Des apprentissages de l’international aux réseaux Erasmus

Des apprentissages de l’international aux réseaux Erasmus
Partie 3

Les conséquences de la personnalisation des parcours étudiants

Au cœur du séjour Erasmus réside la fonction d’apprentissage. Il s’agit, par exemple, de définir un projet de migration et avoir des attentes sur son aboutissement. En effet, c’est d’abord par le voyage que nous expérimentons, ou expérimentons de nouveau, nos capacités d’adaptation et que nous éprouvons notre désir d’investigation. La dernière partie de cette thèse s’intéresse donc aux apprentissages des étudiants Erasmus, à la socialisation en fonction des lieux d’origines, des destinations et des appartenances sociales multiples.

Les étudiants sont-ils égaux devant les « bénéfices » de la mobilité ? La mobilité géographique est-elle liée à une mobilité sociale ou/et à un déplacement de référents culturels ? Y-a-t-il réellement une distinction au niveau des apprentissages entre migrants « volontaires », qui « s’obligent » et migrants « forcés » ou « attirés » par un contexte économique et des rapports de forces particuliers ?

Nous aborderons dans un premier chapitre la question des apprentissages disciplinaires, culturels et des changements dans les façons de faire et de penser des étudiants Erasmus. Ceci en commençant par l’expérience académique, jusqu’aux conséquences de la rencontre et de la brève co-existence des « cultures ». Les notions de culture, d’identité ne prennent pas les mêmes sens en fonction des catégories sociales et ethniques concernées, comme les injonctions à se conformer à des normes et valeurs particulières (intégration). Nous définirons ces concepts bien sûr et nous identifierons plusieurs dimensions d’acquis du séjour Erasmus. Dans le dernier chapitre de cette thèse, nous verrons, à partir de l’entrée dans la vie active des jeunes, en quoi la mobilité des étudiants répond à des attentes du monde économique et social, qui dépassent les expectatives des participants eux-mêmes.

L’éventuel renforcement de la sélection et des inégalités socioéconomiques existantes au sein de l’Union Européenne, se trouve ainsi posé par une «liberté » toute relative des étudiants face aux échanges. Lorsque la mobilité temporaire devient définitive, lorsque l’espoir d’un retour ou du moins d’un choix différent s’étiole, l’enthousiasme des étudiants Erasmus faiblit.

Ressurgissent alors les interrogations quant aux structures sociales et à leur poids dans un monde qui voudrait les oublier au profit d’une idéologie du libre arbitre, qui fait d’une contrainte un choix individuel. Qui doit s’intégrer et comment ? Qui doit renoncer à sa langue, à sa terre, à ses habitudes?

Chapitre 5 Des apprentissages de l’international aux réseaux Erasmus

5.1 Des apprentissages diversifiés pour des étudiants inégaux devant leurs «bénéfices»

La cognition et l’apprentissage, longtemps oubliés par la sociologie française, ne sont pas une affaire purement individuelle, comme le dévoilent un certain nombre de recherches aujourd’hui. La cognition se construit dans l’interaction et parfois dans des activités collectives, elle est « distribuée ». Les connaissances sont « capitalisées ». Les décisions individuelles et collectives, nous l’avons vu en ce qui concerne le choix de la mobilité, sont socialement contraintes, ancrées ou cadrées.

Pourtant, peu de chercheurs en sociologie concentrent leur attention sur les relations entre cognition et contexte social. En nous appuyant sur une analyse des apprentissages, l’objectif de ce chapitre est d’étudier la circulation plus ou moins grande, à sens unique, à double ou multi-sens, dans le milieu Erasmus, des savoirs, des référents culturels, des ressources nécessaires à l’évolution sociale.

Dès les années 1970, la théorisation de Basil Bernstein1 est reconnue comme franchissant les limites conventionnelles de la sociologie, de la psychologie et de la linguistique. Nous ne prétendons pas ici aborder la totalité des niveaux d’une telle analyse, mais dans le but d’une meilleure articulation des niveaux « micro » et « macro », nous allons tenter de dépasser l’analyse de la reproduction existante en matière de mobilité étudiante, pour voir dans quelle mesure l’expérience Erasmus peut changer les façons de penser, de sentir et d’agir des individus.

