La réciprocité actuante : vers une « fusion défusionnée »

La réciprocité actuante : vers une « fusion défusionnée »

La réciprocité actuante : vers une « fusion défusionnée »

Dans notre exposé théorique sur la réciprocité en psychopédagogie perceptive, nous avons jusqu’ici insisté sur la possibilité d’établir, entre le praticien et son patient, un fond perceptif commun prenant la forme d’un mouvement interne lent et reconnaissable.

Nous avons précisé que se donnait alors à vivre entre accompagnant et accompagné une rencontre de très grande qualité, une expérience corporelle commune qu’il ne fallait pas identifier à une expérience fusionnelle. Où se situent les différences, les nuances entre ces deux natures de rencontre avec autrui ?

La réciprocité réussit ce tour de force de concilier un paradoxe : être totalement avec l’autre sans se perdre pour autant. Examinons les deux termes de cette apparente opposition.

Tout d’abord, qu’est-ce qui permet de se sentir totalement avec l’autre ? Il faut approfondir ici la nature du mouvement interne et mettre en avant le principe unifiant qu’il véhicule. Le mouvement interne n’installe pas uniquement un pont entre les interlocuteurs de la relation d’aide, il offre à vivre un lieu animé et vivant où la distance qui les sépare n’existe plus.

En restant au plus près de l’expérience qui se livre ici, nous pourrions illustrer cette propriété par une métaphore : quand une vie rencontre une vie, il en résulte la vie, une et enrichie. Ou encore : quand le mouvement rencontre le mouvement, il en résulte le mouvement, un mais bonifié. Par métaphore, il faut entendre ici une formulation qui reste descriptive pour celui qui connaît cette expérience mais qui n’est qu’évocatrice pour la personne qui ne la connaît pas. Être totalement avec l’autre signifie donc ici, se voir donné à vivre une unité dans le rapport à l’autre depuis un fond perceptif commun. Et cette unité n’est pas de la nature de l’illusion duelle, clairement nommée par les psychologues et qui tend à nous faire voir en l’autre l’exact double de nous-mêmes (Hefez, 2002, p.70).

L’unité sensible est active et surprenante. Elle défie nos habitudes de percevoir. Elle nous oblige à revoir nos façons d’agir car pour la préserver le temps d’un traitement, il nous faut modifier, ajuster en permanence notre geste manuel, notre accordage psychotonique avec l’autre et également notre qualité de présence qui doit sans cesse épouser l’évolutivité de la relation. Trop présent, et l’autre est étouffé, pas assez et il n’arrive pas à s’exprimer.

Enfin, cette unité met à mal nos représentations en venant nous interpeller profondément : comment est-il donc possible de se vivre et de s’exprimer de façon si proche, dans une intimité non contestable et un respect dont on ne se savait pas capable, auprès d’une personne dont nous ne savons presque rien et avec qui nous n’avons ni affinité, ni coup de cœur ? Il y a là trop d’interpellation pour que cette unité dont nous parlons soit de la nature d’une projection, d’une illusion que nous n’aurions pas démasquée et qui viendrait abuser nos sens.

La découverte est donc de taille : il est une modalité de relation, de présence à l’autre, qui permet de le rejoindre pleinement. Danis Bois n’hésite d’ailleurs pas à parler d’amour en ces circonstances : « C’est une bienveillance totale envers l’autre qui est demandée.

L’absence de jugement est encore trop faible; c’est d’amour qu’il s’agit, non pas pour l’autre en tant qu’individu mais pour le devenir qu’il représente, pour la potentialité qui demande à naître en lui. » (Bois, 2006, p. 176). Et il en va de même pour de nombreux praticiens.

Posons dès lors les questions suivantes : pourquoi cette modalité de rencontre ne participerait-elle pas à la rencontre amoureuse ? Et quelles seraient les conditions pour cela ?

Tableau 7 : Vers une fusion défusionnée

Être totalement avec l’autreprésence d’un fond perceptif commun
accès à un lieu animé et vivant où la distance qui sépare n’existe plus
quand une vie rencontre une vie, il en résulte la vie, une et enrichie
quand le mouvement rencontre le mouvement, il en résulte le mouvement, un mais bonifié
savoir s’ajuster en permanence
proximité, intimité, respect, au-delà des affinités
en amont des modes affectif et émotionnel
Sans se perdre pour autantimportance du rapport singulier que chacun entretient avec le fond perceptif commun
résonances, tonalités et significations singulières liées au contexte et à l’horizon biographique de chacun
présence à soi dans son expérience de la relation à l’autre
présence à l’unité entre soi et l’autre
présence à l’autre différent

Revenons au deuxième terme de notre paradoxe : être totalement avec l’autre « sans se perdre pour autant ». Quels sont les éléments qui contribuent à ne pas se perdre ? Il faut les chercher du côté du rapport singulier, personnel et unique que chacune des personnes en présence va entretenir avec le « fond perceptif commun ». Hélène Bourhis précise : « la nature du rapport que chaque personne instaure avec ce mouvement interne livre des tonalités singulières.

Ainsi, on peut dire que chaque personne a un rapport singulier au contact de ce fond perceptif commun » (Bourhis, 2007b, p. 2). Illustrons cette donnée en précisant par exemple que le rapport à la lenteur commune s’accompagnera pour le praticien d’un sentiment de confiance là où se donnera à vivre pour le patient un étonnement, dans un tout premier temps. Au fil du traitement, cet étonnement pourra laisser la place à de l’apaisement, état que le praticien expérimentera lui aussi.

Mais l’apaisement vécu par le patient viendra agir sur des tensions et problématiques qui lui sont propres, alors que pour le thérapeute, il signera une évolutivité favorable dans son accompagnement.

Le fond perceptif commun a donc cette double propriété d’installer une unité vivante entre les partenaires de la relation d’aide, mais encore de renvoyer chacun à une résonance singulière et à des faits de conscience qui lui appartiennent en propre.

D’où notre audace justifiée de parler d’une « fusion défusionnée ». Comment le mouvement interne réussit-il cet exploit ? Il semblerait que le rapport au sensible nous offre ici encore l’accès à un inconcevable. Et celui-ci se dévoile, prends corps à travers la modalité de la présence, sous un triple visage : présence à soi dans son expérience de la relation à l’autre, présence à l’unité entre soi et l’autre et enfin, présence à l’autre différent.

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