Mobilité géographique des étudiants et Compétences internationales

Mobilité géographique des étudiants et Compétences internationales

6.2 Mobilité géographique et traversée des hiérarchies sociales

Les traversées de l’espace sont toujours des traversées des hiérarchies sociales, nous dit Alain Tarrius83. Appréhender les groupes sociaux à partir de leur mobilité spatiale présente un intérêt majeur : toute mobilité « fait trace » dans l’espace et le temps.

Après avoir observé la situation générale sur les marchés du travail français, italien et britannique, nous allons donc analyser en quoi et pour qui la mobilité géographique à un intérêt particulier. Comment les étudiants Erasmus utilisent les acquis de leur séjour à l’étranger ? Est-ce le séjour à l’étranger ou la morphologie sociale et scolaire de cette population qui rend son insertion sur le marché du travail plus aisée ? La variabilité des points de départs nationaux des étudiants Erasmus, a-t-il un impact sur leurs parcours post-séjour ?

6.2.1 La rareté relative des compétences internationales

Les stratégies transnationales étudiantes ont en commun de tirer parti de la rareté encore relative des compétences internationales. Anne-Catherine Wagner trace plusieurs types de trajectoires internationales, en analysant les origines sociales, les filières d’études, l’âge et les secteurs d’activité.

Pour les classes moyennes supérieures à fort capital culturel (fils de journalistes, de professeurs), l’international s’inscrit, nous dit-elle dans « des stratégies d’ascension sociale et fonctionne comme un multiplicateur de capital culturel »84. La représentation importante, parmi les cadres internationaux, de fils de militaires, de hauts fonctionnaires et d’enseignants à l’étranger (souvent dans les anciennes colonies nales accumulées dans des milieux socioprofessionnels liés à l’Etat peuvent être « reconverties » dans des carrières internationales en entreprises. »85 Les filières internationales constituent ensuite un « refuge » qui permet aux jeunes d’origine sociale élevée, souvent issus de la bourgeoisie, de pallier un échec scolaire relatif.

A ce sujet, est-il étonnant que l’université Paris Dauphine, comptant moins de 10 000 étudiants (moins de 4% d’origine sociale « basse » ) et regroupant de nombreuses filières sélectives (notamment pléthore de Master Professionnels), est aussi l’université qui compte le plus fort taux de mobilité étudiante en France ?86 Nous avons vu que les élèves de filières sélectives ou de Grandes écoles sont de plus en plus nombreux à partir à l’étranger, pendant ou juste après leurs études, et mettent en œuvre des investissements à long terme qui ne sont pas directement rentables, (puisqu’une partie de ces jeunes s’engage ensuite dans une carrière nationale), mais qui pourront éventuellement être valorisés par la suite.

83TARRIUS (A), Les Nouveaux cosmopolitismes. Mobilités, identités, territoires, éditions de l’Aube, 2000

84Op. Cit Wagner (AC) page 184

Pour les étudiants Erasmus des filières non-sélectives, étudier dans un établissement étranger et séjourner dans un autre pays pendant quelques mois est aussi considéré comme formateur et valorisant. Cette valorisation n’est pas seulement ressentie comme une gratification du fait de la personnalisation de son parcours par l’étudiant, mais se traduit par un retour sur investissement concret et matériel.

Les étudiants Erasmus interrogés par entretiens que nous avons recontactés deux ans après, disent avoir obtenu un meilleur classement dans un système compétitif, ce qui se vérifie objectivement par leurs parcours scolaires : Malia se voit attribuer une allocation de recherche pour une thèse en études Européennes, (qu’elle a ensuite obtenue brillamment en moins de 4 ans), Loïc entre à l’IAE, où les cours sont dispensés en anglais et Alex est accepté en doctorat à Paris avec un financement ministériel, pour ne prendre que trois exemples.

Pour ces étudiants, nous l’avons vu, le séjour d’études à l’étranger fait l’objet d’une démarche de différenciation dans une optique de rentabilisation, il est une étape réfléchie, une stratégie au sein de l’organisation d’un projet de formation, dans une période d’inflation des qualifications.

85Idem

86Selon les données construites et publiées dans le numéro d’octobre 2000 de la lettre d’EGIDE. On peut ainsi lire que, dans les deuxièmes cycles universitaires à Paris IX, le taux de mobilité « atteint 20%, résultat proche de celui des grandes écoles (20% à HEC et 25% à l’Ecole Centrale de Paris)

S’agit-il d’une nouvelle élite universitaire?

Comme le rappellent tous les professeurs responsables universitaires des relations internationales rencontrés, une grande part des étudiants Erasmus est constituée par les « meilleurs étudiants » de ces départements. Même si nous ne nions pas que la rupture avec la monotonie d’un quotidien qui n’offre plus suffisamment d’imprévu et la compétitivité prégnante, qui rend parfois la vie étudiante austère, poussent aussi des étudiants moins « brillants » scolairement à s’expatrier.

En Italie, comme le souligne Bernardi87 dans son article sur la formation et le marché du travail, même si chaque faculté donne une durée formelle pour l’obtention d’un diplôme universitaire, en pratique, comme aucune limite dans le temps n’existe, très peu d’étudiants finissent dans les temps, « on time ». Seul un étudiant sur quatre réussit ce challenge et cette proportion ne cesse de décliner. Finir à temps et avoir eu une expérience à l’étranger est alors hautement considéré par les professionnels, « achevieving an university degree on time is quite rare and very demanding »88.