Il s’agit ici pour paraphraser Bernstein d’ « Ouvrir la boîte noire » du séjour Erasmus. Ce chapitre est donc un élargissement et non pas du tout une critique invalidante des théories de la reproduction.

Nous nous demanderons plutôt si le séjour Erasmus et plus largement l’éducation, sont des vecteurs des relations de pouvoir externes aux institutions universitaires. Ceci en nous intéressant à la structure et à la logique du discours sur la mobilité académique et ses effets attendus, qui fournissent les moyens par lesquels sont véhiculées les relations externes de pouvoir. Comment les savoirs, les compétences et leurs mises en mots par les étudiants Erasmus évoluent, circulent, se décontextualisent et recontextualisent dans une Europe en construction ?

1 BERNSTEIN (B), Langage et classes sociales ; Codes sociolinguistiques et contrôle social, Paris : Ed. de minuit, 1973, 437p

5.1.1 Un apprentissage académique et disciplinaire peu valorisé

Le programme Erasmus consiste officiellement en une période d’études dans un autre établissement européen. Les études sont ainsi reconnues et prises en compte, pour l’obtention du diplôme par l’université d’origine, notamment grâce au système de crédits E.C.T.S. et au contrat d’études qu’un étudiant Erasmus signe avant son départ avec les deux universités concernées.

Il permet, selon les instances Européennes, (objectifs repris par les ministères des pays participants) « d’encourager la coopération multilatérale » entre établissements d’enseignement supérieur européens, de « soutenir la mobilité par la transparence et la reconnaissance académique des études supérieures et des qualifications dans l’Union européenne ».

Il permet aussi de « stimuler la recherche pédagogique entre universités sur des thèmes liés à une ou plusieurs disciplines ou des questions d’intérêt commun »2. L’ancrage de ce dispositif est donc manifestement profondément académique.

Pourtant les utilisateurs et les participants, étudiants et professeurs, soulignent comme intérêts premiers des apprentissages qui ne sont pas souvent strictement scolaires. Comme nous l’avons esquissé, c’est la « maturité », l’expérience personnelle qui est presque toujours énoncée comme acquis principal du séjour à l’étranger. Qu’en est-il alors des apprentissages disciplinaires ? Pourquoi ne sont-ils pas loués ?

Comme nous l’avons observé dans le chapitre précédent, en ce qui concerne les résultats obtenus à l’étranger par les étudiants Erasmus, nous observons une grande variabilité des situations. En 1990-1991, Teichler (U) et Maiworm (F)3 relèvent un degré de reconnaissance des études à l’étranger de plus de 70% chez les étudiants Erasmus et un degré de « non-prolongation »4 de 54%.

Mais ils notent que, malgré une reconnaissance des études bien établie en principe par les institutions françaises, en Italie et au Royaume- Uni notamment, les établissements d’enseignement supérieur n’intègrent guère les séjours Erasmus à l’étranger dans les cursus et les systèmes d’évaluation « traditionnels ».

Ceci conduit presque inévitablement à la prolongation des études. De plus, notre enquête nous apprend que ce qui jouera sur les performances de l’étudiant à l’étranger, en terme de notation, est davantage son passé scolaire que ses résultats dans le pays d’accueil. En effet, face à la difficulté de composer avec la variété des systèmes de notation européens, pour la reconversion des appréciations et des résultats obte

nus dans l’université d’accueil, les enseignants responsables des échanges, se réfèrent bien souvent aux résultats antérieurs de l’étudiant comme nous l’explique Madame Danielle, responsable Erasmus de l’Université de Provence, ou se retranchent derrière une évaluation locale, post-séjour comme l’explique Monsieur Scott de l’université de Bristol:

2http://ec.europa.eu/education/programmes/llp/erasmus/erasmus_en.html http://www.education.gouv.fr/cid1012/programme-erasmus.html

3 Op. Cit. “The Erasmus Experience”, 1997.

4 La « non-prolongation » signifie que les étudiants qui ont effectué un séjour à l’étranger n’ont pas, pour l’obtention de leur diplôme, prolongé le temps « normalement » requis pour sa possession. Par contre, il y aura « prolongation » lorsque, par exemple, un étudiant parti pour sa licence devra faire une quatrième année afin de l’obtenir dans sa complétude.

