Relation de couple, Du mouvement interne au corps sensible

Relation de couple, Du mouvement interne au corps sensible

Du mouvement interne au corps sensible : itinéraire d’une transformation du rapport au corps

Notre pratique professionnelle quotidienne nous conduit à poser un constat de départ: « l’homme vit chaque jour dans la proximité d’un corps qu’il ne connaît pas » (Bois, 2007, op. cit., p. 53).

Bois et Humpich précisent : « Il est en effet flagrant de constater la prédominance attentionnelle de nos apprenants vers la dimension d’extériorité, et quand l’attention se tourne vers les ‘objets internes’, c’est en général vers les émotions ou les pensées, bien davantage que vers les perceptions liées en propre au rapport au corps et au mouvement. Ce rapport a bien souvent le statut d’un acquis et n’est plus questionné » (Humpich, Bois, 2007, op. cit.).

La société dans laquelle nous vivons pourrait pourtant nous donner le sentiment que le corps occupe une place centrale dans la préoccupation du public, tant il fait régulièrement la une des magazines. Mais il s’agit là le plus souvent d’un corps en « représentation » au service du paraître ou encore de la performance (Berger, 2004, op. cit.).

Même quand les personnes sont loin de cette culture du corps-spectacle, elles se tiennent dans un rapport au «corps objet » au sens d’un « corps utilitaire, corps machine, corps étendu » (Bois, 2007, op. cit., p.58). À propos de ce corps, la personne pourrait dire : «j’ai un corps » et même bien souvent : « j’ai un corps et il me fait mal ! ». En effet, les personnes qui ont recours à la somato-psychopédagogie sont généralement en présence d’un corps souffrant.

Au fil des séances et principalement grâce au toucher psychotonique (Courraud, 2007, op. cit.; Bourhis, 2005), corps et psychisme se dégagent de leurs tensions et il se crée une proximité grandissante entre la personne et son corps. Nous entrons dans un rapport au « corps ressenti », siège pour la personne d’expériences de relâchement des crispations, d’allègement des effets du stress et d’ouverture à un bien-être retrouvé. À ce stade, la personne entre dans un rapport où elle « vit son corps ».

Progressivement, le ressenti corporel et psychique devient un lieu de rencontre avec soi à travers les perceptions internes. La personne n’est plus seulement un patient, mais se découvre en tant qu’apprenant développant de nouvelles compétences perceptives. L’expérience faite sous les mains du praticien relève de « l’aperception » de soi. « S’apercevoir » en tant qu’être humain à travers le ressenti de son corps est une découverte, une rencontre. À ce stade, la personne « habite son corps » (Bois, 2007, op. cit., p. 58). Nous sommes ici en présence du « corps sujet ».

Au fur et à mesure que l’apprenant accède à la profondeur animée du mouvement interne, il découvre le rapport à l’être. Rappelons les propos de C. (expert, + 10 ans), évoqués plus haut : « Cela me touche profondément, dans tout mon être ».

Dans cette profondeur impliquant, les apprenants se sentent dans une qualité de présence à eux-mêmes : « Ce que j’aime dans le mouvement interne, c’est qu’il sait me toucher, qu’il est une sorte de correspondance à tout ce que je suis » (A., expert, + 10 ans).

La rencontre avec la dimension de «l’être en mouvement », c’est-à-dire l’expérience conjointe du mouvement interne et du sentiment d’être, signe le rapport au «corps sensible ». Ici, corps et psychisme sont « accordés » (Berger, 2006, op. cit.) et la personne pourrait décrire l’expérience qu’elle fait de son propre corps dans les termes suivants : «je suis et j’apprends de mon corps ». Nous l’avons mentionné, le corps devient alors pour la personne le lieu de rencontre avec ses possibles en devenir.

Tableau 4 : Évolution des différents statuts du corps dans l’expérience

Les rapports au corpsStatuts et fonctions
« J’ai un corps »Corps objet, corps utilitaire, corps machine, corps étendu
« Je vis mon corps »Corps ressenti (douleur, plaisir, tensions, relâchement…)

nécessitant un contact perceptif

« J’habite mon corps »Corps sujet, impliquant un acte de perception plus élaboré, le ressenti devenant lieu d’aperception de soi à travers les sensations internes
« Je suis mon corps » et

« j’apprends de mon corps »

Corps sensible, livrant un fort sentiment d’existence; lieu de relation à la potentialité; caisse de résonance de l’expérience capable de recevoir l’expérience et de la renvoyer au sujet qui la vit

Le corps sensible que nous abordons en fin de ce tableau est donc tout autre que le corps objet ou que le corps ressenti que nous avions mentionné au début du parcours en somato-psychopédagogie. Précisons cependant que loin d’exclure ces dimensions respectivement biomécanique et sensorielle, le corps sensible les englobe.