De même en France, dans certaines disciplines jugées complaisantes par de nombreux recruteurs, au sein d’une université peu coercitive, les étudiants rapides, actifs et mobiles attirent davantage l’attention que les autres. Même au Royaume-Uni, où le seul diplôme de certaines universités continue d’être un signe suffisamment fort pour ne pas appeler d’autres critères de jugements, le séjour Erasmus est un signe distinctif apprécié des directeurs de ressources humaines, comme nous le signale cette étudiante :

« Tu penses que pour obtenir ce travail, ils ont pris en considération ton séjour à l’étranger ? […] je pense que c’est une des plus belles choses que tu peux faire pour ta carrière quelque soit ta discipline d’études. Oui, absolument. Oui, c’était une des choses principales.

Sur le formulaire de candidature, ils avaient des formulaires vraiment très longs, hum… ça prend au moins deux heures à remplir, mais ils avaient des questions comme: pouvez-vous me donner une situation où vous avez été dans une position de leader ? Par exemple, donc j’ai écrit à propos de ma situation à Bordeaux. Ou, pouvez-vous écrire à propos d’une situation où vous avez dû vous adapter à un changement ? Je pouvais répondre à à peu près toutes les questions, juste en parlant de Bordeaux.

Je ne l’ai pas fait, parce que ça montrerait que je n’ai eu aucune diversité dans ma vie. Ouais, je veux dire, quand j’ai obtenu l’entretien, ils avaient mon formulaire en face d’eux et ils m’ont dit ; pouvez-vous mentionner ça, pouvez-vous parler un peu plus de ça. »

Polly, 21 ans89

87 Op. Cit Bernardi p312

88 Op. Cit BERNARDI p31.

89“You think to get your job, they take into account your stay abroad?

I think it is one of the most brilliant things you can do for your career in whatever discipline you are studying. Yeah absolutely. Yes, it was one of the main things. On the application forms, they have very long application forms, erm it takes about 2 hours to fill them in, but they have questions like; can you give a situation where you have been in a position of leadership? For e

xample, so I wrote about my position at Bordeaux. Or, Can you write about a situation where you’ve had to adapt to a change? I could have answered nearly all questions just talking about Bordeaux. I didn’t because that would show that I didn’t have any variety in my life.

Yeah, I mean when I got to my interview stage they had my application form in front of them and they said can you mention this can you, talk a bit more about that.”

Quelques recherches, notamment celles d’Opper (O), Teichler (U) et Carlson (J)90 et de Messer (D) et Wolter (S)91, s’intéressent à l’impact des séjours d’études sur le devenir des étudiants et diplômés. Ils constatent que les étudiants qui ont vécu la mobilité institutionnalisée s’insèrent plus aisément et occupent plus souvent des postes à responsabilité que leurs confrères sédentaires.

Messer (D) et Wolter (S) soulignent cependant que ne pas considérer les caractéristiques sociales, nationales et scolaires préalables des étudiants en mobilité pour traiter de cette question reviendrait à des interprétations biaisées. En effet, est-ce le séjour à l’étranger ou la morphologie sociale et scolaire de cette population qui rend son insertion sur le marché du travail plus aisée ?

En effet Opper (S), Teichler (U) et Carlson (J) avaient soumis la question de l’importance du séjour à l’étranger en terme d’emploi et de carrière à l’auto-évaluation des diplômés eux-mêmes. L’étude portait sur 558 étudiants Erasmus, qui avaient obtenu leurs diplômes entre 1980 et 1984.

Les deux tiers des interviewés avaient ainsi estimé que la période d’études à l’étranger leur avait été profitable pour trouver leur premier emploi. Ainsi ils concluaient à un effet positif du séjour sur la mobilité dans l’emploi, surtout vers des postes à dimension internationale et sur les salaires. Plus de la moitié des interviewés étaient employés dans un domaine (business et enseignement principalement) où la langue apprise était indispensable. Mais étant donnée la forte présence des diplômés en langue et en Gestion/Commerce parmi les Erasmus, ceci est peu surprenant.

Il ressort aussi de cette étude que 14% des interviewés avaient un(e) compagne d’une autre nationalité. Et c’est parmi eux que nous retrouvons le plus de travailleurs à l’étranger ou dans des postes en relation étroite avec un ou plusieurs autres pays. Cependant les auteurs de cette enquête notent, qu’au sein de cet échantillon existait un nombre important de diplômés qui semblaient déçus de n’avoir pu trouver un emploi à dimension internationale. Les effets positifs des études à l’étranger mis en avant par les étudiants sont, là-encore, les compétences sociales, la maturité, qui n’agissent que de manière indirecte sur leur parcours professionnel.

L’étude de Messer (D) et Wolter (S) de l’IZA, qui s’intéresse au parcours post-séjour, est plus radicale. Elle conclut que les avantages dont disposent les diplômés ayant fait un séjour d’études dans une autre université (sur le marché du travail en terme de salaires et de statuts) sont à relier non pas à l’expérience en dehors de leur institution d’origine mais aux caractéristiques scolaires et sociales de ces étudiants.

90 OPPER (S), TEICHLER (U), CARLSON (J), Impacts of study abroad programmes on students and graduates, London: Jessica Kinglsey Publishers, 1990, 215p.

91MESSER (D), WOLTER (S) Are student Exchange Programs Worth It ? Institute for the Study of Labor (IZA) Discussion Paper, n°1656, July 2005

Nous pourrions, en outre, nous interroger sur des prédispositions et des contextes socioéconomiques variables qui jouent un rôle, au moins indirect, dans un processus d’apprentissage de l’international influençant à divers degrés la mobilité professionnelle des Erasmus au cours de leur vie.

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