« Cette année, on a eu des étudiants un petit peu hétérogènes, c’est-à-dire que l’on en avait des très bons, des moyens et des faibles. Donc, moi, je voulais que les bons et très bons aient quand même des mentions. »

Madame Danielle

« Nous ne voulons pas que l’année à l’étranger soit l’année terminale, parce que nous trouvons difficile de décider du type de diplôme à décerner.

Mais vous gardez les notes de l’année à l’étranger….

Oui, mais il n’y a pas de réponse simple à cela. On doit leur donner une note pour l’année à l’étranger, et même s’ils échouent….. ils doivent revenir avec quelques notes de cette année selon le règlement de l’université de Bristol. A partir du moment ou ils obtiennent la moyenne pour l’année à l’étranger, les notes qu’ils ont obtenues ne changeront pas le résultat final au diplôme. [..] On doit trouver une façon d’évaluer.

On insiste pour qu’ils passent des examens à l’étranger, pour s’assurer qu’ils sont sérieux en fait, mais souvent ils échouent, donc ce que l’on fait parfois, c’est de convoquer les étudiants à leur retour pour un exercice que l’on note. Parfois, on utilise la note qu’ils ont obtenue du système utilisé à l’étranger, parfois on fait un nouvel examen, mais on doit finir avec une évaluation pour cette année »

Monsieur Scott5

Si nous nous plaçons du côté des étudiants, il est difficile de généraliser sur les apprentissages scolaires, tant ils dépendent aussi de leurs aspirations socioprofessionnelles. Ils ne peuvent être les mêmes pour Mevegni, dont la volonté est d’augmenter ses chances d’intégrer une formation sélective et pour Sophie, partie pour « souffler » avant la préparation d’un concours qui ne lui demandera ni un niveau de langue particulier, ni l’obtention de sa maîtrise. Ainsi les stratégies d’apprentissage déployées varient grandement selon le déplacement opéré d’un bout à l’autre de l’échelle sociale et géographique et la prise en compte des raisons initiales de la mobilité : Il existe autant de stratèges particuliers que d’étudiants Erasmus.

5“We would not want a year aboard to be the final year, because we would find it very difficult to decide what sort of degree to give them.

But you keep some marks from the year abroad…

Yes. But there is not a simple answer for that. We have to give them a mark from the year abroad and even if they fail, …… They have to come back with some marks from that year for the Bristol university regulation. As long as the pass the year abroad, the marks they get may not make much difference to their degree class. […]we have to find some ways for assessing. We insist they take examination abroad to make sure they are actually serious, but quite often they fail, so what we sometimes do instead is to get the students when they come back to write something that we mark. Sometimes we use the exams marks from the system in use abroad, sometimes we make a new exam, but we must hand out an assessment for that year”.

Par contre, de l’observation des pratiques et des représentations des responsables Erasmus, ressortent des difficultés communes en Europe d’évaluation des savoirs disciplinaires scolaires appris ailleurs. Bien que le programme Erasmus soit arrivé à sa vingtième année d’existence et que le système ECTS6 ait été mis en place pour faciliter les conversions de notes en 1988, les enseignants continuent à « bricoler », à partir de « grilles » comparatives, établies en fonction de leur connaissance des autres systèmes de notations des universités européennes avec lesquelles ils ont établi des contrats.

Nous avons rencontré plusieurs responsables pédagogiques de départements dans les trois universités, qui construisent des tableaux de reconversion de notes7, complémentaires au système ECTS de la Commission Européenne. Lorsqu’ils discourent sur la notation, ils relatent fréquemment que « chez eux », la « qualité » des apprentissages est supérieure, par rapport à celle de l’université d’accueil.

De concert, une grande proportion d’étudiants Erasmus italiens et français jugent les études en général et l’obtention des examens pour l’ensemble de la population étudiante à l’étranger comme moins difficile, par rapport à leur pays d’origine. Les étudiants et professeurs britanniques sont quant à eux partagés sur ce sentiment. Les modalités de sélection dans ces pays, la compétition sévissant tout au long des études universitaires en France et en Italie sont, à notre sens, des facteurs explicatifs.