Le corps sensible peut également être entendu au sens du « corps de l’expérience », du corps comme « caisse de résonance » de toute expérience, qu’elle soit perceptive, affective, motrice, cognitive ou imaginaire.

À travers des cadres d’expérience propices, il est en effet possible de s’émanciper de certaines de nos habitudes concernant le rapport au corps, et d’apprendre « à toucher, au sens propre du terme, le ‘lieu’ du corps où, au plus profond d’une intériorité mouvante et émouvante, on peut se percevoir comme sujet incarné » (Berger, 2005, p. 52), comme sujet de son expérience dans son expérience.

Cette présence à soi dans l’expérience constitue une découverte d’importance car elle introduit une possibilité nouvelle « d’être là ». Nous parlons ici d’ « éprouvé », au sens d’une présence conjointe du sujet et des impressions sensibles relatives à l’objet de son expérience.

Au-delà de ces précisions quelque peu techniques, il faut retenir que cette caractéristique de l’éprouvé renvoie à la possibilité d’une présence à soi dans l’acte de percevoir, d’agir ou de penser. Plus proche encore des préoccupations liées à notre projet de recherche, cette aptitude à « être là » ouvre la possibilité d’une présence à soi inédite dans la relation à autrui.

De la reconnaissance du mouvement interne au rapport au sensible

Rappelons le titre de la présente recherche : « Rapport au sensible et expérience de la relation de couple ». Dans ce titre, la notion de « sensible » est au centre du premier terme et il est temps pour nous d’en préciser certains contours. En psychopédagogie perceptive, cette notion renvoie à l’ensemble des phénomènes éprouvés et qui se déploient au contact conscientisé du mouvement interne, dans toutes les dimensions de l’existence de la personne.

Pour Danis Bois, en d’autres mots : « La relation au mouvement interne est le point d’émergence du sensible et on définit le sensible dès lors que la personne témoigne en conscience du processus dynamique qu’elle sent en elle. À ce moment, elle se perçoit pénétrant un lieu d’elle-même, un lieu en elle- même qui la met en présence d’un enrichissement de toutes ses facultés » (littérature grise).

Pour Danis Bois toujours, la rencontre avec le mouvement interne constitue « la sensation fondatrice » du déploiement de l’expérience du sensible. Elle est « initiatrice du processus de transformation » et c’est dans les termes suivants qu’un participant de sa recherche se prononce à ce sujet : « Cette expérience du mouvement interne est la toute première expérience qui a changé mon rapport à moi et mon point de vue sur la vie » (D1, cité par Bois, 2007, p.296-297).

Nous avons insisté sur les principes actifs portés par le mouvement interne et sur l’aspect dynamique du processus de découverte, de reconnaissance et de rencontre avec celui-ci. Danis Bois insiste également sur le caractère dynamique de la rencontre avec le sensible en ces termes : « les différents éléments de vécu […] que nous avons isolés et interprétés nous ont semblé constituer davantage que de simples facteurs statiques d’un paysage individuel.

Nous avons perçu, à travers leur prise en compte globale, que se situait là le fondement d’un ensemble dynamique qui apparaissait dès lors comme un processus d’accès au sensible » (Bois, 2007, p.287). Ce déploiement du rapport au sensible a été modélisé par l’auteur dans ses recherches doctorales sous la forme de la « spirale processuelle du rapport au sensible » (Bois, 2007, p. 287-307). Nous allons en reprendre les termes essentiels.

Le déploiement du rapport au sensible : une « spirale processuelle »

Contemporainement à l’expérience du mouvement interne, vont se déployer des contenus de vécu particuliers : la chaleur, la profondeur, la globalité, la présence à soi et le sentiment d’exister.

Par l’intermédiaire de l’action pédagogique du praticien, certains aspects de ce paysage perceptif, ces contenus de vécus, vont prendre un statut de découverte existentielle.

Danis Bois, encore : « ce qui peut être considéré comme une sensation corporelle est bien plus que cela, c’est une manière d’être à soi au contact du sensible, c’est une expérience vécue révélatrice de sens qui jusqu’alors nous avait échappé » (Ibid.).

Dans le processus de découverte et de reconnaissance du sensible, il semblerait que les vécus de chaleur, de profondeur et de globalité constituent la première étape de cette rencontre. La chaleur est régulièrement évoquée comme une « douce chaleur interne qui se déplace dans l’intériorité », comme une « vague de chaleur » qui « traverse le corps » et « imprègne la matière » (Bois, 2007, p.298-299). Cette chaleur s’accompagne d’un sentiment « de confiance, de sécurité » (ibid.). Elle rassure, nourrit et apporte un bien-être.

