre, les clubs optent pour des tarifs uniques et bas. De plus, les pubs doivent fermer légalement à 23h00, les clubs, prennent donc le relais des soirées étudiantes britanniques. Mais, là encore à la différence des discothèques françaises et italiennes, ils ferment eux- aussi relativement tôt, vers une heure du matin.

Tableau 57a : Fréquentation des discothèques par les étudiants Erasmus selon l’université d’origine et l’année d’étude* –2004-2005- (en pourcentage)

ERASMUS PROVENCE

T1 T2

ERASMUS TURIN T1 T2ERASMUS BRISTOL T1 T2ENSEMBLE

T1

ENSEMBLE

T2

Jamais

Quelquefois dans

l’année Plusieurs fois par mois Toutes les semaines TOTAL (N=)

30,3 18,8

43,9 38,3

21,3 18,2

4,5 24,7

100 100

(155) (154)

28,3 19,7

35,4 37,0

27,6 18,1

8,7 25,2

100 100

(127) (127)

4,8 4,8

7,3 24,4

28,1 36,6

59,8 34,2

100 100

(82) (82)

23,9

32,7

25,0

18,4

100

(364)

16,0

34,7

22,3

27,0

100

(363)

= 26,7 p < 0, 001 = 14,8 p < 0, 005 = 14,2 p < 0,005 = 12,4 p < 0, 01

Ce tableau se lit ainsi : 30,3% des étudiants Erasmus de l’université de Provence ont déclaré ne jamais être allés en discothèque l’année précédant le départ en Erasmus

*NB : Lors du séjour Erasmus =T2. L’année antérieure =T1

Source : enquête par questionnaire

Tableau 57b : Fréquentation des discothèques par les étudiants sédentaires selon l’université d’origine –2004-2005- (en pourcentage)

Jamais

Quelquefois dans l’année Plusieurs fois par mois Toutes les semaines TOTAL

(N=)

Témoin

PROVENCE

28,6

42,9

21,9

6,6

100

(105)

Témoin

TURIN

37,9

38,6

17,6

6,0

100

(153)

Témoin

BRISTOL

3,0

8,0

49,0

40,0

100

(100)

Ensemble

25,4

31,3

27,7

15,6

100

(358)

= 129,9 p < 0, 001

Qu’adviendra-t-il pendant le séjour Erasmus ? Les loisirs à l’étranger chez les étudiants Erasmus français et italiens seront-ils moins organisés autour d’activités culturelles et exclusives, comme la pratique régulière d’un sport individuel, la fréquentation des salles de théâtre ou de cinéma ? En effet, ce sont les lieux où il sera possible de maximiser les opportunités de rencontre que les étudiants Erasmus semblent privilégier à l’étranger, (du moins dans un premier temps), quel que soit le goût plus ou moins prononcé pour ce type de lieux.

Ainsi avant le séjour, 23,9% des étudiants Erasmus disaient ne jamais aller en discothèque, pendant leur séjour ils n’étaient plus que 16% dans ce cas. Inversement, le pourcentage de ceux qui les fréquentaient hebdomadairement avait augmenté d’environ 10 points. Dans les discours, les étudiants évoquent la volonté de « ne pas se retrouver seul ». C’est la peur de la solitude qui semble pousser à ce type d’activités, c’est aussi la tâche d’un étudiant dont l’expérience sera contée.

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