Nous pourrions nous interroger, au regard des discours sur l’excellence véhiculés par les universités anglo-saxonnes et dans le monde, sur la part de ce qui tient à des effets de « signes », de « labels », de ce qui tient à la réelle « qualité » des études, pour peu que l’on s’entende sur la définition de la « qualité » et sur les critères de sa mesure. Quoi qu’il en soit, Monsieur Minetti, responsable Erasmus d’un département de l’université de Turin, souligne que dans certains pays il est « plus facile d’obtenir de bonnes notes », ce qui ne facilite pas leur reconversion et appelle des « ajustements »:

« Chaque pays a ses critères de notation, il y a des tableaux de conversion, des notes en Suède, Allemagne, France, etc…. On a cherché à uniformiser au niveau de l’établissement, un tableau unique, c’est très difficile, c’est très compliqué d’adopter un système unique de.. Parce qu’également dans les autres pays les critères d’évaluation changent de faculté à faculté, d’université à université, etc.. Nous avons fait au niveau de l’établissement un tableau, de la lettre A=30, B=28, là je ne me rappelle plus, et ainsi de suite, en demandant à facile par la suite la traduction en 30ième.

Avec des résultats rares, parce qu’aussi nos collègues à l’étranger continuent à donner des notes dans leur système national en fait, mais quelques uns adoptent le système ECTS, celui des lettres, A,B, C, D et si il y a la note en lettre, la traduction est automatique, mécanique, A équivaut à 30, et ainsi de suite jusqu’à E et F, c’est ajourné. [..] Mais de manière générale, dans quelques pays, il est plus facile d’obtenir des bonnes notes.

Puis de pays à pays, après, ça dépend d’université à université et de faculté à faculté et…Par exemple en France, ils ne donnent jamais au-delà de 16, non, alors que nous en Italie 30, nous l’utilisons. 30, qui est le maximum, est utilisé, en France on arrive au maximum à 16, non ? E donc par exemple dans la traduction des notes françaises 16, 17, 18, 19, 20 sont égales à trente. C’est comme ça, corrections, ajustements, que l’on a fait les années précédentes. De toute façon, je le répète, c’est toujours un peu compliqué. Puis, parfois le système change, c’est arrivé en Suisse. »

Monsieur Minetti

8

6 Acronyme anglais du Système européen de Transfert de Crédits qui assure la transparence à l’aide des crédits ECTS. Ceux-ci représentent, sous la forme d’une valeur numérique (entre 1 et 60) affectée à chaque unité de cours, le volume de travail que l’étudiant est supposé fournir pour chacune d’entre elles. Ils expriment la quantité de travail que chaque unité de cours requiert par rapport au volume global de travail nécessaire pour réussir une année d’études complète dans l’établissement, c’est-à-dire : les cours magistraux, les travaux pratiques, les séminaires, les stages, les recherches ou enquêtes sur le terrain, le travail personnel, ainsi que les examens ou autres modes d’évaluation éventuels. La transparence est également assurée par le dossier d’information, le relevé de notes et le contrat d’études. Voir pour ces derniers l’annexe n°27 Voir annexe n°3

Mais ce « bricolage » cache parfois mal la difficulté à évaluer les acquis et la légitimité contestée en matière d’apprentissage disciplinaire du séjour Erasmus par certains enseignants. Se dessinent également, dans les tentatives de reconversion, les problèmes récurrents de la notation.

Les pédagogues diront que dans l’évaluation, il est nécessaire d’éviter non pas la subjectivité (car elle est inévitable), mais bien l’arbitraire. Une évaluation arbitraire serait celle qui ne se fonde pas sur une démarche consciente, rigoureuse, critique9. La plupart du temps l’évaluation du séjour Erasmus est donc plus subjective qu’arbitraire. Mais les choix opérés sont peu transparents. Monsieur Moroni, responsable d’un département de sciences humaines à l’Université de Provence parle ainsi de pratique « non formalisable et non formalisée », de règles variables établies essentiellement à partir de son expérience d’enseignant :

« Vous parlez des notes, justement comment se fait la conversion ?

Alors, il n’y a pas de règles strictes, il y a des tableaux d’évaluation comparatifs. C’est-à- dire que l’on sait que certains pays ne notent qu’entre 15 et 17 ou… Et donc en fonction de cela, on traduit, mais, ça implique une connaissance de ces pays. En fait la meilleure chose, ce qui peut vraiment servir là, c’est l’expérience. C’est-à-dire que ceux qui le pratiquent, d’une certaine manière passent le flambeau au nouveaux arrivants, c’est-à-dire voilà, les tables d’évaluation, c’est ça à peu près, c’est assez variable..