La profondeur se dévoile en différents degrés. Dans les termes des participants de la recherche de Danis Bois, cette profondeur renvoie au « plus profond de soi-même » et ouvre à l’expérience d’une « nouvelle intimité », dans laquelle se livre « un dialogue profond avec soi-même ».

Une participante précise : « Je suis touchée au fond de moi-même […] une sensation d’être entrée dans ma propre maison, de rentrer chez moi » (T1, cité par Bois, 2007, p.300). La rencontre avec cette profondeur de soi est initiatrice de transformation en ce sens qu’elle « signe une rupture avec une ancienne manière d’être qui se révèle au grand jour au moment où l’étudiant pénètre la profondeur » (Bois, 2007, p.300).

C’est ainsi qu’un autre participant se prononce à ce sujet : « Le fait de redonner la place à cette profondeur qu’offre le mouvement interne m’a permis de m’ouvrir à de nouveaux regards me concernant et concernant les autres » (F1, cité par Bois,2007, p. 300).

La profondeur se donne donc à vivre comme signant un changement concret. Elle véhicule une nouvelle manière d’être à soi, ouvrant sur une nouvelle nature d’implication et d’intimité, avec soi-même, comme avec les autres.

Figure 1 : la spirale processuelle du rapport au sensible Dynamique des contenus de vécu (Bois, 2007, p. 289)

 la spirale processuelle du rapport au sensible Dynamique des contenus de vécu

Mouvement interne en tant que sensation fondatrice

L’expérience de la globalité renvoie elle aussi à une grande richesse. En termes de contenus de vécu, elle apporte tout d’abord une unification des différentes parties du corps au sens de l’établissement d’un lien de présence entre des segments qui par contraste, apparaissent comme s’étant tenus isolés les uns des autres jusqu’ici.

La globalité renvoie également à la rencontre avec un « volume intérieur » qui se dilate ou encore avec le ressenti des « contours » qui délimitent la personne par rapport à son environnement.

En termes de déploiement de nouvelles manières d’être, les effets de cette unité de soi méritent d’être soulignés car ils exercent directement leur influence sur le rapport au monde et à autrui. Citons un autre participant de la recherche de Danis Bois : « Vivre l’expérience de mes contours de l’intérieur m’a permis de me délimiter face à moi, au monde et aux gens. Je n’étais plus envahie. Je pouvais me situer dans un espace qui est mon corps » (W1, cité par Bois, Ibid.).

Les participants la même recherche mentionnent clairement qu’il naît de cette rencontre avec une unité de soi, un sentiment de solidité. Enfin, le mouvement interne qui facilite l’expérience de la globalité est aussi facteur d’unification du corps et du psychisme : « Le mouvement interne a eu un autre statut pour moi alors, j’ai pris conscience qu’il unifiait mon corps à mon esprit » (G1, cité par Bois, pp. 291-294). Nous assistons ici à la description de l’expérience de l’accordage somato-psychique.

Quatrième niveau de la spirale processuelle, la « présence à soi » est un contenu de vécu explicitement nommé par les participants de la recherche de Danis Bois : « Je me surprenais à vivre des moments de grâce et de plénitude, de présence totale à moi-même que je n’avais jamais vécu auparavant » (G1, cité par Bois, ibid.).

Il est important de préciser que cette expérience de la présence renvoie également à un rapport renouvelé à la temporalité. La personne cesse d’être dans la remémoration d’un passé, dans la projection vers un futur ou encore dans le constat d’un écart entre ce qu’elle vit au présent et ce qu’elle attendait de vivre.

Ces trois attitudes qui sont autant de possibilités de la pensée humaine viennent bien souvent installer une distance entre la personne et son immédiateté, l’éloignant par là-même de « ce qui est ». Une des forces de la psychopédagogie perceptive est de proposer un rendez-vous avec « une sensation temporelle, juste à l’intérieur de moi » et « qui naît d’un présent corporéisé » (J1, cité par Bois, Ibid.).

Cette aptitude sera importante en relation à autrui car nous pouvons en attendre qu’elle offre des voies de passage pour accéder au présent de la relation, et non pas se laisser absorber péjorativement dans des mécanismes de ressassement du passé ou de fuite dans un futur projeté par exemple. Profitons-en également pour préciser que la donnée de cette présence à soi s’accompagne de l’expérience d’une présence aux autres : « à partir d’elle [l’intériorité], l’être pouvait se manifester, devenir présence à soi et à l’autre » (L1, cité par Bois, Ibid.).