C’est à la fois rigoureux, parce que je crois que les conversions ne sont pas tellement problématiques, mais en même temps, ce n’est pas vraiment formalisable… mais je crois que les usages sont suffisamment établis pour savoir que ça, ça vaut ça ! Mais, il y aurait d’autres… ‘fin quand je dis que ce n’est pas formalisable, ce n’est pas tout à fait vrai parce qu’on pourrait dire, voilà, ça ça correspond, les personnes qui ont cette note, ça vaut 5% de l’ensemble des étudiants. Et chez nous, les 5% qui ont cette note-là, ce sont ceux qui ont 15 par exemple. Bon, il est dans les 5% de ceux qui ont la meilleure note, donc pour nous 15.»

Monsieur Moroni

8 “Ogni paese ha i sui criteri di votazioni, ci sono delle tabelle di conversione, dai voti in Svezia, Germania, Francia, ecc,…. Si è cercato di uniformare al livello di ateneo, un’unica tabella, è molto difficile, è molto complicato adottare un unico sistema di, di… perché anche nei paesi stranieri da facoltà a facoltà, da università a università, cambiano i criteri di valutazioni,ecc.. Noi abbiamo fatto al livello di ateneo una tabella, dalle lettere A=30, B=28, adesso non mi ricordo più, e così via, non, chiedendo al partner stranieri di adottare, di dare il voto in lettere, che rendeva molto più facile poi la traduzione nei trentesimi. Con scarsi risultati, perché anche i partner straneri continuano a dare il voto nel loro sistema nazionale insomma, comunque alcuni adottano il sistema ECTS, quello delle lettere A, B, C, D e si c’è il voto in lettere, la traduzione è automatica, meccanica A vale 30, e cosi via fino alla E e F è bocciato. […]

Ma tendenzialmente in qualche paese, più facile ottenere voti alti. Poi di paesi a paesi dopo dipende di università a università e da facoltà a facoltà e…. Per esempio in Francia, non danno mai oltre il 16, no, mentre noi in Italia il 30 lo usiamo. Il 30 che è il massimo viene utilizzato, in Francia si arriva al massimo 16, no? E quindi per esempio nella traduzione dei voti francesi 16, 17, 18, 19 e 20 sono uguali a trenta. È cosi, correzione, aggiustamenti, che sono stati fatti negli anni passati. Comunque ripeto e sempre un po’ complicato. Poi alle volte cambia sistema di votazione e capitato in Svizzera.”

9 HADJI (C), L’évaluation démystifiée, Paris, ESF éd, 1997, 124p.

Malgré cela, la conversion des notes n’est pas la démarche la plus problématique. Ce qui paraît plus délicat en France et en Italie, c’est de faire accepter à certains professeurs responsables d’une unité d’enseignement, que cette dernière soit validée pour un étudiant expatrié qui n’a pas suivi les cours qui lui sont relatifs. D’après les dires de Monsieur Key, certains enseignants refusent que les étudiants Erasmus aient des notes pour des enseignements où ils n’ont (évidemment) pas été assidus.

Ce qui l’oblige à « basculer » un résultat obtenu dans une matière spécifique à l’étranger, sur une autre matière où l’étudiant n’aura reçu aucun enseignement, pour parvenir à établir un relevé de notes. Il explique cette réticence de quelques professeurs par leur volonté de « garder la pleine maîtrise de la délivrance des notes » :

« Alors là [pour ce qui est de la reconversion des notes], c’est pareil, il y a ceux qui disent ok, et d’autres qui ne sont pas du tout d’accord, qui refusent. C’est arrivé deux ou trois fois. Ca c’est un problème : « je refuse que cette étudiante que je n’ai pas vue… » je dis : « tu ne pouvais pas la voir parce qu’elle était à l’étranger, enfin. « je refuse que cette étudiante ait une validation de note pour un cours qu’elle n’a pas suivi ici. ». Dans ce cas là, je bascule ces notes sur une autre unité d’enseignement dont je sais que le ou la responsable sera d’accord avec le principe.

Parce que de toute façon, là, c’est purement administratif. Donc se bloquer en disant : Moi, je ne veux pas que cette étudiante soit validée dans une unité d’enseignement qu’elle n’a pas suivie. Je dis : mais c’est la règle, c’est le principe même de Socrates, mais si vous voulez, il y a quelques personnes qui sont contre, qui ne comprennent pas ou que ça n’intéresse pas et qui veulent garder la pleine maîtrise de la délivrance des notes. »

Monsieur Key

De nombreux étudiants interrogés ont d’ailleurs relevé l’incohérence de leur relevé, avec des notes sur des intitulés de matières dont ils n’ont aucune idée du contenu ! Le programme Erasmus laisse donc une grande place à la liberté des acteurs locaux et plus particulièrement aux responsables Erasmus de l’université d’origine. Ce qui ne signifie pas que les étudiants ne soient pas conscients des difficultés relatives aux divergences existantes dans la transmission et l’évaluation des savoirs en Europe.

Mais pour eux, c’est « l’orgueil » de certains professeurs qui les engendre. « L’orgueil » cache en fait des rapports de forces entre des savoirs, des courants disciplinaires et leurs degrés de notoriété. Ainsi Christina, étudiante de l’université de Turin, parle d’une enseignante qui n’a aucune considération pour la façon dont « sa matière » est enseignée en Belgique :

“J’ai eu un peu de problèmes pour la reconnaissance des examens […] Selon moi, c’est l’idée que chacun a de sa discipline, dans le sens par exemple la professeur de X, moiti

é hollandaise, a dit à mon amie qui voulait partir en Erasmus en Belgique, sa matière est née en Belgique pratiquement, elle a dit à mon amie que selon elle, Erasmus, ça ne valait rien, que c’était inutile qu’elle y aille, parce qu’elle n’aurait pas appris la X comme elle l’envisageait elle. Donc, vraiment l’idée que seulement ce qui est dit par elle est juste” Christina, 24 ans10

Ainsi les apprentissages des savoirs internationaux reposent sur la valorisation de spécificités nationales et toutes ne procurent pas les mêmes profits. L’international les met ainsi en concurrence et les hiérarchise. La formation des étudiants Erasmus met en jeu une conception de l’éducation, qui est loin d’avoir le caractère universel et l’uniformité présupposée dans les textes officiels.

Le développement du programme Erasmus loge en fait insidieusement la concurrence entre les systèmes d’enseignement supérieur européens et entre les courants au sein des disciplines. C’est pourquoi, il existe une certaine ambiguïté dans les discours autour des apprentissages académiques, scolaires de la mobilité étudiante.

La tension existante entre la demande de coopération en éducation et la concurrence à la base de l’économie capitaliste, autorise les professeurs à des interprétations multiples liées notamment à la place des pays et des savoirs sur une échelle bien souvent évolutionniste. A Bristol, nous l’avons vu, ce problème relatif à l’évaluation a été réglé de manière formelle par la prolongation d’une année d’étude dans le département d’origine.

Ainsi l’université d’origine reste maître de toute évaluation et exerce un contrôle absolu sur la formation de ses élites. Il est donc difficile de voir au niveau académique dans le séjour Erasmus, une dissolution des pouvoirs anciens, centraux, au profit de réseaux.

L’évaluation et ses corollaires (la distribution de grades et de postes) continue d’être locale. C’est pourquoi les étudiants britanniques, mais plus généralement les Erasmus d’institutions sélectives, auront à l’étranger des comportements provisoirement plus « libérés », (précédemment décrits), du fait d’un éloignement des centres décisionnels pour leur futur. Le choix du séjour Erasmus prend ainsi un sens différent suivant les secteurs des systèmes d’enseignement supérieur des pays, où les élites sont, soit consacrées, soit poussées à de nouvelles mobilités par la dévalorisation des diplômes acquis ou par un contexte difficile d’insertion sur le marché du travail.

10“Io ho avuto un po’ di difficoltà a farmi riconoscere gli esami

Secondo me è per l’idea che uno ha della propria materia, nel senso che ad esempio la professoressa di storia dell’Arte, mi-olandese, ha detto alla mia amica che voleva fare l’Erasmus in Belgio, la sua materia è nata in Belgio praticamente, ha detto che secondo lei l’Erasmus, non valeva niente, che era inutile che andasse li perché non avrebbe imparato la Storia dell’arte come la intendeva lei. Quindi, proprio l’idea che solo cio’ che viene detto da lei è giusto »

Finalement, dans les discours des enseignants, la forme de l’apprentissage semble prendre l’ascendant sur le contenu ; sont davantage jugés un savoir-être, un savoir-voyager, qu’un savoir scolaire. Mais la difficulté ne réside pas tant dans le fait de privilégier ces savoirs, par rapport à l’apprentissage disciplinaire, formel, que dans l’absence de critères permettant cette évaluation dans le schéma ECTS.