En termes de manière d’être, la présence à soi renvoie tout d’abord à un plaisir d’être avec soi- même : « Je découvre le plaisir d’être avec moi, en ma compagnie » (A1, cité par Bois, Ibid.). Cette donnée d’une réciprocité savoureuse avec soi-même est capitale pour notre étude car dans bien des couples, chaque partenaire a une tendance à attendre de l’autre qu’il lui procure ce même bien-être.

Il y a là une « charge » bien lourde qui pèse sur la relation et qui parfois peut empêcher le bien-être-ensemble de se déployer pleinement. Autre caractéristique de l’état de présence à soi, il véhicule la découverte pour la personne de sa véritable singularité : « Il est clair que j’ai de plus en plus de plaisir à rentrer dans la découverte de moi-même » (A1, cité par Bois, Ibid.).

Là encore, la possibilité de cet ancrage identitaire offre un apport exceptionnel dans le projet de vivre au milieu des autres et donc auprès des personnes signifiantes.

En effet, on peut supposer qu’une personne qui a la chance de se rencontrer par l’intermédiaire d’une relation intra personnelle, attendra moins de son conjoint sur ce plan-là.

Dernier élément de la spirale processuelle, le « sentiment d’exister » renvoie à une expérience inédite d’un « je suis » à laquelle le corps sensible apporte une contribution essentielle. A1, participant de la recherche de Danis Bois, s’exprime ainsi : « J’ai le sentiment d’exister avec un corps, des sensations […] J’ai un corps avec un éprouvé, une vie, une existence dans tout mon être. […] Je suis dans mon expérience » (Ibid.).

Cette intensité d’être, par contraste, fait apparaître la carence, le manque de sentiment d’existence qui peut accompagner l’absence de rapport au sensible. Un autre participant s’exprime à ce sujet de façon très touchante : « Mais qu’est-ce qui me manque ? […] C’est moi-même qui me manque. […] Quel bonheur et quel choc de découvrir cela » (T1, cité par Bois, Ibid.). Les participants sont très clairs : c’est le rapport au sensible qui donne accès à ce sentiment d’exister renouvelé.

Pour B1 par exemple : « Aujourd’hui, je suis parce que je me vis dans mon corps, parce que je me sens être, et c’est mon rapport au sensible qui me le permet » (cité par Bois, Ibid.).

En termes de renouvellement des manières d’être, Danis Bois dégage de ces données deux éléments : l’autonomie et l’adaptabilité. L’autonomie renvoie au prolongement de la singularité évoquée précédemment dans une affirmation de soi.

Un praticien en psychopédagogie perceptive évoque ici l’expérience d’« exister en temps que personne unique, non fusionnée, non identifiée à autre chose que moi-même » (R1, cité par Bois, Ibid.). De notre point de vue, ce sentiment d’exister fondé sur le rapport à l’être profond vient équilibrer la donnée classique de l’assise narcissique du moi – entendue ici dans le sens constructif d’une stabilité identitaire.

Il en va de même vis-à-vis du sentiment d’exister qui naît du regard et de l’attention des autres posé sur soi. Le sentiment d’exister qui naît du rapport au sensible permet de redonner sa juste place au regard et à la présence d’autrui. Encore une fois, s’il y a là la potentialité d’un meilleur « savoir-vivre-avec- soi », il y a également selon nous une voie de passage pour un « savoir-vivre-avec-l’autre » plus équilibré.

En ce qui concerne l’adaptabilité, celle-ci se déploie dans la mesure où les enjeux identitaires trouvent une plus juste proportion dans les interactions de la personne avec son contexte de vie. La définition de soi est alors moins dépendante de l’extériorité ou encore de mécanismes psychologiques stéréotypés et qui conditionnent, bien souvent, les réponses données aux événements – un exemple en serait la tendance à la dévalorisation ou encore à la survalorisation.

La personne peut s’articuler de façon plus créative avec les situations qui sont celles de son quotidien. Pour W1 par exemple : « Les événements qui m’arrivent ne sont plus déstabilisants comme avant puisque je peux les situer dans l’espace extérieur, prendre du recul en étant en moi et les accueillir en me donnant la possibilité d’interagir » (cité par Bois, Ibid.)

Nous avons rassemblé ces nouvelles manières d’être dans la figure 2 qui reprend la spirale processuelle d’accès au sensible, mais cette fois-ci, en mettant en avant la dimension existentielle de l’expérience vécue.

Figure 2 : Dynamique existentielle de la spirale processuelle du rapport au sensible.

Renouvellement des manières d’être à soi d’après (Bois, 2007, p. 289)

Mouvement interne en tant que principe de renouvellement du moi

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