Qu’est-ce qui permet de dire, comme cette responsable de l’Université de Bristol, que le séjour Erasmus est une expérience très enrichissante, car les étudiants “grandissent”, deviennent beaucoup “plus mûrs très rapidement”, ( “a very enriching experience, [The students] grow up basically, they become much more mature very quickly”)? Pour Monsieur Minetti, de l’université de Turin, la finalité du séjour Erasmus est celle de former le citoyen Européen. Mais de quels moyens dispose-t-on pour juger de la réalisation de cet objectif?

“Je dirais que la finalité fondamentale de l’échange Erasmus est celle de former des citoyens de l’Europe unie, c’est-à-dire des jeunes qui ont une expérience de vie dans un autre pays communautaire, et qui donc, ont étudié, vécu, surtout qui ont une expérience de vie avec d’autres personnes d’autres pays.

Monsieur Minetti11

Par l’accent mis sur la forme des apprentissages, nous oublions que l’internationalisation de l’enseignement supérieur et de la production ne fait pas seulement circuler des personnes, des capitaux et des biens, mais aussi des modèles d’apprentissage, de formation.

D’ailleurs la volonté de plus en plus fortes politiquement, d’harmoniser les diplômes d’enseignement supérieur et de développer des programmes universitaires communautaires d’échanges ces dernières années sont allées de pair. Ceci afin que les étudiants puissent se déplacer « librement » en Europe. Dans ce contexte, des règles « non formalisées et non formalisables » d’évaluation ont toutes les chances de renforcer la diffusion des systèmes dominants.

Les pôles et « réseaux d’excellence » sont l’un des exemples les plus probants : Ils reposent sur le postulat sous-jacent d’une supériorité de certains modèles ou courants déjà existants. La mobilité transnationale ne fait donc pas disparaître l’effet des frontières sur les situations disciplinaires. De la même façon, le brassage des nationalités, loin de produire des milieux scolaires « a-nationaux », constitue au contraire la nationalité en principe de hiérarchisation universitaire parfois explicitement, mais plus souvent implicitement.

Voici ce qu’écrivait GENIN (MA)12 en 1989 dans sa recherche sur le Programme Erasmus en Sciences politiques : « Un pays insuffisamment développé ne possède pas de structure d’enseignement supérieur de haut niveau. Le problème se pose en Europe avec des pays comme : la Grèce, le Portugal, le Luxembourg et même l’Italie. […] Sur une perspective de plusieurs dizaines d’années l’écart de développement (sic) ne fera que se creuser »13. L’auteur voit donc l’avènement des programmes de mobilité comme un moyen d’éviter ce « risque ».

11Direi che la finalità fondamentale dello scambio Erasmus è quella di formare dei cittadini dell’Europa unita, cioè giovani che abbiano un esperienza di vita in un altro paese comunitario, e che quindi abbiano appunto, studino, vivano, soprattutto abbia un esperienza di vita con persone dei altri paesi.

12 GENIN (MA), Le programme ERASMUS, Thèse soutenue en 1989, sous la direction de Monsieur CHELINI à l’Université Aix-Marseille III, IEP

Plus récemment, un article de Romuald Normand14 analysait la politique éducative de l’Europe. Cette dernière, nous dit-il, s’appuie sur un ensemble d’instruments de mesure visant à faire converger et à harmoniser les systèmes éducatifs nationaux en fixant de nouvelles normes.

Ce qu’il nomme « la normalisation par la qualité », « la mise en ordre » par les « standards », et la « construction progressive d’un nouveau cadre cognitif », ne cache-t-il pas aussi des jugements subjectifs et normatifs sur cette soi-disant « qualité » (que personne ne définit d’ailleurs), différente selon les établissements d’enseignement supérieur des pays Européens ? En effet, sur quels critères se base-t-on pour évaluer et juger de la qualité d’un enseignement et d’un apprentissage ? Qu’est-ce que le développement et la logique de la qualité en éducation ? Des questions qu’on évite soigneusement de se poser, tant la supériorité de certains modèles semble aller de soi pour les gouvernants. L’internationalisation de l’enseignement supérieur ne peut donc pas être analysée indépendamment des systèmes éducatifs nationaux et des choix que

font les acteurs locaux, les enseignants-chercheurs en particulier, en matière de contrats de mobilité: quels pays ? quelles institutions ? quels enseignements ? quelles évaluations ? D’autant que les courants de pensée sont placés dans une hiérarchie implicite ou explicite au sein des établissements et des disciplines d’enseignement supérieur nationaux.

Les étudiants Erasmus quant à eux, en fonction de leur origine sociale, perçoivent plus ou moins bien les différents niveaux des hiérarchies existantes (des pays aux institutions, des enseignements à l’évaluation). Quoi qu’il en soit, il semble que pour eux aussi, le bien- fondé du séjour Erasmus se situe en dehors des apprentissages strictement disciplinaires. Qu’est-ce qui donne alors au séjour Erasmus sa légitimité ? Quel sens donnent-ils aux études à l’étranger ?

13 Op. cit. GENIN (MA). Page 6 HACKL (E), Towards a European Area of Higher Education: Change and convergence in European Higher Education, Robert Schuman Centre for Advenced Studies, EUI, 2001

14NORMAND (R), « La formation tout au long de la vie et son double. Contribution à une critique de l’économie politique de l’efficacité dans l’éducation », in Education et sociétés N°13, CAIRN, 2004. p. 103 à 118

Le goût pour le voyage, l’ouverture d’esprit sont des qualités, que les étudiants Erasmus universitaires s’attribuent volontiers et l’euphémisme, l’atténuation des intérêts biens compris du séjour dans les discours, couplé d’une mise en avant du gain intellectuel, culturel, sont une forme de sublimation de l’incertitude de l’investissement.

En effet, aux étudiants de l’université massifiée, contrairement à leurs homologues des grandes écoles ou des filières sélectives, n’est pas immédiatement perceptible l’utilité sociale et professionnelle des études. François Dubet et Danilo Martucelli15 dans divers ouvrages, montrent en quoi l’université française n’apparaît guère comme un cadre intégrateur et comment les modes de vie des étudiants se construisent en dehors de l’emprise des études.

Ce qui est également vrai en Italie. L’université semble être, dans ces pays, une « anarchie organisée » à laquelle les étudiants doivent s’adapter, mais dont ils ne deviennent pas véritablement les membres.

Le premier cycle favorise ces situations. Les étudiants s’adaptent à l’université bien plus qu’ils ne s’y intègrent. Nous pouvons dès lors nous demander si étudier dans un contexte étranger n’inverse pas cette situation, ne mobilise pas les étudiants en les mettant face à un cadre d’études socialisant.

A l’étranger en effet, l’étudiant Erasmus semble expérimenter la solidarité des groupes statutaires, qui rendent stables et sécurisantes les affinités électives. Pour cela le vécu des étudiants mobiles s’apparente davantage au vécu des élèves de filières sélectives, qu’à celui de leurs homologues sédentaires.

Même si pour certains, nous l’avons constaté précédemment, le degré de concentration sur des enjeux scolaires est faible, pour l’ensemble des étudiants Erasmus, il pourrait s’agir d’un apprentissage expérientiel16. En effet, les étudiants Erasmus, en percevant l’arbitraire des classements et découpages, les différences de savoirs scolaires enseignés, ainsi que la diversité des modalités de transmission et d’évaluation, donnent du sens à leur formation. Nous trouvons chez l’étudiant expatrié, à divers degré, les éléments et les signes d’une intégration institutionnelle, avec la transmission de « l’esprit » Erasmus.

15DUBET (F), MARTUCELLI (D), Théories de la socialisation et définitions sociologiques de l’école, RFS, n°37, 1996 DUBET François, « Dimensions et figures de l’expérience étudiante dans l’université de masse », in RFS n°35, 1994 DUBET François, Les Lycéens, Seuil, 1991

16 On entendra par ces termes une formation qui va au delà des stricts apprentissages scolaires, académiques de la discipline d’études.

Les étudiants Erasmus, par l’énergie qu’ils déploient à la constitution et la concrétisation de leur projet, par l’insertion dans un groupe statutaire, et par le « retour sur investissement » que bien souvent ils obtiennent, ont un vécu assez éloigné de celui de l’étudiant qui coexiste avec l’université.

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